duminică, 17 ianuarie 2021

TOUCHEZ PAS AU GRISBI / Jacques Becker (1954) / Jean Gabin

 

TOUCHEZ PAS AU GRISBI – Jacques Becker (1954)

Cinéaste méticuleux et profondément humaniste, Jacques Becker transforme en 1954 une banale œuvre de commande en monument du cinéma policier, et offre à Jean Gabin de trouver un second souffle dans une carrière languissante.

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TOUCHEZ PAS AU GRISBI – Jacques Becker (1954) – Jean Gabin

Pour bien mesurer la place cruciale qu’occupe Touchez pas au grisbi, film du milieu des années 50, dans la carrière de Jean Gabin, il faut se souvenir du statut qui était le sien quelque quinze ans plus tôt : celui d’acteur le plus populaire de tout le cinéma français. Qu’on en juge : de 1934, année de Maria Chapdelaine, à 1941, celle de RemorquesGabin a tourné pas moins de seize films, dont cinq avec Julien Duvivier, trois avec Jean Renoir, deux avec Marcel Carné, et deux avec Jean Grémillon. En un mot, il est devenu l’acteur fétiche des plus grands cinéastes de l’époque, qui préfèrent retarder le début d’un tournage plutôt que de travailler avec quelqu’un d’autre. Et pour couronner le tout, le public semble ne pas pouvoir se lasser de son « Pépé le Moko »

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TOUCHEZ PAS AU GRISBI – Jacques Becker (1954) – Jean Gabin, Lino Ventura

Mais la guerre survient, menant Gabin aux États-Unis, puis en Algérie au sein des Forces Alliées. Et l’acteur a beau rentrer en héros, le redémarrage de sa carrière s’avère problématique. Les temps ont changé, tout comme le goût d’un public ayant traversé les années de l’Occupation. Des quatre films tournés par Gabin entre la Libération et 1949, aucun ne lui permet de retrouver sa place d’avant-guerre – pas même La Marie du port, de Marcel Carné. Et si les films du début des années 50 permettent à l’acteur de revenir sur le devant de la scène, on est loin encore des triomphes passés. Jusqu’à ce 1er mars 1954, jour où Touchez pas au grisbi va permettre à Gabin de redevenir l’acteur favori du public français. Un rang qu’il ne quittera plus. [Éric Quéméré]

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TOUCHEZ PAS AU GRISBI – Jacques Becker (1954) – Jean Gabin, René Dary

Lorsque le cinéaste lit en 1953 le roman d’Albert Simonin, gros succès de la Série Noire, il y voit aussitôt un sujet susceptible d’intéresser le public. Il faut dire que Becker a été très impressionné par la réussite de son ami Clouzot : Le Salaire de la peur obtient la Palme d’or en 1953, Et le cinéaste se dit qu’il doit être capable, lui aussi, de retrouver les faveurs des spectateurs et, par voie de conséquence, cette confiance des producteurs qui s’est émoussée depuis l’échec commercial de ses deux derniers films. Il contacte donc Simonin pour lui proposer d’écrire avec, lui et, son coscénariste habituel (Maurice Griffe) une adaptation de son livre. L’écrivain accepte et encourage même le cinéaste à s’éloigner du texte original : « Pendant le travail d’adaptation, c’est lui qui tenait le moins à respecter son bouquin » Becker enlève donc du scénario les répliques argotiques du livre et choisit d’approfondir l’étude de caractère des deux personnages masculins principaux (Max et Riton) au détriment de l’action, privilégiée dans genre de film. Becker utilise en effet l’argument prétexte d’un affrontement entre deux bandes rivales (celle de Max et celle d’Angelo) pour traiter surtout d’une amitié entre deux truands vieillissants (Max et Riton) brisée par la trahison d’un tiers : Angelo. [Jacques Becker : Entre classicisme et modernité – Claude Naumann – Ed. BiFi / Durante – 2001]

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TOUCHEZ PAS AU GRISBI – Jacques Becker (1954) – Jean Gabin, Delia Scala

Pour le choix des deux acteurs principaux, Becker hésite longuement. Il pense d’abord à Daniel Gélin pour le rôle de Max. Mais l’acteur, avec qui il travaille depuis 1949, refuse. Il pense aussi à François Périer, avant de comprendre progressivement que le personnage de Max, tel qu’il est conçu, nécessite un interprète plus âgé. On lui conseille alors Gabin qui est sous contrat pour deux films avec Del Duca, la maison de production de Touchez pas au grisbi. Le cinéaste éprouve d’abord une certaine réticence vis-à-vis de l’acteur qu’il connaît bien et qu’il apprécie depuis Les Bas-Fonds et La Grande Illusion, mais qui incarne pour Becker une période révolue du cinéma français. Le comédien n’a pas « retrouvé » son public d’avant-guerre depuis son retour des Etats-Unis. Becker finit tout de même par faire lire le scénario à Gabin, qui accepte aussitôt le rôle. [Jacques Becker : Entre classicisme et modernité – Claude Naumann – Ed. BiFi / Durante – 2001]

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TOUCHEZ PAS AU GRISBI – Jacques Becker (1954) – Jean Gabin, Lino Ventura, Gaby Basset

Le cinéaste comprend alors tout le parti qu’il va pouvoir tirer de l’image vieillissante de l’acteur, aux cheveux grisonnants. Le film va devenir aussi une réflexion sur les premiers stigmates de l’âge (les lunettes pour lire, la peau du cou qui se détend, les poches sous les yeux, une certaine lassitude sexuelle…) : tout ce que Touchez pas au grisbi n’aurait pu être avec des acteurs plus jeunes comme Périer ou Gélin. II y a probablement aussi dans cette hésitation à propos de Gabin une dimension autobiographique que le cinéaste ne souhaitait pas d’emblée et qui apparaît inévitablement avec un acteur proche de l’âge du réalisateur. Becker est né en 1906, Gabin en 1904…  [Jacques Becker : Entre classicisme et modernité – Claude Naumann – Ed. BiFi / Durante – 2001]

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TOUCHEZ PAS AU GRISBI – Jacques Becker (1954) – Lino Ventura, René Dary

Max étant choisi, il faut trouver un comédien qui puisse incarner son ami Riton. C’est Gabin qui présente à Becker René Dary qui avait justement eu ses heures de gloire sous l’occupation dans des rôles que Gabin, parti en Amérique, na pouvait plus tenir. Et c’est encore Gabin qui présente au cinéaste son son ex-femme, Gaby Basset, pour jouer Marinette, la femme de Paul Frankeur dans le film. Pour incarner les jeunes filles qui accompagnent Max et Riton, Becker engage les deux jeunes actrices Jeanne Moreau et Dora Doll.  [Jacques Becker : Entre classicisme et modernité – Claude Naumann – Ed. BiFi / Durante – 2001]

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TOUCHEZ PAS AU GRISBI – Jacques Becker (1954) – Jean Gabin, Jeanne Moreau, Dora Doll

L’équipe de comédiens au complet, le film est tourné dans les studios de Billancourt, excepté quelques extérieurs en région parisienne et niçoise pendant l’automne 1953. Le tournage se déroule avec une équipe technique que Becker connaît bien : Jean d’Eaubonne au décor, Pierre Montazel à l’image, Colette Crochot pour le script… et toujours Marguerite Renoir au montage. Marc Maurette, ancien assistant de Becker sur ses trois premiers films, est de retour, aidé par Jean Becker, fils aîné du cinéaste qui fait ses premières armes. La célèbre musique à l’harmonica et au piano est de Jean Wiener.  [Jacques Becker : Entre classicisme et modernité – Claude Naumann – Ed. BiFi / Durante – 2001]

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TOUCHEZ PAS AU GRISBI – Jacques Becker (1954) – Jean Gabin, René Dary, Paul Frankeur

Si le film est resté en bonne place dans la mémoire des cinéphiles, c’est évidemment moins pour ce qui relève proprement au film de genre que ce par quoi il s’en éloigne ou s’en différencie. Malgré son souhait de retrouver le public, Becker n’oublie pas pour autant d’affirmer son style. S’il respecte, notamment dans l’épilogue, les impératifs du film de gangsters (il y a effectivement une poursuite en voiture entre deux bandes rivales, des coups de mitraillette, des morts… ), la première moitié du récit montre qu’il s’intéresse surtout à décrire, comme à l’habitude, ses personnages dans leur quotidien : les repas au restaurant Bouche, les soirées dans les cabarets de Pigalle… Quand le film commence, le vol du « grisbi » est d’ailleurs terminé. On retrouve encore ici cette volonté du cinéaste de s’éloigner des conventions narratives habituelles et des effets de dramatisation caractéristiques du genre, au profit de ces scènes où les personnages existent en dehors de l’action. Marc Maurette raconte justement comment il avait été surpris de l’audace avec laquelle Becker brise le rythme trépidant du film d’action classique en insérant une séquence (qui n’est pas dans le livre) où Max, apprenant l’enlèvement de Riton, passe toute un après-midi au lit avec une jeune américaine au lieu de partir immédiatement à la recherche de son ami. [Jacques Becker : Entre classicisme et modernité – Claude Naumann – Ed. BiFi / Durante – 2001]

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TOUCHEZ PAS AU GRISBI – Jacques Becker (1954) – Jean Gabin, René Dary, Jeanne Moreau, Dora Doll, Denise Clair

Cette distance à l’égard des principes de la narration classique se retrouve également dans cette façon de confronter ses personnages au Temps en filmant, au plus près de leur durée réelle, leurs gestes, mouvements ou actions. D’où le refus des ellipses trop longues. Touchez pas au grisbi, comme beaucoup d’autres films du cinéaste, se déroule en effet sur deux nuits. Chez Becker, il n’est pas question de franchir allègrement les années comme dans de nombreux films des années cinquante par un simple ajout de teinture grise sur les cheveux. Le Temps est là, palpable et incontournable. [Jacques Becker : Entre classicisme et modernité – Claude Naumann – Ed. BiFi / Durante – 2001]

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TOUCHEZ PAS AU GRISBI – Jacques Becker (1954) – Jean Gabin, René Dary

Il y a dans Touchez pas au grisbi une séquence très caractéristique du style du cinéaste : le moment où Max et Riton viennent d’échapper à Angelo et sa bande qui veulent les faire parler au sujet de leur « grisbi  ». Au lieu de continuer à faire monter la tension dramatique, Becker l’interrompt volontairement  en consacrant un temps assez long du récit à filmer l’arrivée progressive de deux personnages dans l’appartement de Max puis leur installation autour de la table afin qu’ils s’expliquent entre eux : on les voit tartiner du pâté sur des biscottes, boire un verre de vin blanc puis enfiler leur pyjama et se brosser les dents avant de se coucher : une multitude de petits gestes quotidiens qui font de ces truands des hommes « ordinaires », comme tous les personnages de Becker. [Jacques Becker : Entre classicisme et modernité – Claude Naumann – Ed. BiFi / Durante – 2001]

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TOUCHEZ PAS AU GRISBI – Jacques Becker (1954) – Jean Gabin, Jeanne Moreau

Le réalisateur cherche donc à désacraliser l’image du gangster classique, habituellement suractif, dormant peu, toujours prêt à courir vers une autre aventure… Dans Touchez pas au Grisbi, c’est effectivement l’inverse : Max apparaît comme un truand plutôt vieillissant, fatigué et las : « Après minuit j’ai l’impression de faire des heures supplémentaires », dit-il à son ami Riton qui lui, veut toujours correspondre au mythe du séducteur noctambule avant que son ami ne lui enlève ses illusions. La scène du miroir où Max montre à Riton les signes de leur vieillissement respectif est très significative de cette démythification du héros et, par voie de conséquence, une description assez juste de Jean Gabin, star des années trente en déclin. Becker a eu là l’intelligence d’exploiter cinématographiquement ce que l’acteur était devenu en 1954 : un quinquagénaire grisonnant et empâté. Et ce, au lieu de vouloir perpétuer indéfiniment I‘image du jeune héros tragique de Quai des Brumes et du Jour se lève. En faisant admettre aux spectateurs nostalgiques du Gabin d’avant-guerre que celui-ci, comme tout le monde, a vieilli, Becker ouvre la voie aux rôles de patriarche que le comédien tiendra avec succès jusqu’à sa mort. [Jacques Becker : Entre classicisme et modernité – Claude Naumann – Ed. BiFi / Durante – 2001]

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TOUCHEZ PAS AU GRISBI – Jacques Becker (1954) – Jean Gabin, Lino Ventura, Jeanne Moreau

Dans cette volonté de désacraliser l’archétype du gangster, Becker franchit encore une étape supplémentaire lorsqu’il ose mettre à mal l’image de la virilité masculine, habituellement associé à ce genre de personnage. C’est ainsi que max avoue à Riton sa lassitude sexuelle à propos de Josy et Lola : « Et puis après faudra se les farcir (…) et j’ai pas envie, je suis fatigué. » Si le succès de Touchez pas au grisbi est à l’origine d’un nouveau genre, le polar à la française (sortiront les années suivantes ; Du rififi chez les hommes de Jules Dassin, Razzia sur la chnouf de Henri Decoin…), rares seront les films qui oseront briser de la sort l’image traditionnelle du truand. [Jacques Becker : Entre classicisme et modernité – Claude Naumann – Ed. BiFi / Durante – 2001]

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TOUCHEZ PAS AU GRISBI – Jacques Becker (1954) – Jean Gabin, René Dary

Une des autres originalités du film est d’avoir utilisé une figure de construction de personnages que I’on rencontre davantage dans le cinéma américain que dans le cinéma français des années 1950, à savoir un duo de protagonistes masculins soudés par une amitié indéfectible. Car au fond, le vrai sujet est encore une fois le couple mais cette fois-ci un couple particulier, composé de deux amis, sans qu’il n’y ait aucune allusion homosexuelle comme dans de nombreux films noirs hollywoodiens. [Jacques Becker : Entre classicisme et modernité – Claude Naumann – Ed. BiFi / Durante – 2001]

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TOUCHEZ PAS AU GRISBI – Jacques Becker (1954) – Jean Gabin, Marilyn Bufferd

On peut tout de même parler de « couple » tant Becker insiste sur le lien affectif qui relie ces deux personnages. Dès la première séquence du film, lorsque Max se lève pour aller mettre « son air » (le thème musical du film), Riton s’inquiète de son départ : « Où tu vas ? », lui demande-t-il. Le plus souvent, Becker les filme ensemble, dans le même plan, pour nous montrer à quel point Max et Riton sont indissociables. Pour évoquer la longévité de cette amitié, le vocabulaire utilisé est celui qui caractérise habituellement le couple : « Ça fait vingt ans qu’ils ne se quittent pas », dit Pierrot (Paul Frankeur) à Angelo (Lino Ventura), C’est pourquoi les personnages féminins sont aussi convenus et secondaires : ils n’ont pas de véritable utilité sinon de conforter les images stéréotypées de la garce (Jeanne Moreau), de la femme enfant (Dora Doll), de la femme mère (Denise Clair) ou castratrice (Gaby Basset). Quand on les compare avec les personnages féminins des films de couple précédents, on mesure à quel point Touchez pas au grisbi inaugure une nouvelle période nettement moins « féministe ».  [Jacques Becker : Entre classicisme et modernité – Claude Naumann – Ed. BiFi / Durante – 2001]

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TOUCHEZ PAS AU GRISBI – Jacques Becker (1954) – Jean Gabin, Michel Jourdan, Daniel Cauchy, Paul Frankeur

Et comme dans tous les « couples », il y a une fonction attribuée à chacun des deux personnages. Si Max incarne la figure protectrice et paternelle, Riton représente plutôt le fils crédule, impatient et impulsif. Max l’entretient « Je ne compte pas l’oseille qu’il m’a fait dépenser depuis vingt ans, payer pour les avocats, payer pour sa mère, y pas une dent dans la gueule qui ne me coûte pas un maximum ! », récrimine souvent contre lui mais ne l’abandonne jamais. Quand Riton est échangé à la fin du film contre les lingots d’or qui devaient permettre à Max de prendre sa « retraite », nulle récrimination du « père », mais une petite accolade sur l’épaule qui traduit le pardon au « fils ».  [Jacques Becker : Entre classicisme et modernité – Claude Naumann – Ed. BiFi / Durante – 2001]

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TOUCHEZ PAS AU GRISBI – Jacques Becker (1954) – Jean Gabin, Paul Frankeur, René Dary

Dans l’épilogueBecker choisit à nouveau, comme pour Casque d’or, la voie de la sobriété et du dépouillement, hors de toute effusion sentimentale. Après avoir montré tout au  long du film l’amitié entre ces deux personnages, il filme Max en plan rapproché, le regard hors champ, apprenant la mort de son ami Riton (comme Marie contemplant la tête de Manda coupée par la guillotine) pour mesurer le désarroi tragique de celui qui reste seul et susciter ainsi l’émotion du spectateur. [Jacques Becker : Entre classicisme et modernité – Claude Naumann – Ed. BiFi / Durante – 2001]

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TOUCHEZ PAS AU GRISBI – Jacques Becker (1954) – Jean Gabin, Marilyn Bufferd

Lorsque Touchez pas au grisbi sort sur les écrans en 1954, le public lui réserve un triomphe : avec ses quatre millions d’entrées, ce sera le plus grand succès commercial de toute la carrière de Jacques Becker, et le film contribue à lancer la mode durable des polars « à la française ». Mais cet accueil constitue aussi une victoire personnelle pour Gabin qui, après un relatif désintérêt des spectateurs depuis la fin de la guerre, redevient soudain un acteur populaire. Même la critique, qui n’a pas toujours été tendre avec son ancienne idole, crie soudain au prodige, toute heureuse de retrouver le Gabin de Pépé le Moko ou de Quai des brumes. Peut-être ce revirement tient-il au fait que le personnage de Max le menteur combine à la fois toute la mythologie du mauvais garçon macho et fort en gueule, et la maturité d’un homme de cinquante ans qui aspire à une certaine honorabilité. Une manière pour l’acteur de passer en douceur d’un statut à l’autre, sans trop heurter son public… Quoi qu’il en soit, en recevant pour le rôle de Max un Prix d’interprétation à Venise, Gabin voit enfin une seconde carrière s’ouvrir à lui. 

AUTOUR DU « GRISBI » : Le polar venu d’Amérique 

Comme nombre de policiers français des années 50, Touchez pas au grisbi puise directement aux sources du film noir, genre officiellement né à Hollywood en 1941. Le point sur une petite révolution sans laquelle on ne saurait comprendre le film de Jacques Becker.

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THE MALTESE FALCON (Le Faucon maltais) de John Huston (1941) avec Humphrey Bogart, Mary Astor, Gladys George, Peter Lorre, Sydney Greenstreet, Elisha Cook Jr.

Une fois n’est pas coutume, c’est une expression française qui s’est imposée pour dénommer tout un pan du cinéma américain : le « film noir ». On peut d’ailleurs s’étonner que cette désignation ait également cours outre-Atlantique, dans la mesure où les films regroupés sous ce terme représentent la quintessence du cinéma hollywoodien. En fait, ce sont des critiques français qui, en 1946, eurent la première fois recours à cette expression : après le blocus opéré par l’armée allemande sur les films américains pendant les années de l’Occupation, le public hexagonal voyait sortir coup sur coup The Maltese Falcon (Le faucon maltais)Double indemnity (Assurance sur la mort)The Killers (Les tueurs)The Big Sleep (Le grand sommeil)Laura… Des polars d’un style inédit, pour lesquels il fallait bien trouver une appellation nouvelle.  [Eric Quéméré – Collection Gabin (2005)]

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DOUBLE INDEMNITY (Assurance sur la mort) de Billy Wilder (1944) avec Fred MacMurray, Barbara Stanwyck, Edward G. Robinson
SÉRIE NOIRE

Pour nombre d’historiens du cinéma, c’est en fait la rencontre de deux influences qui a donné naissance à ce nouveau genre. Il n’est pas nécessaire d’aller chercher bien loin la première : un rapide coup d’œil au générique de ces films permet de se rendre compte qu’ils sont souvent adaptés de romans policiers, et plus particulièrement d’ouvrages issus de la catégorie « hard boiled  » (dur à cuire). La révolution opérée au cours des années trente dans le petit monde de la littérature policière par Raymond Chandler, Dashiell Hammett ou James M. Cain devait bien gagner un jour ou l’autre Hollywood. Ainsi, trois chefs-d’œuvre du film noir, parmi bien d’autres, ont été respectivement tirés de l’œuvre de ces romanciers : The Maltese Falcon  (Hammett), Double indemnity  (Cain)The Big Sleep (Chandler)…  [Eric Quéméré – Collection Gabin (2005)]

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THE KILLERS (Les Tueurs) de Robert Siodmak (1946) basé sur la nouvelle d’Ernest Hemingway datant de 1927, avec Burt Lancaster, Ava Gardner, Edmond O’Brien
MELTING POT

Mais si l’inspiration du film noir trouve ainsi sa source dans l’univers inquiétant des auteurs de polars, l’esthétique de ce genre américain par excellence s’inscrit en revanche dans une tradition… européenne ! En effet, ce sont bien souvent des réalisateurs ayant émigré à Hollywood qui ont forgé le style visuel de ces polars – à commencer par le viennois Joseph Von Sternberg, qui signe en 1927 Underworld (Les nuits de Chicago), film considéré comme un précurseur du futur film noir. Puis ce seront Billy Wilder (Double indemnity)Otto Preminger (Laura) ou Robert Siodmak (The Killers) qui trouveront dans le genre un prolongement de l’expressionnisme allemand, tandis que Jacques Tourneur Out of the past (La griffe du passé) lui apportera la sombre mélancolie du réalisme poétique français – dont Gabin fut d’ailleurs l’acteur fétiche, dans Pépé le MokoQuai des brumes ou Le Jour se lève.  [Eric Quéméré – Collection Gabin (2005)]

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LAURA d’Otto Preminger (1944) avec Gene Tierney, Dana Andrews, Clifton Webb, Vincent Price
POSTÉRITÉ

Mais qu’on ne s’y trompe pas : la plupart des film noir étaient produits à l’époque comme des séries B. Les studios n’investissaient que des sommes modestes pour ces produits, destinés le plus souvent à constituer un avant-programme pour des films « plus prestigieux ». Il faudra plusieurs années pour que le film noir soit enfin considéré comme un genre noble. Car ces histoires de gangsters peuplées de meurtres et de femmes fatales, ont permis à leurs auteurs de poser un regard critique sur le monde qui les entourait, sans avoir à passer par l’idéalisation un peu mièvre des « grands films ». Et certains cinéastes ont livré dans ce genre codifié de véritables œuvres d’art. Aujourd’hui, il est évident pour tout le monde que le personnage d’Humphrey Bogart dans The Maltese Falcon, ou celui de Rita Hayworth dans The Lady from Shanghai (La dame de Shanghai), méritent amplement leur place aux côtés des plus grands héros du cinéma mondial. [Eric Quéméré – Collection Gabin (2005)]

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Rita Hayworth dans THE LADY FROM SHANGHAI d’Orson Welles (1947)

AUTOUR DU GRISBI: Gabin, un acteur mythique

De La Bandera au Clan des Siciliens, en passant par Le Jour se lève et Un singe en hiver, Jean Gabin a mené durant près de cinquante ans un parcours en tous points exemplaire. Retour sur l’étonnante carrière d’un artiste de légende.  

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LE JOUR SE LÈVE – Marcel Carné (1939) avec Jean Gabin, Jules Berry, Jacqueline Laurent, Arletty

Lorsque, régulièrement, la question se pose de savoir quel acteur a le plus marqué le cinéma hexagonal, la réponse est invariablement la même : Jean Gabin. Comment d’ailleurs pourrait-il en être autrement ? En entamant sa carrière dans les années 30 et en tournant son dernier film en 1976, l’acteur est devenu le représentant d’un demi-siècle de cinéma français, au point de finir par le personnifier tout entier. Car, rien qu’en passant en revue les titres de ses films, c’est toute l’histoire du septième art qui se met à revivre, époque après époque : Pépé le MokoGueule d’amourQuai des brumesLa Grande illusionLe Jour se lèveLa Vérité sur Bébé DongeTouchez pas au grisbiFrench CancanLa Traversée de Paris, En cas de malheurLe Cave se rebiffeUn singe en hiverLe clan des Siciliens… Autant de films qui, à leur manière, racontent le XXe siècle français.  [Eric Quéméré – Collection Gabin (2005)]

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PÉPÉ LE MOKO – Julien Duvivier (1937) avec Jean Gabin, Mireille Balin, Line Lors, Lucas Gridoux, Fernand Charpin, Marcel Dalio,Fréhel…

HABILE CAMÉLÉON

Bien sûr, si la place de Jean Gabin s’avère aujourd’hui tellement immense, c’est principalement parce-que l’acteur a su choisir les réalisateurs avec qui il collaborait. Là encore, on est proche du sans faute. En décidant de travailler sous la direction de Julien DuvivierJean GrémillonMarcel CarnéJean RenoirJacques Becker, Gilles Grangier, René Clément ou Henri Verneuil, Gabin a fait preuve d’un solide flair : sa filmographie en prend même des airs d’anthologie des grands cinéastes français ! Mais si tous ces réalisateurs veulent tellement travailler avec lui, et certains à plusieurs reprises (douze fois pour Gilles Grangier), c’est que Gabin est un acteur au potentiel extraordinaire, et qu’il sait en outre prendre le risque d’explorer sans cesse de nouveaux registres, au risque de désarçonner un public qui, parfois, se trouvera effectivement déçu. L’acteur est tour à tour mauvais garçon, marin, policier, grand bourgeois ou paysan, et ce avec une égale conviction. Et il s’essaie à la comédie aussi bien qu’au mélo, au film de guerre ou au polar …  [Eric Quéméré – Collection Gabin (2005)]

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Jean Gabin dans Le Cave se rebiffe (Gilles Grangier, 1961)

UN HOMME D’EXCEPTION

Luxe suprême, Gabin ira jusqu’à démarrer durant la Seconde Guerre mondiale une carrière à Hollywood, pour finalement dédaigner une industrie qui ne lui convient pas, et aller combattre au sein des Forces Alliées en Afrique du Nord. Comment un homme d’une telle stature pouvait-il ne pas impressionner le public ? D’autant qu’il connaîtra également la reconnaissance de ses pairs : Gabin se voit récompensé à quatre reprises aux prestigieux festivals de Venise et de Berlin, et recevra – à titre posthume – un César d’honneur pour l’ensemble de sa carrière. La mort de l’acteur, survenue en 1976, donne d’ailleurs lieu à des funérailles nationales, comme peu d’acteurs en connurent en France : ses cendres sont ainsi dispersées au large des côtes bretonnes depuis un navire affrété par l’État. Un hommage de la nation à celui qui s’était vu décoré à la fois de la Croix de Guerre et de la Légion d’Honneur… Plus tard, un musée sera dédié à la mémoire de l’acteur à Mériel, le village de son enfance et, entre autres commémorations, un timbre sera édité à son effigie en 1998. Mais pour autant, Gabin n’est pas devenu aujourd’hui un monument inerte du cinéma français: à travers tous les chefs-d’œuvre qu’il a marqués de son talent, l’acteur continue bel et bien à vivre dans nos imaginaires de spectateurs.  [Eric Quéméré – Collection Gabin (2005)]

 

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Jean Gabin dans Le Chat (Pierre Granier-Deferre, 1971)


LE DUO GABIN-VENTURA

En 1954, le héros de Touchez pas au grisbi fait la connaissance d’un jeune catcheur, sans savoir qu’il deviendra son « parrain de cinéma ». Partenaires dans six films, Jean Gabin et Lino Ventura connaîtront pendant vingt ans une amitié indéfectible.

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TOUCHEZ PAS AU GRISBI – Jacques Becker (1954) – Jean Gabin, Lino Ventura

L’amitié de Gabin et Ventura est si légendaire que l’on attribue parfois au premier la « découverte » du second. En réalité, c’est le cinéaste Jacques Becker qui, à la recherche d’un comédien pour incarner l’un des truands de Touchez pas au grisbi, fait la connaissance de Lino un soir de 1954. Ancien lutteur, ce dernier organise à l’époque des matches de catch, et lorsque Becker lui propose de jouer dans son prochain film, il croit à une plaisanterie. D’autant plus qu’il lui semble tout à fait inconcevable de donner la réplique à son idole Jean Gabin. Au matin de son premier jour de tournage, Lino insiste pour aller saluer « Monsieur Gabin » dans sa loge. Passant outre les réticences de l’équipe, il ose frapper à la porte de la star qui, sans se formaliser, lui lance un cordial «Ça va ?». Un accueil très simple – et très déterminant pour la carrière de Ventura car, comme celui-ci le confiera à André Brunelin : « Je suis sorti de sa loge en me disant que maintenant je pouvais essayer de le faire, leur cinéma. Mais si Jean ne m’avait pas reçu comme il l’a fait, s’il ne m’avait pas dit ce qu’il m’a dit, je me serais tiré séance tenante et on ne m’aurait jamais revu ». [Eric Quéméré]

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LE ROUGE EST MIS – Gilles Grangier (1957) – Jean Gabin, Lino Ventura
COUP DE POUCE

Cette première impression va se muer au cours du tournage de Touchez pas au grisbi, en estime réciproque. Jean Gabin confie même à son entourage qu’il sent chez ce débutant un énorme potentiel, jugement dont il n’est pas coutumier. Aussi va-t-il prendre le jeune Ventura sous son aile. Quelques mois après le Grisbi, Gabin lui donne une seconde chance en le faisant engager par Henri Decoin pour Razzia sur la Chnouf : malgré sa prestation remarquable dans le film le Becker, Lino n’avait reçu aucune autre proposition. Remis en selle par ce deuxième rôle, le jeune acteur fait ensuite une apparition dans un modeste polar, La Loi des rues, avant que Gabin ne lui dégotte de nouveaux rôles, d’inégale importance, dans Crime et châtimentLe Rouge est mis, et Maigret tend un piège. Dans ce dernier film, Lino doit se contenter d’une prestation limitée, mais entre-temps sa réputation dans le milieu a grandi, et l’année 1958 marque son accès au statut de tête d’affiche grâce à deux films, Ascenseur pour l’échafaud et Le Gorille vous salue bien. Lino n’oubliera jamais l’attitude de son « bienfaiteur », qui deviendra peu à peu un ami proche. [Eric Quéméré]

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RAZZIA SUR LA CHNOUF d’Henri Decoin (1955) – Jean Gabin et Lion Ventura
A LA VIE, À LA MORT

Aussi fiers et ombrageux l’un que l’autre, Gabin et Ventura amusent leur entourage par des disputes aussi mémorables que sans gravité. Ils fréquentent le même cercle d’amis, formé entre autres par Michel Audiard et Henri Verneuil (ce dernier orchestrant en 1969 leurs retrouvailles cinématographiques dans Le Clan des Siciliens). Et lorsque Gabin, désapprouvant le mariage de sa fille Florence, refuse de se rendre à la cérémonie, c’est Lino qui conduit la jeune femme à l’autel… C’est dire la force d’un lien qui ne sera rompu que par la mort de Jean Gabin, en novembre 1976. Interrogé dix ans plus tard sur cette amitié, Lino ne pourra que répondre : « Lorsqu’il m’arrive de traverser Bonnefoi, de passer si près de ce domaine que je ne peux plus revoir parce qu’il était précisément toute sa vie et où son souvenir est encore si présent, l’envie de chialer me prend… Alors, comment je pourrais décemment parler de lui ? ». [Eric Quéméré]

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LE CLAN DES SICILIENS d’Henri Verneuil (1955) – Jean Gabin et Lino Ventura


Touchez Pas au Grisbi, (Nu va atingeti de mangoti) coproducție franco-italiană, film apărut in 1954, regia Jacques Becker.

In rolurile principale: Jean Gabin, René Dary, Paul Frankeur, Lino Ventura.

Filmul Touchez Pas au Grisbi (1954) este o adaptare cinematografică după romanul polițist “Touchez pas au grisbi !”, scris de Albert Simonin**, roman publicat in anul 1953.
**Albert Simonin,Touchez pas au grisbi! (traducere româneasca de Angela Cismas, sub titlul:Nu v-atingeti de mangoti!, Bucuresti, IRI, 1994). 


 Dans le Milieu, l'amitié de Max le Menteur et de Riton est légendaire, ainsi que la rigueur de Max concernant le fameux code de l'honneur de la pègre. Ce que le Milieu ignore, c'est que Max et Riton sont les responsables d'un hold-up retentissant qui eut lieu à Orly et où disparurent cinquante millions en lingots d'or. Mais Riton parle trop : il a confié ce secret à Josy, sa maîtresse, qui s'est empressée de le répéter à Angelo, son nouveau "protecteur", un trafiquant de drogue montmartrois. Ce dernier, avec l'aide de quelques complices, tente d'enlever Max, puis kidnappe Riton pour lui faire dire où est caché le butin (en argot : le grisbi). Devant le mutisme de son prisonnier, Angelo décide de pratiquer un chantage envers Max : la vie de Riton contre les lingots... Paralysé par son amitié, Max accepte. L'échange s'effectue sur une route nationale de la banlieue parisienne. Mais Angelo ne veut rien laisser au hasard : il a projeté de liquider Max et ses amis après l'échange. Un règlement de comptes en voitures s'ensuit. Angelo et sa bande sont abattus, mais Riton est grièvement blessé et Max est contraint d'abandonner son butin dans la voiture d'Angelo en flammes. Le lendemain, Max apprend la mort de Riton. Aux côtés de sa maîtresse américaine, Betty, il songe amèrement aux derniers événements : en une nuit, il a perdu son meilleur ami et le grisbi avec lequel il espérait enfin prendre sa retraite...

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Un articol interesant, scris de un specialist in argoul francez

Despre dificultati de traducere a argoului francez in limba romana

Laurentiu Bala





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ROBERT SIODMAK (1904 - 1973)