vineri, 12 februarie 2021

F.W.Murnau (1888-1931)

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FRIEDRICH WILHELM MURNAU

Murnau, F.W. Pers: F.W. Murnau Ref: XMU010AB Photo Credit: [ The Kobal Collection ] Editorial use only related to cinema, television and personalities. Not for cover use, advertising or fictional works without specific prior agreement

Friedrich Wilhelm Murnau

Chantre inspiré des forces des ténèbres et de la triomphante beauté de la nature, Murnau a signé avec ses symphonies funèbres marquées au sceau d’une inéluctable fatalité quelques-unes des plus hautes œuvres de toute l’histoire du cinéma.


La mort de Murnau, à la suite d’un accident de voiture survenu le 11 mars 1931, entre Los Angeles et Carmel, a donné lieu à des rumeurs tenaces selon lesquelles des scènes d’orgies se seraient déroulées au cours du voyage. Il semble qu’en fait Murnau, qui se déplaçait dans une Packard conduite par un chauffeur, ait accédé aux demandes de son jeune domestique philippin, désireux de prendre le volant. Mais il conduisait trop vite et, voulant éviter un camion, quitta la route. Tous les occupants s’en tirèrent sans grands dommages, sauf Murnau : victime d’une fracture du crâne, il mourut à l’hôpital peu après, à l’âge de quarante-trois ans. Telle fut la réalité dont les échotiers allaient tirer parti en la déformant, tissant une légende scandaleuse qui fit connaître le nom de Murnau à des gens qui n’avaient peut-être vu aucun de ses films.

ON SET : Friedrich Wilhelm Murnau sur le tournage de L’Aurore (Sunrise, 1927)

Murnau était pourtant loin d’être un inconnu : n’était-il pas le plus grand de tous les metteurs en scène européens attirés à grands frais à Hollywood, royalement traités et sans cesse célébrés par la publicité ? Son premier film américain L’Aurore(Sunrise, 1927) fait régulièrement partie de la liste des dix meilleurs films jamais tournés, telle que l’ont périodiquement établie les critiques et les historiens du monde entier.
Cette réussite exemplaire démontre assez que les grands metteurs en scène européens n’ont pas forcément vendu leur âme à Hollywood, ou produit des œuvres inférieures à celles qu’ils avaient réalisées en Allemagne, en France, en Suède ou ailleurs. Murnau était l’auteur des films les plus célèbres et les plus importants du cinéma muet allemand, et faisait preuve d’un perfectionnisme exigeant. Avec Fritz Lang et G.W. Pabst, il reste le principal créateur d’une période exceptionnellement féconde.

Friedrich Wilhelm Murnau

Friedrich Wilhelm Murnau

DES OEUVRES DE JEUNESSE DISPARUES

Il est très difficile d’étudier les débuts de sa carrière allemande : des neuf films qu’il a tournés avant son premier chef-d’œuvre, Nosferatu le Vampire (Nosferatu, eine Symphonie des Grauens, 1922), un seul nous est parvenu à peu près complet. Après Nosferatu le Vampire, Il réalisa trois longs métrages également disparus, exception faite de Fantôme (Phantom, 1922), dont une copie a été retrouvée au début des années 1980. Il faut donc se contenter des comptes rendus d’époque.
De son vrai nom Friedrich Wilhelm Plumpe, il est né à Bielefeld en 1888. C’était un jeune homme sérieux et réservé. Alors qu’il étudiait l’art et la littérature à l’université de Heidelberg, il prit part à des représentations théâtrales organisées par les étudiants. Elles impressionnèrent suffisamment le grand metteur en scène de théâtre Max Reinhardt pour qu’il proposât, à Murnau l’équivalent d’une bourse d’études de six ans, et lui demandât de venir travailler avec lui à Berlin. En dépit de l’opposition de sa famille, Murnau accepta, devint acteur et assistant metteur en scène au sein de la compagnie de Max Reinhardt, dont il étudia le travail de près jusqu’à la déclaration de la Première Guerre mondiale. Versé dans l’aviation, il fut contraint de se poser en Suisse à la suite d’une défaillance de son appareil. Bien qu’interné – le pays étant neutre – il put pourtant mener à bien diverses entreprises théâtrales, et aborda pour la première fois le domaine du cinéma en rassemblant du matériel de propagande pour le compte de l’ambassade d’Allemagne.

Faust, une légende allemande de Friedrich Wilhelm Murnau (1926). Le film reprend la légende du xvie siècle de Faust. À l’origine de cette histoire est un pari entre l’archange et le diable. Si ce dernier parvient à démontrer que l’homme est aussi noir que Méphisto le croit, alors la Terre est à lui sinon il devra y renoncer. Son choix se porte sur Faust afin de prouver ses dires.

Une fois libéré, il passa presque immédiatement à la réalisation avec L’Émeraude fatale (Der Knabe in Blau, 1919). Il tourna sept autres films au cours des deux années suivantes : leurs sujets étaient très différents de même que leur style, pour autant qu’on puisse en savoir. Vers la fin de 1921, il entreprit de mettre en scène Nosferatu le Vampire, d’après « Dracula » le célèbre roman de Bram Stoker. Il fallut changer de titre pour des raisons de droits d’auteur, mais c’est une adaptation bien plus fidèle à l’original que le Dracula américain (Dracula, 1931) de Tod Browning. Murnau venait de réaliser La Découverte d’un secret (Schloss Vogelöd, 1921), que nombre d’historiens considèrent, sans l’avoir pourtant vu, comme un brouillon de Nosferatu. Il s’agit en fait d’un mélodrame très noir et compliqué, qui se termine par la mort de plusieurs des personnages principaux et comporte deux séquences oniriques, traitées sur un mode plutôt bouffon.

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Nosferatu le vampire (Nosferatu, eine Symphonie des Grauens) de Friedrich Wilhelm Murnau (1922), adapté du roman Dracula, bien qu’il fût non autorisé par les ayants droit avec Max Schreck, Gustav von Wangenheim, Greta Schröde. Murnau a recouru à des effets spéciaux, tels le stop-motion (comme lorsque Nosferatu sort du bateau) ou l’utilisation de l’image en négatif (lors du trajet de la calèche, quand Hutter se rend en Transylvanie). Le film est également originellement teinté. Le jaune est employé pour signifier le jour et la lumière artificielle ; le vert/bleu, la nuit ; et le rose pour le lever ou le coucher du soleil18. Le film ayant été entièrement tourné de jour, ces couleurs donnent un repère visuel qui complète les indices contextuels (présence de bougies ou de lampes allumées ; indications dans les intertitres).

D’emblée, avec Nosferatu le Vampire, Murnau se posait comme l’un des plus grands maîtres du fantastique, inquiétant mélange de rêve et d’épouvante qui imprègne tant de classiques du cinéma muet allemand. Il faisait preuve également d’un incroyable sens visuel et, sans jamais perdre de vue les exigences de la narration, faisait naître des images d’une beauté et d’une puissance évocatrice inoubliables. Qui pourrait oublier en effet la terrible apparition du vampire (incarné par le mythique Max Schreck) surgissant lentement de l’ombre sur le pont du voilier ou la procession des croque-morts en gibus et redingote portant les cercueils des pestiférés. Peu de cinéastes peuvent se flatter d’avoir imprimé tant d’images indélébiles dans nos mémoires. Nosferatu est l’exemple le plus accompli de toute cette période du cinéma allemand que Lotte Eisner a si pertinemment baptisée « L’Ecran démoniaque » (titre de son étude sur le cinéma muet germanique). A propos de Nosferatu, « parcouru des courants d’airs glaciaux de l’au-delà », Lotte Eisner relevait que « contrairement à la plupart des films allemands de cette, époque, les vues de la petite ville ou du château… ont été tournées en plein air », De fait, chez Murnau, la nature, véritable univers hanté, participe au drame : « Par un montage sensible, ajoute-t-elle, l’élan des vagues laisse prévoir l’approche du vampire, l’imminence du destin qui va frapper la ville. Sur tous ces paysages, sombres collines, forêts épaisses, ciels aux nuages déchiquetés qui annoncent la tempête, plane… la grande ombre du surnaturel. »

Tartuffe ou Monsieur Tartuffe réalisé par F.W. Murnau (1926). C’est la troisième adaptation de la pièce de Molière à l’écran après celle de Piero Fosco en 1908 et celle d’Albert Capellani en 1910 avec Rosa Valetti, André Mattoni, Hermann Picha

« LE DERNIER DES HOMMES »

Le chef-d’œuvre suivant de Murnau, Le Dernier des hommes (Der letzte Mann, 1925), semble d’abord aux antipodes du précédent. Le cinéaste semblait renoncer à l’épouvante pour se livrer, cette fois, à une étude minutieuse de la vie quotidienne, dans la pure tradition du « Kammerspiel » (« Théâtre de chambre ») tel que Max Reinhardt l’avait popularisé. Pourtant cette histoire particulièrement sinistre d’un portier d’hôtel fier de son somptueux uniforme qui connaît la déchéance offre des images aussi angoissantes, aussi surréelles que celles du monde des vampires. L’interprétation d’Emil Jannings – seul acteur (avec Marlon Brando) qui soit parvenu à bouleverser le public en jouant de dos -, inoubliable dans le rôle du portier, contribua puissamment à faire du film l’œuvre la plus célèbre du cinéma allemand de cette année-là. Ce fut d’ailleurs son immense succès aux Etats-Unis qui valut au metteur en scène et à son interprète d’être appelés à Hollywood.

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Le Dernier des hommes (Der Letzte Mann) de Friedrich Wilhelm Murnau (1924) avec Emil Jannings. Murnau invente pour Le Dernier des hommes un nouveau langage visuel. Ainsi, il développe pour ce film, avec son directeur de la photographie Karl Freund, la technique révolutionnaire de la « Caméra déchaînée » (en allemand : Entfesselte Kamera), une sorte de caméra légère embarquée, sur harnais ou support mobile, permettant les mouvements les plus variés. Pour la première fois, la caméra se faufile partout, franchit les portes à tambours, monte les escaliers, entre par les fenêtres, etc. Par le jeu de plongées et de contre-plongées, Murnau nous montre la grandeur et la décadence du portier. De plus certains plans sont en « caméra subjective ». Par un effet d’optique, la caméra nous restitue la vision du héros en état d’ivresse. Murnau innove par un traitement de l’espace donnant plus d’importance aux éléments de décor, comme la porte à tambours de l’hôtel.

Avant de succomber aux offres tentantes du producteur William Fox, Murnau tourna encore deux films en Allemagne, en l’occurrence deux adaptations théâtrales, dont Jannings était à nouveau la vedette : Tartuffe (Tartüff, 1925) d’après Molière, Faust (1926) d’après Goethe. Tous deux sortirent en 1926. Tartuffe a recours à un procédé ingénieux : la pièce elle-même est replacée dans le cadre d’une représentation théâtrale ; elle est accompagnée d’une intrigue qui l’isole tout en lui redonnant toute sa puissance. Faust est quant à lui une tentative de cinéma « total », pensée en termes entièrement cinématographiques. On se souviendra à cet égard du fantastique panoramique aérien sur la ville guettée par le démon au début du film qui présente, selon Lotte Eisner, « ce que le clair-obscur allemand a créé de- plus remarquable, de plus saisissant : la densité chaotique des premières images, cette lumière qui prend naissance dans les brumes, ces rayons qui traversent l’air opaque, cette fugue orchestrée visuellement comme par des orgues qui résonneraient dans toute l’étendue du vaste ciel vous coupent le souffle ». Murnau fait preuve d’une telle maîtrise de la syntaxe narrative, il sait si bien s’en servir à ses propres fins qu’il est difficile de dire lesquels des deux films est le plus réussi, le plus « cinématographique ».

L’AURORE (SUNRISE) de Friedrich Wihlelm Murnau (1927) avec Janet Gaynor et Georges O’Brien, d’après la nouvelle « Le Voyage du recueil Histoires Lithuaniennes de Hermann Sudermann. Comme l’indique un carton affiché au début du film ainsi que la dénomination très générique des protagonistes (« l’homme », « la femme »), Murnau n’a pas voulu raconter l’histoire particulière de deux personnages mais dépeindre une situation-type et des sentiments universels. Il a travaillé particulièrement la photographie dans les scènes nocturnes qui constituent l’essentiel du film. François Truffaut dit de L’Aurore qu’il est « le plus beau film du monde ».

SOUS LE SOLEIL CALIFORNIEN

Murnau fut reçu avec tous les égards à Hollywood : les studios de la Fox furent mis à son entière disposition, et il put librement travailler, avec son scénariste habituel (Carl Mayer), à l’adaptation d’un roman d’Hermann Sudermann, « Le Voyage à Tilsit », drame de la jalousie situé dans un cadre paysan… Travaillant sans entraves, Murnau fit construire d’immenses décors, filma et refilma jusqu’à ce qu’il ait atteint le résultat désiré. L’Aurore (Sunrise, 1927)est en fait un film allemand tourné aux Etats-Unis avec des vedettes américaines (Janet Gaynor et George O’Brien). Les images sont remarquables et l’atmosphère sublime : mais le style reste fondamentalement européen ; sur une intrigue assez mince, Murnau construit un véritable poème symphonique qui atteint son crescendo dans la tempête sur le lac où les deux époux, à peine réunis, manquent d’être séparés à jamais. Le film fut un grand succès critique, et reçut de multiples récompenses, mais le public bouda et ce relatif échec nuisit à la carrière des deux autres longs métrages que Murnau tourna pour la Fox. L’arrivée du cinéma sonore n’arrangea rien : les studios ne savaient plus que faire de certains films très dispendieux déjà en chantier. Tourné juste après L’AuroreLes Quatre Diables (Four Devils, 1928), drame situé dans les milieux du cirque, a gravement souffert des interventions de la compagnie, soucieuse de lui donner un aspect plus « grand public », L’Intruse (Our Daily Bread, 1930) devait être une épopée très ambitieuse, une saga située dans les terres à blé du Middle West : elle se réduisit peu à peu aux problèmes personnels d’une jeune fille de la ville confrontée à un environnement hostile. Rebaptisé City Girl, le film subit un très médiocre remontage avec intercalation de séquences parlantes (où Murnau n’eut rien à voir), afin de tirer profit de la nouveauté technique. Pour finir, l’œuvre n’eut aucun succès, bien que la version muette, aujourd’hui retrouvée, contienne des moments qui comptent parmi ce que Murnau a fait de mieux et soit digne de L’Aurore.

L’Intruse (City Girl) – aussi connu sous le titre La Bru de Friedrich Wilhelm Murnau avec Charles Farrell et Mary Duncan. Réalisé en 1929, mais sorti en 1930, L’Intruse est l’avant-dernier film de Murnau. La sortie retardée du film est due à un certain nombre de facteurs, qui ont également poussé le metteur en scène à quitter les studios de la Fox, avec lesquels il était en contrat depuis 1927, et à fuir Hollywood. En 1929, Murnau n’est plus en odeur de sainteté après l’accueil plutôt réservé du public envers son film L’Aurore de 1927.

PARADIS PERDU

Murnau eut pourtant l’occasion de faire un autre film, qui fut aussi son dernier Tabou (Tabu, 1930), dont le sujet était tout sauf commercial, dut être financé de façon privée. Commencé en collaboration avec le documentariste Robert Flaherty, Tabou est un documentaire romancé tourné dans le Pacifique avec une distribution polynésienne de non-professionnels. Mais Murnau se souciait peu de faire œuvre de documentariste ou de s’abandonner à l’exotisme : hymne nostalgique à un amour condamné, Tabou est aussi soigneusement orchestré que ses films antérieurs. Il fut pour lui l’occasion d’un admirable chant du cygne, une célébration de la beauté de la nature, des hommes et des paysages, un sommet de l’art cinématographique. Le film sortit quelques jours à peine avant la mort de son auteur, et l’on ne peut que spéculer sur ce qu’il aurait fait ensuite. Mais Tabou, chef-d’œuvre absolu, constituait la plus belle des garanties pour de futures  grandes œuvres.

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Tabou (Tabu) de Friedrich Wilhelm Murnau et Robert Flaherty (1931) avec Anne Chevalier. Le tournage, long de dix-huit mois, fut mouvementé et demeure entouré de légendes. Selon la légende, Murnau et son équipe auraient violé un certain nombre de tabous locaux en installant leur quartier général dans un ancien cimetière, en tournant sur des récifs sacrés, et Hitu, le « chamane », aurait maudit Murnau pour tous les sacrilèges qu’il aurait commis. La légende se nourrit des incidents, plus ou moins graves, qui perturbent le travail durant le tournage : noyades, intoxications, explosions mystérieuses. Comble du destin, Murnau décédera d’ailleurs dans un accident de voiture, huit jours avant la première de son film, prévue le 18 mars à New York.

Filmographie

1919 : Der Knabe in blau (L’Émeraude fatale).
1920 : Satanas (Satanas) ; Senhsucht ; Der Bucklige und die Tänzerin (Le Bossu et la danseuse) ; Der Januskopf (Le Crime du docteur Warren) ; Der Gang in die Nacht (Promenade dans la nuit).
1921 : Schloss Vogelöd (La Découverte d’un secret) ; Marizza, die Schmuggler-Madonna (Un bel animal).
1922 : Nosferatu, eine Symphonie des Grauens (Nosferatu le Vampire) ; Der brennende Acker (La Terre qui flambe ); Phantom (Fantôme).
1923 : Die Austreibung (L’Expulsion).
1924 : Die Finanzen des Grossherzogs (Les Finances du grand-duc).
1925 : Der letzte Mann ( Le Dernier des hommes) ; Tartüff (Tartuffe).
1926 : Faust (Faust).

Tous les films suivants sont américains:
1927 : Sunrise (L’ Aurore).
1928 : Four Devils (Les Quatre Diables).
1930 : City Girl/Our Daily Bread (L’Intruse/La Bru) ; Tabu (Tabou).

Friedrich Wilhelm Murnau


LE CINÉMA RUINÉ
DE F.W. MURNAU
DE STÉPHANE PIROT

72 pages sur papier glacé dont 33 pages de photos
Éditions du Pingouin masqué
"Collection des films invisibles"
décembre 2012 

 

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ANALYSE ET CRITIQUE

Fondées en avril 2012, les Editions du Pingouin masqué se sont fixé pour objectif « la découverte de films, l’accès aux courts et longs métrages rares ou méconnus, la valorisation des archives, films et non-films. » Vaste programme parsemé d’embûches, écrire sur les films invisibles tient de l’exercice d’équilibriste sur un fil graissé sans filet financier. Difficulté d’écriture tout d’abord : il n’est guère aisé de passionner le lecteur par des films qu’il ne verra jamais. Le risque est grand d’attiser sa frustration plus que sa curiosité. Seule une recherche de qualité couplée à une écriture et une présentation agréables pourront susciter l’intérêt du lecteur (ou du spectateur dans le cas de reconstitution filmée).

 

La reconstitution de Four Devils de Murnau, présente sur le DVD de L’Aurore édité par Carlotta, est un bel exemple de réussite : l’histoire est racontée en voix off de façon fluide, accompagnée de détails techniques, d’anecdotes et de contextualisation du long métrage, sur fond de photographies de tournage, d’extraits du script et de storyboard. A l’inverse, celle de London After Midnight de Tod Browning, présente dans le coffret TCM Archives consacré à Lon Chaney, s’était révélée décevante : les auteurs de la reconstitution ont tenté de recréer un film muet à partir des quelques photos de tournage restantes, avec musique, intertitres et moult zooms sur les photos afin de donner une impression de mouvement. Aucune explication, excepté un rapide texte initial. Nous en aurions appris et vu autant en regardant quelques images sur Internet et en lisant un synopsis de dix lignes. Dans le cas de l’écrit, le challenge est encore plus grand : le nombre de photos reproduites est forcément limité, et le texte doit retenir suffisamment l’attention du lecteur. Difficulté financière ensuite : l’édition cinématographique n’est pas en grande forme ces dernières années. Les titres se vendent mal, y compris des livres prestigieux consacrés à de grands réalisateurs, écrits par des auteurs réputés (cfl’interview donnée par Patrick Brion en ces lieux). Sans vouloir jouer les Cassandre, se positionner sur l’édition de livres consacrés à des films invisibles nous semble très périlleux, et nous craignons que le public ne réponde pas présent, quelle que soit la qualité des parutions.

 

Pour son premier ouvrage, les Editions du Pingouin masqué ont décidé de s’attaquer à un grand nom du cinéma muet : Friedrich Wilhelm Murnau. En comptant Four Devils, mentionné précédemment et non traité dans Le cinéma ruiné de F.W. Murnau, 9 des 21 films réalisés par Murnau sont aujourd’hui invisibles, partiellement ou complètement disparus. Pour la plupart, il ne subsiste que quelques secondes de métrage et des photos de tournage ou d’exploitation. Ce sont principalement des films allemands remontant au début de la carrière du réalisateur, dont plusieurs avec Conrad Veidt en pleine période expressionniste. Cinq d’entre eux sont abordés dans Le cinéma ruiné de F.W. Murnau : Der Bucklige und die Tänzerin (Le Bossu et la danseuse), Der Januskopf (Le Crime du Dr. Warren), Abend Nacht Morgen (L'Emeraude fatale), Sehnsucht et Die Austreibun. Die Macht der Zweiten Frau (L’expulsion, L’exorcisme). Il existe toujours le mince espoir de retrouver un jour une copie d’un de ces films. Phantom et La Terre qui flambe, deux films de Murnau de 1922 longtemps considérés comme perdus, ont ainsi resurgi dans les années 1970. La probabilité de pouvoir visionner un jour ces titres reste cependant très mince, une constatation fort triste lorsqu’on lit, par exemple, que Der Januskopf « va jusqu’à égaler Caligari, qu’il lui est même supérieur dans certaines scènes prenantes. » (p.32)

 

Le cinéma ruiné de F.W. Murnau s’ouvre sur une courte introduction de quatre pages, écrite par Stéphane Pirot, le créateur des Editions du Pingouin masqué. Il met en avant la difficulté d’accès aux œuvres de Murnau, les films perdus ne constituant qu’une partie du problème : les films visibles ont survécu dans des conditions souvent précaires, mixage de plusieurs sources, avec des intertitres recréés et une usure souvent perceptible. Une présentation rapide du contenu suit : Stéphane Pirot, nous dit-il, ne cherche pas à reconstituer au plus près les films, le matériel n’étant pas suffisant. A travers un générique, quelques photos et articles de l’époque, il souhaite donner une vision nouvelle du cinéma de Murnau en insistant notamment sur l’importance des éclairages. D’où la place prédominante accordée aux photos, un soin particulier ayant été apporté à leur reproduction (lorsque le matériel d’origine le permet).

 

Le lecteur ne doit pas s’attendre à une analyse de fond ou à une recherche exhaustive : le livre est court et se lit très rapidement. A l’heure du tout-électronique, l’auteur/éditeur fait le pari du papier avec une sorte d’Imdb amélioré, auquel auraient été ajoutés des photos et un résumé ou une critique d’un journal d’époque. Dès lors, l’intérêt de ce travail est à débattre. D’un côté, loin de tout verbiage, il permet d’en savoir plus sur les premiers films de Murnau en allant à l’essentiel : un résumé de l’histoire et des photos pour retranscrire l’atmosphère. De l’autre, un peu plus de contenu sur le contexte de tournage, sur les acteurs, les techniciens, la réception des films... n’aurait pas été superflu. Et la plupart des informations sont facilement accessibles sur Internet à tout lecteur anglophone ou germanophone.

 

Au final, les amateurs de Murnau avides de belles photos de tournage sur papier glacé y trouveront probablement leur compte. Les autres, bien que le livre se lise agréablement, resteront sans doute sur leur faim.Par Jérémie de Albuquerque - le 1 mars 2013

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