miercuri, 10 februarie 2021

Mank, film 2020 / David Fincher / cronici

 




LORIS·CRITIQUES FILMS NETFLIX· 6 DÉCEMBRE 2020

MANK, l’héritage paternel des Fincher – Critique

Après Alfonso Cuarón puis Martin Scorsese, Netflix s’offre un nouveau grand nom en la personne de David Fincher. Il signe son nouveau long-métrage intitulé Mank, un biopic en noir et blanc à la fois surprenant, fascinant et déconcertant.

Mank est le diminutif sympathique de Herman J. Mankiewicz, scénariste américain qui officia durant la fameuse période dite de l’ âge d’or Hollywoodien, entre les années 1930 et 1950. Il est rentré dans l’Histoire du cinéma pour son scénario du légendaire Citizen Kane d’Orson Welles. C’est Gary Oldman qui l’interprète, dépeint ici comme un alcoolique invétéré et visiblement peu inquiet à l’idée de cacher son vice aux yeux d’autrui et bénéficiant d’un humour assez caustique. L’acteur américain, sans véritable surprise, se révèle formidable en doux rêveur passant la majeure partie du film alité ou titubant. De son côté, David Fincher, dont nous n’avions plus de nouvelles depuis Gone Girl il y a 6 ans (2014), décide de revenir sur le moment où Mank conçut le scénario sur une commande de Welles.

La naissance du nouveau projet de David Fincher sur Netflix ressemble à une affaire de famille. Un certain Jack Fincher est crédité au générique d’ouverture dans la catégorie scénario et après quelques recherches, il s’agit en réalité du père du cinéaste, ex-journaliste qui aurait entrepris d’écrire le récit relatant la genèse du « meilleur film de l’histoire du cinéma » sur les conseils de son fils, il y a de cela des années. Alors que beaucoup pensait le tourner fin des années 90 avec un casting apparemment pré-établi, ce ne fut pas le cas et voilà que le film débarque en 2020 dans un contexte tout particulier et qui plus est sur une plate-forme de streaming.

Une première absolue pour le réalisateur, dont les relations avec les studios ont toujours été compliquées et c’est un euphémisme. Nous avons tous en tête l’exemple très connu du cas Alien 3, mais récemment encore, Fincher ne trouvait pas d’accord définitif dans ce qui aurait pu être l’après Gone Girl, à savoir la suite du blockbuster World War Z avec Brad Pitt. Sans doute sa vision du monde, très sombre, voir nihiliste et le traitement qu’il apporte à ses personnages, souvent enfermés dans leur propre solitude ne doivent pas toujours faciliter les négociations avec les boîtes de production. Heureusement pour nous spectateurs, l’homme s’accroche toujours très fort à ses convictions et à une esthétique remarquable, en témoigne une filmographie impressionnante, d’une qualité bien difficile à remettre en question. Pour en revenir à MANK, deux questions se posent avant la vision : avec ce sujet, Fincher reste-t-il fidèle à son cinéma et d’une manière générale, est-ce qu’un tel film aurait pu sortir en salles financé de manière « traditionnelle » ?

Objet de cinéma évidemment fascinant, mais pas pour tout le monde, Mank oblige pour la première fois David Fincher à rompre son style habituel.

Dès les premières minutes, MANK se présente techniquement comme un hommage fétichiste aux films des années 30-50. Il y a tout d’abord un noir et blanc évident, imposé par David Fincher, mais aussi un traitement sonore particulier, aux effets de réverbération appuyés et qui transforment légèrement la voix de tous les comédiens. Exactement comme ce que nous pouvons entendre en relançant un long-métrage de cette époque. L’exemple le plus probant est caractérisé par la voix incroyable de l’acteur jouant Welles ; il suffit de fermer les yeux pour croire à son retour, le temps de rares séquences où ce dernier est évidemment montré dans toute sa puissance mégalomane. La mise en scène traditionnelle dite « Fincherienne » s’efface ici au profit de celle appelée mise en scène de la transparence, qui caractérise particulièrement bien cette période.

Tous les plus grands s’y prêtaient, de Howard Hawks à Michael Curtiz en passant par le Hitchcock des débuts, avant de partir dans une forme plus transgressive, avec la complicité de l’abandon du code Hays. Il s’agissait de cadrer les acteurs de la manière la plus imperceptible possible, la caméra étant censée « s’effacer » devant leurs prestations et leurs mouvements dans l’espace, d’où le terme de transparence. Ainsi Fincher accompagne la plupart des déambulations de ses protagonistes via de légers travellings et autres recadrages lorsque l’un se lève ou s’assoit. Les plans fixes pullulent également. L’hommage est tellement poussé que l’on notera même la présence des fameuses tâches noires, ces repères de changement de bobine que l’on verra par la suite jusqu’à l’avènement du numérique. Ce jusqu’au-boutisme technique se déguste au fil des minutes et saura réjouir les cinéphiles les plus exigeants.

Contribuer à réjouir les cinéphiles dans un geste de cinéma qui a tout pour fasciner. Sans doute était-ce présent dans la note d’intention de son auteur, or MANK est plus difficile que cela à appréhender, notamment pour les autres, dirons-nous, qui n’accorderont peut-être pas la même importance à l’enrobage séduisant, mais pourront se retrouver déconcertés par un récit assez fantasque et non linéaire, à l’image de son protagoniste principal après tout, truffé d’allers-retours temporels pas toujours évidents pour favoriser l’immersion. Dans ces nombreux flashbacks, on y parle beaucoup, avec une verve et un tempo soutenu et souvent politique.

On peut toutefois se laisser prendre au jeu de la sorte de parodie mise en scène par Fincher au sein du studio de la MGM et de son patron Louis Mayer notamment, mais il n’est pas évident pour qui ne connaît pas l’histoire d’origine de cerner immédiatement les enjeux, contrairement aux tête-à-tête entre Mank et Marion Davies, éternelle maîtresse de l’homme qu’il jalouse et qui va devenir sa principale source d’inspiration pour créer le magnat de la presse mégalo Charles Foster Kane dans Citizen Kane (William Randolph Hearst). Certainement amoureux d’elle, Mank se noie dans l’alcool et fait preuve d’une véritable audace dès lors qu’il s’éclipse devant son épouse pour aller flirter avec ou lorsqu’il se lance, saoul, dans un monologue plein d’insinuations perfides à l’encontre de son patron et de William Randolph Hearst lors d’un dîner.

Il faut aller au bout pour découvrir tous les thèmes brassés par MANK durant 2h12, le plus évident étant celui du sempiternel rapport entre un auteur/artiste et sa création et en quoi peut ressembler la phase de conception, l’inspiration tutoyant le génie et la folie.

Il y a aussi la relation très particulière toujours d’actualité à Hollywood entre le scénariste et le réalisateur, deux visions qui peuvent parfois diverger, un cas avec lequel David Fincher est sans doute familier et tout naturellement la question du fameux final cut, qui revient sur le tapis ici lors de la conclusion, de manière détournée.

Welles retrouve Mank après avoir découvert une première version complète du script et se met dans une colère folle lorsque le scénariste demande à être crédité au générique. Le lien avec la question du final cut, ordinairement bataille entre le réalisateur et les producteurs, qui mettent la main sur les dernières versions du montage pour procéder à des modifications, est évident lorsque nous découvrons le nom de Welles avec celui de Mank sur le carton de fin dans la catégorie scénario, ancré dans la même volonté de s’approprier l’oeuvre. « Savez-vous pourquoi Welles est crédité avec vous ? » demande un journaliste à Mank. À cette question, ce dernier préfère répondre avec légèreté, mais elle symbolise une certaine industrie Hollywoodienne à laquelle s’est heurtée souvent David Fincher de toute évidence.

Mank n’est rien de ce que l’on pouvait attendre de lui, ce qui en fait sa meilleure qualité ou son plus grand défaut, c’est selon.

MANK a tout d’une œuvre à part dans la filmographie de David Fincher. Revenir sur la conception d’un des plus grands films de l’histoire d’Hollywood à l’âge d’or des majors et le découvrir sur Netflix est surprenant. D’aucuns y verront une nouvelle preuve du cynisme de son auteur, disons que l’ironie a plus d’évidence, surtout si l’on se penche sur les événements qui ont amené la plate-forme à s’y intéresser, après des collaborations satisfaisantes mais apparemment pas si fructueuses que cela, sur les deux excellentes saisons de Mindhunter.

Objet de cinéma évidemment fascinant, mais pas pour tout le monde, MANK ne ressemble en rien à ce que l’on pouvait attendre de lui, ce qui en fait sa meilleure qualité ou son plus grand défaut, au choix. Quoi qu’il en soit, après 6 ans d’absence derrière la caméra, il était temps de retrouver David Fincher, qui nous avait bien « manké ».Loris Colecchia

https://www.leblogducinema.com/critique/critique-film/mank-lheritage-paternel-des-fincher-critique-7829765/

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MANK

Dans ce film qui jette un point de vue caustique sur le Hollywood des années 30, le scénariste Herman J. Mankiewicz, alcoolique invétéré au regard acerbe, tente de boucler à temps le script de Citizen Kane d’Orson Welles. 

CRITIQUE DU FILM

Mank est un film qui ressemble à la fois à son auteur, David Fincher, mais aussi à son sujet, l’auteur et scénariste Herman J. Mankiewicz, qui a fait la gloire des dernières années du cinéma muet dans les grands studios Hollywoodiens. Comme toujours chez Fincher, le fond et la forme se conjuguent pour explorer des terrains complexes qui se révèlent presque insondables. Pour essayer de défricher les nombreuses pistes narratives mise en place dans Mank, il convient d’explorer plusieurs thèmes précis.

ÊTRE SCENARISTE A HOLLYWOOD EN 1930

Tout d’abord, la problématique de l’écriture dans un système de production fondé sur une idée presque politique de la conception d’une œuvre d’art. Les studios hollywoodiens devenus omnipotents dans les années 1920, sont des systèmes pyramidaux d’une grande verticalité. Les décisions viennent du sommet, et les grands directeurs de l’époque se nomment Louis Mayer, Jack Warner ou encore Sam Goldwyn. La notion de cinéaste auteur est encore inconnue, chaque poste est rempli par un employé de la firme, plus ou moins connu et donc plus ou moins servile, avec une tâche à accomplir. Mankiewicz est un scénariste, et en cela il n’est qu’un petit rouage dans ces grosses entreprises puissantes et autoritaires. Mank s’attache à souligner la précarité et les différences de traitements à l’intérieur même de la profession. Les salaires peuvent être faibles, et les récompenses artistiques menues. Un homme aussi reconnu que Herman Mankiewicz n’a pas vu son nom figurer au générique de plusieurs des films qu’il a écrit. Cette question ressurgit jusque dans son rapport avec Orson Welles, qui préfigure une nouvelle espèce de cinéastes : les décideurs. Jusqu’ici seuls quelques uns comme Ernst Lubitsch, génie allemand recruté très tôt par les studios du muet, avaient pu tirer leur épingle du jeu.

Mank

Cet attrait pour la condition des techniciens et employés des studios transparait dans la deuxième thématique importante du film : la relation entre Mank et Welles. Fincher montre un Welles absent presque total de la conception du scénario de son premier film. S’il est allé chercher Mankiewicz c’est pour son coté irrévérencieux et décalé, pas pour lui faire partager l’affiche à ses cotés. La mégalomanie de Welles, ses colères, la façon dont ses apparitions sont mises en scène, tout porte à croire que c’est un élément important dans la construction du personnage qu’il interprétera dans Citizen Kane. Si le film s’évertue à établir la paternité du personnage à William Randolph Hearst, comme cela a toujours été supposé, on retrouve beaucoup d’Orson Welles dans cet homme avide de notoriété, de pouvoir et de lumière.

MANK LE DEMIURGE

Le génie de Mank se révèle alors, tant dans l’aspect composite de son histoire, que dans la matière dans laquelle il puise ses idées. C’est dès lors une œuvre somme, presque testamentaire, lui qui n’écrira plus beaucoup après ce projet. Fincher prend un malin plaisir à lui aussi calquer sa mise en scène avec le film qui est en train de s’écrireCitizen Kane est connu pour être un labyrinthe dont les corridors se multiplient comme les points de vue, pour n’avoir comme clef de voute le seul Kane. Ici le centre est Mank, et lui aussi a droit a de multiples flashbacks pour raconter son histoire. Le récit prend dès lors un aspect méta délicieux qui fait s’entrecroiser les deux matériaux. Le film biographie devient un film conscient de lui-même, presque son propre démiurge. Mankiewicz est acteur de sa propre histoire, mais il en est également un observateur avisé. Toute la frustration accumulée est la moelle qui constituera Citizen Kane.

Mank fait dès lors beaucoup penser à Social Network, l’une des plus grandes œuvres de David Fincher. On y retrouve la même envie jouer avec la narration avec de nombreux allers-retours, ainsi que le même trouble sur la vérité de ce que l’on découvre scène après scène. Tout se mêle pour délivrer une partition où le vrai est jumeau du faux, accouchant d’une vision très personnelle de l’humanité. S’il aime à radiographier l’industrie cinématographique, jusqu’à égratigner à peu près tout le monde au passage, Mank est avant toute chose, et tout comme Social Network, le portrait d’un homme profondément malheureux et dépressif qui a toujours peiné à trouver sa place dans le monde. Si Jesse Eisensberg jouait un asocial incapable d’intéresser ses compagnes féminines, Gary Oldman lui campe avec gloire un homme décrit comme un “bouffon” qu’on aime avoir auprès de soi pour le divertissement de sa voix et de ses histoires.

David Fincher est décidément un réalisateur particulier dans sa manière de déployer des récits aussi plein que déroutants. Il est ironique de noter que ce film qui réfléchit et illustre les travers du monde du cinéma intervient au moment où son auteur abandonne le cinéma diffusé en salle pour vendre une exclusivité à la plateforme Netflix. On vient à se demander quelle satire pourra un jour être produite sur ces auteurs qui ont fuit le cinéma pour une quête de lumière plus immédiate et plus facile, abandonnant le partage de l’expérience collective qui fut pourtant la base de cet art depuis plus d’un siècle.

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CITIZEN FINCHER

NOTRE AVIS SUR MANK

Synopsis : Dans ce film qui jette un point de vue caustique sur le Hollywood des années 30, le scénariste Herman J. Mankiewicz, alcoolique invétéré au regard acerbe, tente de boucler à temps le script de Citizen Kane d’Orson Welles.

 

Des années qu’on attendait de revoir David Fincher aux commandes d’un film. Car mine de rien, Gone Girl c’était il y a 6 ans déjà. Six longues années durant lesquelles le génie du bonhomme a été gaspillé sur des projets inaboutis (la suite de World War Z par exemple) avec pour seule satisfaction, son excellente série Mindhunter produite pour Netflix. Netflix justement, c’est encore là que l’on retrouve un Fincher ayant annoncé vouloir continuer à bosser avec la plateforme pour les années à venir, invoquant (et vantant) une liberté créatrice totale qui change des désidératas et autres règles imposées impactant le cinéma hollywoodien actuel. Avouons qu’un projet comme Mank aurait eu bien du mal à jaillir des cuisines d’un studio de « l’usine à rêves » qu’est Hollywood. David Fincher y raconte la genèse du légendaire Citizen Kane d’Orson Welles à travers l’histoire de son scénariste, le fantasque et très alcoolisé Herman Mankiewicz (incarné par Gary Oldman). Le tout en noir et blanc, en mono et façon film des années 40.

De la part de David Fincher, on était en droit d’attendre de la complexité, de l’exigence, une patte, une vision d’artiste différente, loin de tout classicisme ampoulé. Tout ce qu’il propose avec Mank, biopic qui ne ressemble presque en rien à un biopic, davantage à une plongée fiévreuse et bouillonnante dans le Hollywood des années 30/40 en reproduisant un étrange mélange nourri d’une part aux codes des films de l’époque et d’autre part avec la folie artistique qui a fait de Citizen Kane ce qu’il est aujourd’hui, un incroyable chef-d’œuvre visionnaire à l’audace radicale. Ce que l’on retient souvent du classique d’Orson Welles, outre ses plans d’une beauté scandaleuse, c’est sa (dé)construction alambiquée orchestrée autour d’une enquête pour comprendre. Comprendre qui était ce fameux Charles Foster Kane, quel était le sens de ce dernier mot (« Rosebud« ) prononcé dans un soupir. Au gré des interviews d’un journaliste qui s’accompagnent de flashbacks, la vie de cet énigmatique magnat de la presse se dévoile et les mystères se dissipent. Reproduisant ce modèle inspirant afin, au passage, de lui rendre hommage, c’est comme ça que fonctionne Mank, par des flashbacks lui-aussi, qui dévoilent petit à petit pourquoi et comment est né Citizen Kane, portrait d’un magnat inspiré de la vie du puissant William Randolph Hearst. Mais un biopic sur Orson Welles n’aurait pas été un vrai point d’intérêt à creuser. Trop simple, trop facile. S’attarder sur Herman Mankiewicz son scénariste, oui. Là il y avait un vrai sujet fort aux yeux de Fincher (et de son père Jack Fincher, qui avait ce script dans les années 90). Peut-être moins glamour pour le cinéma hollywoodien (un grand nom tel que Welles vs l’histoire du scénariste de l’ombre) mais tellement plus pertinent. C’est là que le côté « carte blanche » made in Netflix entre en piste. Un film « historique » sur l’histoire d’un scénariste, complexe, intellectualisé, vif et tourné en noir et blanc avec l’esthétique de l’époque, Hollywood aurait passé son tour. Pas la plateforme, si fière de « signer Fincher ».

Libre de toute contrainte et diktat, Fincher s’est lâché. Le cinéaste signe un film qui fuse à deux cents à l’heure. Mank fuse sur le plan narratif d’abord, avec un tempo particulier qui lui propre, collant à l’ambiance bouillonnante du microcosme hollywoodien de l’âge d’or. Il fuse aussi dans la retranscription de cet Hollywood, avec une folie quasi obsessionnelle de l’hyper-réalisme. Au diable le besoin de tout simplifier pour le confort du sacro-saint « grand public », Fincher n’en a cure et que ce soit dans la pure reconstitution historique ou dans les noms qui traversent l’histoire, le réalisme prime sur tout au point de destiner le film à un type de spectateur assez cinéphile dira t-on. Si vous ne savez pas qui sont Louis B. Mayer, Irving Thalberg, William Randolph Hearst, Joseph Mankiewicz, Marion Davies, Joseph von Sternberg et consorts… bah renseignez-vous avant, pendant, après. Une chose est sûre, Mank n’est pas là pour tout prémâcher, expliquer et faciliter la prise la main. Cet ultra-réalisme, on le retrouve jusque dans la technique et les choix artistiques, Fincher ayant calqué son œuvre sur celle de Welles, reprenant les effets de mise en scène de Citizen Kane, reproduisant sa photo voire allant jusqu’à utiliser le son mono de l’époque (autant dire qu’Hollywood aurait eu du mal à lâcher le stéréo actuel). Au cœur de cette folie complètement déroutante, Gary Oldman. Fabuleux comme souvent quand son génie surclasse tout, l’acteur livre une composition ahurissante, totalement dévouée à son personnage qu’il incarne sans retenue, mais néanmoins sans surjeu grotesque non plus.

La seule contrepartie à cette démarche hallucinée et hallucinante, c’est que Mank apparaît parfois un peu fouillis, mélange d’extrême bavardage et d’errements narratifs tortueux, certes voulus mais épuisants. Pas de quoi entacher la beauté somptueuse d’une œuvre folle mais il en devient parfois un peu rude. Dans le même temps, on ne peut que saluer une œuvre exigeante qui tranche d’avec les productions trop souvent malléables d’aujourd’hui, pensées davantage pour le confort que pour élever le spectateur. Mank est du vrai et du grand cinéma, dans toute sa splendeur.

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Le vertigineux miroir de Citizen Kane

écrit par Robert Pénavayre 9 décembre 2020 10:09

Mank, un film de David Fincher

Sur le sujet, simple en apparence, de l’écriture d’un scénario, sauf qu’il s’agit ici de celui du chef d’œuvre absolu du cinéma qu’est le Citizen Kane d’Orson Welles (1941), David Fincher nous immerge dans le Hollywood des années 30 au cœur d’un tourbillon aussi hallucinant que vertigineux. Oscars en vue !

Mank 2

Joseph Mankiewicz, réalisateur de génie mais aussi de la plus grande catastrophe industrielle du cinéma, Cléopâtre (1963), avait un frère, plus âgé de douze ans, et connu aujourd’hui pour avoir été un scénariste hors pair. C’est lui qui, entre autres titres de gloire, signe le scénario oscarisé en 1942 de Citizen Kane. Le film de David Fincher commence au moment où ce scénario vient de lui être commandé pour son premier long métrage par un jeune cinéaste de 24 ans : Orson Welles. Déjà convoité par tous les studios et les plus grands cinéastes, Herman Mankiewicz, surnommé Mank, est connu pour un alcoolisme permanent et des idées plus démocrates que républicaines. En 1940, à la suite d’un accident de voiture qui le handicape sérieusement, Mank se retrouve littéralement enfermé dans un ranch perdu au fin fond du désert californien, certes assisté, mais avec pour seule obligation d’écrire, depuis son lit de douleur, le fameux scénario. Entre cette chambre/prison et le destin de Mank se construit alors une suite de flash-backs qui nous fait remonter le temps et nous met en présence des plus grands noms du 7ème art de cette époque et en particulier des propriétaires des fameux studios de la MGM :  Louis B. Mayer (Arliss Howard) et Irving Thalberg (Ferdinand Kingsley), sans oublier une nuée de starlettes et notamment Marion Davies (Amanda Seyfried) qui fut pendant trente ans la maîtresse du milliardaire William Randolph Hearst (Charles Dance, l’impressionnant Mountbatten de la série The Crown). C’est justement lui qui sert de modèle à Mank pour le personnage de Kane. Soulignons que ce magnat de la presse, dont dépendait en partie l’équilibre financier de la MGM, essaya, en vain, d’interdire le tournage et ensuite la sortie du film de Welles. C’est donc tout un univers à l’apparence flamboyante mais guidé par des intérêts soit simplement financiers et industriels, soit personnels (Hearst tente systématiquement d’imposer sa maîtresse dans les productions de la MGM alors que Thalberg fait la même chose avec son épouse, l’actrice Norma Shearer). Alors que la grande dépression s’abat sur les USA, bousculant sérieusement le modèle économique d’Hollywood, Hearst invente les fake news en faisant tourner par la MGM de fausses actualités afin de battre le candidat démocrate aux élections locales.  Tout cela et bien d’autres choses émaillent un récit cinématographique qu’il faut bien reconnaître d’une densité …redoutable.

Mank

Tourné dans un Noir et Blanc somptueux, avec des plans à l’ancienne, semblant venir d’un autre monde, celui de notre mémoire de cinéphile certainement, ce film devrait dérouler un vrai tapis rouge vers les prochains Oscars pour Gary Oldman, Mank incroyable de duplicité, entre bonhommie et manipulation. La mise en scène est d’une virtuosité hallucinante d’efficacité. Particulièrement exigeant pour le spectateur, Mank aurait-il trouvé sa place dans les grands circuits de distribution ? Dans tous les cas, Hollywood n’en a pas voulu et le cinéma indépendant, pour d’autres raisons, non plus. NETFLIX ne s’est pas fait prier longtemps, mettant ainsi la main, après les frères Coen, Martin Scorsese et bientôt George Clooney, sur une autre grande signature du 7ème  art, David Fincher.

Exclusivement sur NETFLIX

Robert Pénavayre


David Fincher

David Fincher – En route pour les Oscars

Dès l’âge de 8 ans, David se passionne pour l’image et tourne ses premiers films…familiaux. Admirateur inconditionnel de George Lucas, il intègre à 18 ans, en 1980, la société d’effets spéciaux de ce dernier. Il y restera quatre ans, y accumulant une somme impressionnante de savoirs. A tel point que David Fincher va créer sa propre société de production. Puis c’est le grand saut et la réalisation d’un premier long. Et pas n’importe lequel. Rien moins que le troisième opus de la saga Alien. C’est le début d’une suite ininterrompue de succès dont les titres font rêver : Seven, The Game, Fight Club, The Social Network, etc. Mank, dont le scénario est signé de son père, Jack Fincher, apporte une pierre de plus à l’édifice incontestablement somptueux de ce réalisateur hyper pointilleux.

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Critique publiée par le 

Premier film de David Fincher en six ans, Mank est bâti tout entier sur un paradoxe qui a de quoi surprendre : mise en lumière des êtres voués à l’ombre, mise en images de cette chose a priori si peu cinématographique que l’on nomme “écriture”. Comme si, pour son grand retour sur le devant de la scène, le cinéaste se devait de revenir à l’essentiel, à la prime origine de la création, celle où l’Homme est nu face à ses propres maux, celle où l’artiste gagne sa dignité en combattant par les mots sa page blanche. Ou, plus précisément, sa propre inertie existentielle.

Ce rapport aux mots est d’ailleurs le lien privilégié qu’il entretient avec le célèbre Citizen Kane, film dans lequel on déclare la guerre à travers un titre de presse, on fait éclore ses idéaux sur un simple bout de papier, on prête aux dernières paroles d’un mourant le pouvoir magique de faire tomber tous les secrets. Le mot peut dès lors devenir le principal défenseur du vrai, à partir du moment où on l’utilise avec un minimum d’authenticité. Ce n’est pas pour rien, donc, si David Fincher – sous l’égide de son père, lui-même scénariste méconnu- place au cœur de son film un “script doctor” : un médecin sans nom qui tente de guérir les scénarios malades, un artisan de l’ombre qui cherche à réparer ce que les Stars du jour ont promptement cassé.

Ainsi, on comprend que la fameuse polémique autour de la paternité de Citizen Kane a tout du faux sujet (l’influence de Welles sur le scénario n’est, d’ailleurs, nullement éludée), Fincher préférant creuser une intrigue bien plus intimiste ou introspective, faisant du travail d’écriture imposé à Herman J. Mankiewicz (isolé en plein désert, il a soixante jours pour finir le script) la subtile allégorie de la renaissance ou de la rédemption : emprunter le chemin des mots, c’est cheminer vers l’authentique, vers la restauration d’une estime de soi bien trop longtemps salie par un monde décati. La convalescence de Mankiewicz a donc tout du purgatoire : avec un corps cassé aussi bien par un accident de voiture que par l’alcool, et avec une personnalité constamment rudoyée par un système hollywoodien qui l’exploite et le méprise (qualifié, par exemple, de “simple scénariste” par Thalberg), il ne peut espérer le salut qu’à travers une sagacité enfin retrouvée. Une renaissance intellectuelle que Fincher nous expose en lorgnant du côté de son illustre ainé, reprenant à son compte la délinéarisation du récit propre à Citizen Kane afin de nous plonger dans les méandres de l’esprit d’un créateur : “Bienvenue dans mon cerveau. Le récit est un grand cercle, comme un immense cinnamon roll. Pas une ligne droite vers la sortie...”. C‘est évidemment ce chemin “vers la sortie” que Fincher se propose d’illustrer, explicitant par la forme le redressement de l’Homme (Mank, alité dès la scène inaugurale, termine le récit sur ses deux pieds), l’ascension artistique de l’artiste (ce nom, ignoré par tous, finit par être inscrit au générique du film, signe d’une reconnaissance éternelle).

Cela étant dit, en revisitant la construction en flashbacks du film de Welles (même si, ici, il n’évolue que sur deux temporalités), Fincher pourrait laisser entendre que Mank n’est qu’un “film hommage” ou, pire, qu’il est l’équivalent de ce chef-d'œuvre qu’est Citizen Kane. Fort heureusement, il n’en est rien - et même si les similitudes existent (esthétisme du cinéma des années 30, air de jazz, imperfection de la pellicule, etc.) -, il évite l’écueil du simple pastiche en s’abstenant de copier l’identité formelle wellesienne (le format 1.37, la place prépondérante d’une composition des plans en deep focus...). Ici, au contraire, le raffinement esthétique recherché par Fincher lors de ses films précédents se prolonge joliment par le recours à une image numérique. La patine des années 30 s’en trouve adoucie, permettant à la photographie d'Erik Messerschmidt - notamment dans ses accents expressionnistes – d'être résolument moderne. En outre, même s’il utilise des courtes focales comme son illustre aîné, permettant ainsi un vrai travail sur la profondeur de champ, Fincher se garde bien de reproduire le baroque wellesien, privilégiant la force souterraine du langage au tonitruant de l’image. Le problème, reconnaissons-le, c’est que son film semble parfois trop bavard, risquant de perdre le spectateur peu réceptif au travers de ses nombreuses logorrhées.

Pourtant, c’est bien par sa prise de parole que l’homme se révèle, passant de clown distrayant les puissants à celui de conquérant de la vérité, mettant au jour les artifices et faux-semblants d’Hollywood, tout en fustigeant les dérives du pouvoir (les fake news, l’hégémonie de la richesse, les effets des médias sur l’opinion publique...). Une réalité qui n’est pas sans rappeler une autre bien plus actuelle, Fincher tissant des liens (parfois trop) évidents entre la situation des années 30 et l’Amérique de Trump. Un langage, toutefois, qui s’avère être une vraie source de réjouissance dans son évocation sarcastique de l’envers du décor hollywoodien. On appréciera, notamment, cette judicieuse mise en opposition entre le discours “mécanique” des décideurs (le monologue cynique et misogyne de Louis B. Mayer) et celui bien plus vivifiant car humain des habituels seconds couteaux (les doutes et les rêves de Marion Davies, le pathétique et le flegme insolent de Mank). Une réussite, bien sûr, qui doit beaucoup à la prestation des différents interprètes, Amanda Seyfried et Gary Oldman en tête.

Mais surtout, c’est en mettant en scène cette prise de parole que Fincher nous fait entrer dans la lumière, ou nous fait entendre cet “opéra” que Mank rêve de composer. En donnant la parole à ceux qui ne l’ont pas habituellement (les figurants, les travailleurs de l’ombre...), il impulse à son film une dynamique qui sous-tend l’idée de projection : en entendant de loin le discours du candidat démocrate, cet autre qui lui ressemble mais qui est dans l’action, Mank prend conscience qu’il peut être autre chose qu’un amuseur public ; en nouant une relation sincère avec Marion, Mank sort de sa léthargie et s’affirme pleinement. Une renaissance que Fincher évoque subtilement en poétisant un délicat opéra harmonieux, perceptible notamment lorsque les deux complices s’échappent de la demeure de William Hearst pour retrouver la douce quiétude du cadre naturel ; ou, alors, lorsqu’ils se lovent au centre de cette même nature, au cours d’un pique-nique en tout point lumineux. Fincher offre alors à son personnage la porte de sortie qu’il espérait, celle lui permettant d’entrer pleinement dans la ronde de la vie. Alors que Welles, malgré ce halo lumineux qui l’accompagne, demeure enfermé dans ses obsessions (“ Kiss my half “, dira-t-il, sans avoir les honneurs de l’écran), Mank devient un individu et un auteur complet, en osant être lui-même, en osant raconter cette histoire qu’il connaît très bien et qui est celle de sa propre vie.

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Critique publiée par le 

La voilà donc, LA grande œuvre de David Fincher qui ferait office de film-somme, celle qui parle (forcément) de cinéma, qui égratigne le Hollywood des années 30 de manière méta et qui décortique le mythe derrière l’un des films les plus célèbres du septième art, le Citizen Kane d’Orson Welles. Fincher, sur un scénario de feu son père, mûrissait ce projet depuis des lustres et que Netflix, dans sa bienveillance, a permis de concrétiser en offrant carte blanche au réalisateur, à l’instar avant lui d’Alfonso Cuarón et de Martin Scorsese. On a vu le résultat : un machin bouffi et prétentieux chez Cuarón (Roma), un truc rébarbatif et interminable chez Scorsese (The irishman).

Fincher, lui, ne s’en sort pas mieux. Ou alors un peu mieux. Pourtant l’entreprise s’annonçait séduisante parce que Fincher, virtuose de la mécanique des apparences et de l’image manquante (The gameFight clubMilléniumGone girl…), promettait de déboulonner celles de l’usine à rêves par excellence, et qui aujourd’hui ne fait plus rêver grand monde. Avec comme guide/témoin, et plâtré pour l’occasion, Herman J. Mankiewicz, grand frère de Joseph, scénariste prolifique, cynique pas mal, alcoolique beaucoup et, accessoirement, auteur oublié de Citizen Kane pour lequel il remporta un Oscar (avec Welles).

Pour écrire l’histoire légendaire de Charles Foster Kane et son fameux rosebud, Mankiewicz va se replonger dans ses souvenirs. Souvenirs de cette époque où il s’embrouilla avec les pontes de la MGM et se lia d’amitié avec la maîtresse de William Randolph Hearst, homme d’influence et magnat de la presse qui inspirera le portrait de Kane. Souvenirs qui diront d’abord la toute-puissance des studios de jadis, capables d’ourdir quelques manigances électorales en écho à nos fake news actuelles, avant la gestation et le travail autour de Citizen Kane que Fincher, à de nombreuses reprises, préfèrera (s’amusera à) citer par le son, la composition des cadres et l’emploi de flashbacks. Welles d’ailleurs apparaît très peu, flou, de profil, presque jamais de face, une voix principalement ; l’image manquante du film. Mank le laisse de côté, préférant nous balader dans un dédale de bureaux, de plateaux et de réceptions où l’on (re)joue le monde, en cinémascope ou par collusions politiques.

Mais Fincher a ignoré ce que souligne Louis B. Mayer au détour d’une scène et qui, ironiquement, synthétise le principal défaut de son film : "On dépense un million par an pour des scénarios qu’on ne tourne pas. Pourquoi ? Parce qu’ils ne me font pas pleurer. Ce qui me fait pleurer ? L’émotion". En plein dans le mille. Mank est un bel objet enrobé d’un noir et blanc soyeux (qu’on dirait repris des clips de Vogue et Oh father, mis en scène par Fincher) qui manque de presque tout, de magie, de singularité, d’audace et, partant, d’émotion. Où est passé le Fincher capable de magnifier des romans de gare (MilléniumGone girl), d’inventer (Se7enFight club) ou de réinventer une saga horrifique (Alien 3) comme un suspens à la Hitchcock (The game) ? On attendait davantage, eu égard à son talent, que ce film s’étouffant dans sa superbe et négligeant le plaisir du spectateur perdu dans une succession de bavardages dont il se sent, la plupart du temps, exclu.

Le film aurait dû, peut-être, s’atteler à réellement raconter la conception houleuse d’un futur classique plutôt qu’à rabâcher les tares, les frasques et les vacheries d’un Hollywood égotiste, et parce que d’autres l’ont déjà évoqué avec plus d’à-propos et plus de piquant (on pense à Boulevard du crépuscule, à FrancesBarton FinkThe playerSwimming with sharks éventuellement, Mulholland Drive évidemment). Et puis ça ne trompe pas : la prestation, épatante, de Gary Oldman s’égare elle aussi dans les méandres d’un scénario trop dense qui en vient à vider les personnages de leur substance. De fait, Mank n’est plus l’habituelle figure finchienne du solitaire, de l’outsider (comme le sont Ripley ou Zuckerberg, Von Orton, Lisbeth ou le narrateur de Fight club), mais un simple rouage dans la grosse machinerie compassée d’un Fincher qui voudrait hurler au monde son amour du cinéma, mais qui ne fait que hurler dans le vide.

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"Mank" : le Hollywood des années 30 sous l'oeil avisé de David Fincher

Sur un scénario de son père, David Fincher signe pour Netlix un film dense, complexe et passionnant, dans lequel il raconte à travers le personnage de Mank le Hollywood des années 30 /40 avec une regard assez peu idyllique.

mank-photo "Mank" : le Hollywood des années 30 sous l'oeil avisé de David Fincher

Comme à chaque fin d’année civile, après nous avoir abreuvé de navets et de productions insipides et commerciales, Netflix sort l’artillerie lourde, nous la joue "cinéma d’auteur", en nous sortant les meilleurs morceaux de sa production annuelle pour tenter, pourquoi pas, de rafler un Oscar lors de la prochaine célébration du cinéma américain et mondial. Cette année, le site de streaming numéro 1 a tout misé sur Mank, le nouveau film de David Fincher.

À grands renforts de publicité dans les médias et les magazines, bénéficiant même d’un partenariat avec France Inter, – une première –, Mank déboule sur notre petit écran avec l’aval quasi unanime de la critique internationale et même nationale puisque bénéficiant d’une moyenne de 4,6 sur AlloCiné ce qui est du jamais vu à ce jour pour une production NetflixThe Irishman (Top Films 2019) était monté à 4,4 en 2019.

Si Mank n'est pas forcément le chef-d’œuvre annoncé il n’en reste pas moins un très bel objet de cinéma dans lequel le réalisateur de Seven propose sa version du Hollywood des années 30/40 à travers le personnage de Herman J. Mankiewicz, frère du célèbre réalisateur de L'Affaire Cicéron et surtout scénariste du Citizen Kane d’Orson Wells.

Visuellement très abouti, bénéficiant d’une mise en scène classique mais élégante, d’un noir et blanc très soigné (pas autant que le sublime Roma de Alfonso Cuarón - Top films 2018), Mank est aussi un film assez bavard, presque didactique par moment, qui se déroule sur plusieurs niveaux de temporalité, avec à la clé deux ou trois scènes mémorables (la soirée électorale, le diner…) dans lesquelles  on pourra notamment apprécier le sens aigu de la mise en scène de Fincher mais également le talent un peu oublié de Gary Oldman. Derrière cet ambitieux projet, on pourra voir également une sorte de mise en abîme, sachant que c’est le père de David Fincher (mort en 2003) qui a écrit le scénario de Mank au début des années 1990.

Un film assez sombre qui nous qui nous raconte non sans humour (noir) le Hollywood de l'avant-guerre, cette industrie cinématographique sans états d’âme avec ses personnages pleins de cynisme et de suffisance que Fincher, père et fils donc, ne se privent pas de pointer du doigt tout au long du film.

David Fincher
 s’est aussi fait plaisir en usant de nombreux artifices technologiques afin de donner à son film une touche old school, comme s’il avait été tourné à l’époque. Une forme de clin d'oeil assez sympathique mais sans nostalgie dans ce film de "cinéphiles" qui a déjà sans doute atteint son objectif en termes visibilité et qui pourrait bien obtenir une statuette à la prochaine cérémonie des Oscar… Une institution qui, on le sait, adore compenser les films qui évoquent le mythe Hollywoodien.

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[Critique] Mank : le paradoxe de l’auteur

David Fincher (ZodiacSeven) adapte avec Mank un script de feu son père Jack (qui était entre autres journaliste pour Life). L’histoire est issue d’un article à scandale de 1971 du New Yorker intitulé “Raising Kane, dans lequel la journaliste Pauline Kael remet en cause la position d’auteur d’Orson Welles concernant le chef d’œuvre Citizen Kane, un film dont l’histoire serait intégralement imaginée par le scénariste Herman J. Mankiewicz, d’après son expérience personnelleConstruit avec divers flash-backs, comme son aîné, Mank est à prendre comme un compagnon de voyage de Citizen Kane, un supplément au film d’origine. Charmant programme !

Herman J.  “Mank” Mankiewicz est un scénariste, script-doctor (qui améliore les scénarios), et critique au New Yorker. En 1940, il se retrouve alité après un accident de voiture. L’occasion parfaite de se mettre au scénario du prochain film d’un certain Orson Welles, pour le studio de la RKO : Citizen Kane. A travers l’histoire qu’il dicte à sa secrétaire Rita, on assiste à une série de flashback expliquant l’origine et les idées de ce scénario.

Un film important…

Mank est un film très dense. Bavard, il n’est cependant jamais ennuyant tant il brasse une quantité d’informations conséquentes à la seconde. Les dialogues sont tous fins, les décors splendides, les acteurs fantastiques. Le noir et blanc sublime du chef opérateur Erik Messerschmidt donne envie de voir Mank sur le plus grand des écrans possible. Le son est travaillé pour être au plus proche possible du rendu des années 1940, période de sortie de Citizen Kane. L’expérience est amusante, en somme. Après tout, faire un film “à l’ancienne” avec les moyens d’aujourd’hui, est un exercice très intéressant ! Cependant, David Fincher ne prend pas la chose à la légère. Car le propos est en définitive grave. Et si de nombreuses touches d’humour parsèment le film, c’est une mélancolie profonde qui nous enveloppe petit à petit…

En effet, l’histoire de Mank est crépusculaire. Le personnage de Mankiewicz (Gary Oldman) est alcoolique et endetté. Le cinéma est en pleine transition entre le muet et le parlant. La société fait face à la crise après 1929. Mank est en désaccord avec la prise de position politique de la Metro-Goldwyn-Mayer. Le studio se positionne en soutien au Républicain William Randolph Hearst (interprété par le magnifique Charles Dance), magnat de la presse qui se présente au poste de gouverneur de la Californie et force ses scénaristes à faire de même. Il assiste impuissant à la déchéance du studio, à ses amis qui sont forcés à faire des films de propagande républicaine…

En adoptant la même structure que son modèle Citizen KaneMank voit juste : grâce à des flash-back, on comprend petit à petit les raisons qui poussent le scénariste à écrire cette histoire à charge (presque) directe contre Hearst. Et à réfléchir sur la parentalité du film ! Puisque dans le contrat de base, Mankiewicz n’est pas crédité. Pourtant, c’est de lui que vient toute cette histoire : celle, également, d’un magnat de la presse manipulateur qui se présente au poste de gouverneur… Malgré la ressemblance évidente entre William Randolph Hearst et la création du scénariste, Charles Foster Kane, tout le monde vient à lui dire qu’il s’agit du meilleur script qu’il ait jamais écrit. Et sa volonté de prendre sa revanche contre Hearst le démange… En résulte une réflexion intéressante sur qui est véritablement l’auteur du film. C’est malheureusement sur cette même réflexion que Mank va générer un paradoxe malgré lui.

… mais paradoxal

Cette réflexion sur l’auteur va ouvrir vers d’autres questionnements. Le propos du film est clairement le suivant : l’auteur d’un film est celui qui en écrit l’histoire. On peut voir cela comme une lettre d’amour au père de David FincherJack. Puisque c’est lui qui a écrit l’histoire, c’est lui qui en est l’auteur. En ce sens, Mank est très touchant : il est le film dont l’auteur est décédé il y a 17 ans. Et après tout, pourquoi pas ?

Cependant, il faut un sacré culot pour déposséder Orson Welles de Citizen Kane. C’est quand même lui qui introduit dans son film une utilisation du cadre, de la lumière, de la profondeur de champ, à but narratif : le principe de l’image au service d’une histoire. Orson Welles est le metteur en scène de Citizen Kane. À l’époque, la notion d’auteur d’un film était floue, d’où le questionnement sur qui devrait être crédité au film ou non. Mais aujourd’hui, et depuis 60 ans et une certaine “nouvelle vague”, l’auteur d’un film, c’est son réalisateur. C’est débattable, c’est certain. C’est même complètement à remettre en question au cas par cas selon les films !

En découle la même question vis-à-vis d’autre postes, bien entendu. Quelle est la place du monteur dans la généalogie d’un film ? du producteur ? du comédien ? Vaste sujet qu’on aura pas la prétention de résoudre ici. Mank non plus. Mais si David Fincher a souvent revendiqué la place de l’équipe dans la création d’un film, on a l’impression qu’il n’est pas forcément écouté. De nombreux journaux parlent de Mank comme “le film de David Fincher“. Le message n’est-il pas assez clair ? La pâte du réalisateur est-elle trop grande dans Mank pour effacer tout le reste ? Reste qu’il faudrait dans ce cas arrêter de parler de film de Fincher quand on parle de Seven, Zodiac, ou encore de The Social Network, vu qu’il n’est pas l’auteur des scénarios.

Conclusion : Mank est un objet complexe. Si le film est en tout point réussi, la prétention de déposséder Orson Welles de Citizen Kane est tout de même débattable. De plus, quand on voit la manière dont de nombreux médias parlent de Mank comme “le film de David Fincher”, on ne peut s’empêcher de se dire qu’à un certain point, le film ne fonctionne pas… Quoiqu’il en soit, nous ne pouvons que vous conseiller de vous faire votre propre avis sur ce brillant objet cinématographique.

Bastien Rouland

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Loris ColecchiaALCE IN BORDERLAND, le Tokyo infernal 2.0 – CritiqueObjet de cinéma évidemment fascinant, mais pas pour tout le monde, MANK ne ressemble en rien à ce que l’on pouvait attendre de lui, ce qui en fait sa meilleure qualité ou son plus grand défaut, au choix. Quoi qu’il en soit, après 6 ans d’absence derrière la caméra, il était temps de retrouver David Fincher, qui nous avait bien « manké ».


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ROBERT SIODMAK (1904 - 1973)