William Randolph Hearst
Représentant des États-Unis 11e district congressionel de New York (en) | |
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- |
Naissance | San Francisco (États-Unis) |
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Décès | Beverly Hills (États-Unis) |
Sépulture | Cypress Lawn Memorial Park (en) |
Nationalité | |
Formation | Université Harvard |
Activités | |
Père | |
Mère | |
Conjoint | Millicent Veronica Willson |
Enfants | Randolph Apperson Hearst (en) George Randolph Hearst (en) William Randolph Hearst (en) John Randolph Hearst (en) David Whitmore Hearst (d) |
Propriétaire de | Hearst Castle, Beacon Towers, Syracuse Telegram (en), New York Daily Mirror (en), New York Morning Journal (d) |
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Parti politique |
William Randolph Hearst, né à San Francisco le et mort à Beverly Hills le , est un homme d'affaires américain, magnat de la presse écrite. Principal représentant du journalisme jaune, il est le propagateur du journalisme des fake news et inspire le célèbre Citizen Kane d'Orson Welles.
Biographie
Son père, George Hearst, était un industriel multimillionnaire du secteur minier, originaire du Missouri et sénateur de Californie de 1886 à 1891.
Sa mère, Phoebe Apperson Hearst, était une institutrice du Missouri. À l'âge de dix ans, Hearst effectue un tour de l'Europe avec sa mère.
À seize ans, il entre à l'école St. Paul's, à Concord, capitale du New Hampshire. De 1882 à 1885, William étudie à l'université Harvard, mais il est expulsé pour avoir envoyé des pots de chambre contenant la photo du destinataire à des membres de l'institution.
Carrière
Il prend en 1887 la tête du quotidien San Francisco Examiner1, que son père a reçu en guise de paiement pour une dette de jeu. Hearst donne au journal le surnom de « souverain des quotidiens » (Monarch of the Dailies), acquiert le meilleur matériel disponible et recrute des journalistes talentueux. Le journal publiera des révélations d'affaires de corruption et des articles sensationnalistes.
En 1895, Hearst rachète le New York Morning Journal, un quotidien peu rentable, et y engage des écrivains comme Stephen Crane et Julian Hawthorne. Il entre alors en concurrence directe avec son ancien mentor, Joseph Pulitzer, propriétaire du New York World, duquel il débauchera Richard F. Outcault, l'inventeur des bandes dessinées en couleurs. Hearst comprend très tôt le potentiel qu'il peut tirer de la bande dessinée naissante et recrute ou débauche les meilleurs dessinateurs et scénaristes de comics. Il lance les funnies (les rigolos), suppléments illustrés tout en couleur aux journaux du dimanche. Pour diffuser sur l'ensemble du territoire ses auteurs maison il crée le King Features Syndicate qui propose entre autres Blondie, Flash Gordon, Mandrake le Magicien, Mickey Mouse, Pim, Pam et Poum, Little Nemo, The Yellow Kid ou encore Terry et les Pirates.
Hearst est ainsi à l'origine du comic strip. Le prix du New York Journal, qui deviendra plus tard le New York Journal-American, est réduit à un cent et atteint des tirages sans précédent avec des articles sensationnalistes et malhonnêtes sur des sujets tels que le crime et les pseudo-sciences. Le bellicisme de l'écriture du journal en ce qui concerne les affaires étrangères, notamment l'insurrection cubaine, est réputé à l'époque. Hearst comme Pulitzer publient de fausses images de soldats espagnols enfermant des Cubains dans des camps de concentration où ils meurent de faim et de maladie. Après la guerre, il se vantera d'avoir investi plus d'un million de dollars pour déclencher la guerre hispano-américaine2.
La concurrence acharnée entre le New York World de Joseph Pulitzer et le New York Journal d'Hearst à la fin du xixe siècle, ouvre l'ère du journalisme jaune (« yellow journalism »), dont le principal représentant, Hearst, privilégie le sensationnalisme et n'hésite pas à propager des fake news3.
Vers le milieu des années 1920, Hearst a fondé ou possède des journaux dans toutes les régions des États-Unis. Sa chaîne de journaux et périodiques comprend alors le Chicago Examiner, Boston American, Cosmopolitan, et Harper's Bazaar, en plus de sa propre agence de presse, l'International News Service. Hearst publie également des œuvres de fiction et produit des films.
Dans les années 1920, William Hearst fait construire le spectaculaire Hearst Castle, sur un ranch de 970 km2 à San Simeon, en Californie, un château qu'il meuble d'antiquités et d'œuvres d'art achetées en Europe, dont en 1928 le mobilier de la chambre à coucher de la comédienne française Mademoiselle Mars, acheté au téléphone à Stéphane Boudin, directeur de la maison Jansen, qui l'avait acquis lui-même de la comédienne Mary Marquet.
Il habite cette demeure avec sa maîtresse, Marion Davies, et il y organise de somptueuses réceptions. Millicent Willson, sa femme, dont il est séparé depuis longtemps, vit à New-York, où elle appartient à la haute société. Willson, une philanthrope active, crée en 1921 la fondation Free Milk Fund for Babies (Fonds pour du lait gratuit pour les bébés).
À l'apogée de sa fortune Hearst possède quelque 28 journaux importants et 18 magazines, ainsi que des services de presse, stations radio et compagnie de cinéma. Toutefois, la Grande Dépression des années 1930 affaiblira sa position et, en 1940, il a déjà perdu le contrôle personnel sur son empire financier de presse. C'est dans les années 1930 qu'il se rend en Allemagne et admire la force du nazisme4.
Il meurt en 1951, à Beverly Hills, en Californie5 et est enterré au Cypress Lawn Memorial Park, à Colma, au sud de San Francisco.
Vie personnelle
Hearst est parfois accusé d'avoir provoqué la guerre hispano-américaine de 1898 pour augmenter les ventes de son journal. Sa propre carrière politique sera mise à mal à la suite de l'assassinat du président William McKinley, après la découverte de la publication par Hearst d'un poème satirique d'Ambrose Bierce faisant allusion à un éventuel meurtre de McKinley.
En 1903, William Hearst épouse Millicent Veronica Willson (1882–1974) à New York. Presque de 20 ans son aîné, Hearst la fréquentait depuis qu'elle avait seize ans. Le couple aura cinq fils : George Randolph Hearst (1904–1972), William Randolph Hearst Jr. (1908–1993), John Randolph Hearst (1910–1958), et des jumeaux, Randolph Apperson Hearst (1915–2000) et David Whitmire Hearst (1915–1986).
Bien que le couple restât marié jusqu'à la mort de Hearst, il se sépare de sa femme en 1926 et l'actrice Marion Davies (née Marion Cecilia Douras, 1897–1961) sera sa maîtresse durant plus de 30 ans.
Membre de la Chambre des représentants de 1903 à 1907, Hearst échoue dans ses tentatives pour accéder à la mairie de New York, en 1905 et 1909, et au poste de gouverneur de New York, en 1906. Il sera battu par le candidat Charles Evans Hughes lors de l'élection pour le poste de gouverneur. Opposé à l'Empire britannique, Hearst est opposé à l'intervention des États-Unis dans la Première Guerre mondiale et critique la formation de la Société des Nations. En 1929, le magnat de la presse américaine propose d'avancer des fonds en échange de l'exclusivité de l'information relative à un vol autour du monde du dirigeable « Graf Zeppelin ». Cette aide financière de 100 000 dollars exige de débuter et achever ce périple aérien à partir du territoire des États-Unis (Lakehurst N.J). Deux journalistes de Hearst, Lady Grace Drummond Hay et Karl von Wiegand, supporters inconditionnels du Zeppelin, embarquent le . Le krach boursier d' ne permettra cependant pas de donner de prolongement immédiat (l'ouverture d'une ligne régulière Europe-USA) à ce premier tour du Monde aérien, très largement réussi. Hearst s'attire les foudres de la gauche américaine en soutenant le nazisme dans les années 1930. De récentes recherches par l'auteur Louis Pizzitola indiquent que Hearst a participé au rallye de Nuremberg[réf. nécessaire]. Malgré tout cela, en 1938, il dénonce le pogrom de la nuit de Cristal quand les autres journaux le passent sous silence. Pendant la guerre civile espagnole, ses médias dénoncent constamment les actions des républicains6. Durant les années 1940, il sera un farouche opposant au communisme.
En 1947, Hearst faisait l'acquisition d'une villa à Beverly Hills (la « Beverly House »), achetée pour 120 000 dollars à la famille Thum, qui l'avait elle-même acquise auprès de son commanditaire, le banquier Milton Getz, en 19417. Construite dans les années 1920 sur les plans de l'architecte Gordon Kaufmann (en), la villa de 4 500 m2 avec piscine possède un jardin dessiné par Paul Thiene (en) et des aménagements intérieurs par Hugo Ballin, qui en font une demeure au style syncrétique, provençale, toscane et andalouse. Hearst y meurt. C'est dans cette demeure que le couple Kennedy passa sa lune de miel en 1953. Dans les années 1970, elle est louée pour le tournage de films, comme Le Parrain. Elle est rachetée en 1976 par le promoteur Leonard Ross8.
Wyntoon
Arthur Byne, un représentant de la « Hispanic Society of America », en quête de « bric-à-brac » pour les collections du musée, découvre en 1930 au cours de l’un de ses voyages, près de Burgos en Espagne, les ruines d'un monastère cistercien décrépit, Santa Maria de Ovila. Il fait du monastère quelques croquis qu'il envoie à William Randolph Hearst. Celui-ci ravi, décide d'acheter le monastère entier, de le démonter et de l'envoyer en Californie afin de l'intégrer à son projet de château, « Wyntoon », dans les forêts du Nord de la Californie, tout près de la rivière McCloud.
À cet endroit la mère de Hearst avait une vaste cabane de chasse qui a brûlé et Hearst compte bien la remplacer par un véritable château médiéval ; la chapelle elle-même doit devenir une énorme piscine de 150 mètres de long.
L'affaire est menée sur place par Julia Morgan, l'architecte de Hearst, déjà conceptrice de son palace de San Simeon, le Hearst Castle.
Lorsque le monastère est acheminé dans onze bateaux, le coût estimé de la construction explose et va bien au-delà de ce que Hearst peut payer. La Grande Dépression achève de ruiner le projet. Les pierres sont un temps stockées dans des entrepôts qui subissent plusieurs incendies ; celles qui subsistent sont maintenant abandonnées pêle-mêle dans le Golden Gate Park à San Francisco.
Une autre version du projet, Wyntoon (en), sera réalisée par les architectes Willis Polk, Bernard Maybeck et Julia Morgan, mais sans les précieuses pierres du monastère espagnol.
Famille Hearst
En 1974, la petite-fille de Hearst, Patty Hearst, fait la une des journaux lorsqu’elle est capturée par un groupuscule de gauche connu sous le nom de l’Armée de libération symbionaise. Elle rejoindra par la suite l’organisation et sera mêlée à des activités criminelles qui mèneront à son arrestation pour cambriolage de banque.
La fille de Patty et donc arrière-petite-fille du magnat, Lydia Hearst-Shaw, est actrice et mannequin.
Le , le producteur de cinéma muet Thomas Harper Ince, souvent surnommé « le père du western », meurt d'un infarctus du myocarde alors qu’il participe à une croisière de fin de semaine avec Hearst, Davies, et plusieurs autres personnalités notables d'Hollywood. Des rumeurs selon lesquelles Hearst aurait tiré sur Ince et utilisé son influence pour couvrir l’affaire circulent à l'époque. Le film Un parfum de meurtre, sorti en 2001, raconte une histoire inspirée par ces rumeurs. Toutefois, la théorie voulant que Hearst ait tué Ince est généralement jugée très improbable. Un auteur, Kenneth Anger est formel et affirme que Hearts a tué accidentellement Ince d'un coup de révolver alors qu'il visait Charlie Chaplin, parce que celui-ci flirtait de manière trop poussée avec sa maitresse Marion Davis. L'accident aurait eu un témoin : la journaliste Louella Parsons. Hearst aurait acheté son silence en lui attribuant à vie le rôle de correspondant à Hollywood de tous les journaux qu'il dirigeait10[source insuffisante].
Orson Welles représente la vie de Hearst dans un portrait à peine voilé dans son film épique Citizen Kane (1941). Hearst était au courant de la production du film et mit en œuvre toutes les ressources à sa disposition pour l’arrêter et empêcher sa sortie, en partie parce qu’il considérait que le film était insultant vis-à-vis de Marion Davies, représentée dans la fiction comme une chanteuse ivrogne et sans talent. Le téléfilm historique Citizen Welles (1999) raconte les tentatives de Hearst d’empêcher la diffusion du film. Welles et le studio qui a produit Citizen Kane résistèrent à la pression, mais le conflit nuisit à la sortie du film, causant de piètres résultats au box-office, et mit en péril la carrière de Welles. Toutefois, les efforts de Hearst se sont révélés inutiles à long terme puisque, après sa mort, la popularité de Citizen Kane a augmenté au point que le film est souvent considéré comme un des plus grands films de tous les temps, et qu'il est devenu indissociable de la vie de Hearst.
Le dessinateur Keno Don Rosa cita le nom de Hearst dans la liste des milliardaires dont le héros de bande dessinée Picsou dépasse la fortune dans La Jeunesse de Picsou.
Dans le roman Jouvence (After Many a Summer) d'Aldous Huxley, le personnage du milliardaire Jo Stoyte est fortement inspiré par Hearst.
Elliot Carver dans Demain ne meurt jamais lui attribue la phrase : « Vous fournissez les photos, et moi je vous fournirai la guerre ». Une phrase très similaire était déjà prononcée par Orson Welles dans son film (« Vous fournissez les poèmes en prose, et moi je vous fournirai la guerre »).
Il fait partie des personnalités dont John Dos Passos a écrit une courte biographie, dans le troisième volume La grosse galette de sa trilogie U.S.A..
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https://www.rts.ch/info/culture/cinema/10738654-citizen-kane-le-film-qui-a-revolutionne-le-cinema.html
"Citizen Kane", le film qui a révolutionné le cinéma
Introduction
Sorti en 1941 et premier long métrage d'Orson Welles alors âgé de 26 ans, "Citizen Kane" deviendra l'un des plus grands films de tous les temps.
Un film qui ne laisse personne indifférent
Chapitre 01
Le film "Citizen Kane" mélange les genres, les procédés cinématographiques, alternant le grand et le détail, proposant une sorte de ballet moderne, réaliste, expressionniste et poétique, composé de quatre récits, parfois contradictoires, sur la vie de Charles Foster Kane.
Une histoire romancée, mais qui fait écho à la vie d'un vrai magnat de la presse, William Randolph Hearst, très mécontent de se voir caricaturer dans une fiction. Le scandale est inévitable.
Film d’une grande force, au scénario complexe, à la violence satirique, au montage ciselé, il est considéré comme l’un des meilleurs films de l'histoire du cinéma.
"Citizen Kane" débute avec la mort de Charles Foster Kane. Dans un dernier râle, le moribond prononce le mot "Rosebud", ce qui intrigue son entourage et la presse. Un journaliste reporter, Jerry Thompson, est chargé par son rédacteur en chef, directeur des actualités cinématographiques, de trouver la signification de ce dernier mot du milliardaire excentrique, mort seul dans son manoir de Xanadu.
Le journaliste enquête et rencontre ceux qui ont connu Charles Foster Kane. Ainsi, le film se construit à coup de flashbacks levant petit à petit le mystère de la vie de cet homme.
L’histoire de "Citizen Kane" tient sur un script de 51 pages. C’est tout. 51 pages pour devenir un des films les plus révolutionnaires de l’histoire du cinéma. Une révolution que l’on doit, en grande partie du moins, à Orson Welles, à la fois le réalisateur et le comédien qui incarne le personnage de Charles Foster Kane.
Le génie d'Orson Welles
Chapitre 02
Orson Welles est une grande gueule, talentueux, coureur de femmes, redoutable buveur, gros mangeur, sujet à des accès de mélancolie autant qu’à de grandes envolées lyriques et à des colères effroyables. On le connaît excessif, cabotin, génial, ne tenant pas en place, multipliant les projets.
Il est né à Kenosha, Wisconsin, le 6 mai 1915. C’est un enfant prodige. Il sait lire à deux ans. A trois ans, il commence à jouer du piano. A cinq ans, il se passionne pour Shakespeare. Il connaît plusieurs pièces par cœur, les met en scène avec des marionnettes. A huit ans, il rencontre Harry Houdini, le célèbre illusionniste qui lui apprend quelques trucs. Il devient magicien. Il apprend à dessiner, se révèle être remarquablement doué pour ça aussi. Il voyage avec ses parents, son père, ingénieur, sa mère pianiste. Elle meurt quand il a dix ans. Ce qui le motive peut-être à écrire une analyse de "Ainsi parlait Zarathoustra" à onze ans.
A treize ans, notre jeune prodige fonde sa première troupe de théâtre. A quinze ans, il monte un condensé des huit pièces historiques de Shakespeare et reçoit un prix de l’association dramatique de Chicago pour sa mise en scène de "Jules César". Il mesure déjà 1m80, fume des cigares, se coiffe de chapeaux imposants et perd son père. Le voilà orphelin, élevé par un ami de la famille.
A 21 ans, marié et papa, il commence sa carrière radiophonique, proposant des actualités dramatiques en prêtant sa voix aux personnalités vivantes: Négus, Mussolini, Hitler.
Pendant une période heureuse, il court les stations de radio, louant une ambulance pour passer plus vite d’une station à l’autre dans les villes déjà étouffées par la circulation. A 23 ans, il fonde le Mercury Theater et crée une véritable panique en adaptant "La Guerre des Mondes" de H. G. Welles.
Nous sommes le 30 octobre 1938, veille d’Halloween. Le texte est saisissant. Quelques auditeurs ne comprennent pas qu’ils ont affaire à une pièce radiophonique. Ils pensent qu'une invasion martienne est réellement en train de se passer et ils paniquent. L’événement est monté en épingle par la presse. Orson Welles est durement critiqué.
Orson Welles, enfant génial, adolescent brillant, et jeune homme volontaire à qui tout réussit ne peut pas manquer de croiser à un moment donné la route d’Hollywood.
En 1939, tout auréolé du scandale qu’il a créé, Orson Welles, 23 ans, débarque à Hollywood. Le patron du studio RKO Pictures, George Schaefer, lui a offert un incroyable contrat.
A rebours des habitudes les mieux établies de Hollywood, Schaefer accorde à ce garçon un peu rondouillard, et très "Côte Est", la promesse de financer un film par année qui est, à choix, produit, écrit, réalisé et/ou interprété par lui.
Dans la promesse est incluse, chose qui ne se fait jamais à Hollywood dans les années 40, la liberté totale, soit le "final cut". Le studio n’aura aucun droit de regard ni sur les sujets ni sur la mise en scène.
"Voilà bien le plus beau train électrique qu’un garçon puisse rêver".
Dès lors, on peut imaginer à quel point l’arrivée d’Orson Welles à Hollywood, avec un contrat pareil, va soulever jalousie, rancœur, et même haine.
Interviewé en 1974 par le journaliste anglais Michael Parkinson, Orson Welles raconte: "Je n’ai jamais appartenu au milieu hollywoodien. Quand j’ai débarqué, (...) j’étais ce type avec une barbe qui allait pouvoir faire tout ce qu’il voulait, tout seul, et je représentais un futur terrible: je représentais ce qui allait arriver à cette ville. J’étais haï et méprisé. Bon j’avais quand même quelques amis qui étaient des dinosaures, et j’ai bien aimé cette période. Je crois, quand je regarde en arrière, que je me suis montré trop optimiste sur Hollywood."
Orson Welles a le don de provoquer. Son arrogance est aussi célèbre que son talent. Il annonce haut et fort son mépris et son antipathie pour le milieu des stars, producteurs et réalisateurs. Bref, le gratin hollywoodien. Mais on en a autant pour lui. On se moque de lui, on boycotte sa première réception, on se moque de ses cravates, de sa barbe, on souhaite son départ et on est très content quand ses deux premiers projets hollywoodiens tournent courts.
Car en arrivant à Hollywood, chose incroyable, venant du théâtre, il ne sait encore rien du cinéma. On sait qu’il possède sur le bout des doigts les règles de la dramaturgie et qu’il sait captiver un public. Mais la technique cinématographique, l’écriture cinématographique, c’est autre chose. Son producteur George Schaefer lui a fait rédiger un manuel. Welles multiplie alors les stages techniques, s’initie aux caméras, aux projecteurs, aux mystères des enregistrements sonores. Et il apprend vite. Au bout de quelques mois seulement, il connaît tous les mécanismes du studio et les secrets de la prise de vue.
Pour parachever sa formation, il regarde beaucoup de films, avec une prédilection pour "Le Cabinet du docteur Caligari", de Robert Wiene, chef d’œuvre de l'expressionnisme allemand, et "La Chevauchée fantastique" de John Ford.
"Silence! Un génie au
travail"
Chapitre 03
A la fin de l’année 1939, Orson Welles est prêt à se lancer dans la réalisation de "Citizen Kane". Jouant l’indifférence à la critique hollywoodienne et au fait qu’il a énervé tout le monde, il convoque John Houseman son vieux complice, et Herman J. Mankiewicz.
Ce dernier est à cette époque un scénariste déchu. Il était connu dans
les années trente mais se contente désormais de faire de la critique. Orson
Welles, en arrivant à Hollywood, le contacte. Car il sait que Mankiewicz est
l’ami de Marion Davies qui n’est autre que la maîtresse du magnat de la presse
Randolph Hearst.
A ce titre, Mankiewicz a ses entrées dans la demeure des Hearst et peut connaître des détails croustillants qui peuvent alimenter n’importe quelle histoire. Et il semble que ces détails ont bel et bien alimenté l’histoire de "Citizen Kane".
Les trois hommes, Welles, Houseman et Mankiewicz travaillent plus de trois mois sur un nouveau scénario qui parlera d’un magnat de la presse et de l’histoire de sa vie. Selon les propres mots du réalisateur, le synopsis a pour thème une enquête journalistique présentant des points de vue différents sur le même homme, Charles Foster Kane.
"Selon certains, Kane n’aimait que sa mère, selon d’autres, il n’aimait que son journal, que sa deuxième femme, que lui-même. Peut-être les aimait-il tous, peut-être n’en aimait-il aucun. Le public est seul juge. Kane était la fois égoïste et désintéressé, un idéaliste et un escroc, un très grand homme et un individu médiocre. Tout dépend de celui qui en parle. Il n’est jamais vu à travers l’œil objectif d’un auteur. Le but du film réside d’ailleurs plus dans la présentation du problème que dans sa solution" explique le réalisateur.
Le scénario terminé, le premier tour de manivelle de "Citizen Kane" est donné en été 1940. Cela fait exactement un an qu’Orson Welles a débarqué à Hollywood.
Dans le Motion Picture Herald, un journal américain, un article commente le fait le lendemain en titrant: "Silence! Un génie au travail".
Sur le plateau, il y a Gregg Toland, un formidable directeur de la photographie. Il vient d’ailleurs d’être oscarisé pour son travail sur "Les Hauts de Hurlevent" de William Wyler. C’est à lui que Welles devra la photographie très contrastée de son "Citizen Kane".
Welles ne veut pas de vedettes hollywoodiennes. Il fait donc appel à ses copains de théâtre et de radio avec à leur tête Joseph Cotten et Everett Sloane.
Je suis né pour jouer les rois.
Orson Welles, réalisateur et
acteur
Pour devenir le citoyen Kane, il s’astreint à un régime lait et
bananes pour prendre du poids. Le tournage dure 15 semaines. Sa réalisation est
entourée d’un secret impressionnant et l’on connaît l’anecdote du commando de
producteurs, qui ayant osé pénétrer sur le plateau pendant le tournage ont
trouvé les acteurs en train de jouer au base-ball sur ordre de leur metteur en
scène.
Le film est livré au montage le 23 octobre 1940. Et c’est là que les choses vont se corser…
Un personnage de fiction?
Chapitre 04
A cause de la discrétion et du silence complet entourant le tournage de "Citizen Kane", on commence à jaser. Dans le milieu, des bruits courent sur la nature scandaleuse du scénario.
Louella Parsons, une journaliste connue attachée aux journaux du magnat de la presse William Randolph Hearst et qui avait jusque là soutenu Orson Welles, avise son patron. On prétend que la biographie imaginaire du héros du film de Welles est largement inspirée de la vie de Hearst lui-même, considéré comme le plus grand trusteur de la presse américaine. Haïssant les Japonais et grand soutien du fascisme aux Etats-Unis, c'est un admirateur d’Hitler et de Mussolini.
Dans le film d'Orson Welles, la vie de Kane apparaît sous divers éclairages et facettes: enfant turbulent, héritier ambitieux, journaliste passionné, amant tyrannique, candidat malheureux, mari maussade, businessman romantique, collectionneur aigri, amant égoïste et mécène manqué.
Le film se construit comme un puzzle pour tenter de donner du sens aux dernières paroles du milliardaire: "Rosebud".
Ce Citizen Kane est un personnage de fiction. L’affaire pourrait s’arrêter là, être sans conséquence. Mais c’est sans compter sur Louella Parsons, la journaliste férue de scandales qui répand la nouvelle dans la presse: "Citizen Kane" est une transposition calomnieuse de la vie d’un grand homme américain, son patron, Randolph Hearst. Elle avance comme preuve le nom de Mankiewicz qui a ses entrées dans la maison Hearst.
Immédiatement, l’autre journaliste en ragot, principale rivale de Louella Parsons, Hedda Hopper prend le relais et soutient Orson Welles de toute sa plume.
Au milieu de ce combat, il y a la RKO, Orson Welles et Randolph Hearst qui lui se reconnaît dans le Xanadu, le palais délirant de Kane qui ressemble à sa maison. Il se reconnaît dans sa liaison avec Marion Davis dont il essaie de faire une star. Il reconnaît le petit mot qu’il utilise, semble-t-il, dans l’intimité pour qualifier le clitoris de sa maîtresse, "Rosebud". Bouton de rose. C’en est trop.
William Hearst ne croit rien des dénégations de Welles et de la RKO et il obtient que ses avocats, ainsi que Louella Parsons assistent au visionnage du film en fin de montage. La RKO cède sous la pression. Ça sent mauvais pour Orson Welles.
Une sortie mouvementée
Chapitre 05
Le film, tourné pour 800'000 dollars entre le 29 juin et le 23 octobre 1940, est un bijou de virtuosité. L’extraordinaire mise en scène ne passe pas inaperçue. Tant dans la forme que sur le fond, "Citizen Kane" est un chef-d’œuvre, malheureusement pas du goût de tout le monde.
Dans la salle, pour cette première projection test, les avocats et
Louella Parsons sont scandalisés par ce qu’ils voient à l’écran. Pour eux, on
porte clairement atteinte à l’intimité de Randolph Hearst. Du coup, ce dernier
fait pression pour interdire la sortie du film. Purement et simplement.
Welles rétorque que le citoyen Kane n’est pas Randolph Hearst, mais un personnage de composition, imaginaire. Il rajoute même de l’huile sur le feu en annonçant par voie de presse que si on continue à lui échauffer les oreilles avec cette histoire, il mettra en chantier une grande idée de scénario concernant vraiment la vie de Hearst.
C’est alors que le magnat de la presse, l’homme le plus puissant de Californie, décide d’utiliser les grands moyens, ceux à sa disposition. Il impose de retarder la sortie du film. Et ses amis se mettent à l’aider. Louis B. Mayer, le patron de la MGM, fait une offre de 842’000$ au président de la RKO, George Schaefer.
Tout ce que Schaefer a à faire c’est de détruire le négatif. Mais Schaefer ne veut pas. Alors, on mandate le chef de la censure de l’époque, Joe Breen. Et on lui organise une projection privée de "Citizen Kane".
Va-t-il ou ne va-t-il pas prendre la décision de brûler la pellicule? On sait qu’il a touché des pots-de-vin. Orson Welles est dans la salle. Il se souvient:
"Tout le monde disait: inutile de chercher les ennuis, brûlons-le, tout le monde s’en fiche, ils en encaisseront la perte. J’avais un chapelet que j’avais mis dans ma poche et à la fin de la projection sous le nez de Joe Breen, bon catholique irlandais, je l’ai fait tomber par terre en disant: "Oh excusez-moi" et je l’ai remis dans ma poche. Sans ce geste, c’en aurait été fini de 'Citizen Kane'".
Le négatif est sauvé. Mais le 8 janvier 1941, les vingt-huit journaux, les treize magazines et les huit stations de radio appartenant au groupe Hearst reçoivent l'ordre de refuser toute publicité du studio RKO. De plus, on menace tous les autres studios de leur livrer une guerre sans merci s’ils continuent de soutenir la RKO.
Le studio commence à plier et envisage d’annuler la sortie du film. Orson Welles réplique. Il menace publiquement la RKO d’un procès pour rupture de contrat.
Admiré par la critique mais
boudé par le public
Chapitre 06
Le studio se décide finalement à sortir le film en salle, espérant que l’aura de scandale qui l’a précédé fera venir la foule dans les cinémas.
Mais le public boude, trouve le film abscons, compliqué, labyrinthique. Le 6 mai 1941, jour du 26e anniversaire de Welles, le film est projeté à Chicago devant une salle à moitié vide. Tous les amis d’Orson Welles sont là qui chantent: "Joyeux anniversaire Orson, que Hearst crève d'apoplexie en vociférant des insanités."
Pour la critique, pourtant unanime, le film est un chef-d’œuvre. Ultime.
Le Times écrit: "C'est la découverte décisive de nouvelles techniques dans l'art de la réalisation et de la narration"; Newsweek reconnaît Welles comme "le meilleur acteur de l'histoire du cinéma dans le meilleur film qu'on ait jamais vu", et Life ajoute encore: "Hollywood nous a offert peu de films avec une histoire aussi forte, une technique aussi originale et une photographie aussi excitante."
Tous admirent l’utilisation des flashbacks qui, mêlés à l’écriture du film, lui apportent une fraîcheur d’écriture jamais vue auparavant. On salue également les prises de vue, osées, cadrées, le grand travail sur la lumière, les plans séquence, l’utilisation de fausses actualités cinématographiques, le travail de narration non chronologique, révolutionnaire pour l’époque, ainsi que le son, tout en finesse dans une partition de Bernard Hermann.
"Citizen Kane" gagne un succès d’estime. Mais pas d’argent. "Citizen Kane" est un retentissant échec commercial pour la plus grande joie de Randolph Hearst et des ennemis d’Orson Welles. Et on le sait, à Hollywood, quand un film ne fait pas d’argent, le réalisateur se fait taper sur la caméra.
A Orson Welles, le petit génie, on retire tous ses privilèges. Ce fameux contrat qu’il avait signé en 1939 en arrivant à la RKO et qui lui donnait les pleins pouvoirs est rompu.
Le film est sélectionné pour neuf oscars en 1942. Il n’en remporte qu’un, celui du meilleur scénario.
Après "Citizen Kane", Orson Welles se lance dans un nouvel échec commercial "La splendeur des Amberson", amputé par des producteurs peu scrupuleux, puis dans "Voyage au pays de la peur", remonté aussi par les producteurs.
C’en est trop. C’est la rupture avec Hollywood. Welles se décide en
1945 à vendre les droits de "Citizen Kane" pour 20'000 dollars. Mal
lui en prend. En 1951, à la mort de Randolph Hearst, le film ressort sur les
écrans et connaît enfin un succès important. Orson Welles ne touche pas un
centime.
Comme il ne touchera jamais un centime de tous les passages en salles, de toutes les diffusions télé, ni même qu’il ne bénéficiera de l’aura de ce film culte. Le film certainement le plus étudié, le plus vu et le plus analysé de toute l’histoire du cinéma.
Proposition et textes:
Catherine Fattebert
Adaptation des textes,
réalisation web:
Andréanne
Quartier-la-Tente
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https://www.lexpress.fr/culture/cinema/citizen-kane-c-est-l-histoire-d-un-film_1089084.html
L'art pictural a sa chapelle Sixtine, la littérature, sa Recherche du temps perdu, la sculpture, son Penseur, la musique, sa 9e symphonie, le cinéma, lui, a Citizen Kane.
Le premier long métrage d'Orson Welles, réalisé en 1940, figure invariablement au top des différents classements désignant le meilleur film de tous les temps. Lorsque nous avons demandé à Steven Spielberg d'être notre rédacteur en chef, ladite oeuvre faisait logiquement partie de son panthéon personnel. À l'heure où le papa d'E.T. vient de se frotter à la 3D avec son adaptation de Tintin, il était logique de convoquer dans ces pages celui qui s'est peut-être le mieux servi de la profondeur de champ.
Welles, comme tout maître des illusions qui se respecte, a, en effet, su transcender sa vision en manipulant la nôtre. Il bouscule ici le regard du spectateur, s'amuse à le mettre en perspective, le contredire, et nous balade dans un entrelacs d'images et de sons où la vérité n'a jamais paru aussi subjective. Citizen Kaneest un monde en soi, envisagé à l'aune de son imposant héros : Charles Foster Kane, incarné par le cinéaste lui-même. Qui est-il ? Une bande d'actualité se propose d'abord de nous raconter en quelques minutes les grandes lignes de son parcours : riche héritier, grand manitou des médias, homme éloquent, capable de tous les excès et de tous les paradoxes, ayant côtoyé les grands de ce monde, y compris les affreux (un trucage nous le montre au côté d'Hitler), passé tout près de la présidence des États-Unis avant qu'un scandale amoureux ne vienne contrarier ses rêves de toute-puissance. Risepuis fall. Kane finit seul, oublié de tous, prisonnier volontaire d'un château à sa démesure : Xanadu. Fin du reportage. Avec ce petit film dans le film, tout semble dit et, bien sûr, il manque l'essentiel.
Le récit va alors changer sa course, la caméra de Welles quitte l'écran des actualités pour se projeter ailleurs. Elle accompagne un journaliste dans sa quête pour percer le mystère Kane. Un mystère qui se confond avec le dernier mot prononcé par l'intéressé avant de trépasser : Rosebud. Rosebud, bouton de rose... Késako ? Un reporter est engagé pour traduire le fin mot de cette incroyable histoire. Il va ainsi rencontrer les proches du grand homme et, à travers leurs témoignages, reconstruire les événements et les émotions qui composent une vie. Welles nous montre des individus devenus des spectres submergés par des souvenirs qu'ils réactivent sous nos yeux. Le passé vient contaminer le présent à l'aide de longs flash-backs. Ils offrent un portrait cubiste de Charles Foster Kane.
Très vite, il apparaît que la clé de l'énigme restera lettre morte. Du moins pour les protagonistes de la fiction (la caméra de Welles - toute-puissante - la dévoilera au spectateur dans les ultimes minutes). Rosebud est le nom inscrit sur un traîneau que Charles Foster Kane chérissait enfant, renvoyant ainsi le grand homme à sa part d'innocence et d'insouciance. Que connaît-on de la vérité des êtres, s'interroge Orson Welles avec ce premier long métrage. "Je ne crois pas qu'un seul mot puisse décrire la vie d'un homme !" répond l'un des protagonistes, résigné. Ni un mot, ni une ou plusieurs images. Le cinéma doit s'appréhender pour ce qu'il est : une vue de l'esprit. Il falsifie le réel pour mieux nous montrer l'invisible. "L'action est la matrice du cinéma américain, l'origine de la pureté de sa forme", écrit Youssef Ishaghpour dans Le cinéma(Farrago). "À la place de l'action, Citizen Kanemet la réflexion au centre du film et aux fondements de sa forme. Il montre aussi le caractère illusoire des valeurs qui étaient à la base du cinéma hollywoodien : la réalité de la liberté et du bonheur de l'individu."
Chez Welles, tout est donc affaire de perspectives. L'infiniment grand côtoie l'infiniment petit, les détails, les différents témoignages forment un tout illusoire. Nous devons pourtant nous en contenter pour appréhender le monde proposé. Dans Citizen Kane, personne ne ment. Ni les images d'actualité, ni les souvenirs des proches. Chacun traduit sa propre vérité. La subjectivité des témoignages impose au spectateur de trouver la bonne distance vis-à-vis des faits. Le génie de la mise en scène de Welles est de jouer avec ce regard. La caméra, narrateur omniscient de cette histoire, nous balade en toute liberté dans le récit, passe au travers des barreaux, enfreint toutes les interdictions pour nous faire pénétrer dans cette intimité. "No trespassing", affichait pourtant un panneau à l'entrée et à la sortie du film. Le pouvoir de l'appareil cinématographique n'a pas de limite.
La netteté de l'image
Cette profession de foi intellectuelle s'accompagne de prouesses techniques. En 1940, à l'heure où le jeune Orson Welles - 25 ans seulement ! - se lance dans la réalisation de son premier long métrage, le cinéma s'écrivait alors en format carré et en noir et blanc. L'image était - comme jadis la Terre - plate ! Tout se jouait donc au-devant du cadre, laissant l'arrière-plan dans un flou plus ou moins artistique. Avec Citizen Kane, Welles va bousculer la géométrie de l'espace grâce à des trucages astucieux (jeux d'ombre et de lumière, superposition d'images, illusion d'optique...). Il n'est donc pas étonnant que Spielberg, Kubrick ou autre Cameron aient démonté pièce par pièce l'édifice pour comprendre sa mécanique intérieure.
Comme au théâtre, dont Welles est d'ailleurs issu, l'espace cinématographique se découvre alors des perspectives nouvelles. C'est la fameuse profondeur de champ dont Welles est le premier à avoir utilisé la force expressive. L'image est composée de plusieurs strates où coexistent et interagissent divers éléments dramatiques. Ainsi, dans l'une des plus belles séquences du film, nous voyons à l'arrière-plan le jeune Charles jouer innocemment dans la neige avec son traîneau tandis que, devant nous, sa mère signe les papiers qui vont sceller son avenir. Ici, tout est net, l'image ne doit rien cacher au spectateur.
L'autre grande affaire de Welles est l'utilisation des plafonds dans son cadre. Une particularité qui n'a rien d'anecdotique. À l'époque des films réalisés en studio, les plafonds étaient la place réservée aux éclairages. Welles, avec son chef opérateur Gregg Toland, va libérer cet espace invisible et l'utiliser pour mieux emprisonner les personnages. Ainsi, dans Citizen Kane, le héros semble sans cesse à la merci d'une architecture menaçante. Ce qui fera à dire au célèbre critique André Bazin : "La volonté de puissance de Kane nous écrase, mais elle est elle-même écrasée par le décor. Par le truchement de la caméra, nous sommes en quelque sorte capables de percevoir l'échec de Kane du même regard qui nous fait saisir sa puissance."
Citizen Welles
Le scénario de Citizen Kane, coécrit avec le frère cadet de Joseph L. Mankiewicz, serait inspiré de la personnalité des puissants millionnaires William Randolph Hearst et Howard Hughes, célèbres pour leur génie en affaire tout comme leur démesure psychologique. L'ironie de l'histoire est que le premier fera tout pour interdire l'exploitation du film et que le second sera bientôt le propriétaire de la RKO, le studio qui a produit le film. En s'offrant lui-même le beau rôle, Orson Welles signe en creux son propre autoportrait et anticipe sans le savoir ses tourments à venir.
En effet, l'homme va payer toute sa vie la liberté avec laquelle il a réalisé Citizen Kane. Scénariste, producteur, réalisateur, interprète, jamais un jeune metteur en scène avant lui n'avait connu pareil privilège. Il faut dire qu'en 1940, Welles est un phénomène qui vient de se rendre célèbre à la radio en adaptant de façon réaliste le roman de science-fiction de son presque homonyme H.G. Wells, La guerre des mondes. Enfant précoce, le futur cinéaste féru de Shakespeare et de Nietzsche est déjà à la tête de sa propre troupe, le Mercury Theatre, dont les membres constitueront l'essentiel du casting de Citizen Kane. C'est à 25 ans qu'il réalise donc ce premier long métrage. L'enthousiasme critique ne s'accompagne pas d'un succès public. Hearst réussit à retarder la sortie du film aux États-Unis tandis que le début de la Seconde Guerre mondiale en Europe interdit une exploitation sur le vieux continent. Il faudra attendre 1946 pour voir Citizen Kane en France.
BIOGRAPHIE ORSON WELLES : Un Génie du Septième Art
Extrait de l'Atlas du Cinéma Mondial "l'Age d'Or"
"Je combats pour le cinéma universel comme un géant dans un monde de nains" a un jour déclaré Orson Welles. Belle formule pour celui qui dans sa sixième année régnait sur un théâtre de marionnettes et cinq ans plus tard jouait à lui tout seul les rôles du Roi Lear. C'est grâce à quelques hommes comme Orson Welles que le cinématographe est resté un art, à une époque où il menaçait de n'être plus qu'une industrie. Souvent incomprise, parfois mutilée, son œuvre demeure aujourd'hui un exemple esthétique et moral pour les créateurs dignes de ce nom.
Naissance du Prodige
Né le 6 mai 1915 à Kenosha, dans le Wisconsin, Orson Welles a pour parents un inventeur farfelu et une pianiste réputée. Après la mort de sa mère en 1923, il accompagne son père dans des voyages lointains. Revenu dans son pays, il s'adonne dans le cadre scolaire à sa passion pour le théâtre. Fort de son succès dans Jules César et avec la bénédiction du docteur Bernstein, qui devient son tuteur à la mort de son père, le jeune Orson part à la conquête d'une des scènes les plus prestigieuses d'Europe, le Gate Théâtre de Dublin. Les deux directeurs, impressionnés par son talent et son aplomb lui confient le rôle du duc Karl Alexandre dans le Juif Suss de Feutchwanger. D'autres interprétations suivront, saluées par la critique. Après un séjour en Espagne et au Maroc consacré à la peinture, Welles aura la désagréable surprise de se voir refuser à Londres un permis de travail et de constater qu'en Amérique, Broadway n'a pas eu vent de ses succès d'Outre Atlantique.
C'est la Tood School qui lui confiera un enseignement théâtral. Il sera accueilli par la célèbre comédienne Katharine Cornell, qui s'apprête à faire une tournée triomphale dans plusieurs états. Welles rêve alors de mise en scène. Associé à John Houseman, il va donner au Fédéral Théâtre, subventionné par l'état toute son énergie et son audace. Harlem se souviendra longtemps de son superbe Macbeth joué uniquement par des acteurs noirs et dont l'action est transposée en Haïti. Quand le Fédéral Théâtre cède la place au Mercury Théâtre, une entreprise indépendante, Welles est en mesure de financer l'aventure par les cachets que lui procurent ses émissions de radio à la CBS. Avec sa voix grave et musicale, Welles a tout de suite conquis les ondes. Il en fera la singulière expérience en 1938. En ce soir d'Halloween, Welles a décidé d'adapter War of the Worlds (La Guerre des Mondes) de son homonymes HG. Wells en imaginant un bal retransmis en direct et interrompu par des flashs d'information. Au fil des commentaires "l'énorme objet lumineux" tombé dans le New Jersey deviendra l'évènement du siècle. L'invasion des Martiens. Le ton est si convaincant, le canular si bien monté que le public finit par céder à une gigantesque panique, donnant lieu à des scènes apocalyptiques, dont les journaux feront leur une le lendemain. De cette prestation qui a frôlé le désastre, Welles ressortira juridiquement indemne et définitivement célèbre.
Le Wonder Boy à Hollywood
Il n'est dès lors pas étonnant qu'Hollywood s'intéresse à celui qui allie l'innocence de l'enfant et la puissance du démiurge ; L'une des plus prestigieuses Major companies, la RKO, lui propose par l'intermédiaire de George J Shaefer, un contrat fabuleux qui lui accorde - ce qui ne s'est jamais vu - les pleins pouvoirs : Il y est réalisateur, producteur, auteur et acteur. Loin de songer à une carrière Orson Welles voit là une occasion inespérée de financer ses créations théâtrales. Son séjour à Los Angeles sera néanmoins profitable. Précédé par sa légende, le Wonder Boy, y mène grand train, rend visite à l'exquise Shirley Temple et s'émerveille devant les studios qui s'ouvrent à lui. En matière cinématographique, Welles n'a pas grande expérience. En juillet 1934, il a réalisé un court métrage muet de cinq minutes. Il interprétait le rôle principal auprès de sa première épouse, Virginia Nicholson, qui lui donnera une fille, Christopher. Après Too Much Johnson (1938), tiré de la pièce de William Gillette, Welles travaille avec John Housemansur une adaptation de Heart of Darkness de Joseph Conrad, dont il a donné une version radiophonique pour le Mercury Theatre of the Air. La production lancée en 1937, sera abandonnée en partie pour des raisons financières, en partie parce-que l'actrice pressentie pour le rôle féminin, Dita Parlo est incarcérée en France comme ressortissante Autrichienne.
Le rapport complexe entre les images et le son qu'introduisait dans Heart of Darkness l'utilisation de la "caméra subjective" est posé d'emblée dans Citizen Kane (Citoyen Kane, 1941). "Le secret de mon travail, c'est que tout est fondé sur la parole" dira Welles. Dans ce film chef d'œuvre, Welles y est omniprésent : acteur, il subit à travers le personnage de Kane toutes les métamorphoses de l'âge : réalisateur, il est reconnaissable à chacun de ses plans, auxquels il intègre toutes les possibilités de la syntaxe cinématographique. Ainsi le flashback, déjà utilisé avant lui, correspond-t-il à la structure même du film (La chute de Kane nous est révélée dès le début). Il n'y a pas de destin, pas de suspense quant au devenir du personnage, auquel Welles, qui est avant tout un prodigieux conteur refuse le statut de héros. En ce sens, André Bazin a analysé toute l'importance de la contre plongée, empruntée à Stagecoach (La chevauchée fantastique, 1939) seule influence que reconnait Welles "La persistance de la contre-plongée dans Citizen Kane fait que nous cessons vite d'en avoir une conscience claire, alors même que nous continuons à en subir l'emprise. Il est donc plus vraisemblable que le procédé corresponde à une intention esthétique précise : nous imposer une certaine vision du drame. Vision que l'on pourrait qualifier d'infernale, puisque le regard de bas en haut semble venir de la terre. Cependant que les plafonds, en interdisant toute échappée dans le décor, complètent la fatalité de cette malédiction. La volonté de puissance de Kane nous écrase, mais elle est elle-même écrasée par le décor. Par le truchement de la caméra, nous sommes en quelque sorte capables de percevoir l'échec de Kane du même regard qui nous fait subir sa puissance" . Cette simultanéité est très bien rendue par la profondeur de champ, qui permet à Welles de faire passer dans le même cadre ce qui demanderait plusieurs plans à d'autres cinéastes. "L'œil du spectateur choisit de cette manière ce qu'il désire voir dans un plan. Je n'aime pas lui imposer quoique ce soit". Pour ce premier film, Orson Welles a su s'entourer d'excellents collaborateurs, jouant admirablement de l'inexpérience des uns et de l'habileté des autres, comme il a su conjuguer sa propre ignorance avec ses désirs les plus ambitieux pour transcender les limites de la technique. Le concours du grand chef opérateur Gregg Toland, dont la carrière est surtout associée à celle de William Wyler, à été , de ce point de vue, déterminant. Le scénario a été écrit en collaboration avec Herman J Mankiewicz (frère du cinéaste), dont la critique New Yorkaise, Pauline Kael voudra faire le véritable et unique auteur de Citizen Kane, une thèse qui ne résiste pas à l'examen. L'auteur de la bande-son et de la musique n'est autre que Bernard Hermann, le célèbre compositeur de Psycho (Psychose, 1960) d'Alfred Hitchcock. Comme les acteurs, Joseph Cotten, Agnes Moorehead, Everett Sloane, le musicien est issu du Mercury Theatre et connait ici sa première prestation cinématographique.
Les choses se passeront moins bien avec le deuxième film que Welles entreprend, The Magnificent Ambersons (La Splendeur des Ambersons, 1942). Robert Wise raconte dans un entretien accordé à Rui Nogueira pour Ecran 72 qu'à l'issue du tournage, Welles s'est lancé dans un projet qui devait le mener au Brésil, laissant à ses collaborateurs le soin de terminer le film. Il leur donna 35 pages d'instructions par télégramme, qui seront malheureusement égarées. Jugeant la Splendeur des Ambersons trop longue après quelques "previews" décevantes, la production décide d'en raccourcir considérablement la durée en lui adjoignant des scènes de raccord.
Ces modifications, effectuées en l'absence de Welles devaient être désavouées par le cinéaste, qui verra là le prix à payer pour avoir eu avec Citizen Kane "la plus belle chance de l'histoire du cinéma" et pour n'en avoir pas fait un succès. Si The Magnificent Ambersons étonne par sa facture classique, le film n'en demeure pas moins surprenant. Joseph Mc Bride, dans son "Orson Welles", donne une des clefs du savoir-faire Wellesien : "Welles fait durer les plans un peu plus longtemps que la normale : trente secondes, une minute (ou davantage) sont des durées si étranges pour des plans que le spectateur s'attend inconsciemment à ce qu'ils durent encore un peu."
La disgrâce d'un génie coûteux
Ce très beau film se ramène lui aussi à une "tragédie de l'enfance" dont Orson Welles est, cas unique dans son œuvre, physiquement absent, mais présent par la voix Off du narrateur. Défection qui traduit un rapport d'intimité très grand avec cette histoire tirée d'un roman de Booth Tarkington, lequel s'était trouvé être un ami de ses parents. Welles a commencé à travailler sur Journey into Fear (Voyage au pays de la peur, 1943) alors qu'il tournait The Magnificent Ambersons. Il a rédigé le scénario avec joseph Cotten d'après un roman d'Eric Ambler et contribué à la réalisation, qui portera la seule signature de Norman Foster. Il s'agit d'un film d'espionnage dont l'action se déroule en Turquie peu avant la seconde guerre mondiale ; Welles incarne le rôle du colonel Haki, chef de la police secrète Turque, auquel il a donné de faux airs de Staline. Les relations difficiles que Welles entretient avec la RKO se soldent bientôt par une rupture. George J. Shaefer, le conseiller et ami du cinéaste, est remercié. Plusieurs directeurs lui succéderont avant qu'Howard Hughes ne prenne en main les destinées de la célèbre firme, qui décide dans l'immédiat d'interrompre le tournage de It's All True d'un génie ruineux.
La disgrâce dont est victime le réalisateur, n'atteint cependant pas l'acteur qui voit les propositions affluer. A court d'argent, Welles accepte le rôle d'Edward Rochester dans Jane Eyre (1943) et Robert Stevenson. Il confère à ce personnage romantique sa formidable présence, ce qui enchante le public. Quelques années plus tard, il sera inoubliable dans le film de Carol Reed, The Third man (Le Troisième Homme, 1949), un rôle pourtant assez court, qu'il a écrit et qu'il interprète - cas unique - sans aucun maquillage. Pour des raisons avant tout financières, Welles n'hésitera pas ensuite à promener sa silhouette de plus en plus imposante dans des productions de qualités inégales, ce qui nous vaudra une étonnante galerie de portraits où l'on ne sera pas surpris de trouver celui de Dieu dans Ten Days' Wonder (La Décade Prodigieuse, 1971) de Claude Chabrol. En attendant, l'Amérique vient d'entrer en guerre, et ce roi du déguisement qu'une nature asthmatique a écarté des champs de bataille triomphe tous les soirs sous l'habit du Magicien devant un parterre de soldats, en sciant en deux une partenaire prestigieuse Marlène Dietrich. La victime initialement désignée était la belle et vulnérable Rita Hayworth, dont Welles est follement amoureux et qu'il épousera en septembre 1943, ils auront une fille, Rebecca. Menacée des foudres de son patron, Harry Cohn, Rita devra laisser sa place à la dernière minute. Ces numéros d'illusionnisme donnés dans le cadre du Mercury Wonder Show seront repris dans un film revue, Follow the boys (Hollywood Parade, 1944). Welles déborde d'activité, la politique y tenant une place importante : il participe à la campagne électorale de Roosevelt et donne à travers l'Amérique une série de conférences sur les dangers du fascisme en Europe.
La Star aux cheveux coupés
Avec The Stranger (L'Etranger, 1946) le film qui marque la reprise de ses activités de réalisateur, Welles dira avoir voulu donner au producteur Sam Spiegel des gages de sa bonne volonté. Etre un "aussi bon réalisateur que n'importe qui d'autre", tel est l'objectif de celui qui est devenu la bête noire de Hollywood. Le Criminel, totalement renié par son auteur, est une œuvre mineure et quelque peu datée qui ne manque cependant pas d'intérêt. Welles y campe un personnage odieux comme il les aime, ancien nazi qui s'étant refait une identité dans une petite ville du Connecticut est finalement rattrapé par son passé ; Sa chute finale est époustouflante de virtuosité. Les efforts de Welles vont trouver leurs récompenses. Harry Cohn, rassuré sur son compte, est enfin disposé à lui confier sa vedette, Rita Hayworth, dont Welles est à cette époque pratiquement séparé. Le divorce sera prononcé en novembre 1947. Le seul film que le couple Welles-Hayworth tournera se fera donc sous le signe de la rupture. Le cinéaste annonce à grand renfort de publicité qu'il va révéler une Rita Hayworth inconnue. Devant les journalistes médusés, il fait couper les cheveux de la Star, dont la chevelure flamboyante était devenue un mythe. Cette version très personnelle de Sanson et Dalila ne laisse rien présager de bon. Harry Cohn ne tardera pas quant à lui de s'arracher les cheveux et il repoussera la sortie du film de deux ans, pour ne pas nuire à Rita.
The Lady from Shanghai (La Dame de Shanghai, 1948) est une intrigue policière plutôt compliquée dont Welles tire des effets très visuels.
Le deuxième film Shakespearien, Othello (1952) sera réalisé en 4 ans. Exilé d'Hollywood, Welles filme, grâce essentiellement à ses cachets d'acteurs, dans les studios distants de plusieurs milliers de kilomètres en Italie et au Maroc. Les Desdémone se succèdent et la dernière sera une actrice Canadienne, Suzanne Cloutier. Ici plus que jamais, Welles jongle avec les contingences et les raccords périlleux : "Chaque fois que vous voyez quelqu'un le dos tourné, une capuche sur la tête, soyez sûr que c'est une doublure, explique-t-il. Il m'a fallu tout faire en champ-contre champ parce que je n'arrivais jamais à réunir Lago, Desdémone et Roderigo etc...devant la caméra" D'où ces improvisations fabuleuses, ce style morcelé fait de plans très courts. Le plan séquence qu'il affectionne, étant trop coûteux et requérant une solide équipe technique. Mais le prodige est que la forme renforce au plus haut point le drame : "Ce rythme spasmodique souligne le délire croissant d'Othello, la montée du Mal, le dérèglement des esprits" Cette réussite, Welles la doit en partie au fait qu'il assure le montage du film, souveraineté qu'il revendique totalement et dont Filming Othello (1979), réalisé pour la télévision Ouest-Allemande, rendra magnifiquement compte. Le cinéaste assis devant sa table de montage, où il dit pouvoir passer un temps infini, déclarera "Ici, je suis chez moi !" ; Welles s'est souvent expliqué sur sa conception du montage, où la vision reste subordonnée à l'ouie "C'est une question d'oreille (...) En ce qui me concerne, le ruban de Celluloid s'exécute comme une partition musicale, et cette exécution est déterminée par le montage, de même qu'un chef d'orchestre interprétera un morceau de musique tout en rubato, un autre le jouera d'une façon très sèche et académique, un troisième très romantique, etc...Les images, elles-mêmes ne sont pas suffisantes, elles sont toujours très importantes, mais elles ne sont qu'images. L'essentiel est la durée de chaque image, ce qui suit chaque image, c'est toute l'éloquence du cinéma que l'on fabrique dans les salles de montages". Othello s'ouvre sur un cortège funèbre. Le Maure de Venise a déjà mis fin à ses jours. Une fois de plus, Welles veut démontrer les mécanismes qui mènent l'individu au pouvoir, puis à sa perte. Il a retrouvé pour la circonstance son vieux complice du Gate Theatre de Dublin, MacLiammoir. Ce dernier incarne un Lago inhabituel.
Héritage cinématographique... Le génie nous quitte
Mr Arkadin/Confidential Report (Dossier Secret, 1955) que l'usage a fait couramment nommer Monsieur Arkadin, est l'histoire d'un puissant homme d'affaire, Mr Arkadin (Orson Welles), doté d'un secret, l'origine de son immense fortune et d'une fille, Raina, incarnée par Paola Mori, qui devint la troisième et dernière épouse de Welles. Il aura ainsi une troisième fille, Béatrice. Arkadin n'est pas sorti tout casqué du cerveau de Welles ; Le cinéaste s'est inspiré du légendaire Bazil Zaharoff, l'un des plus grands marchands de canons que la terre ait jamais porté. Welles va donner à son personnage, mieux que de somptueux décors ou de fabuleuses possessions, un pouvoir moderne entre tous ; Arkadin appartient à la mythologie : il s'agit d'un ogre grimé en capitaine Némo, qui règne sur un monde corrompu et grotesque et qui, se faufilant dans les dédales de ses origines, finit comme Icare par une chute vertigineuse. Dans Touch of Evil (La Soif du Mal, 1958), Welles change apparemment de camp en s'intéressant au policier Hank Quintan. Mais ce dernier, dont les méthodes perverses consistent à fabriquer en toute impunité des preuves permettant d'inculper des suspects, figure sans conteste, parmi les grands "salauds" de l'univers Wellesien. Touch of Evil marque le retour de Welles à Hollywood, où l'Universal a cédé au désir de Charlton Heston d'en voir la réalisation confié à l'auteur de The Lady from Shanghai , pressenti à l'origine comme acteur. Ce Thriller fascinant, qui repose sur un thème cher au cinéaste, l'amitié masculine trahie, sera malheureusement mutilé. L'éblouissement technique d'Orson Welles (contre-plongées, éclairages contrastés, profondeur et distorsion de l'espace, jeux de miroirs) mise au service d'une quête obscure de la vérité où la justice n'est souvent qu'une parodie d'elle-même, appelant l'univers bureaucratique de Kafka, comme le K qui ornait le portail de Citizen Kane pouvait annoncer l'initiale patronymique d'un héros vaincu d'avance.
Dans The Immortal Story (Une histoire immortelle, 1968), son premier film en couleur, tiré d'une nouvelle d'Isak Dinesen, alias Karen Blixen, il nous conte en moins d'une heure l'ultime caprice d'un marchand américain immensément riche ; Clay, vivant à la fin du siècle dernier dans l'ile portugaise de Macao. Un soir, cet homme solitaire et âgé se souvient d'une histoire qu'il a entendue autrefois, celle d'un marin auquel un vieillard demanda contre de l'or de passer la nuit avec sa jeune épouse, dont il voulait un héritier. Une histoire que les marins se racontent et qui décide Clay à donner corps à la légende ; Il mourra de voir son rêve accompli. F for Fake (Vérité et mensonges, 1975) constitue un prodigieux tour de magie cinématographique autour de l'imposture en art. Welles est parti d'images, filmées par François Reichenbach, représentant le célèbre faussaire Elmyr de Hory, auquel Clifford Irving consacra un livre.
Ce journaliste n'a-t-il pas lui-même commis un faux en produisant une prétendue autobiographie d'Howard Hughes, ce milliardaire invisible et mythique qui a hanté l'œuvre du cinéaste ? Affublé de la cape et du chapeau des prestidigitateurs, Welles en vient à parler de lui-même, de ses mythifications célèbres, images à l'appui, avant de se jouer une nouvelle fois du spectateur à travers une superbe jeune femme, Ojar Kodar, qui aurait servi de modèle à Pablo Picasso ; Mais le peintre n'a-t-il pas autorisé toutes les supercheries, lui qui a dit "la vérité est un mensonge" ? "Un mensonge qui fait comprendre la réalité" ajoute Welles, qui remet ainsi en question la conception capitaliste de l'art et rejoint "la mystique de l'art gothique triomphant".
Le 10 Octobre 1985, Orson Welles succombe à une crise cardiaque, laissant derrière lui une œuvre fascinante, inoubliable et unique... Semblable à un immense puzzle auquel manquent peut-être quelques pièces de choix, tels ce Roi Lear en projet ou ce Don Quichotte inachevé, dont on attendait beaucoup...
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