luni, 15 februarie 2021

Dosarul "afacerii Hearst / Kane" / Personaje II

Dramatis personae:

Orson Welles (1915-1985), regizor, scenarist si actor american

Herman Mankiewicz (1897-1953), scenarist si producator american                    

George Schaefer (1888-1981), regizor, producator si scenarist, presedinte al companiei RKO (1938-1942)

Louella Parsons (1881-1972), ziarista si cronicar monden, una din cele doua “vipere de la Hollywood”

Hedda Hopper (1890-1966), actrita si ulterior ziarista la Hollywood. A doua  “vipera de la Hollywood.”

William Randolph Hearst (1863-1951), om de afaceri, magnat al presei scrise. Prototipul personajului Kane din filmul lui O.Welles (1941)

Marion Davies (1897-1961), amanta magnatului Hearst timp de 30 de ani. A inspirat personajul Susan Alexander din filmul Citizen Kane. 

Walt Disney (1901-1966), producator, regizor, scenarist american, unul din pionierii filmului de animatie pe plan mondial

Darryl Zanuck (1902-1979), producator, regizor si scenarist american. Director al companiei 20th Century-Fox  intre 1944-1956.

David O. Selznick (1902-1965), unul dintre cei mai celebri producatori de filme de la Hollywood (MGM, Paramount, RKO)

Louis B. Mayer (1885-1957), producator de filme american, fondatorul companiei Metro-Goldwyn-Mayer


                                              Herman Mankiewicz                  Orson Welles

                                                                                  

George Schaefer, president of RKO Pictures; Dolores Del Rio, actress; and Orson Welles at the premiere of Citizen Kane at the Palace Theater in New York City on May 1, 1941.

                                William Randolph Hearst +Marion Davies


 Walt Disney



                                                                             Darryl Zanuck


 David O. Selznick

"Viperele de la Hollywood"
Louella Parsons                    Hedda Hopper

    Louis B. Mayer

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ORSON WELLES ET WILLIAM RANDOLPH HEARST

Lorsque l'on parle des puissants patrons de Presse aujourd'hui, aucun ne soutient pourtant la comparaison avec un baron de la Presse tel que le sinistre William Randolph Hearst. En fait, Hearst faisait tellement peur que même ses plus farouches adversaires n'osaient pas l'attaquer frontalement, de peur d'avoir à subir la colère et les foudres olympiennes d'un homme à l'influence presque sans limite.

Celui qui en parle le mieux est sans doute Orson Welles, dont on sait que son incarnation de Charles Foster Kane dans son Citizen Kane est très largement empruntée à la vie du magnat. Bien des années après la sortie de son chef-d'oeuvre, Orson Welles écrivit, en mai 1975, ces propos concernant sa source d'inspiration : "la vérité est que Hearst ne fut jamais riche à la manière d'un Aristote Onassis. Le pouvoir d'Onassis résidait uniquement dans son argent. Il pouvait s'acheter une compagnie aérienne, une île ou un colonel grec. Mais sa place dans l'Histoire tient surtout dans les colonnes des rumeurs de la presse à sensation. Hearst, lui, publiait ces rumeurs; il les a même pratiquement inventé. La différence est immense".

En fait, l'influence de Hearst était telle qu'il y a même une fameuse anecdote à ce propos. Le photographe Frederick Remington, qui travaillait pour lui et qui fut chargé de couvrir la guerre hispano-américaine à Cuba en 1898, se plaignit alors auprès de Hearst dans un télégramme, lui disant qu'il n'y avait pas assez de combats à photographier pour le tenir occupé. Ce à quoi Hearst répondit : "Vous faites les photos. Je ferai la guerre".

C'est peu dire que Hearst ne goûta pas vraiment l'histoire du film de Welles, même si le magnat refusa de le voir. Il a interdit à ses publications de parler du film, même succinctement. Il tenta même de racheter la copie originale du film pour la brûler, menaça les exploitants de salles qui diffuseraient le film, et fit même un lobbying intense auprès de l'Académie des Oscars pour empêcher que le film de Welles ne remporte l'Oscar du Meilleur film, au profit de Qu'elle était verte ma vallée.

Parmi les autres motifs expliquant la rage de Hearst à l'égard du film de Welles figure le personnage féminin du film, la jeune Susan Alexander Kane, une chanteuse d'opéra ayant sombré dans l'alcoolisme incarnée par Dorothy Comingore. Nombreuses sont les personnes à avoir associé ce personnage à la muse de Hearst, l'actrice Marion Davies, même si, plus tard, Orson Welles se défendit de s'être inspiré de la comédienne pour créer ce personnage.

Welles raconta aussi que Hearst engagea une prostituée et un photographe pour le piéger et le compromettre suffisamment avec un éventuel scandale au point de ruiner sa carrière. Mais Welles fut renseigné par un policier avant que le piège ne soit mis en place.

Il existe enfin un autre argument expliquant la haine de Hearst envers Orson Welles et l'autre scénariste du film, Herman J. Mankiewicz. Mais c'est un argument totalement officieux, basé sur les rumeurs courant dans les dîners et soirées hollywoodiennes bien arrosées où les bons mots -comme les mauvais- sont lâchés en patûre. Rosebud, l'énigmatique et fameux nom que prononce Charles Foster Kane jusque sur son lit de mort et qui désigne la luge qui a bercé l'enfance du magnat, était en fait le surnom que Randolph Hearst avait donné... au sexe de Marion Davies; soit "bouton de rose"... Une anecdote croustillante qui serait bien entendu parvenue jusqu'aux oreilles d'Orson Welles et son ami scénariste. Et quand on sait que le film s'achève sur ce fameux nom porté sur les lèvres de Welles tandis que la luge brûle...

https://www.allocine.fr/article/fiche

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La colline enchantée de William Randolph Hearst

Avec ses 165 pièces, ses jardins luxuriants, ses piscines intérieures et extérieures, et même son petit aéroport, Hearst Castle est le rêve du magnat de la presse qui a inspiré le film « Citizen Kane », devenu réalité avec l'aide de la première femme architecte de Californie.

La propriété ne compte pas une maison mais plusieurs. Construits au pied du palais principal d'une superficie de 6.300 mètres carrés (la Casa Grande), trois grands cottages (les Casa del Mar, del Monte et del Sol) sont destinés aux invités. (Joe Johnston/AP/SIPA)
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On l'a surnommé la « Colline enchantée ». Avec ses 165 pièces, ses jardins luxuriants, ses piscines intérieures et extérieures, et même son petit aéroport, Hearst Castle est bien plus qu'une simple résidence privée. Perché à 500 mètres d'altitude à San Simeon, entre Los Angeles et San Francisco, en Californie, il s'agit d'un véritable palais s'étendant sur près de 1.000 kilomètres carrés. Un domaine sans équivalent dans le monde, conçu par l'architecte Julia Morgan, la première femme architecte de Californie et l'une des pionnières de l'utilisation du béton armé dans cette région soumise à de forts mouvements sismiques.

https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/la-colline-enchantee-de-william-randolph-hearst-1122273


La piscine romaine au sein même du château du milliardaire Hearst  

Chaque année, près de 750 000 visiteurs viennent du monde entier pour découvrir cet  incroyable palace niché sur une colline de  San Simeon, entre Los Angeles et San Francisco, en Californie. C'est un château immense avec 165 pièces, dont 56 chambres, 61 salles de bains, 19 salons, une piscine intérieure romaine construite tout en verre de Murano, des pièces rares (comme des tapisseries de l'époque de Louis XIV) et des œuvres d'art valant des millions de Dollars.

Le célèbre William Randolf Hearst qui y vécut jusqu’en 1951 souhaitait une résidence à la hauteur de sa notoriété. Si l'exceptionnelle demeure reste à ce jour l'une des plus chères au monde, l'état de Californie en a fait aujourd’hui un monument historique national ouvert à tous. 

Reportage : Claude Sempere - R.Massine

C'est donc le richissime William Randolf Hearst qui a fait construire, entre 1919 et 1946, ce domaine exceptionnel de 8000 m2 habitable entre 1919 et 1946. 28 ans de construction pour voir apparaitre le somptueux édifice qui abrita ses amours avec Marion Davies, actrice à Hollywood. Pendant des années, les murs du château ont vu passer une ribambelle de stars d'Hollywood mais aussi bon nombre d'illustres leaders politiques. 

Si l'excentrique magnat de la presse, William Randolf Hears est connu pour sa fortune d'abord dans la presse puis l'audiovisuel et le cinéma, il est aussi celui qui inspira le personnage de Charles Foster Kane, incarné par Orson Welles dans "Citizen Kane". D'ailleurs, à l'époque, la presse soupçonnait le milliardaire de s'être opposé à ce que le film voit le jour. Ecoutez la réponse d'Orson Wells lui même à cette interrogation.

Des années plus tard, la famille Hearst a fait parler d'elle avec l'affaire Patty Hearst. Patricia, la petite fille du richissime magnat de la presse fut enlevée en 1974 sur le campus de l'Université de Berkley. Au fil de sa captivité, Patty Hearst sympathise avec ses ravisseurs et a participé à des braquages de banque. "Mon voyage en enfer" raconte son histoire.

https://www.francetvinfo.fr/culture/arts-expos/architecture/le-chateau-du-milliardaire-hearst-luxe-et-demesure_3391727.html
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Par Tristan GASTON-BRETON / Publié le 5 août 2019 

Hearst, l'empire de la médiocrité

L'inventeur de la presse à sensation écrase ses rivaux.

par Annette LEVY-WILLARD

publié le 14 octobre 2000 à 5h22

Une récente biographie de William Randolph Hearst (The Chief, de David Nasaw, aux éditions Houghton Mifflin) brosse un portrait plutôt complaisant du personnage, tentant de réhabiliter celui qui avait été surnommé «le Diable». Et qui restera, malgré cette biographie orientée, le génie de la presse, le populiste frôlant le fasciste, le multimillionnaire paranoïaque retranché dans son palais californien avec sa maîtresse, que joue Orson Welles dans Citizen Kane. L'histoire gardera cette image même si le vrai Hearst ­ qui a tenté de bloquer la sortie du film ­ était un peu moins caricatural que «Citizen Kane».

Crimes et scandales. Fils d'un chercheur d'or ­ chanceux ­ devenu sénateur, le jeune W.R. Hearst commence sa carrière dans sa ville natale en achetant en 1887 un journal moribond, le San Francisco Examiner. Pour doubler son rival, le San Francisco Chronicle, il invente le journalisme à sensation, prêt à tout pour vendre du papier, montant «à la une» des crimes atroces ou des scandales politiques. Mais Hearst est aussi le premier à comprendre que la presse écrite doit bénéficier de la synergie d'autres médias, construisant un empire de journaux, magazines, radios, agences de photo, télévision et cinéma. Hearst est, entre les deux guerres, à la tête de la plus grande entreprise de communication aux Etats-Unis.

Vengeance. Un demi-siècle après la mort de son fondateur, la Hearst Corporation, toujours propriété des héritiers de W.R., possède douze quotidiens, des chaînes de télévision (ESPN, The History and Biography Channels), est le premier éditeur de magazines au monde (Cosmopolitan, Harper's Bazaar, Talk, etc.) et a pris très vite position dans l'Internet. Le groupe a accompli une vengeance posthume contre un rival de Hearst, qui a donné son nom au plus grand prix de journalisme américain: Joseph Pulitzer. En concurrence avec le New York World de Pulitzer, Hearst, antisémite cynique, avait qualifié en 1887 ce quotidien de «feuille méchante et malhonnête [...] parce qu'elle appartient à un juif, que je méprise mais qui est trop puissant pour que je l'insulte.» La Hearst Corporation a depuis racheté les neuf chaînes de télévision et les cinq stations de radio de la Pulitzer Publishing Company.

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REVUE DE PRESSE DE « CITIZEN KANE » 

(ORSON WELLES, 1941)

Véronique Doduik - 2 juin 2015

Citizen Kane

Citizen Kane

Citizen Kane a été considéré jusqu’en 2012 (date à laquelle il fut détrôné par Vertigo d’Alfred Hitchcock) comme « le plus grand film de l’histoire du cinéma » dans le classement établi depuis 1962 par le prestigieux British Film Institute (BFI). Tourné en 1940, c’est le premier long-métrage d’un jeune réalisateur prometteur qui s’est fait connaître par sa mémorable et très réaliste mise en onde sur CBS de La Guerre des mondes de H.G. Wells. Le film est projeté à Paris (au cinéma Le Marbeuf, en version originale uniquement) le 3 juillet 1946. C’est l’un des premiers films américain à sortir en France depuis l’entrée en vigueur des accords Blum-Byrnes qui mettent fin à l’interdiction de projection en France des films américains imposée en 1939 par les autorités allemandes. Le film crée l’évènement et la critique se fait l’écho du choc ressenti par les spectateurs.

UN PAMPHLET SOCIAL

Le scénario s’inspire en partie de la vie du magnat de la presse William Randolph Hearst, un des hommes les plus puissants d’Amérique, dont Welles dénonce les visées monopolistiques et liberticides. La charge sociale est immédiatement perçue par la presse. L’Écran français, sous la plume de Roger Leenhardt, décrit le film comme « un pamphlet social d’une audace inconnue jusque là au cinéma occidental ». Ce Soir parle d’une « cruelle satire sociale », « d’une violence et d’une audace inaccoutumées dans le cinéma américain » selon La Défense, tandis que pour le journal Opéra, il s’agit d’« une satire du matérialisme moderne ». Pour Jacques Doniol-Valcroze, dans La Revue du cinéma, le fait même que Welles ait choisi pour sujet de son premier film un pastiche de la vie de Hearst est significatif de sa volonté de « bouleverser certains conformismes hollywoodiens et atteindre au scandale à coup sûr avec une équipe d’acteurs inconnus ». Ces acteurs sont ceux du Mercury Théâtre, la compagnie indépendante fondée par Welles en 1937. L’Écran français compare d’ailleurs Citizen Kane au film d’Erich von Stroheim de 1923, Les Rapaces, qui présentait « la même violence de ton, le même exhibitionnisme, et qui a pareillement heurté le public tout en le subjuguant ».

UNE MISE EN SCÈNE VIRTUOSE

La presse met en avant d’emblée la grande originalité du film, imprégné de la forte personnalité d’Orson Welles. La Cinématographie française, affirme « la grande différence » de Citizen Kane avec « tout ce qui a paru à ce jour », et écrit qu’il « doit attirer tous ceux qui s’intéressent aux progrès du cinéma ». Le film est en effet unanimement remarqué pour sa radicale nouveauté, qui renouvelle en profondeur l’expression cinématographique. La mise en scène « bouscule les traditions avec « une superbe et un mépris souverain des règles établies… Quel dédain pour le langage cinématographique en honneur à Hollywood et ailleurs », s’exclame Ce Soir. La nouveauté du parti-pris narratif est mise en exergue : le fil conducteur de l’intrigue est la recherche de la clef d’une énigme, « le film épousant le cours sinueux de l’enquête, où la vie de Kane est restituée par fragments, selon une chronologie enchevêtrée » (Action). Ainsi, la narration, décousue et contradictoire, commence par la fin (l’enterrement de Kane). Elle « se développe par brusques descentes ou remontées dans le temps suivant le désordre même où un narrateur informé relaterait cette biographie dans une conversation sans apprêt, au hasard des souvenirs », note Carrefour, qui considère qu’une des nouveautés du film est la présence du Temps comme le personnage n°1. Pour Jacques Doniol-Valcroze, dans La Revue du cinéma, Welles a révolutionné le film biographique : « se plaçant devant la vie d’un homme, il l’a attaqué par tous les moyens. Il a procédé par « morcelage ». Il a tout mélangé, tout broyé, tout photographié dans tous les sens, sous tous les angles, mobilisant toutes les ressources de la lumière et du son ».

ORSON WELLES, UNE PERSONNALITÉ HORS NORME

Les critiques soulignent la puissance et le souffle du film : « Dès le début, nous sommes happés par un véritable maelström d’images », s’exclame Action. La presse insiste sur la démesure de l’entreprise, à l’image de l’homme qui en est à l’origine : Orson Welles est omniprésent dans son film, à la fois producteur, scénariste, metteur en scène et principal interprète. Carrefour souligne sa prodigieuse présence à l’écran, « carnassier brachycéphale au front en coupole, à la mâchoire lourde, aux joues épaisses. Sanguin, sensuel, sentimental ». Pour L’Époque, « Orson Welles joue le rôle de Kane avec une puissance et une maîtrise incomparable ». Selon Arts, la « philosophie encore un peu fumeuse d’Orson Welles » s’estompe devant son style « personnel, heurté, vigoureux, suggestif, imagé, continuellement à la recherche de nouveaux chemins ».

UN NOUVEAU LANGAGE CINÉMATOGRAPHIQUE

Certains critiques ne tarissent pas d’éloges sur les inventions visuelles du film. Libération écrit : « C’est un feu d’artifice perpétuel de la technique cinématographique ». Le recours systématique à une longue profondeur de champ est largement remarqué, par l’emploi d’objectifs spéciaux donnant une égale netteté, non plus comme précédemment dans une faible profondeur de champ, mais sur tous les plans, du plus proche au plus éloigné. Cette pratique « transforme la mise en scène », observe L’Écran français. Car au lieu d’isoler successivement (montage) ou par chariot (travelling) les personnages d’une scène donnée, le réalisateur joue avec une caméra fixe et un grand décor dans lequel les acteurs évoluent en profondeur, en plus ou moins gros plan, selon l’importance que leur attache la mise en scène. La presse note que pour la première fois, la caméra est au-dessus des personnages. On voit non pas des amorces, mais de véritables plafonds. Elle relève également les partis-pris expressifs de la lumière du chef opérateur Gregg Tolland, qui sert remarquablement les recherches de la mise en scène.

UN GÉNIAL RECYCLAGE

Néanmoins, des voix s’élèvent contre cette trop grande nouveauté, jugée parfois lassante : « Tout dans Citizen Kane vise à l’originalité, à une espèce d’avant-gardisme agressif, concerté et systématique » lit-on dans La DéfenseLa Cinématographie française qualifie de film d’« œuvre copieuse, quelquefois un peu touffue et lourde ». Pour Arts, « sa richesse de trouvailles nous séduit, mais nous fatigue ». Pour Action, « le désordre de la construction [du film] engendre une impression confuse ». Ce journal pense aussi que « Welles a privilégié l’originalité formelle au détriment du contenu » et que si l’intérêt visuel des images ne se dément pas pendant tout le film, il entraine une certaine aridité intellectuelle.

Plus encore, concernant ces multiples innovations techniques, certains s’accordent à penser que Welles s’est admirablement servi des découvertes des autres, en les faisant siennes. Ainsi, pour Le Figaro littéraire, « surimpressions, flous, fondus, visages obscurs, vues d’en bas, vues d’en haut, vues en diagonale, travellings recherchés, toits qui s’ouvrent, glaces déformantes, glaces qui multiplient l’image (…), décors à la Méliès, réalisme et expressionnisme allemands, on a déjà vu tout ça ». Et de poursuivre : « Ce film est truffé de poncifs prétentieux ». Libération partage cet avis : « Citizen Kane n’est pas un film de créateur. C’est un film de grand virtuose ». Pour Arts, « dans cette façon de filmer, Welles retrouve parfois les sentiers battus de notre vieille avant-garde, ou de l’expressionnisme allemand ». Georges Sadoul renchérit dans Les Lettres françaises : « Ce film est une encyclopédie des anciennes techniques ». Mais il considère néanmoins que « la suffisance, le désordre, l’abus des réminiscences médiocrement assimilées » sont les défauts d’un débutant « à la bouillonnante imperfection, ingénu, impétueux et maladroit », et que l’on sent dans cette œuvre « le souffle de la puissance et du talent ».

Et Jacques Doniol-Valcroze, dans La Revue du cinéma, écrit : « Mis à part les fameux plafonds, on avait déjà employé des objectifs spéciaux permettant de prendre premier et second plan avec une égale netteté ; on avait déjà usé des procédés de narrations qui font penser à l’écriture de Dos Passos ou de Faulkner… ». Pour le critique, le véritable évènement est dans la façon dont Welles utilise les « ressources infinies du cinéma » selon ses propres désirs et impulsions.

Véronique Doduik est chargée de production documentaire à la Cinémathèque française.

https://www.cinematheque.fr/article/847.html

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Le saviez-vous ? : Le (sale) coup monté pour saboter la sortie de Citizen Kane


Citizen Kane est l’un des classiques hollywoodiens les plus célèbres de l’histoire du cinéma. Premier long-métrage d’Orson Welles, le film sorti en 1941 racontait l’histoire d’un journaliste qui enquêtait sur la vie de Charles Foster Kane, un milliardaire magnat de la presse, récemment trépassé. Il va découvrir au fil de ses investigations, le portrait d’un homme démesuré, égoïste, mégalomane. Pour écrire son scénario, Orson Welles s’était alors partiellement inspiré d’un de ses contemporains, William Randolph Hearst, alors nabab super-puissant à la tête d’un empire médiatique gigantesque comprenant près de 30 journaux influents couvrant tout le territoire (sans parler des magazines, stations de radio et studio de cinéma). Évidemment, Hearst ne va guère goûter à ce projet de film et va tout faire pour lui mettre des bâtons dans les roues. Pour commencer, il va se servir de ses nombreux médias pour pourrir la réputation de Welles, le dénonçant régulièrement comme un communiste de la pire espèce. A la sortie du film, il interdira toute critique et mention dans ses journaux, en plus de faire pression sur les exploitants pour qu’ils ne diffusent pas le film (une raison parfois invoquée pour expliquer son énorme échec financier).

Orson Welles sur le tournage de Citizen Kane

Mais outre ces manœuvres d’envergure, William Randolph Hearst ira jusqu’à s’adonner aux vils stratagèmes les plus pervers, notamment un coup monté d’une bassesse particulièrement minable. Alors que le tournage du film venait de s’achever, Hearst va orchestrer un piège bien salaud, espérant ainsi ruiner définitivement la réputation d’Orson Welles. Ayant eu vent d’un voyage de l’artiste à New-York, Hearst va réussir à dégoter le nom de l’hôtel où le cinéaste va loger. Il fera engager une prostituée et un photographe qu’il fera pénétrer en douce dans la chambre prévue. L’idée était qu’ils s’y cachent. Quand Orson Welles serait dans ladite chambre, la jeune femme (nue) se jetterait dans ses bras pendant que le photographe capturerait la scène afin qu’elle soit relayée dans les médias pour provoquer un bon gros scandale aux mœurs. Heureusement, des langues un peu trop pendues parleront du « coup » en préparation. Orson Welles en aura vent par un ami policier et changera d’hôtel à la dernière minute, prenant soin tout de même de bien checker la chambre de son nouveau logement avant de s’y poser tranquillement. Le coup monté échouera au grand dam de William Randolph Hearst. Malheureusement pour Welles, toutes les autres ficelles tirées par le puissant patron feront des dégâts, couplées à la malchance d’un contexte peu idéal. Aux États-Unis, Citizen Kane ne marchera pas. En Europe, sa sortie fut empêchée par la Seconde Guerre Mondiale. La RKO, productrice, fut sauvée de la faillite par La Féline de Jacques Tourneur qui fut un immense succès.

William Randolph Hearst
https://mondocine.net/le-saviez-vous-coup-monte-sortie-citizen-kane/
CITIZEN KANE (ORSON WELLES, 1941)
L’aura du “plus grand film de tous les temps” est telle qu’on oublie presque que derrière Charles Foster Kane, la self made man avide de pouvoir incarné par Welles lui-même, se cache un vrai magnat de la presse : William Randolph Hearst. Bien que Orson Welles publia un texte soulignant les divergences biographiques entre le milliardaire américain et son double, Hearst s’y reconnut tellement qu’il essaya par tous les moyens d’interdire le film, puis refusa d’en parler dans ses journaux. Le temps a passé, tout est oublié : en 2017, William Randolph Hearst III, son petit-fils, avoue adorer le chef d’œuvre de Welles. Comme tout le monde.

“Mank”, hommage paternel révisionniste

“Mank”, hommage paternel révisionniste
        
        

7 décembre 2020

En 1940, Orson Welles choisit Herman J. Mankiewicz, scénariste brillant et autodestructeur, pour écrire le scénario de ce qui deviendra Citizen Kane. Centré sur la genèse du film, Mank rend hommage au scénariste en dévoilant son parcours tortueux dans les rouages du Hollywood des années 30. Malheureusement, le biopic de David Fincher, scénarisé par son père, épouse une thèse révisionniste sur la paternité du scénario de Citizen Kane qui élude totalement la complexité de sa conception.

En 1939, Orson Welles (Tom Burke), 24 ans, débarque à Hollywood. Engagé par le studio RKO pour réaliser un film par an sur une période de cinq ans, le “boy wonder” travaille sur une adaptation ambitieuse du roman Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad.

En parallèle, Orson Welles engage Herman J. Mankiewicz (Gary Oldman), scénariste talentueux mais hanté par les démons de l’alcool, pour écrire un scénario original destiné à son prochain projet. Allité suite à un accident de voiture et étroitement surveillé par John Houseman (Sam Troughton), un proche collaborateur d’Orson Welles, Mankiewicz écrit un scénario inspiré de la vie de William Randolph Hearst (Charles Dance), un puissant magnat de la presse.

Officiellement trop coûteuse — et certainement trop avant-gardiste avec son concept de caméra subjective — l’adaptation de Conrad imaginée par Orson Welles est abandonnée par les studios. C’est finalement American, le scénario de Mankiewicz qui servira de base au premier film réalisé par Orson Welles : l’incontournable Citizen Kane.

Mank © 2020 - Netflix
Mank © 2020 - Netflix

Hollywood sur iPad

Signe des temps, le nouveau film de David Fincher ne sort pas en salles mais sur la plateforme Netflix qui a déjà accueilli ses séries House of Cards et Mindhunter. Pour une fois, ce n’est pas le coronavirus qui est à blâmer car cette genèse de Citizen Kane centrée sur Mankiewicz était dès le départ destinée au streaming.

La présence du nouveau David Fincher sur Netflix dévoilent l’incapacité de l’industrie cinématographique à financer certains projets considérés comme trop ambitieux ou décalés par rapport aux envies supposées du public. Même Martin Scorsese, fervent défenseur du cinéma en salles, a dû se résoudre à se tourner vers la célèbre plateforme pour donner vie à The Irishman (2019).

Alors que la fermeture imposée aux salles de cinéma accélère la mort annoncée – mais toujours évitée jusqu’à présent – du cinéma sur grand écran, Netflix semble prendre le relais d’une industrie cinématographique qui peine à prendre des risques. En attendant un éventuel sursaut d’orgueil, ce biopic de plus de deux heures en noir et blanc a trouvé refuge en ligne.

Mank © 2020 - Netflix
Mank © 2020 - Netflix

Histoire de paternités

Le nouveau film de David Fincher est un projet très – peut-être trop – personnel car son scénario a été écrit par le père du cinéaste. Ancien journaliste, Jack Fincher avait produit une première version du scénario dans les années 1990 mais le projet n’a jamais abouti.

En réalisant le scénario abandonné de son père, David Fincher s’inscrit dans une démarche d’hommages multiples. Son film rend un hommage appuyé à Herman J. Mankiewicz, insuffisamment reconnu pour sa contribution à Citizen Kane selon la thèse très discutable du film. Le fils cinéaste réalise également le projet de son père, scénariste infortuné disparu en 2003.

Mank est également un hommage à Citizen Kane dont l’ombre imposante plane tout au long du film. David Fincher cite à maintes occasions les plans révolutionnaires qui ont marqué l’histoire du cinéma. Autre clin d’œil à la modernité du premier film d’Orson Welles, la construction du récit de Mank adopte sur la même temporalité que Citizen Kane, explosée en de multiples flashbacks.

Mank © 2020 - Netflix
Mank © 2020 - Netflix

Retour à Xanadu

La genèse tumultueuse de Citizen Kane n’est pas un sujet inédit. La conception du film a déjà été évoquée dans le documentaire The Battle Over Citizen Kane (1996) et dans le film RKO 281 (1999). Tous deux reviennent sur la pression exercée par William Randolph Hearst pour que le film ne sorte jamais. Le magnat de la presse est allé jusqu’à tenter d’organiser le rachat du film à la RKO pour en brûler la pellicule. Après sa sortie, Hearst organisa dans ses journaux un boycott assez efficace pour s’assurer de l’échec du film.

Contrairement aux autres œuvres centrées sur Orson Welles, Mank choisit d’évoquer la création du film mythique à travers le regard de Herman J. Mankiewicz. Un parti pris intéressant car le scénariste était en lien direct avec ceux qui se sont reconnus dans les personnages de Citizen Kane.

Mank © 2020 - Netflix
Mank © 2020 - Netflix

Citizen Mank

Cloué au lit à la suite d’un accident de voiture, Herman J. Mankiewicz est surveillé de près par John Houseman qui veille à ce qu’il ne s’enivre pas afin de terminer au plus vite l’écriture du scénario. Une situation d’immobilisme contournée par les nombreux flashbacks permettant notamment de découvrir comment le scénariste a fait la connaissance de William Randolph Hearst par l’entremise de Marion Davies (Amanda Seyfried), sa maîtresse.

Le détail de ces relations permet de mieux comprendre la fureur de William Randolph Hearst et le sentiment de trahison éprouvé par Marion Davies, victime collatérale de la charge contre l’homme d’affaires. Le choix délibéré de Mankiewicz pose également l’éternelle question de la fictionnalisation de personnages existants et de la frontière ténue entre liberté artistique et voyeurisme, voire calomnie.

Mank © 2020 - Netflix
Mank © 2020 - Netflix

Scénariste isolé

Le parcours de Herman J. Mankiewicz dévoilé par petites touches permet de capter le décalage du scénariste avec l’industrie cinématographique des années 30. Marginalisé par sa dépendance à l’alcool et son tempérament autodestructeur, Mankiewicz est également mis à l’écart pour ses opinions politiques qu’il assume publiquement.

Avec ses convictions progressistes, le scénariste dénote dans l’univers conservateur des grands studios. On sent déjà à cette période flotter les prémices de suspicion qui donneront naissance au Maccarthysme et la purge au sein de la grande machine hollywoodienne.

Manque de reconnaissance

Dans le contrat qu’il a signé avec Mercury Productions, Mankiewicz a accepté de ne pas être crédité au générique du film réalisé par Orson Welles. Mais, une fois le scénario terminé, Mankiewicz est bien conscient qu’il vient de réaliser son chef-d’œuvre. Pas question alors d’en être dépossédé.

Mank © 2020 - Netflix
Mank © 2020 - Netflix

Le scénariste exige donc de revenir sur les termes du contrat et d’être crédité au générique. Une demande qui crée de la tension avec le réalisateur novice mais qui sera finalement accordée. Nommé dans neuf catégories, Citizen Kane n’obtiendra qu’une seule récompense lors de la cérémonie des Oscars de 1942 : la statuette du meilleur scénario original décernée à Mankiewicz et Welles. Une célébration à minima qui augure du statut d’exilé d’Hollywood qui sera imposé à Orson Welles.

Kael erreur

Si le nouveau film de David Fincher capte assez justement le caractère impulsif et désespéré de Herman J. Mankiewicz se débattant dans les coulisses du Hollywood des années 30, son parti pris sur la paternité du scénario qui donnera naissance à Citizen Kane est totalement incompréhensible. Le père du cinéaste épouse en effet dans son scénario la thèse controversée de Pauline Kael, célèbre critique de cinéma américaine, sur l’écriture du premier film d’Orson Welles.

Mank © 2020 - Netflix
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Dans son essai Raising Kane publié en 1971, Pauline Kael affirme que Herman J. Mankiewicz doit être considéré comme l’unique auteur de Citizen Kane. Cette idée est reprise dans le scénario de Mank. Une vision sur laquelle David Fincher n’a pas souhaité revenir, probablement pour ne pas trahir l’œuvre de son père.

Pourtant, dès la publication de Raising Kane, des universitaires comme Joseph McBride ou le réalisateur Peter Bogdanovich se sont vivement opposés à cette version révisionniste de l’histoire. En 1978, Robert L. Carringer dynamite à son tour l’essai de Pauline Kael.

Dans son livre The Making of Citizen Kane publié en 1985, l’auteur expose les preuves. L’étude des différentes versions des scénarios soigneusement conservés démontre en effet que le matériau d’origine produit par Mankiewicz a été profondément remanié par Orson Welles avant d’aboutir au film définitif.

Mank © 2020 - Netflix
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Le retour du mythe de l’imposteur

Malheureusement, David Fincher semble incapable de rendre hommage à Mankiewicz sans devoir abaisser Orson Welles au passage. Le réalisateur résume la relation entre Mankiewicz et Welles à travers deux piques qui caricaturent leur lien et ne donnent qu’un aperçu très partiel du travail d’écriture qui a abouti à Citizen Kane.

En voulant rendre hommage à Mankiewicz, David Fincher opte pour une opposition franche entre les deux hommes qui met Orson Welles dans le rôle d’un imposteur. Le cinéaste ravive ainsi de façon assez inexplicable la thèse du “boy wonder” qui aurait réalisé Citizen Kane sur un coup de chance puis plus rien de valable le reste de sa vie.

Ce mythe de l’imposteur a été particulièrement tenace aux États-Unis où les films réalisés par Orson Welles en Europe et ailleurs ont été quasiment invisibles pendant des décennies sur le territoire américain. Welles aurait lui aussi sûrement accepté une proposition de Netflix pour financer ses films. D’ailleurs, c’est le cas de façon posthume.

Mank © 2020 - Netflix
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Netflix schizophrène

Ironiquement, Mank est diffusé sur la plateforme qui propose également The Other Side of The Wind, le dernier film tourné par Orson Welles qu’il n’a pas pu terminer de son vivant. Après un financement participatif – lire notre article – qui n’a pas réuni les fonds nécessaires, The Other Side of The Wind a finalement été terminé grâce au soutien de Netflix. Ce film – parmi d’autres – permet de constater à quel point le mythe de l’imposteur qui a collé à la peau d’Orson Welles est injuste.

La carrière chaotique d’Orson Welles est jalonnée de projets qui, même inachevés, valent largement certains films terminés par d’autres cinéastes. Au-delà des scénarios remaniés de Citizen Kane, l’héritage laissé par Orson Welles qui continue à surgir au fil des années pulvérise ce révisionnisme décevant. David Fincher manque là une belle occasion de rendre justice aux personnages de ce fascinant épisode de l’histoire du cinéma.

Mank, réalisé par David Fincher, États-Unis, 2020 (2h11)


https://www.citazine.fr/article/mank-hommage-paternel-revisionniste/

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MANK : DÉSACRALISONS LE PLUS GRAND FILM DE TOUS LES TEMPS

Alors que les salles de cinéma ne sont toujours pas ouvertes en France, un nouveau film vient de sortir sur la plateforme Netflix, et pas n’importe quel film. Il était très attendu par la communauté cinéphile, la nouvelle œuvre de David Fincher, grand réalisateur américain connu pour ses thrillers psychologiques comme Seven, Fight Club, The Social Network ou encore plus récemment Gone Girl sorti il y a de cela six ans.

Le film avait piqué ma curiosité pour plusieurs raisons. Déjà parce que c’est Fincher, un des plus grands réalisateurs actuels. Mais aussi parce que c’est un film qui aborde l’écriture du scénario de Citizen Kane, une œuvre que j’aime beaucoup et qui est considéré par beaucoup de spécialistes comme le plus grand film de l’histoire du cinéma. Mank se veut un hommage au Hollywood des années 40.  Mais ce qui a le plus attiré ma curiosité, c’est que le film souhaitait remettre en question le concept d’auteur et donc de film d’auteur, dont je vous ai déjà parlé ici. Il est majoritairement admis que l’auteur, l’artiste derrière le film, est le réalisateur, que le travail artistique du film est le fait d’une seule personne. Le cinéma n’est donc pas considéré comme un art collectif. Certains l’ont fustigé à commencer par Pauline Kael dans un de ses livres, Raising Kane, où elle démolit la figure de Welles au profit de ce qu’elle estime être le véritable génie du film, à savoir son scénariste, Herman J. Mankiewicz, le frère de Joseph L. Mankiewicz, le réalisateur de EveLa Comtesse aux pieds nus ou encore Cléopâtre. Le bouquin a bien sûr servi de source d’inspiration pour Fincher. Il est question pour lui de mettre en lumière le travail du scénariste qu’il estime injustement invisibilisé à ses yeux mais également de rendre hommage à son père, Jack Fincher à qui on doit l’idée du film.

Le film se déroule dans deux temporalités différentes. La première raconte l’histoire de Mankiewicz chargé par Orson Welles d’écrire le scénario de son premier film, Citizen Kane. En effet, le réalisateur ne fait que ses premiers pas à Hollywood et a bien l’intention de briser les codes, de proposer un film audacieux. Pour l’écriture de l’oeuvre, Mank (comme on l’appelle) s’inspire des relations qu’il a entretenues par le passé avec William Randolph Hearst, un homme d’affaire à la tête de l’un des empires médiatiques les plus puissants de l’époque, mais également avec sa maîtresse Marion Davies.

Dans le cadre de la réalisation de ce film, il y a certaines choses à faire et à ne pas faire quand on traite du cinéma hollywoodien. L’idée de rendre hommage à Hollywood notamment durant son âge d’or, c’est-à-dire celui des années 30 aux années 40, est éculée. Plusieurs œuvres s’y sont déjà attelées. Il y a aussi la critique  du système hollywoodien, celui qui brise les rêves et toute ambition artistique. Ce thème a lui aussi été traité à de multiples reprises comme ce fut le cas dans Boulevard du crépuscule (Billy Wilder, 1950) ou Mulholland Drive (David Lynch, 2000). L’intérêt de faire un film est de trouver un angle, un sujet, un point de vue, bref, quelque chose d’original et qui n’a pas encore été abordé. Toute la question était de savoir ce que Fincher allait proposer comme nouvelle vision à ce quartier tant montré au cinéma.

A première vue, le film paraît surtout un hommage à Hollywood. Il n’utilise pas des codes cinématographiques contemporains mais bien ceux des années 40. Tout est fait sur le plan technique et narratif pour rendre hommage à Citizen Kane que ce soit l’usage des images en noir et blanc et des flashs-backs, une musique typique de l’époque et de celle de Bernard Herrmann (le compositeur de Citizen Kane), des ombres expressionnistes. Même au niveau du son, tout paraît coller à l’époque où se déroule le film. Mais quand on s’intéresse à la carrière de David Fincher, on sait qu’il a très mal vécu son passage à Hollywood. Mank ne se veut pas seulement un hommage. Il se veut également une critique à charge. Mais sur quoi, au juste ?

Mankiewicz est un personnage très habituel dans la filmographie du cinéaste. C’est un inadapté social, solitaire et très intelligent. Il n’est pas à l’aise en public et sa femme lui reproche son incapacité à dire des choses gentilles. Malgré cela, il est très apprécié par William Randolph Hearst non pas pour ses qualités de scénariste, mais pour ce qu’il dit. C’est un bouffon, le clown de service. Il croit dire des choses intéressantes et pseudo-subversives alors qu’il est surtout là pour amuser la galerie. Mais la sympathie de Hearst à son égard lui vaudra de participer à plusieurs de ses soirées mondaines et de travailler aux studios d’Hollywood.

Mank comprend progressivement la dangerosité du personnage. Si Fincher souhaitait rendre hommage au cinéma des années 40, il n’en reste pas moins que les intrigues politiques se mêlent à tout le reste. En effet, la Californie est censée voter pour le prochain gouverneur de Californie. Le choix se porte principalement sur deux candidats, Frank Merriam et Upton Sinclair. Le premier est soutenu par le parti républicain et les principales puissances industrielles et médiatiques de l’Etat. Le second est considéré comme une menace. C’est un socialiste. Il voudrait nationaliser les studios inutilisés par les majors hollywoodiennes pour pouvoir loger les populations pauvres de la région.

William Randolph Hearst est un personnage du monde du journalisme particulièrement controversé. Il est notamment connu pour avoir été une des principales figures du journalisme jaune privilégiant notamment le sensationnalisme et les techniques tape-à-l’oeil au mépris de toute déontologie. La vérité ne l’intéresse pas.  Sinclair a lui d’ailleurs reproché en raison de ses pratiques journalistiques douteuses d’avoir causé de nombreuses guerres comme la guerre hispano-américaine pour pouvoir vendre davantages d’exemplaires de ses journaux. Il s’agit d’une personnalité dont le caractère manipulateur est attaqué. On comprend donc sur quoi se basera le film sur sa critique d’Hollywood. L’usage des médias comme outil de manipulation est le thème central de Mank.

Ce n’est pas la première fois que David Fincher parle du pouvoir des médias. Le thème des outils de communication et de la diffusion des informations au sein de la société est un des sujets de prédilection du réalisateur. Pas forcément la presse ou les médias de masse. Dans Panic Room, elle était surtout traitée à travers la vidéosurveillance. Dans The Social Network, il s’intéressait au réseau social Facebook. Il aborde pour la première fois les médias de masse dans Gone Girl, qui raconte l’histoire de la disparition d’Amy Elliott Dunne bouleversant la vie de son époux Nicholas. Les personnages comprennent qu’ils doivent utiliser les médias et surtout la télévision pour tourner l’opinion publique à leur avantage.

Ce n’est donc pas une nouveauté dans la filmographie de Fincher. Il continue la réflexion qu’il avait entreprise à partir de Gone Girl sur le pouvoir des médias et des images dans la construction de “réalités”. Hearst ne veut pas voir à la tête de la gouvernance Sinclair. Détenteur d’un puissant empire médiatique, il met en place une vaste campagne de dénigrement contre le candidat démocrate. Mank comprend très vite que Hollywood est un univers factice, manipulateur et hypocrite. Au début du film,  il assiste à un discours de Louis B. Meyer annonçant à ses employés qu’il est obligé de baisser les salaires. Il joue bien sûr la comédie afin d’obtenir leur sympathie. Tout n’est que spectacle. Tout est fait pour manipuler dans le seul et simple but de la recherche du profit. Tout est une question d’argent, qu’importent les conséquences, la vérité ou simplement la vie humaine.

Si les images peuvent être extrêmement puissantes dans la construction de nos opinions et de notre pensée. Elles ne sont pas foncièrement mauvaises. Tout dépend de ce que l’on fait du média en question. C’est un outil au service de l’homme. Si Hearst n’hésite pas à l’utiliser pour manipuler l’opinion publique et continuer à générer des bénéfices. Mankiewicz pense qu’il peut tout aussi bien montrer le véritable visage du magnat de la presse. Comme le lui disait John Houseman au début du film “Parlez de ce que vous savez”. Mank va parler de ce qu’il sait. Citizen Kane sera l’opportunité pour lui de se défaire de cette figure de clown et de jouer vraiment les trublions. C’est-à-dire de dénoncer le comportement de Hearst, son sensationnalisme et la collusion des pouvoirs politiques et médiatiques. Comme souvent dans les films de Fincher, le personnage principal va s’opposer à ce simulacre, détruire ce monde d’illusions.  Ce scénario est un missile lancé contre le système hollywoodien.

Le but de Citizen Kane sera de rétablir la vérité sur William Randolph Hearst comme il sera question pour David Fincher de rétablir la vérité sur la création de ce film. En effet, Orson Welles a toujours été considéré comme le seul et véritable génie derrière ce qui est aujourd’hui considéré comme le plus grand film de l’histoire du cinéma. Fincher considère que le cinéma est essentiellement un travail collectif. Son intention est de mettre en avant l’importance de Mankiewicz dans l’écriture de Citizen Kane. L’image est un formidable outil pour transmettre une idée, un message. Fincher fait de même dans son nouveau film en construisant un parallèle entre Orson Welles…et William Randolph Hearst.

[Le paragraphe suivant contient quelques spoilers]

La fin du film est particulièrement significative à ce sujet. Elle alterne entre deux époques. Dans la première, il est confronté à Hearst suite à une soirée qui s’est mal passée. Dans la seconde, il est confronté à un autre personnage. Il fait face à Orson Welles lui-même. Le dénouement est différent dans chacune des deux temporalités. Il est néanmoins en face du même personnage, William Randolph Hearst et Orson Welles partagent ont en commun beaucoup plus qu’il n’y paraît. Ils sont tous les deux mégalomanes, persuadés qu’ils peuvent changer la face du monde à eux seuls. Mais surtout, ils n’hésitent pas à manipuler et à tordre les faits pour satisfaire leurs ambitions, Hearst en détruisant la réputation de Sinclair et Orson Welles en se présentant comme le seul véritable génie du film.

[Fin des spoilers]

Et c’est un des gros points noirs du film. Si Mank est globalement réussi, il en fait des tonnes à certaines occasions sur la question de la paternité du scénario de Citizen Kane. Mankiewicz est présenté comme le véritable génie derrière l’histoire et Orson Welles comme un tyran mégalomane et égoïste, n’ayant par participé à son élaboration : un schéma trop caricatural, manichéen et très loin de la vérité selon les historiens du cinéma. On aurait très bien pu s’en passer. Fincher manque de partialité dans le traitement de cette partie du film, ce qui est assez ironique voire hypocrite de la part d’un réalisateur qui avait l’intention de vouloir rétablir la vérité tout en montrant une histoire assez biaisée.

On peut aussi reprocher à Mank un rythme très inadapté à l’histoire. En effet, pour ceux qui n’ont pas encore vu le film, je recommande à quiconque souhaitant le regarder de se renseigner sur le contexte cinématographique et politique de l’époque. Fincher a poussé le sens du réalisme très loin. Mank est un film très bavard. Il y a beaucoup de discussions en rapport avec l’actualité ce qui risque de perdre voir d’ennuyer le spectateur, chose que j’ai beaucoup entendu au sujet de ce film. Je ne considère pas cela comme un défaut. Cependant, ce qui est assez fâcheux est que Fincher va à toute vitesse. Il ne prend pas le temps de se poser, d’avoir une mise en scène plus calme et plus lente. La cadence est trop rapide. Elle ne nous laisse pas suffisamment de temps pour s’immerger dans l’univers de cette époque.

Quoiqu’il en soit, de tout ce qui a été dit, ce film ne m’a pas laissé indifférent. Si j’ai trouvé le film passionnant, il divisera certainement les spectateurs. Je pense qu’il fera date dans la filmographie de Fincher. Reste à savoir si cela sera pour de bonnes ou mauvaises raisons.

Pour ce qui est de l’avenir de Mank, les critiques américains semblent parier sur une nomination du film pour les Oscars. Ce qui après tout n’est pas à écarter, étant donné le nombre de films sortis cette année et les thèmes abordés (Hollywood adore les films qui parlent de lui). Nous verrons bien.

Thibault Benjamin Choplet









 


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ROBERT SIODMAK (1904 - 1973)