duminică, 21 februarie 2021

Leni Riefenstahl: carti, filme, articole

 


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RÉSUMÉ
Danseuse, actrice fétiche des films de montagne, cinéaste révolutionnaire, photographe remarquable, plongeuse hors pair, Leni Riefenstahl (1902-2003) est, aux yeux du monde, la cinéaste qui s'est fourvoyée en se mettant au service du nazisme. En 1932, sa rencontre avec Adolf Hitler change son destin. C'est un coup de foudre réciproque. Dès son accession au pouvoir, elle accepte la direction artistique du film du Congrès du Parti nazi à Nuremberg en 1934, Le Triomphe de la volonté, l'archétype du film de propagande. Puis elle réalise en 1936 le film officiel des Jeux olympiques, Les Dieux du stade, qui devient un succès mondial. Après la guerre, échappant à la dénazification, Leni Riefenstahl est souvent détestée. Néanmoins, son héritage est immense et les plus grands cinéastes, de Steven Spielberg à George Lucas, reconnaissent aujourd'hui son influence. Seuls l'art et l'esthétique ont compté pour elle, et c'est bien ce reproche qui encombre sa mémoire et obscurcit sa postérité. Sans l'aduler ni la condamner, Jérôme Bimbenet perce le mystère de la « douce amie du Führer » qui n'a jamais connu la moindre once de remords, de compassion, de culpabilité ou de conscience politique. Jusqu'à la fin, quand on l'interrogera sur sa responsabilité, elle ne cessera de répondre : « Où est ma faute ? »

Jérôme BIMBENET

Historien du cinéma, Jérôme Bimbenet est l'auteur de Quand la cinéaste d'Hitler fascinait la France (2006) et Film et histoire(2007).

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Notes de lecture
Cinéma, théâtre, télévision

Jérôme Bimbenet, Quand la cinéaste d’Hitler fascinait la France, Leni Riefenstahl

Paris, Lavauzelle, coll. Histoire, mémoire et patrimoine, 2006, 312p.
Vincent Lowy
p. 362-365
Référence(s) :

Jérôme Bimbenet, Quand la cinéaste d’Hitler fascinait la France, Leni Riefenstahl. Paris, Lavauzelle, coll. Histoire, mémoire et patrimoine, 2006, 312 p.

Texte intégral

1À la fin du mois de mars 2007, l’actrice américaine Mia Farrow, ambassadrice de l’unicef, se disait scandalisée que le cinéaste Steven Spielberg soit rémunéré par la Chine en tant que consultant, en vue de préparer les Jeux Olympiques de 2008 (Éditorial du Wall Street journal 28/03/07). Faisant référence à la fois à l’implication de Pékin dans les crimes génocidaires perpétrés par le régime soudanais au Darfour et à l’activisme de Steven Spielberg en faveur de la mémoire de la déportation et de la destruction de Juifs d’Europe, l’actrice brandissait la comparaison la plus dégradante à ses yeux pour stigmatiser les compromissions du cinéaste : « Does Mr. Spielberg really want to go down in history as the Leni Riefenstahl of the Beijing Games ? » [M. Spielberg veut-il vraiment rester dans l’histoire comme le Leni Riefenstahl des jeux de Pékin ?]. Il n’a pas fallu attendre une semaine pour que le réalisateur incriminé envoie une lettre au sujet du Darfour au leader chinois Hu Jintao.

2Le constat est sans appel : le nom de Leni Riefenstahl reste indissolublement lié aux heures sombres de l’Allemagne et garde son odeur de soufre. Pourtant, alors que les années passent, son œuvre pourrait légitimement être redécouverte, réévaluée à la lumière de nouvelles contributions critiques ou de recherche. Mais c’est l’inverse qui se produit : après un semblant de réhabilitation dans les années 90, elle redevient abusivement l’icône du national-socialisme à l’heure de la médiatisation de masse, scénographe de la gloire nazie et par extension muse d’Adolf Hitler Un travail de dépoussiérage s’impose donc, dans une nécessaire remise en perspective des mécanismes du f Im documentaire et de la propagande d’État à l’âge des totalitarismes. Contribution d’importance à ce travail de redécouverte d’une œuvre complexe, la recherche de Jérôme Bimbenet sur Leni Riefenstahl passionnera d’abord ceux qui s’intéressent au cinéma produit sous le IIIe Reich. On y trouve une somme considérable d’informations nouvelles que le chercheur ne pouvait jusqu’ici découvrir ni dans les propres ouvrages de la cinéaste (ses mémoires controversés et ses albums de photographie, les plus fameux portant sur les Noubas), ni dans les quelques analyses esthétiques ou historiques que son travail avait jusque là suscitées.

3Pourtant, Jérôme Bimbenet ne parvient pas vraiment à situer le registre de son travail. Dès les premières lignes, l’auteur proteste : Quand la cinéaste d’Hitler fascinait la France n’est pas une biographie de Leni Riefenstahl, mais une étude de la réception de ses films en France. L’auteur y épouse malgré tout le déroulement chronologique d’une carrière pleine de péripéties, d’une vie rocambolesque. Sans doute ce qui distingue cet ouvrage est qu’il s’appuie sur des analyses de film approfondies, des études de la presse de l’époque, des éléments d’analyse d’image et de lecture de f Im. Il en résulte un travail un peu hétéroclite, mais qui donne une bonne occasion de revenirsur la trajectoire unique de la cinéaste à travers le filtre de l’accueil que ses f Ims ont reçu en France.

4Leni Riefenstahl naît en 1902 dans la bourgeoisie berlinoise. Après des débuts de danseuse, dans le sillage de Max Rheinardt notamment, elle se tourne vers le cinéma au milieu des années 20, à la suite d’une blessure. Ses premières réussites en tant qu’actrice sont à mettre à l’actif du spécialiste des films de montagne de l’époque, Arnold Franck Der heilige Berg (La montagne sacrée) est la grande œuvre de cette époque (1926) et conduit Leni Riefenstahl, désormais prototype de l’Allemande élancée et sportive, sur les plateaux du grand cinéaste Georg W. Pabst. En 1929, Die weisse Hölle vom Piz Palü (Prisonniers de la montagne) est le deuxième échelon de cette marche triomphante vers les hautes cimes du cinéma germanique. Alors qu’elle enchaîne Tempêtes sur le Mont Blanc et autres Ivresse blanche avec Arnold Franck, Georg W. Pabst pousse l’actrice à passer derrière la caméra. En 1932, son premier film Das blaue Licht (La lumière bleue) ne retient l’attention que de quelques cinéphiles, parmi lesquels on compte Adolf Hitler. Leni Riefenstahl découvre quant à elle son futur commanditaire dans un meeting du Sportpalast en 1932. C’est l’enthousiasme : « À l’instant où il prit la parole, je me trouvais submergée de façon ahurissante par une vision quasi-apocalyptique qui ne me quitterait plus : j’eus l’impression très physique que la terre s’entrouvrait devant moi comme une orange fendue par son milieu et jaillirait un jet d’eau immense, si puissant et si violent qu’il attendrait le sommet du ciel et que la terre en serait secouée dans ses fondements » (p. 26).

5Dès lors, son parcours est inséparable de celui qui, en 1933, devient Führer de l’Allemagne et la propulse pour longtemps au purgatoire des cinéastes maudits. Dès l’avènement du nouveau Reich, Leni Riefenstahl devient une figure de proue du régime, malgré l’inimitié persistante que lui voue le docteur Goebbels, Gauleiter de Berlin et chef de la propagande nationale-socialiste, inimitié que la cinéaste met sur le compte du dépit amoureux. Cinéaste officielle en chef la réalisatrice bénéficie également de l’épuration des studios impulsée par le nouveau pouvoir : le départ des cinéastes, des producteurs et des techniciens majeurs de Weimar pour la France ou les États-Unis laisse l’industrie du cinéma allemand en jachère : les « Unes » de la presse spécialisée sont disponibles pour de nouvelles têtes d’affiche.

6Finalement, Leni Riefenstahl signe peu de films à la gloire du national-socialisme : Der Sieg des Glaubens en 1933, Tag der Freiheit et Triumph des Willens en 1935, Festliches Nürnberg en 1937 et Olympia en 1938. Ce n’est pas grand-chose, comparé à la production documentaire de masse de la propagande nazie. Mais Leni Riefenstahl a d’emblée fait le choix de la qualité au détriment de la quantité. Les premiers films sont des esquisses, certes décisives, mais la grande œuvre reste celle de 1938, superproduction diffusée en France sous le titre resté fameux Les dieux du stade. Jérôme Bimbenet relate tout ce qu’il faut savoir sur la genèse de ces différents films, sur les pratiques techniques, professionnelles et relationnelles de la cinéaste, qui invente littéralement un nouveau vocabulaire filmique, dédié à la gloire du régime nazi. L’auteur montre avec clarté comment ces films constituent également une matrice pour l’ensemble des films de propagande à venir : le cinéma américain des années 1942-1946 s’est largement inspiré d’un corpus d’images fourni parles équipes de Leni Riefenstahl. Au-delà, des films plus récents de science-fiction ou d’anticipation s’en réclament également. La réalisatrice a indubitablement inventé une nouvelle forme de regard sur la société et marqué l’histoire des formes au XXe siècle. Jérôme Bimbenet offre une vue imprenable sur cette carrière, conduite au culot par une pionnière sans équivalent dans les cinématographies du monde libre (on chercherait en vain une femme réalisatrice de prestige en France, en Angleterre ou à Hollywood dans les années 30).

7La fin de carrière est également intéressante. Par sa longévité, d’abord : une rallonge d’une cinquantaine d’années, pendant laquelle la grande dame visite la planète caméra au poing, à la recherche du beau intégral, qu’elle trouve tantôt sous les océans, tantôt parmi les peuplades primitives. Intéressante également parce que dans cette interminable fin de parcours (elle décède en 2003, à l’âge de 101 ans), la cinéaste s’épargne toute forme d’autocritique ou besoin de justification, contrairement à un Veit Harlan, tourmenté jusqu’au bout par ses démons. Il faut dire que Leni Riefenstahl n’a jamais fait de film antisémite et a pris quelques distances avec les hiérarques nazis à partir de 1937 (même si sa relation privilégiée avec Albert Speer a duré jusqu’à la fin des années 60). Seul impair aux yeux des victimes des crimes nazis : l’emploi certainement forcé de figurants tziganes, « empruntés » au camp de concentration de Maxglan dans son film Tiefland (grand projet commencé en Espagne en 1934, tourné pendant les années de guerre avec l’aide de Georg Wilhelm Pabst et achevé au début des années 50 grâce à Henri Langlois). La cinéaste a longtemps nié avoir compris d’où venaient ces figurants et où ils allaient (ils ont vraisemblablement été gazés à Birkenau), jusqu’à ce que des témoignages tardifs l’incriminent directement. Cette polémique entamée au début des années 50 la poursuivra jusqu’en 2002 lorsqu’elle « s’engagea par écrit à ne plus jamais déclarer qu’il restait des survivants parmi les Tsiganes de Tiefland » (p. 287). Il semble tout de même que sa découverte de la nature profondément criminelle du national-socialisme date de septembre 1939, lorsqu’un massacre de civils polonais s’est déroulé sous ses yeux. Malgré cela, elle gardera une nostalgie pour la grandeur des premières années du IIIe Reich, comme s’il n’existait aucune relation entre ces différents moments de sa vie. Ne confiait-elle pas lors des Jeux de Munich en 1972, face au stade de la ville, plus imposant mais moins élégant que le Sportpalast de 1936 : « C’est grand, oui, mais ce n’est pas beau. La beauté est kaputt ! ». Nous touchons là aux limites d’un personnage faussement énigmatique, qui semble parfois dépourvu de toute forme de conscience, de besoin de comprendre, comme si l’argument esthétique valait tous les autres.

8Mais Jérôme Bimbenet analyse surtout, et c’est le sens de son travail, la réception des différents films de Leni Riefenstahl en France, postulant que les dirigeants du Front populaire sont allés puiser chez elle leur engouement pour la culture physique et la vie au grand air II le fait à grand renfort d’extraits d’articles de la presse de l’époque. C’est sans doute là que l’entreprise de Jérôme Bimbenet devient hasardeuse : il y a bien eu un effet Riefenstahl dans la presse spécialisée française mais, pour autant, peut-on réellement parler de fascination, comme l’indique le titre de l’ouvrage ? Cet aspect a visiblement suscité des remous lors de la soutenance de thèse de l’auteur Laissons-lui la parole : « Les membres du jury avaient du mal à envisager la vision d’un Front populaire cherchant un modèle (même simplement sportif) en Allemagne nazie. La remise en cause d’une période intouchable de l’histoire de France récente a été difficilement acceptée. Les sources pourtant existent mais l’auteur de la thèse a pu se rendre compte que l’on ne pouvait impunément aller contre l’idéologie dominante (p. 289). Plus convaincante est l’analyse des films eux-mêmes et surtout la relation de la deuxième partie de la carrière de Leni Riefenstahl. Toutefois, on peut regretter que dans cet ouvrage, aucun élément ne soit donné s’agissant l’attitude et les activités de Leni Riefenstahl pendant la guerre. En effet, il y a en effet très peu d’informations dans la continuité du récit sur les années entre 1939 et 1945. L’auteur, s’il n’a rien trouvé à relater à ce sujet, aurait dû expliquer cette ellipse et renvoyer le lecteur à des ouvrages plus biographiques. Dernier point : quel est le sens de cette accroche racoleuse, qui n’est pas vraiment confirmée par l’analyse des sources : Quand la cinéaste d’Hitler fascinait la France ? Dommage que ce mauvais titre, inutilement polémique, reflète si mal la richesse de l’ouvrage qu’il désigne.

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Pour citer cet article

Référence papier

Vincent Lowy, « Jérôme Bimbenet, Quand la cinéaste d’Hitler fascinait la France, Leni Riefenstahl », Questions de communication, 12 | 2007, 362-365.

Référence électronique

Vincent Lowy, « Jérôme Bimbenet, Quand la cinéaste d’Hitler fascinait la France, Leni Riefenstahl », Questions de communication [En ligne], 12 | 2007, mis en ligne le 12 avril 2012, consulté le 21 février 2021. URL : http://journals.openedition.org/questionsdecommunication/2475 ; DOI : https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.2475

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Auteur

Vincent Lowy

Université Marc Bloch-Strasbourg 2
CREM, université Paul Verlaine-Metz
vincentetmarion@yahoo.com

« Histoire du cinéma nazi »

Couverture du livre Histoire du cinéma nazi par Francis Courtade et Pierre Cadars


de Francis Courtade et Pierre Cadars

Type
ETUDES
Sujet
PAYS > ALLEMAGNE
Mots Clés
IDÉOLOGIE NAZIEALLEMAGNEHISTOIRE DU CINÉMA
Année d'édition
1972 (ÉPUISÉ OU DIFFUSION RESTREINTE)
Editeur
ERIC LOSFELD
Collection
(HORS COLLECTION)
Langue
FRANÇAIS
Taille d'un livre de poche 11x18cmTaille relative de ce livreTaille d'un grand livre (29x22cm)
Taille du livre
Format
BROCHÉ • 397 PAGES • ? €
18 X 24 CM
ISBN
-
Appréciation
4 étoiles (2 VOTES)

Description de l'ouvrage :
Prix littéraire du syndicat français de la critique de cinéma 1973 (alias prix Armand-Tallier).

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Leni Riefenstahl: carti, filme

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Leni Riefenstahl a réalisé des chefs-d’oeuvre. Mais des chefs-d’oeuvre à la gloire des nazis. C’est bien ce qu’on reproche à cette réalisatrice, travaillée toute sa vie par ses deux passions : la beauté et sa propre personne.

Rallye de Nuremberg (1934, Allemagne, Troisième Reich) : Adolf Hitler à la tribune du rassemblement du Parti. Au 1er plan, Leni Riefenstahl lors d'un tournage pour le film "Triomphe de la volonté"
Rallye de Nuremberg (1934, Allemagne, Troisième Reich) : Adolf Hitler à la tribune du rassemblement du Parti. Au 1er plan, Leni Riefenstahl lors d'un tournage pour le film "Triomphe de la volonté" Crédits : Ullstein Bild - Getty

Février 1932, Sportpalast, Berlin, meeting d’Adolf Hitler : 

À l’instant où il prit la parole, je me trouvais submergée par une vision quasi apocalyptique : j’eus l’impression très physique que la terre s’entrouvrait devant moi comme une orange soudain fendue par son milieu et dont jaillirait un jet d’eau immense, si puissant et si violent qu’il atteindrait le sommet du ciel, et que la terre en serait secouée dans ses fondements. Je me sentais paralysée, son discours exerçait sur moi une véritable fascination. Aucun doute, j’étais contaminée. Leni Riefenstahl

Leni Riefenstahl n’avait jamais entendu parler d’Hitler avant cela. Mais peut-on la croire ? Toute sa vie, elle a menti, trompé, réécrit son histoire dans un seul but : se blanchir, elle qui a profité du Troisième Reich pour se faire une carrière, elle qui était la réalisatrice de propagande en chef d’Adolf Hitler. À son crédit, 5 films pour les nazis : le triptyque de Nuremberg, autour du Triomphe de la volonté, film du congrès du NSDAP en 1934, et le double film Olympia (Les Dieux du Stade), sur les Jeux Olympiques de 1936. 

Leni Riefenstahl (1902-2003) à sa table de montage (1935)
Leni Riefenstahl (1902-2003) à sa table de montage (1935) Crédits : Domaine public - Wikipédia

Le Triomphe de la volonté est une ôde à Hitler, Olympia, une ôde au nazisme. Elle filme dans le premier la nation comme un corps unifié, dans le second le corps comme l’idéal des nations. Des films pour lesquels l’administration nazie a débloqué des moyens financiers et techniques illimités, tout entiers au service du talent et des obsessions de Leni Riefenstahl. 

Où est ma faute ? De quoi suis-je coupable ? Je n’ai pas lancé de bombe atomique, je n’ai dénoncé personne ! Alors où est ma faute ? Leni Riefenstahl 

Et on peut être tenté de se ranger de son côté… Même sa procédure en dénazification après la guerre ne lui reconnaît pas d’importance dans le Reich. Pourtant, la grande victoire de Riefenstahl, c’est d’avoir construit l’image du national-socialisme, c’est d’avoir séduit, par le pouvoir de l’image, l’Allemagne et l’Europe, c’est d’avoir montré au monde les nazis comme ils voulaient qu’on les voie, à l’époque mais pas seulement… Car nos représentations du nazisme, ce sont celles que Leni Riefenstahl a filmées. 

Je ne suis heureuse que lorsque je vois quelque chose de beau. La laideur, la misère me répugnent. Diriez-vous que la beauté est fasciste ? Leni Riefenstahl en 1980

29 avril 1938 : La réalisatrice Leni Riefenstahl avec Adolf Hitler et Joseph Goebbels. Ses films de propagande nazie dont "Le Triomphe de la Volonté" ont été chaleureusement accueillis par Hitler.
29 avril 1938 : La réalisatrice Leni Riefenstahl avec Adolf Hitler et Joseph Goebbels. Ses films de propagande nazie dont "Le Triomphe de la Volonté" ont été chaleureusement accueillis par Hitler. Crédits : Collection Bettmann - Getty

Intervenants

Archives INA : Reportage de Pierre Dac, dans le Tyrol, pour la Radiodiffusion française en mars 1945

Bibliographie


  • Leni Riefenstahl, la cinéaste d’Hitler, Jérôme Bimbenet (éditions Tallandier, 2015)
  • Riefenstahl, Lilian Auzas (éditions Léo Scheer, 2012)
  • Le national-socialisme et l’antiquité, Johann Chapoutot (PUF, 2012)
  • Mémoires, Leni Riefenstahl, traduites par Laurent Dispot (Grasset, 1997)
  • Leni Riefenstahl et le 3ème Reich, Glenn B. Infield (éditions Seuil, 1978)
  • Le pouvoir des images (1993), film documentaire de Ray Müller (Production / Diffusion : ARTE Allemagne, Nomad Films, ZDF -Zweites Deutsches Fernsehen-)

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    Indécente réhabilitation de Leni Riefenstahl
    par Lionel Richard 

    Le 22 août 2002, Leni Riefenstahl atteignait l’âge de 100 ans. Événement si considérable que, d’un bout du monde à l’autre, la communication médiatique internationale n’a pas manqué d’en répercuter l’écho. Cette marche au pas fut orchestrée avec la sortie sur les écrans de sa dernière oeuvre : « Impressions sous-marines ». Et nous voilà bombardés des expressions stéréotypées de circonstance, la toute nouvelle centenaire étant présentée comme une “éternelle jeune fille”, une “figure mythique”, une “légende vivante”, une “aventurière fabuleuse” !…

    Dans les nombreux entretiens qu’elle a accordés après la guerre, ainsi que dans ses Mémoires de 1987, l’ancienne égérie de Hitler s’épuise à s’autojustifier. Certes, elle a été fascinée par le Führer dès 1932 et elle a cru en la politique national-socialiste. Mais elle n’a jamais été raciste, elle n’a jamais travaillé pour la propagande nazie, elle ignorait tout de la répression contre les antifascistes, les persécutions contre les juifs, les Tsiganes, et sa seule préoccupation a toujours été la Beauté.

    SOUPÇON D’INFAMIE

    La Lumière bleue (en allemand : Das Blaue Licht) est un film allemand, mystique, romantique et finalement tragique, de 1932 écrit et réalisé par Leni Riefenstahl, Béla Balázs et Carl Mayer.

    Pour la réalisation de « La lumière bleue », son premier film, en 1931, elle avait demandé à l’écrivain hongrois et théoricien du cinéma Béla Balász, émigré en Allemagne, de l’aider à venir à bout de son scénario. Au début de 1933, comme il n’a toujours pas été payé pour ce travail et qu’il s’installe à Moscou, il lui réclame son dû. Comment réagit-elle ? Le 11 décembre 1933, elle donne “pleins pouvoirs” au dirigeant nazi le plus agressivement antisémite, Julius Streicher, avec qui elle s’est récemment liée d’amitié lors du tournage, à Nuremberg, de « La victoire de la foi ». Elle lui confie la mission de régler la “réclamation” formulée par “… le juif Béla Balász” (sic).

    Le litige, on s’en doute, était en de bonnes mains. Qui plus est, la cinéaste, s’avisant de ressortir « La lumière bleue » en 1938, a profité d’une nouvelle copie pour enlever la mention de la collaboration de Balász comme co-scénariste. Le film, qui perd aussi dans son générique le nom de son producteur, Harry Sokal, un autre “juif”, devient ainsi jusqu’à sa troisième copie, en 1953, “… une légende de la montagne, racontée et mise en images par Leni Riefenstahl”.

    L’autre affaire concerne « Bas-pays ». En octobre 1940, puis en septembre 1941, son scénario exigeant des Espagnols, elle leur substitua des Tsiganes sélectionnés dans un camp, à Maxglan, près de Salzbourg. Elle a toujours nié s’être rendu à Maxglan. Elle a intenté à ce sujet, après 1945, deux procès en diffamation qu’elle a gagnés. Mais elle est loin d’avoir été lavée, pour autant, du soupçon d’infamie.

    Le jour de son centenaire, le parquet de Francfort annonçait qu’une plainte avait été déposée contre elle par l’association des Tsiganes de Cologne. Motif : atteinte à la mémoire des victimes raciales du nazisme. En avril 2002, au cours d’un entretien avec un journaliste du quotidien Frankfurter Rundschau, elle avait prétendu que le groupe des Tsiganes utilisés pour « Bas-pays » n’avait compté aucune perte. Or, selon les auteurs de la plainte, plus de la moitié de ces Tsiganes, travailleurs forcés, ont été déportés à Auschwitz, où ils sont morts.

    L’Histoire devrait-elle enfin laisser Leni Riefenstahl en paix ? La célébration de son centenaire apparaît un peu trop, en tout cas, comme l’apogée d’une réhabilitation. En 1966, en dépit des protestations des associations juives, une rétrospective de ses films fut organisée au Musée d’art moderne de New York. En 1973, à Telluride, dans le Colorado, elle fut l’invitée d’honneur du premier festival “féministe” de cinéma. Raison avancée : hommage était rendu au “génie” de l’artiste, non à l’individu qui avait pu adopter certaines positions politiques. Ensuite, les rituels de reconnaissance au ; de la cinéaste sont allés bon train. Le succès de son livre de photos sur la tribu soudanaise des Noubas lui apporta une immense publicité. Exaspérée par le “… flot d’articles et d’entretiens respectueux dans les journaux et à la télévision”, l’essayiste américaine Susan Sontag dénonça la nature fasciste de son esthétique. 1

    UN PACTE AVEC HITLER
    La chaîne franco-allemande Arte ne pouvait rester à l’écart – elle avait déjà diffusé en 1993, pour les 90 ans de Mme Riefenstahl, une apologie de Ray Müller en trois heures. A son catalogue de vente figurent, par ailleurs, six vidéocassettes, soit près de douze heures d’images, visant à faire connaître l’oeuvre de l’une des “… personnalités les plus importantes et les plus controversées de l’histoire du cinéma”. Le 15 août, les téléspectateurs français ont donc eu droit à une soirée Thema concoctée par Alexander Bohr pour la chaîne allemande ZDF. Avec quelques moments mémorables…

    Devant les étagères d’archives conservées par Leni Riefenstahl, la journaliste Sandra Maischberger lui demande, en voyant un dossier sur les Tsiganes qui ont servi de figurants dans « Bas-pays » : “Pourquoi gardez-vous donc tous ces papiers ?” Réponse : “Parce qu’il y a eu aussi des éléments négatifs dans ma vie…”. Aveu de culpabilité ? Pas le moins du monde : la cinéaste évoque simplement le tracas des procès qu’elle a dû entreprendre contre ceux qui, estime-t-elle, la diffamaient. Les téléspectateurs n’en sauront pas plus. En tout, vingt secondes. On en restera là pour les Tsiganes.

    Les propos sur le nazisme et sur les films qu’elle a tournés à partir de 1933 étaient presque aussi expéditifs. « Le triomphe de la volonté » n’a rien de politique, dit-elle. Comme en 1936 avec Olympia, son film en deux volets sur les Jeux olympiques, elle ne s’est résolue à y travailler qu’en vertu d’un pacte avec Hitler : liberté lui serait donnée, par la suite, de se consacrer à ses projets personnels. En résumé, il convient de voir en elle une victime du nazisme.

    Le pire, c’est l’occultation complète, par cette soirée Thema, du contexte historique dans lequel s’est effectuée sa carrière. Contrairement à ses allégations, tous ses films de l’époque nazie ont été financés par les institutions officielles, et tous, à l’exception de « Bas-pays », resté inachevé en 1945, ont reçu l’aval du ministère de la propagande.


    Leni Riefenstahl

    Estampiller ces films comme chefs‑d’oeuvre artistiques est une insulte aux grands pionniers du cinéma mondial. On minimise les moyens à la disposition de la réalisatrice, et les acquis antérieurs du cinéma allemand qu’elle a intégrés à la machinerie de la propagande nazie. Quel est son apport personnel ? Un esthétisme fabriqué d’un arsenal rhétorique de procédés : sublimation des critères classiques de beauté, exaltation de la force et de l’énergie, virtuosité des puissances de suggestion et de séduction…

    Arte s’est bornée à diffuser deux films qui n’avaient pas été réalisés sous le IIIe Reich. Les limites du talent de Leni Riefenstahl n’en apparaissent que mieux. « La lumière bleue », qui n’a pas eu le succès que lui prêtent ses hagiographes, est surtout du kitsch néoromantique. Quant à « Impressions sous-marines », le tout dernier-né, fondé sur la fascination exercée par la prétendue beauté des poissons, c’est un mouvement continu d’images qui devrait se révéler excellent pour endormir les enfants.

    Non, la reconnaissance des valeurs culturelles n’est pas compatible avec l’amnésie. Leni Riefenstahl a beau proclamer, afin de justifier les prises de vue de ses cameramen dans les fonds marins, que son intention est de pousser à la protection de la nature, elle a trop failli devant la primordiale protection des êtres humains pour que lui soit octroyée, même en son grand âge, l’auréole d’une “conscience humaniste”.

    Digne d’admiration, elle ne l’est ni par sa vie ni par ses films. Elle l’est par sa vitalité, sa volonté, sa résistance physique, et par sa chance d’avoir maintenant passé, toujours solide et sans que ses facultés intellectuelles soient manifestement amoindries, le cap des cent ans. Est-ce quelque chose qui mérite un concert médiatique à tous vents ?

    Lionel Richard
    Professeur émérite à l’université de Picardie, est l'auteur de l’essai «Le Nazisme et la Culture», éditions Complexe, Bruxelles, 2001.


    « La douce amie du Führer », Leni Riefenstahl

    Fascinant Fascisme est le titre provocateur d’un essai de Susan Sontag, publié en 1975 (Sous le signe de Saturne, Seuil, 1985), dont le retentissement fut important dans la communauté de ceux qui s’intéressaient aux rapports entre l’éthique et l’esthétique, ou à la signification politique du mouvement de libération sexuelle. Sontag essayait de mettre en évidence l’influence insidieuse et persistante de l’esthétique fasciste dans la vie sexuelle des sociétés démocratiques, influence qui s’exprimait, d’après elle, dans l’attraction de plus en plus répandue pour les relations sadomasochistes et la quincaillerie érotique qui les accompagne.

Les 100 ans de Léni Riefenstahl : retour du même

François Albera
p. 104-106
Texte | 

Texte intégral

1En août dernier, les rituelles évocations de Leni Riefenstahl ont pris un éclat particulier en raison du centenaire de l'actrice, danseuse, cinéaste et photographe allemande. Arte lui consacra donc une soirée « Théma » le 15 août provenant de la ZDF qui évita d'inscrire la cinéaste dans le contexte politique qui voit son avènement et omit d'aborder la question de son comportement politique dans la société nazie, pour édifier sa statue d'« artiste » et l'étayer par la diffusion de La Lumière bleue (1931) et d'Impressions sous-marines, son dernier film... En 1993, un long film de Ray Müller, Le Pouvoir des images, avait permis à la cinéaste de prendre la parole et le pouvoir dans le film pour justifier une fois de plus son ingénuité d'artiste, suscitant les mêmes commentaires circulaires que récemment. Depuis l'après Deuxième Guerre mondiale, en effet, le discours à son propos est le même, particulièrement florissant dans les années soixante (via le MoMA, Jean Cocteau, Film Culture et les Cahiers du Cinéma), analysé, semble-t-il une fois pour toutes, par Susan Sontag en 1974 dans « Fascinant fascisme »1. Un discours fondé sur la banale dissociation esthétique / idéologie permettant de sauvez l'artiste des errements de l'égérie nazie. Mais ce discours se fonde désormais sur l'occultation des recherches historiques la concernant dont un ouvrage jamais réédité, jamais cité et pourtant décisif, celui de Glenn B. Infield, Leni Riefenstahl et le IIIe Reich. Cinéma et idéologie 1930-1946 (Seuil, « Fiction & Cie », 1978 [1976]) qu'avaient précédé toute une série d'articles, tel celui d'Erwin Leiser dans Cinéma 69 (n° 133 de février 1969 : « La vérité sur Léni Riefenstahl et "le Triomphe de la volonté" »), un film de 1982, Die Zeit des Schweigens und der Dunkelheit de Nina Gladitz sur le tournage de Tiefland et le recrutement de Tziganes dans des camps de concentration. S'y ajoutent des mises au point récentes et sans appel, en Allemagne, de Jürgen Trimborn (Riefenstahl. Eine deutsche Karriere. Biographie, Berlin, Aufbau Vg, 2002) et Lutz Kinkel (Die Scheinweferin Leni Riefenstahl und das "Dritte Reich" », Hamburg, Europa Vg, 2002).

2Pour cette anniversaire les journaux français y sont donc allés de la molle reconduction du topos, Lionel Richard étant le seul à réagir à ce qu'il a appelé « L'indécente réhabilitation de Leni Riefenstahl » (Le Monde diplomatique, octobre 2002). À Barcelone, par contraste le supplément de La Vanguardia (n° 10, supplément « Cultura » du 21 août 2002) faisait appel aux universitaires Angel Quintana, Vicente Benet et V. Sanchez-Biosca pour un solide dossier, « La huella estética de Leni Riefenstahl » reliant l'esthétique de ce cinéma aux analyse de Kracauer sur « l'ornement de masse » et aux réflexions d'Elias Canetti, à l'exception d'un billet outrancier de Jordi Costa qualifiant de fasciste... Amélie Poulain à partir du « programme » de lecture imposé par Les Inrockuptibles !

3À la Cité Universitaire à Paris, à l'automne, un colloque sur Riefenstahl fit salle comble autour d'un de ses biographes, prompt à des déclarations du genre : « Elle ne pouvait pas être nazie, regardez le traitement équitable des différentes nations ou races dans Olympia, qui vont à l'encontre des idées de Hitler ». On sait au contraire qu'elle respecta à la lettre les consignes du régime. L'organisation des Jeux (attribuée à la République de Weimar) s'inscrit à l'époque dans la politique officielle visant à occulter les aspects négatifs de la vie sous le IIIe Reich : réintégration au dernier moment d'athlètes juifs allemands (qui avaient peu de chance de gagner quelque médaille, ayant été interdits d'entraînement depuis des années), masquage des croix gammées dans les rues, imagerie de rencontre pacifique où tous les peuples se rejoignent dans la fête, etc. Au reste, l'examen un tant soit peu attentif du montage de ce film (dans ses différentes versions nationales) ne laisse pas de doute sur sa logique de construction autour de Hitler.

4Quant à l'« œuvre », au lieu de la replacer dans le contexte socio-culturel de l'époque, d'y voir au mieux un emblème des grands idéaux culturels et esthétiques allemands de l'entre-deux guerres (de la culture du corps ou du rythme de la danse à la nouvelle vision photographique, en passant par les caméras mobiles des bergfilms), dans leur version « terminale », totalitaire (celle dont Kracauer dirait qu'elle n'a jamais cessé de fonctionner, puisque présente au cœur de nombreux dispositifs de la culture de masse), on cherche encore et toujours à construire sa « génialité », échappant au poids de son époque.

5La connaissance du contexte tant artistique (la danse) que sportif (les Jeux) permet pourtant de rompre avec la mythologie de l'esthétique riefenstahlienne. Des études et des rééditions remettent en lumière les courants d'expressivité corporelle autour de Laban, Wigman, etc. qui, comme Riefenstahl, adopteront d'ambiguës positions par rapport au IIIe Reich quand ce n'est pas de franche compromission (voir Laure Guilbert, Danser sous le IIIe Reich. Les danseurs modernes sous le nazisme [Bruxelles, Complexe, 2000]). Une récente exposition sur « La mise en scène du corps sportif » au Musée olympique de Lausanne (due à Gianni Haver et Laurent Guido) inscrit également le filmage des athlètes dans un courant de « dressage » du corps qui part de Demenÿ et passe par Hollywood (catalogue).

6On est d'autant plus étonné de voir Kevin Brownlow préfacer, avec la chaleur de la nostalgie de son enfance éblouie par les « dieux du stade », la réédition d'Olympia (de 1937) chez Taschen...

7Jérôme Bimbenet, par contre, a soutenu en début d'année à Nanterre, une thèse sur « Léni Riefenstahl et la France » dont un article de L'Histoire de novembre dernier donnait un avant-goût :

Poussé par une presse dithyrambique, Olympia obtient un triomphe mondial. La première partie du film, intitulée Les Dieux du stade en français, sort le 1er juillet 1938 à Paris au cinéma Normandie, sur les Champs-Élysées. La seconde partie, Jeunesse olympique, est projetée à partir du 19 août 1938. Les deux films sortent dans toute la France dès septembre 1938 et restent près d'un ans sur les écrans, jusqu'au 8 août 1939 !
À part L'Humanité qui ignore superbement Leni Riefenstahl, la presse est unanime : de l'extrême droite, qui voit d'un bon œil cet apologie de l'Allemagne, à la gauche socialiste, qui perçoit le film comme un remarquable témoignage sur les jeux de Berlin et une incitation à développer la politique sportive en France. De fait, Leni Riefenstahl devient l'une des femmes les plus médiatisées du Paris d'avant-guerre. Elle effectue trois visites dans la capitale. La première pour la présentation du Triomphe de la volonté, début juillet 1937. La deuxième lors de la sortie des Dieux du stade. La troisième en janvier 1939 : elle donne à cette occasion une conférence à la Maison de la chimie. À chacune de ces visites, Paris Soir, Le Jour I Écho de Paris, L'Époque, L'Intransigeant, parmi bien d'autres publications, toutes tendances politiques confondues, présentent le compte rendu circonstancié de la journée de Mlle Riefenstahl, appelée aussi « la Pompadour du IIIe Reich », « la douce amie du Fùhrer » ou plus souvent « la dictatrice du cinéma allemand ». Entre courses, coiffeur, cocktails et rencontres avec l'intelligentsia parisienne (le couple Sacha Guitry - Jacqueline Delubac, Mistinguett, Abel Bonnard de l'Académie française, etc.), les Parisiens perçoivent Leni Riefenstahl comme la face présentable d'un régime dont ils refusent de voir le vrai visage. Son discours pacifiste les rassure. Cette femme célèbre, cinéaste (il n'y en avait guère à l'époque), émancipée et toute-puissante dans un régime éminemment machiste ne peut que les fasciner. Hitler n'aurait pu rêver meilleure ambassadrice.

8Signalons enfin un numéro de Filmblatt dont une grosse partie des études sont consacrées à Riefenstahl, notamment de Martin Loiperdinger, auteur de travaux sur ses films dans les années quatre-vingt2.Notes

1 « Fascinating Fascism », The New York Review of Books, Saturne (Seuil « Fiction & Cie », 1985).

2 Filmblatt n° 21, Hiver-printemps 2003.

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Pour citer cet article

Référence électronique

François Albera, « Les 100 ans de Léni Riefenstahl : retour du même », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze [En ligne], 40 | 2003, mis en ligne le 22 mai 2008, consulté le 21 février 2021. URL : http://journals.openedition.org/1895/3512

L'OBS

Leni Riefenstahl a 100 ans

Leni Riefenstahl a fêté ses cent ans jeudi. Le parquet de Francfort ouvre une enquête contre elle pour "négation de l'Holocauste".

Par L'Obs / Publié le 23 août 2002 à 04h19

Les films qu'elle a réalisés pour Adolf Hitler lui ont valu la disgrâce après la guerre mais Leni Riefenstahl, qui fêtait ses 100 ans jeudi, considère toujours "Le Triomphe de la volonté" ou "Les Dieux du stade" comme ses meilleures réalisations, exhaltations du beau et non oeuvres de propagande au service de l'idéologie nazie.

Malgré son âge et ses problèmes de santé, Leni Riefenstahl reste piquante et active. Elle vient d'ailleurs d'achever son premier film depuis près d'un demi-siècle, "Impressions sous-marines", un documentaire de 45 minutes qu'elle a tourné au cours de plongées dans l'océan Indien de 1974 à 2000.

"Je ne vois pas de quoi je devrais m'excuser", déclare la réalisatrice allemande, interrogée par l'agence Associated Press à Berlin. "Je ne peux pas présenter d'excuses, par exemple, pour avoir fait 'Le Triomphe de la volonté": il a remporté le premier prix. Tous mes films ont gagné le premier prix."

Pour "Le Triomphe de la volonté", documentaire sur Hitler au congrès du Parti national-socialiste de Nuremberg en 1934, Leni Riefenstahl disposait de 40 caméras et d'une équipe de 120 personnes, réalisant avec une technique et une invention étonnantes des images d'une beauté fascinante.

Antisémitisme

"On peut l'utiliser pour la propagande", reconnaît la cinéaste, "mais en soi, ce n'est pas un film de propagande: il n'y a absolument aucun commentaire, il n'y a pas le moindre mot antisémite dans mon film." "Mes soi-disant opposants disent 'Leni Riefenstahl est nazie', hein? De nombreux journalistes m'ont accusée, mais ils n'ont aucune preuve!"

"Elle n'a peut-être pas été antisémite, mais elle était consciente de ce qui se passait", juge Rainer Rother, auteur d'une biographie, "Leni Riefenstahl: la Séduction du talent". "Le national-socialisme signifie au moins que vous ne dites pas non à l'antisémitisme: c'est quelque chose qu'elle doit avoir su et calculé à l'époque", ajoute-t-il. Pour lui, il s'agit surtout d'opportunisme: "Personne d'autre à l'époque ne pouvait obtenir autant de caméramen. Elle a utilisé, d'une certaine façon, le système pour une oeuvre d'art mais elle a aussi servi l'idéologie. Ses films sur les rassemblements (nazis) sont soigneusement construits pour soutenir le message du parti."

"Tout le monde était ensorcelé" par le Fuhrer, a souvent répété Leni Riefenstahl. Les images, notamment des "Dieux du stade", sur les Jeux olympiques de 1936 à Berlin, parlent d'elles-mêmes. Stigmatisée, la réalisatrice s'est tournée vers la photographie, exhaltant, par exemple avec les Noubas au Soudan, la beauté des hommes -des surhommes, diront ses détracteurs qui y retrouvent l'esthétique nazie.

Silence

"J'ai toujours vu plus le bon et le beau que le laid et le malade", rétorque-t-elle dans son entretien à l'AP. "Mon optimisme fait que je préfère naturellement capturer la beauté de la vie."

Pendant la Seconde guerre mondiale, elle réalise "Tiefland", une fiction pour laquelle sont recrutés des dizaines de tziganes dans des camps de concentration où ils seront renvoyés après le tournage. L'association Roma e. V. a porté plainte contre la cinéaste pour "négation de l'Holocauste".

Si une commission d'enquête la qualifie de "sympathisante du régime nazie", aucune condamnation n'est prononcée à son égard. A plusieurs moments de sa vie, elle reconnaîtra avoir été "naïve" dans son appréciation de la politique hitlérienne.

Mais dans les très rares interviews que Leni Riefensthal accorde désormais, elle refuse de répondre aux questions qui portent sur cette partie de sa vie.

100 ans

Helene Bertha Amalie Riefenstahl est née à Berlin en 1902. Après des études d'art, elle devient danseuse au début des années vingt. Puis, elle fait ses premiers pas au cinéma dans un film sur l'alpinisme réalisé par le spécialiste du genre: Arnold Franck. Très sportive, elle joue sans doublure dans des films de montagne acrobatique comme "Prisonniers de la montagne" (1929) ou "Tempête sur le Mont-Blanc" (1930).

En 1932, elle est à la fois interprète, productrice et réalisatrice de "La lumière bleue" où elle escalade des sommets les pieds nus. Bien que ses documentaires soient plus acclamés, ce film métaphorique reste son favori car "l'action, l'histoire et aussi la reproduction le rendent particulièrement beau et pictural".

Mariée en 1944 à un officier allemand, Peter Jacob, union qui dura trois ans, sans enfant, elle vit aujourd'hui avec son assistant de longue date, Horst Kettner. "C'est le second Leni Riefenstahl", dit-elle de lui, "Il est avec moi à 100% pour tout. On pourrait dire que c'est mon étudiant, car il est plus jeune que moi de 40 ans!"

A 100 ans, Leni Riefenstahl traîne toujours derrière elle la sale image héritée de la guerre, mais elle espère quand même qu'on se souviendra autrement d'elle, que l'on retiendra "la vérité: que je suis une femme industrieuse qui a travaillé très dur toute sa vie et a reçu beaucoup de reconnaissance". (AP)

L'Obs

https://www.nouvelobs.com/monde/20020822.OBS9034/leni-riefenstahl-a-100ans.html

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Vous vous souvenez du film de G.K.Galabov & Sophie Zhang réalisé en 2017 à l’occasion de la publication du roman de Philippe Sollers Beauté ? Non ? Il y est question d’Helene Riefenstahl, dite Leni. La séquence commence juste après l’interprétation par Martha Argerich du Capriccio de la Partita n° 2 de Bach. Sollers y lit un chapitre de son roman intitulé « Films ». Passage de la beauté lumineuse en acte (musicale) à la contre-beauté spectaculaire (ici cinématographique). Regardez la séquence : vous remarquerez — ce n’est pas dans le texte — l’apparition, en incrustation, de la mère de Staline, profondément laide, et, pour finir, des images splendides de femmes tutsis du Rwanda d’après le génocide de 1994 [1].

Si je reviens sur ce roman et cet extrait, c’est que, après que France Culture a diffusé, le 10 octobre, un documentaire Leni Riefenstahl (1902-2003) : Ein Volk, ein Reich, eine Leni, la chaîne arte vient de programmer Leni Riefenstahl — La fin d’un mythe, un film avec des archives inédites s’appuyant sur un livre sorti en octobre, en Allemagne, Leni Riefenstahl – Karriere einer Täterin, une biographie de Nina Gladitz qui apporte des éléments nouveaux sur une cinéaste qui aura réussi non seulement, dès 1936, à mythifier et à formater pour des décennies le filmage télévisé des Jeux Olympiques, mais à mystifier — et à survivre — par ses mensonges jusqu’à sa mort, à 101 ans, en 2003, d’un cancer (et non du SARS-CoV-1).


Cinéma, cinéma, cinéma : Helene Riefenstahl, dite Leni

 9 NOVEMBRE 2020      PAR ALBERT GAUVIN

FILMS

Hitler, désintégré par lui-même en 1945, aurait aujourd’hui 127 ans. Staline, mort en 1953, momifié puis démomifié, aurait, lui, 137 ans. Mao, momifié en 1976, serait encore en pleine forme, à 123 ans. Ces noms pèsent des kilotonnes dans !’Histoire. On ne les approche qu’avec effarement et effroi.

Celui qui a le mieux compris le devenir­ cinéma universel est Hitler. Il suffit d’ouvrir une télévision, et de glisser d’une chaîne à l’autre, pour constater qu’il est là, sans arrêt, avec émergence d’archives inédites longtemps interdites, que vous contemplez désormais colorisées. Vous avez tellement l’habitude de voir les mêmes images des camps d’extermination, en noir et blanc, avec leurs amoncellements de cadavres squelettiques et de déportés hagards, que ce brusque passage dans la couleur vous épate. C’est bien le même abruti qui vocifère, le bras tendu, devant des masses extatiques (plein de femmes en transe) , mais, au lieu d’apparaître en ange des ténèbres avec son brassard à croix gammée, le voici pimpant, détendu, presque primesautier, et sa fidèle compagne, Eva Braun, blonde et ronde, sportive, mignonne, aime son monstre raide comme s’il était sa poupée.

Cinéma, cinéma, cinéma. Surgit un génie de la manipulation grandiose : Helene Riefenstahl, dite Leni, morte tranquillement en Bavière à 101 ans. Hitler lui a donné des moyens tech­ niques gigantesques, des grues pour filmer de tous les côtés à la fois, et, surtout, la permission d’être dans sa voiture pour populariser sa figure en tous sens. Devenu le personnage principal du grand film mondial, Hitler se dépasse en 1935, à Nuremberg, dans Le Triomphe de la volonté. Leni ira encore plus loin, l’année sui­ vante, pour les jeux Olympiques de Berlin. Olympia, c’est elle, et son chef-d’œuvre s’appelle Les Dieux du stade. Pauvre Pindare sans caméra ! Sa poésie sublime est noyée par cette femme émancipée, amoureuse de centaines de corps athlétiques saisis dans leurs héroïques efforts. La délégation française défile en faisant le salut nazi. On interviewe Leni : son visage d’oiseau de proie minaude quand on lui demande si elle a eu une histoire d’amour avec Hitler : « Je l’ai connu en 1932, avant son arrivée au pouvoir. » Comme c’est bien dit !

Les films de Leni Riefenstahl sont-ils beaux ? En un sens, oui, puisqu’ils atteignent une sorte de perfection dans la laideur. Le numéro de marionnette de Hitler, en surplomb de millions d’envoûtés, parvient à des sommets de contre­ beauté. Les jeux Olympiques de Berlin contre Olympia de Manet : il n’en faut pas moins pour démontrer la supériorité de Manet.

Leni avait une dévotion magique pour le corps masculin. Elle filme un de ses amants allemands, qui, hélas, ne court pas assez vite. Exclu. Plus tard, elle se lance à la poursuite photographique de Noirs africains admirablement effilés, les Noubas. Increvable, elle enchaîne sur la plongée sous-marine. Elle échappe à tous les jugements, gagne des tas de procès en diffamation, et finit, via un cancer, par mourir dans son sommeil en 2003, à l’âge de 101 ans. Médaille d’or, en forme de croix gammée. 1902-2003 : tout le 20e siècle.

Le Rwanda a stupéfié le monde entier avec ses massacres de Tutsis par les Hutus, à la machette (800 000 morts). L’Afrique fantôme est là, dans les bois pleins de cadavres jusque dans les églises, et les femmes tutsis qui ont survécu rallument la vie pour leurs enfants, et s’occupent de tout. Elles sont grandes, très belles, avec des boubous de toutes les couleurs. Elles ont vu tuer leurs maris, leurs pères, leurs mères, ainsi que les bébés dont les crânes ont été fracassés contre les murs. Leur regard vient de plus loin que la nuit. Elles n’ont jamais entendu parler de Leni.

La vieille Leni Riefenstahl, avec toujours, sur les lèvres, le même sourire indéchiffrable, aura donc vu, de son vivant, la divinisation de Hitler et celle de Staline, les ruines de Berlin et la découverte des atrocités nazies, la bombe d’Hiroshima et la naissance de l’État d’Israël, l’arrivée au pouvoir de Mao à Pékin, le premier pas sur la lune et la chute du mur de Berlin, la dislocation de l’empire soviétique et la réunification de l’Allemagne, l’attentat contre le World Trade Center et le surgissement de l’islamisme radical, le passage à l’euro et l’incroyable prospérité allemande. Pour elle, au fond, tout ça n ’aura été que du grand cinéma. Dans son petit coin de Bavière, elle décline doucement, elle s’enfonce, elle plonge. Essayez donc de la retrouver à vingt mille lieues sous les mers.

Beauté, 2017, folio 6545, p. 108-111.

Leni Riefenstahl photos

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Laurence Olivier (1907-1989)