Bergman, un suedez framantat
Les Fraises sauvages
Titre original | Smultronstället |
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Réalisation | Ingmar Bergman |
Scénario | Ingmar Bergman |
Acteurs principaux | |
Pays d’origine | Suède |
Genre | Comédie dramatique |
Durée | 91 minutes |
Sortie | 1957 |
Les Fraises sauvages (Smultronstället) est un film suédois réalisé par Ingmar Bergman, sorti en 1957.
Synopsis
La veille de la cérémonie qui doit honorer et célébrer sa longue carrière de médecin, le professeur Isak Borg fait un rêve étrange où il est confronté à sa propre mort. Le lendemain, il décide de partir en voiture à l'université de Lund en compagnie de Marianne, sa belle-fille. Durant le trajet, le vieux professeur fait le bilan d'une vie gâchée par l'égoïsme. Il revoit sa jeunesse avec "le coin des fraises sauvages" où l'entraînait sa cousine. Puis il évoque ses souvenirs de sa vie de médecin de campagne.
Tandis que Marianne conduit, Isak s'endort et fait un rêve où il s'adresse des reproches. Après avoir été déclaré "coupable de culpabilité", il se voit reprocher sa froideur. Puis il revoit l'infidélité de sa femme quarante ans auparavant...
Après un dernier reproche que Marianne adresse à son beau-père au sujet d'un enfant qu'elle aurait voulu garder malgré l'opposition de son mari, Isak est solennellement couronné par l'université de Lund. Avant de s'endormir, il tente de réconcilier son fils et sa belle-fille. Puis il rêve aux scènes heureuses de son enfance.
Fiche technique
- Titre : Les Fraises sauvages
- Titre original : Smultronstället
- Réalisation : Ingmar Bergman
- Scénario : Ingmar Bergman
- Musique : Erik Nordgren et Göte Lovén
- Photographie : Gunnar Fischer
Commentaires
Dans la filmographie d'Ingmar Bergman, les Fraises sauvages suit Le Septième Sceau (Det sjunde inseglet, 1957). Les deux films sont un succès immense pour le réalisateur qui a acquis une véritable reconnaissance avec Sourires d'une nuit d'été (Sommarnattens leende, 1955).
Le film a pour acteur principal Victor Sjöström, par ailleurs pionnier du cinéma suédois. Ingmar Bergman lui avait déjà confié un rôle dans Vers la joie (Till glädje). Les Fraises sauvages est sa dernière contribution cinématographique.
Les rêves répétés, les discussions avec sa bru ou sa gouvernante, les rencontres (Sara, une autostoppeuse, jouée par Bibi Andersson qui tient aussi le rôle d'un amour de jeunesse), font prendre conscience au vieux médecin de son égoïsme, de sa solitude et de l'échec de sa vie, vie qui doit bientôt s'achever. Cependant, les moments de lucidité douloureuse sont suivis d'épisodes ou de pensées plus réconfortants, le vieil Isak Borg n'ayant plus le temps de changer ce qui a été, mais pouvant néanmoins faire la paix avec lui-même, tout en adoptant une attitude plus ouverte et généreuse avec son entourage, parfois maladroitement (l'idée du tutoiement entre lui et sa gouvernante), sans être toujours compris (son fils ne lui permet pas d'achever son idée de renoncer au remboursement du prêt qu'il lui a fait, mais sa belle-fille a compris et lui en est reconnaissante ; au moment des adieux des autostoppeurs, la dernière phrase du professeur ne peut être entendue par eux). En effet, il serait invraisemblable que le vieil homme puisse apprendre en un seul jour à communiquer avec les autres d'une manière aisée.
Le film se caractérise par sa fluidité, les rêves utilisent les personnages et les situations de la vie réelle de la journée, les passages entre le présent, les souvenirs ou les irruptions de l'inconscient dans les rêves sont toujours amenés d'une façon à la fois naturelle et sans ambiguïté.
L'utilisation de la première personne dans les commentaires en voix off facilite l'identification du spectateur avec le personnage principal. D'autre part, la similarité des initiales d'Ingmar Bergman et d'Isak Borg peut suggérer une identification du réalisateur à son personnage principal.
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Les fraises sauvages
Isak Borg, 78 ans est docteur. C'est un vieillard solitaire qui s'est réfugié dans l'étude scientifique. C'est la veille du 1er juin et où il doit de rendre à Lünd en avion pour fêter son jubilé, l'anniversaire de sa thèse soutenue trente ans auparavant. Dans la nuit, il fait un cauchemar. Il se promène dans une ville aux murs délabrés et déserte. Il remarque une horloge sans aiguilles. Quand il veut vérifier l'heure, il s'aperçoit que sa propre montre est, elle aussi, sans aiguille. Son cœur bat sourdement. Il voit un homme devant lui qu'il veut interroger mais qui se révèle être une baudruche : quand il le retourne, sa tête se dégonfle ; il tombe à terre et de l'eau ou sang se répandent. Dans le soleil aveuglant, surgissent deux chevaux qui tirent un char funèbre. Le char s'immobilise en heurtant un bec de gaz. Une roue du char se détache et vient s'écraser prés d'Isak. Le cercueil tombe à terre. En surgit une main puis un visage. C'est celui d'Isak. La main s'accroche à lui et tente de le tirer dans le cercueil. Isak résiste.. et se réveille. Il est 5h30.
Isak habite Stockholm et devait prendre l'avion. Au grand déplaisir d'Agda, sa gouvernante, il décide de faire le voyage en automobile et de partir immédiatement. Le voyage doit prendre une huitaine d'heures au lieu d'un peu plus d'une heure seulement en avion et il a donc quatorze heures devant lui . Marianne, sa belle-fille, qui a quitté son mari, Evald, et vit chez lui depuis un mois, demande à l'accompagner.
Les relations sont tendues entre Isak et Marianne. Celle-ci reproche à son beau-père d'être insensible aux difficultés de son fils, Evald, et de réclamer le remboursement d'une datte qui l'épuise au travail. En réponse aux certitudes égoïstes de Isak, Marianne lui déclare qu'Evald comprend et respecte son père mais qu'il le déteste aussi. En cours de route, Isak éprouve le besoin d'aller vers la maison où il passait ses vacances durant sa jeunesse. Il retrouve facilement le coin aux fraises sauvages... Il revoit sa fiancée Sara... Il la surprend avec son jeune frère Sigfrid, s'embrassant sur un tapis de fraises sauvages... Il est réveillé de sa rêverie par une jeune fille qui ressemble étrangement à Sara. Elle fait du stop avec deux garçons, Anders et Viktor. Ils sont en partance pour l'Italie. Avec Marianne, ils proposent de les mener jusqu'à Lünd
Ils manquent de peu d'entrer en collision avec une voiture conduite par une jeune femme, Berit, qu'ils prennent avec eux ainsi que son mari, Sten Alman. Le couple, un ingénieur et une ancienne actrice, ne cessent de se disputer... Ils se giflent, Marianne leur demande de descendre. En chemin, ils s'arrêtent à une pompe à essence tenu par le couple Åkerman. Henrik, le mari, se souvient très bien du jeune docteur qu'il fut autrefois, attentif à ses patients. Henrik est honoré de pouvoir lui témoigner de sa générosité passée en lui offrant le plein d'essence.
Ils s'arrêtent déjeuner près du lac Vattern. Henrik et Marianne profitent de la pause pour revoir la vieille mère d'Isak. L'orage gronde. Agée de 96 ans, elle se plaint de son isolement. Elle a pourtant eu dix enfants tous morts sauf Isak. Ses 20 petits-enfants et 15 arrière-petits-enfants ne viennent la voir que lorsqu'ils ont besoin d'argent. Isak et Marianne rejoignent la voiture où Sara leur explique que Viktor et Anders se sont disputés au sujet de l'existence de Dieu.
Une fois la chamaillerie éteinte, Marianne prend le volant et des rêves étranges assaillent Isak. Alors que de oies sauvages traversent la demi-nuit suédoise, Sara, sur le tapis de fraises sauvages lui tend un miroir dans lequel il voit son visage terrifié au bord de la mort. Sara tente cruellement de le faire sourire en lui déclarant qu'elle épouse son frère. Elle s'en va s'occuper du bébé de Sigbritt, sa sœur ainée. Elle le berce, lui déclarant de ne pas peur du vent des oiseaux, des vagues de la mer bientôt. "Il va faire jour. Je te tiens dans mes bras" dit-elle. Isak voit ensuite le couple de Sara et Siegfried, heureux. Puis la nuit se reflète sur les carreaux. Il est ensuite accueilli par Sten Alman devenu examinateur qui le soumet à une première expérience bactériologie auquel il échoue : il ne voit rien d'autre que lui-même. Il ne se souvient ensuite plus du premier devoir du médecin qui serait de demander pardon. La troisième épreuve est d'examiner Berit qu'il déclare morte... mais qui rit soudainement. Sten Alman écrit le verdict sur son carnet : incompétence, froideur égoïsme dureté. Isak est enfin confronté à sa femme dans cette journée de Karine le 1er mai 1917, où elle fut infidèle. Elle est morte depuis trente ans reprochant à son mari sa froideur. Isak est condamné à la solitude.
À son réveil, il déclare à Marianne qu'il vient de rêver qu'il est mort alors qu'il est vivant. Celle-ci lui explique qu'Evald ressent la même chose alors qu'il n'a que 38 ans. Elle lui explique les raisons de sa querelle avec Evald, son mari. Elle l'avait amené au bord de la mer, un jour de pluie pour lui dire qu'elle était enceinte et voulait garder son enfant. Evald se sent déjà mort, n'a aucune confiance en la vie et refuse qu'elle garde l'enfant; lui donnant le choix entre l'enfant et lui. C'est pourquoi elle est venue depuis un mois à Stockholm.
À Lünd, ils arrivent enfin chez Marianne et Evald à 16h15 pour se préparer pour la une belle cérémonie qui a lieu, en latin, dans la cathédrale. Isak se décide à écrire ce qui s'est passé dans cette journée. Il tente un rapprochement avec sa gouvernante mais celle ci, bien certaine de l'attachement d'Isak, n'en éprouve pas le besoin. Anders, Viktor et Sara viennent lui chanter une aubade avant de partir. Evald et Marianne sont rentrés pour changer de chaussures avant d'aller au bal. Isak suggère à son fils d'écouter sa femme. Evald lui déclare l'avoir déjà fait, ne pouvant pas vivre sans elle. Isak renonce aussi à ses exigences sur la dette de son fils. Il s'endort en se souvenant des beaux jours de son enfance, tel celui ou son père et sa mère vivaient en harmonie près du lac, où le père péchait sous l'œil bienveillant de sa femme. Il s'endort heureux.
Avec Le septième sceau, son précédent film, prix spécial du jury à Cannes en 1957, Bergman avait présenté sa quête vaine d'une recherche du sens de la vie en interrogeant différentes figures : l'athée, l'innocent, la mort. La conclusion était qu'il n'y a pas de possibilité de dialogue direct avec Dieu avant d'être mort. Cette fois, Bergman propose une vision moins symbolique, plus humaine mais aussi très panthéiste du sens de la vie dans laquelle la confiance dans le monde inculquée par les parents tient la place centrale. Avec dix ans d'avance sur les américains, Bergman invente le road-movie, forme qui permet un récit très libre fait de rencontres (les auto-stoppeurs), d'échanges privilégiés avec sa compagne de route (Marianne, la belle-fille) et de retours sur son passé avec les rêves et cauchemars qui assaillent Isak.
Examen de conscience devant l'approche de la mort
C'est la première fois que le cinéaste choisit pour héros un vieil homme, dont les initiales ne sont autres que "I.B." Le réalisateur ne regarde pas le passé avec nostalgie mais livre un film aux accents préfigurateurs : le lent voyage entrepris par le personnage d'Isak est celui d'une vie qui s'achève, où les rencontres sur le chemin ravivent les bribes de son histoire qui le submergent petit à petit. Isak traverse le no man's land de l'existence comme s'il flottait entre le monde des vivants et celui des morts. Peu estimé par ses proches, il découvre que son apparent égoïsme cache de profondes failles. Des réminiscences, comme autant d'aveux de faiblesse, de déceptions et de tromperies, qui permettent au personnage de se poser des questions existentielles : "Quel type de personne ai-je été, qu'ai-je vécu ?". Le bilan n'est pas fameux, et le portrait qu'il dresse est sans concession, révélant un homme qui a tout sacrifié au profit de son travail. La rencontre avec Henrik Åkerman (Max von Sydow) est éclairante : médecin attentif et généreux, Isak s'est transformé en docteur savant et misanthrope. Isak s'était donc trompé en jugeant son métier comme un pénible gagne pain qu'il aurait transformé en passion pour la science.
A l'heure où il reçoit tous les honneurs avec le jubilé, les trente ans écoulés depuis la remise de sa thèse, Isak est assailli par les doutes. Cette solitude dans laquelle s'est enfermée Isak est en partie due à la froideur de ses parents. "Je suis transie de froid, surtout au ventre, pourquoi ?" demande la mère d'Isak à son fils qui évacue la question. Bergman lui déclare : "J'avais l'impression que certains enfants naissent d'utérus froids. Je trouve que c'est une pensée ignoble, ça, des petits fœtus qui tremblent de froid. C'est cette réplique qui m'a incité à mettre la mère dans l'histoire. Mais elle devrait normalement être morte depuis longtemps. Dans la scène où elle montre ses jouets, Marianne l'observe et comprend alors la liaison, l'enchainement héréditaire de la froideur, de l'agression et du dégoût".
C'est en redoutant que son fils rate sa vie à cause de lui qu'Isak change d'attitude. "Je n'ai aucune pitié pour les souffrances de l'âme, ne vient donc pas pleurer dans mon giron" avait-il dit à Marianne au départ de Stockolm. Il s'ouvre désormais au monde, même de façon un peu ridicule et comique avec Agda sa gouvernante.
Road-movie avec rêves, flash-back et rencontres
Ces décrochages humoristiques et cette matière hétérogène est permise par la structure libre qu'est le road-movie dont Les fraises sauvages (1957) est un précurseur ; ce que ne peut revendiquer vraiment Voyage en Italie (Roberto Rossellini, 1952) et avant Pierrot le fou (Jean-Luc Godard, 1965). Au cours des huit heures du trajet entre Stockholm et Lünd vont se succéder les rencontres avec la nouvelle Sara et ses deux compagnons, avec le garagiste Åkerman, avec le couple Alman et avec la mère d'Isak.
Mais ce sont les rêves qui restent l'élément formel le plus récurant. Ils donnent lieu aussi à quatre séquences mais réparties sur l'ensemble du film alors que les rencontres se situent toutes entre le deuxième et le troisième rêve. "L'horloge sans aiguilles, les chevaux qui tirent le char funèbre et qui soudain se figent, le soleil aveuglant et le visage du vieil homme tandis que son squelette le place dans le cercueil. Qui peut oublier de telles images ?" déclarait Woody Allen en 1998. La première représentation du rêve comme champ de symboles est pourtant un peu datée. Le cauchemar initial évoque l'angoisse de la mort prochaine avec ses montres sans aiguilles qui se révéleront être une réminiscence de celle du père mort et qui sera offerte par sa mère à son neveu, le fils ainé du son frère d'Isak, Sigfrid, qui va avoir 50 ans. Les battements du cœur sont assimilés aux battements du temps ; ils marquent le passage des secondes qui pourraient donc bien s'arrêter. La ville déserte est à l'image de la solitude d'Isak. L'attente des femmes (1952) avait déjà mêlé par ses espaces urbains déserts et géométrisés l'angoisse de la mort et la solitude. Bergman est aussi assez proche des espaces géométrisés d'Un chien andalou (Luis Bunuel, 1929) et la vision surréaliste se confirme avec l'apparition du char funèbre puis de la roue, symboliquement celle du temps, qui vient se rompre près d'Isak. Le cadavre d'Isak qui vient le tirer dans son cercueil est aussi motif surréaliste.
(voir : montres)
Bergman se montre plus léger dans le second rêve, celui des fraises sauvages où Isak se promène avec son âge actuel au sein des personnages de sa jeunesse qui ne le voient pas. Le fait qu'il puisse les approcher, se déplacer au milieu d'eux sans être agressé place ce rêve sous le signe de la rêverie et de la méditation.
La troisième séquence de rêve revient aux cauchemars. Cette fois c'est Sara et l'examinateur qui l'agressent alors que lui-même est séparé par une vitre de la pièce où Sigfrid et Sara vivent heureux. Les oies sauvages et la demi-nuit suédoise accentuent l'aspect fantastique de ce troisième rêve. Bergman y renouvelle complètement sa façon de représenter la mort : elle devient moins terrible qu'ironique comme un châtiment trop simple et trop rapide. Ainsi, Sten Alman demande-t-il à Isak d'examiner une patiente, Berit, que Isak déclare morte et qui lui rit alors au nez. Le motif de la fausse mort et donc du désir de fuir un monde trop dur sera repris dans Persona (1966) et L'heure du loup (1968). La mort est refusée au médecin qui va devoir subir l'épreuve de l'examen de sa propre vie conjugale. Le châtiment sera, "la solitude, comme toujours".
(voir : cauchemar)
Vient enfin le quatrième et dernier rêve, réconciliateur avec la jeunesse. Placé sous le signe de l'automne et du vent, il passe brusquement au printemps avec le champ de fleurs dans lequel Sara conduit Isak à sa vision de ses parents heureux.
Le flash-back est traité avec la même simplicité que l'apparition de la Sara moderne. "Il occupait la même place que vous" déclare Marianne et, dans le contrechamp, Evald occupe la même place qu'Isak.
Lumière dans l'obscurité
L'antagonisme entre Anders et Viktor sur la croyance en Dieu est resté stérile même si Bergman continue de croire en la présence de Dieu qui imprègne toute chose. lors du repas de midi, Isak, Marianne et Anders récitent successivement les vers d'un cantique suédois du XIXe : "Mais où est donc l'ami que partout je cherche. Dès le jour naissant mon désir ne fait que croître et quand le jour s'achève, c'est en vain que j'appelle. Je vois ses traces, je sens qu'il est présent partout où la sève monte de la terre, où embaume une fleur et où s'incline le blé doré. Je le sens dans l'air léger dont le souffle me caresse et que je respire avec délice. Et j'entends sa voix qui se mêle au vent d'été ". Ce cantique sera repris comme un poème d'amour par Téchiné dans Ma saison préférée et c'est bien ainsi que l'entend Viktor.
"Je veux me dire quelque chose que je me refuse à entendre lorsque je suis réveillé : lorsque je suis fatigué ou triste j'ai l'habitude d'évoquer le monde de mon enfance pour me calmer, c'est ce que j'ai fait ce soir." Et Isak d'évoquer ce moment heureux où père et mère vivaient en harmonie. Cette soudaine lumière apportée par le souvenir clôt les séquences nostalgiques et cauchemardesques. Tout aussi soudaine avait été l'apparition de la Sara moderne, littéralement descendue d'un arbre pour réconcilier par son enthousiasme, Isak avec sa jeunesse.
Formellement splendide, inhabituellement optimiste, avec des traces d'humour (le recul d'Isak devant le jeu d'échec allusion transparente au septième sceau, Agda à son service depuis 40 ans aussi attentive au sort de Marianne et Evald que Isak et qui laisse sa porte entrouverte durant la nuit). Les fraises sauvages obtient l'Ours d'or au Festival de Berlin en 1958 et reste l'une des œuvres les plus marquantes de Bergman.
Jean-Luc Lacuve le 12/03/2014
Bibliographie : Le cinéma selon Bergman, entretiens recueillis par Stig Bjökman, Torsten Manns et Jonas Sima, cinéma 2000/Seghers. Stockholm, 1970. Paris, 1973. Cinquième entretien, 1968, pages 157 à 175 :
- J'étais parfaitement conscient dès le départ que l'ingénieur Ahlman et sa femme étaient des caricatures de Stig Ahlgren et de son épouse. Pour une raison mystérieuse, Stig Ahlgren (critique littéraire et cinématographique) m'avait fusillé en tant que metteur en scène. Et c'était ma revanche.
- Après avoir assez longtemps travaillé au scénario, je me suis rendu compte d'un détail curieux et fortuit, à savoir qu'Isak Borg portait les mêmes initiales que moi. Et je n'y avais vraiment pas pensé avant. J'avais choisi le prénom d'Isak parce que je trouvais le personnage "glacial" (isig en suédois).
- La mère d'Isak dit : "Je suis transie de froid, surtout au ventre, pourquoi ? ". J'avais l'impression que certains enfants naissent d'utérus froids. Je trouve que c'est une pensée ignoble, ça, des petits fœtus qui tremblent de froid. C'est cette réplique qui m'a incité à mettre la mère dans l'histoire. Mais elle devrait normalement être morte depuis longtemps. Dans la scène où elle montre ses jouets, Marianne l'observe et comprend alors la liaison, l'enchainement héréditaire de la froideur, de l'agression et du dégoût.
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Les fraises sauvages : Une vie au passé ?
Ingmar Bergman, encore au début d’une carrière déjà très riche, réalise un film centré sur le temps et sa fuite inexorable au travers du personnage du vieil Isak Borg – incarné par son maître Victor Sjöström. Il signe là un film d’une inépuisable richesse et l’un de ses plus grands chefs d’œuvres.
Les Fraises sauvages (Ingmar Bergman, 1957) : Une vie au passé ?
« Notre commerce avec les hommes a pour principal objet de discuter et de juger le caractère et le comportement de notre prochain. Aussi ai-je, de mon propre gré, renoncé à toute vie prétendument sociale. » Déclaration, en voix off, d’Isak Borg (Victor Sjöström) au début des Fraises Sauvages
Ingmar Bergman (1918-2007)
Lorsque sort, à la fin de l’année 1957, Les Fraises sauvages, Ingmar Bergman, son auteur, a déjà réalisé depuis son premier film, Crise (1946), près d’une vingtaine de longs-métrages ; une suractivité à laquelle il faut ajouter une importante carrière théâtrale (tant comme auteur que comme metteur en scène[1]). Le Suédois s’est surtout déjà complètement imposé parmi les réalisateurs majeurs de son époque depuis Un été avec Monika (1953) – et le célèbre regard face-caméra de l’héroïne (Harriet Andersson) qui inspirera nombre de cinéastes[2] – ce qu’il ne cessera de confirmer, tout au long des cinquante années suivantes – en fait jusqu’à son dernier film, l’un de ses meilleurs, Sarabande (2003)[3] – pour finir par apparaître comme l’un des plus grands auteurs de son époque. Pour lui, l’année 1957 sera particulièrement riche puisque sortent (entre autres) deux de ses films les plus célèbres : Le Septième Sceau (prix de jury au festival de Cannes), fascinante fable métaphysique aussi sublime sur le plan visuel que difficilement accessible du point de vue du contenu et, donc, Les Fraises sauvages (ours d’or au festival de Berlin 1958). A cette époque, ses thèmes de prédilection semblent être les relations entre hommes et femmes et le rapport de l’Homme à Dieu, au pêché et à l’éthique[4]. Les Fraises sauvages vont prolonger les réflexions de Bergman sur ces deux thèmes mais aussi élargir ses horizons tout en offrant une superbe leçon de mise en scène. Retour donc sur chef d’œuvre.
Marianne Borg (Ingrid Thulin) et Isak Borg (Victor Sjöström)
De ce film, on le verra, incroyablement riche, on retiendra tout d’abord qu’il raconte essentiellement le voyage en voiture d’un vieux docteur, Isak Borg (Victor Sjöström), – qui quitte sa petite maison retirée pour aller chercher, à Lund, un prix récompensant ses cinquante ans de carrière[5] – qu’il fait en compagnie de sa belle-fille Marianne (Ingrid Thulin) puis de divers autres protagonistes rencontrés sur la route. De cet embryon de scénario incroyablement simple, Ingmar Bergman va tirer un film foisonnant. On fera toutefois, à ce stade, deux remarques. S’il est évident que le film, narrant un voyage, ne respecte en rien l’unité de lieu, il se déroule strictement sur vingt-quatre heures (le film s’ouvre sur Isak se couchant à la veille de son voyage et se conclue sur le même s’endormant à l’issue de celui-ci). Il ne faut sans doute pas y voir un quelconque rapport avec la tragédie grecque mais une forme d’élégance et de maîtrise dans un film qui va multiplier les temporalités – en utilisant notamment le flash-back – et jouer des différents pans de réalité (avec des rêves et des références plus ou moins fantasmées au passé). Le réalisateur travaille sur le temps et commence donc par l’enfermer sur lui-même. Car le temps qui passe, ou qui est déjà passé, est bien le premier des thèmes des Fraises sauvages. Le choix de l’acteur principal est, à cet égard, décisif. Il s’agit donc de Victor Sjöström. Or celui-ci (âgé de soixante-dix-huit ans dans le film comme dans la vie) est plus connu comme réalisateur (notamment de La Charrette fantôme en 1921 et, à Hollywood, du Vent en 1928) étant, en effet, le premier des grands réalisateurs suédois. Il est donc, en quelque sorte, le père artistique d’Ingmar Bergman[6] (de trente-et-un ans son cadet[7]). Cela ne manque d’influer sur la lecture du film d’autant qu’il en constitue, et c’est là la seconde remarque qu’il convient de faire, le centre absolu. Il n’est ainsi, à une exception près – lorsque Marianne lui raconte une dispute avec Evald (Gunnar Björnstrand), son mari et fils d’Isak – jamais absent de la moindre séquence des Fraises sauvages ne serait-ce (et cela arrive à plusieurs reprises) qu’en simple spectateur. Cela ne fait pas véritablement tendre le film vers l’unité d’action mais du moins vers celle de point de vue d’autant qu’Isak a souvent l’occasion de s’exprimer en voix off. Le spectateur suit donc ce personnage à la trace, que ce soit dans ses actions, ses réflexions ou ses rêves et ne peut donc manquer d’être en pleine empathie avec celui-ci.
Isak Borg lors de son « examen »
Isak – et la citation placée en exergue de ce texte le confirme largement – ne cessera de se présenter comme un homme froid, glacial même et d’autres personnages confirmeront ce jugement (dont sa belle-fille qui fustige, au début de leur voyage, son « extrême égoïsme » caché sous des abords de « vieux monsieur courtois »). Pourtant, tel qu’il apparaît dans le film, il semble tout différent et émeut régulièrement le spectateur. On comprend tout de même qu’il fut, à l’extrême, un homme de principes – d’où sa froideur qu’elle soit feinte ou réelle – ce qui l’a conduit, par exemple, à s’éloigner de son fils dont il exige le remboursement d’un prêt. Surtout il apparaît comme marqué par la fuite d’un temps qu’il ne peut plus guère rattraper. Son étrange cauchemar – situé au tout début du film – le montre, autant qu’il instaure dans Les Fraises sauvages une certaine atmosphère d’étrangeté (certes moindre que dans Le Septième Sceau ou dans L’Heure du loup – 1968 – mais tout de même). Ainsi Isak se trouve, lors de cette superbe séquence (sans dialogue hors l’introduction en voix off du personnage), égaré dans un quartier, vide, en ruines et inconnu, de la ville. Il voit tout d’abord une horloge sans aiguilles[8] puis rencontre un homme (dépourvu d’yeux) qui s’écroule et se transforme en flaque de sang lorsqu’Isak le touche ; enfin, passe un corbillard dont tombe le cercueil et, lorsque Isak s’approche, il voit que c’est son propre corps qui y a pris place. On ne saurait mieux introduire le thème d’une mort omniprésente et d’un temps arrêté. Le reste du film confirmera cela. Lors d’un premier détour dans son voyage, il se rend sur les lieux de la maison de vacances de son enfance[9] et Isak, se rappelant ses souvenirs de jeunesse, tombe à nouveau dans le sommeil. On découvre alors, non pas son secret – car rien n’atteste que le personnage ait tenu cela caché – mais un élément jusqu’alors inconnu. Dans cette maison, où se cueillaient les fameuses fraises sauvages du titre et où sans doute le jeune Isak connaissait une forme de légèreté qui l’a fuie par la suite, s’est joué le drame de sa jeunesse et, sans doute, de sa vie. Il aimait, en effet, sa cousine Sara (Bibi Andersson) mais, après lui avoir donné quelques assurances, celle-ci a épousé son frère aîné Sigfrid (Per Sjöstrand) qui était « gai et passionné » quand Isak était si « sérieux »[10]. Ce ne peut être qu’une hypothèse mais l’idée d’un « grand amour perdu » qui aurait déterminé la suite du comportement d’Isak dans son « commerce avec les hommes » s’impose fatalement au spectateur d’autant qu’on apprendra, par la suite, qu’il ne fut guère heureux dans son propre mariage avec Karin (Gertrud Fridh). Toujours est-il qu’à l’issue de ce rêve, Isak confie être pris d’« un poignant sentiment de tristesse ».
Anders (Folke Sündquist), Victor (Björn Bjenfvenstam), Sara (Bibi Andersson),Isak Borg et Marianne Borg
Un second détour dans le voyage d’Isak renforcera cette impression d’une vie ratée qui, sans aucunement en donner l’air, a presque tourné au désastre tant les désillusions sont grandes. Isak se rend ainsi chez sa très vieille mère (Naima Wifstrand). L’atmosphère de cette séquence, pourtant pleinement située dans le réel (au sens cinématographique du terme) est proprement glaçante. On voit ainsi cette femme sévère qui vit au milieu de ses souvenirs – tout son intérieur, son univers même, n’est constitué que par ceux-ci (on retrouvera d’ailleurs, parmi eux, une montre dépourvue d’aiguilles) et pourtant elle semble prête à s’en débarrasser comme s’ils n’avaient plus nulle importance (elle donnera une photographie à Isak) – et qui est surtout d’une rancœur semblant sans limites ; on découvre ainsi qu’Isak est le seul survivant de ses dix enfants alors qu’elle ne voit aucun – à l’exception d’Evald – de ses vingt petits-enfants et de ses quinze arrière petits-enfants malgré les « cinquante cadeaux qu’elle envoie par an » dont elle ne reçoit, en retour, que des « cartes aimables ». Prisonnière de visions rétrogrades – elle reproche à Marianne de ne pas avoir d’enfants quand il s’agit là du rôle premier d’une femme –, elle finit même par confier que son principal défaut est d’être encore en vie ce qui retarde l’héritage tant attendu par certains. Cette séquence montre donc une femme développant et cultivant sa misanthropie. L’impression d’enfermement (liée au fait que l’on se retrouve à l’intérieur d’une maison peuplée d’éléments d’un passé révolu ce qui tranche complètement avec les scènes en pleine nature qui peuplent les souvenirs d’Isak) est à son comble. Aussi, un peu plus loin dans le film, Marianne peut dire qu’elle a eu l’impression que cette femme était, en un sens, déjà morte. Et cette réflexion semble pouvoir s’appliquer à toute la famille Borg. En effet, au-delà d’Isak et de sa mère (qui sont tout de même deux vieillards), Evald a le même genre de pensées. Et l’on apprend, grâce à la relation de la scène par Marianne (la seule donc où Isak est physiquement absent), qu’elle et son mari sont séparés parce que Marianne attend un enfant et qu’elle souhaite le garder quand lui n’en veut pas. Pour Evald, qui apparaît pour la première fois à l’écran et semble particulièrement psychorigide, cette révélation entraîne ce commentaire dans lequel affleure un évident désespoir : « Il est déjà absurde de vivre ; il est encore plus absurde de vouloir repeupler la terre » ; puis « cette chienne de vie me donne la nausée et je ne veux pas prendre une responsabilité qui m’oblige à vivre un jour de plus que je ne le veux ».
Isak Borg, sa mère (Naima Wifstrand) et Marianne Borg
Cette dimension proprement morbide – qui frappe donc différentes générations – est renforcée par les deux rêves successifs d’Isak intervenant au milieu de son voyage en voiture. Ils sont l’occasion – ce qui accentue l’ambiance proche du fantastique qui marque parfois Les Fraises sauvages – pour le vieux docteur d’instruire son propre procès et d’introduire des interrogations d’ordre éthique. Le premier lui rappelle sa jeunesse perdue et sa décrépitude actuelle. Il se retrouve à dialoguer avec la jeune Sara, son grand amour de jeunesse, qui lui impose de se regarder dans une glace ce qui lui montre son vieillissement puis elle lui avoue qu’elle va épouser son frère Sigfrid car ils s’aiment « par jeu », notion que le si sérieux (et droit ?) Isak ne peut sans doute guère envisager. Ensuite, comme pour ajouter à son humiliation, elle court à travers les champs et va chercher son enfant ; ensuite elle rejoint Sigfrid dans une maison et Isak les voit s’embrasser. Il s’est donc approché de cette maison et l’enchaînement – sans aucune transition (comme cela se produit dans le rêve) – avec son second rêve est superbe sur le plan plastique. Un plan sur la Lune indique que la nuit tombe – ce qui renforce l’aspect cauchemardesque de la scène – et Isak, comme pour se réfugier, frappe à la porte alors que son ombre se reflète dans les carreaux. Après un moment, un homme étrange, déjà rencontré dans la réalité, Alman (Gunnar Sjöberg)[11], vient lui ouvrir. Les deux traversent alors un long couloir à l’issue duquel se trouve une salle d’examen. Le vieux professeur est alors ramené dans la situation d’un jeune étudiant et se montre incapable d’identifier une culture microbienne mais surtout de rappeler le premier devoir du médecin qui est de « demander pardon ». Ainsi, à travers son rêve, Isak s’accuse-t-il d’avoir été un mauvais médecin, lui qui est le jour même honoré et qui vient de croiser un couple de pompistes, les Akerman (Max von Sydow et Ann-Marie Wiman), qui ont refusé de lui faire payer son essence en souvenir de ses bienfaits passés. Et l’accusation se poursuit puisque Alman entraîne Isak au dehors. Il y revoit une scène du passé lorsque sa femme Karin le trompait avec un autre homme (Ake Fridell). C’est l’occasion pour Isak de se reprocher d’avoir été un mauvais mari et on entend sa défunte femme dire notamment qu’il est d’une « générosité hypocrite ». A la fin, cet étrange dialogue conclut cette mise en scène des péchés – réels ou supposés – d’Isak :
« Isak : Et le châtiment, quel sera-t-il ?
Alman : La solitude, comme toujours.
Isak : Et il n’y a pas de grâce ?
Alman : Je n’ai aucune idée à ce sujet. »
Isak Borg et Sara
Aussi, si l’on observe que le film rejoint ici des interrogations métaphysiques récurrentes chez Ingmar Bergman, on est surtout amené à se demander si ce personnage est véritablement si négatif et si Les Fraises sauvages n’offre que de noires perspectives sur la vie humaine. Incontestablement, la réponse est non. D’une part, on l’a déjà dit, la structure même du film (et notamment le fait qu’il soit complètement centré sur le personnage d’Isak Borg qui, en outre, dispose de la voix off qu’il utilise en particulier à des fins d’introspection) rend le spectateur proche du héros et il ne peut s’empêcher de trouver sympathique ce vieux monsieur qui se pose tant de questions et a du subir tant de déceptions au cours de sa vie. D’autre part et surtout, l’introduction d’une deuxième Sara (également jouée par Bibi Andersson) transforme la nature du voyage d’Isak. Celle-ci apparaît à l’écran lorsqu’Isak se réveille après son retour dans la maison de son enfance. Si elle peut parfois se montrer légèrement agaçante, elle est surtout d’une immense fraicheur, porte en elle une certaine ingénuité et semble complètement libérée – surtout comparativement aux angoisses qui perturbent les autres personnages. De plus, ses relations avec Isak sont immédiatement très directes – elle le tutoie et il ne s’en émeut pas – et très franches. Elle apporte donc à ce film, par ailleurs si lourd, une extrême légereté et en offre un peu à Isak. Elle montre ainsi qu’un dialogue entre générations est possible, voire souhaitable (car les deux personnages semblent avoir beaucoup à s’apporter mutuellement) et, entre Isak et Sara, Ingmar Bergman filme le moment, magique, d’une rencontre qui n’est certes pas amoureuse mais tout de même d’une grande densité émotionnelle. Aussi, grâce à Sara et les deux garçons qui l’accompagnent – le protestant Anders (Folke Sündquist) et l’athée Victor (Björn Bjenfvenstam) – et se disputent ses faveurs, le personnage est-il définitivement humanisé et l’on ne peut s’empêcher de penser (ce doute ajoutant à la qualité du film) soit qu’Isak a eu tort de renoncer si longtemps à toute vie sociale, soit qu’il ne l’a jamais complètement fait. Toujours est-il que Sara et ses compagnons donnent une touche d’humour à ce film – que l’on retrouve également, au début et à la fin, dans les rapports d’Isak avec sa gouvernante Agda (Jullan Kindahl) – et participent de sa réussite lui offrant une plus grande complexité encore. De plus, ils accompagneront Isak tout au long de son voyage, assistant même à la cérémonie en son honneur. Et, au moment de le quitter, ils viendront chanter sous sa fenêtre pour le remercier. Cette scène touchante a son importance dans le final apaisé des Fraises sauvages. Certes, tout n’est pas parfait puisque Isak a échoué à faire annuler le remboursement du prêt que lui doit son fils (et cela montre qu’entre les deux – Marianne a d’ailleurs dit qu’Evald respectait mais détestait son père – la communication reste difficile sinon impossible) et à obtenir qu’Agda et lui se tutoient (mais la scène est plutôt comique). Néanmoins, Evald et Marianne semblent en passe de se réconcilier alors que celle-ci et Isak s’avouent qu’ils s’aiment bien. Bref, une certaine harmonie règne dans les ultimes minutes de ce film, si dur par moments, et Isak peut s’endormir une dernière fois en pensant à sa jeunesse, mais cette fois le passé est surtout teinté d’une grande nostalgie d’autant qu’il mobilise, pour la première fois, la figure du père du héros (Ulf Johansson), jamais évoquée ce qui laisse la place à quelques supputations supplémentaires…
La montre sans aiguilles
Quelques mots encore sur ces Fraises sauvages pour souligner que si le temps et son inexorable fuite en sont bien sûr au centre, il ne faut pas négliger la richesse du film et sa beauté plastique. Ainsi le thème du couple sera largement abordé tout au long de l’œuvre que ce soit à travers l’amour perdu d’Isak, son mariage raté, la courte séquence dans laquelle interviennent les Alman, les difficultés de Marianne et d’Evald et même – sur un mode, bien sûr, plus léger – les interrogations de Sara et les confidences qu’elle fait à Isak. De même le rapport à la religion (mais aussi à la tradition avec le personnage de la mère) est omniprésent surtout à travers les interrogations du héros mais également dans la confrontation des idées de Victor et d’Anders qui, bien qu’amis, n’hésitent pas à opposer régulièrement leurs points de vue tranchés (et imparfaitement étayés) sur le sujet allant même – ce qui donnera lieu à une scène assez réjouissante – jusqu’à se battre. Cela place Les Fraises sauvages dans la continuité de l’œuvre antérieure de son auteur mais donne également l’idée, et les personnages de Sara, Anders et Victor jouent là encore un rôle-clé, qu’alors que le temps passe et que la mort rôde, la vie n’en continue pas moins avec ses inaliénables constantes – ce qui ne fait que renforcer un peu plus encore la densité et la profondeur du film. Du point de vue de l’esthétique, on ne peut qu’admirer cette magnifique exposition qui voit Isak, seul dans son cabinet de travail, se présenter en voix off alors que des photographies viennent appuyer son propos[12]. Quant à l’utilisation de cette voix off, elle est tout aussi parcimonieuse que décisive. On l’apprécie tout particulièrement quand elle annonce les rêves que fait Isak, ceux-ci se déroulant généralement ensuite dans le silence (en dehors de quelques moments dialogués) ce qui renforce leur étrangeté et leur intensité dramatique d’autant que Bergman n’hésite pas alors à mobiliser des raccords compliqués (il y a de forts beaux fondus enchaînés) et des éclairages qui flirtent avec l’expressionnisme. Dernier point, on trouve de temps en temps de ces dialogues qui, parfois sous une apparente courtoisie, sont d’une violence extrême (notamment le premier entre Marianne et Isak). Ceux-ci deviendront caractéristiques de l’œuvre ultérieure de l’auteur (par exemple dans Cris et chuchotements, 1972). Bref, Les Fraises sauvages, leçon de mise en scène et film-somme, est l’un des multiples sommets de la riche carrière d’Ingmar Bergman.
Isak Borg, Marianne Borg, Sara, Anders et Victor
Ran
[1] Bien qu’il soit infiniment moins reconnu dans cet art que dans le cinéma, Ingmar Bergman a toujours affirmé que le théâtre était son premier métier.
[2] A commencer par le jeune Jean-Luc Godard dans A bout de souffle (1960).
[3] En fait, bien qu’il soit (et l’on ne peut que s’en réjouir) sorti en salles en France et dans de nombreux pays, Sarabande (qui est plus ou moins la suite de Scènes de la vie conjugale, 1973) est un téléfilm comme toutes les dernières œuvres de son auteur. Le dernier film d’Ingmar Bergman est Fanny et Alexandre (1982).
[4] Ingmar Bergman, fils d’un rigide pasteur luthérien, entretiendra toujours – lui qui, comme beaucoup de créateurs scandinaves (notamment le dramaturge norvégien Henrik Ibsen – dont Bergman mettra en scène plusieurs des pièces après 1957 ou le cinéaste danois Carl Theodor Dreyer), a subi l’influence de la philosophie du danois Søren Kierkegaard (1813-1855) – un rapport extrêmement complexe à la religion en général et au protestantisme en particulier.
[5] On remarquera qu’Harry dans tous ses états (Woody Allen, 1997) raconte aussi le voyage d’un homme allant chercher un prix qui récompense sa carrière. Le film (l’un des plus drôles de son auteur) n’a, en dehors de cela, que peu à voir avec Les Fraises sauvages (si ce n’est qu’il tourne intégralement autour d’un personnage – Harry incarné par Woody Allen – et mêle le réel et l’irréel). Sans doute s’agit-il d’un hommage assez discret de Woody Allen à l’un de ses nombreux maîtres (sur ce point voir mon texte consacré à Zelig publié dans « Un auteur, une œuvre ») qui en fit un beaucoup plus évident avec Intérieurs (1978).
[6] Notons que Victor Sjöström fut acteur dans plusieurs de ses propres films et qu’avant Les Fraises sauvages, il joua dans l’un des premiers films d’Ingmar Bergman, Vers la joie (1950), dans lequel il ne tenait pas le rôle principal. Remarquons également que les initiales de l’auteur sont les mêmes que celles d’Isak Borg.
[7] Ingmar Bergman a, au moment où il tourne Les Fraises sauvages, le même âge qu’Evald, le fils d’Isak Borg.
[8] On remarque que, comme Henrik Ibsen par exemple, Ingmar Bergman a été fortement marqué par le symbolisme.
[9] Il y a donc une volonté du héros d’aller au contact de son passé.
[10] Dans les rêves d’Isak, celui-ci apparaît toujours vieux quand les autres personnages ont les traits de la jeunesse. Notons que dans ce rêve là, Isak est simple spectateur.
[11] Il s’agissait d’un automobiliste avec lequel Marianne et Isak ont eu un accident sans gravité. En compagnie de sa femme (Gunnel Broström), ils montent dans la voiture du docteur mais, ceux-ci ne cessant de se disputer – et surtout Alman humiliant sa femme –, Marianne les priera rapidement de descendre.
[12] Cette exposition annonce celle, sublime, de Sarabande.
http://desoncoeur.over-blog.com/article-les-fraises-sauvages-52595926.html
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LES FRAISES SAUVAGES DE INGMAR BERGMAN
ARTE poursuit son court cycle Ingmar Bergman en diffusant lundi 20 juillet à 23h50 Les Fraises sauvages (Smultronstället, 1957), l’un des chefs-d’œuvre du cinéaste suédois, l’un de ses plus grands succès aussi et le titre de sa consécration internationale, avec Le Septième Sceau tourné la même année.
La veille de la cérémonie qui doit honorer et célébrer sa longue carrière de médecin, le professeur Isak Borg (Victor Sjöström, l’auteur de La Charrette fantôme et du Vent, grand cinéaste du muet en Suède et à Hollywood) fait un rêve étrange où il est confronté à sa propre mort. Le lendemain, il décide de partir en voiture à l’université de Lund en compagnie de Marianne (Ingrid Thulin), sa belle-fille. Durant le trajet, au fil des rencontres, des discussions et des rêves, le vieux professeur fait le bilan d’une vie gâchée par l’égoïsme, de retour sur les lieux de sa vie passée. Il revoit sa jeunesse avec le coin des fraises sauvages où l’entraînait sa cousine, dans le jardin de la maison familiale. Puis il évoque ses souvenirs de médecin de campagne. Il finira par se réconcilier avec lui-même.
On ne parlait pas de « road-movie » dans les années 50, et en Europe encore moins qu’aux Etats-Unis, et pourtant Les Fraises sauvages en est un, avant l’heure. Le déplacement géographique du professeur sur les routes de la campagne suédoise se double d’un voyage mental dans le temps et la mémoire, un retour aux origines de l’enfance tandis que le couronnement de sa carrière, antichambre de la mort, approche, au bout du chemin de l’existence.
Bergman joue brillamment avec le temps et l’espace, les retours en arrière, les scènes de rêve mêlées à la réalité avec une extraordinaire fluidité. Le film débute sur une séquence onirique où le vieux professeur, à la veille de son voyage, rêve à sa propre mort, dans une ruelle métaphysique où les horloges n’ont pas d’aiguilles. Bergman avouera que ce rêve comme celui de l’oral catastrophique devant des examinateurs dans une classe d’école, étaient d’authentiques rêves dont il se souvenait.
Alors âgé seulement de trente-sept ans et ayant déjà réalisé seize longs métrages (!), constamment accablé par la maladie, la dépression et le surmenage, Bergman imagine dans Les Fraises sauvages son autoportrait en vieillard, traversé par les mêmes angoisses que son personnage, et ce sentiment tenace d’avoir raté sa vie, malgré le succès et une gloire précoce.
Bergman écrit au début de Images publié en 1990 : « La force motrice des Fraises sauvages est donc une tentative désespérée de me justifier face à des parents mythiquement démesurés qui me tournent le dos – tentative vouée à l’échec. C’est seulement des années plus tard que père et mère se sont transformés pour moi en des êtres aux proportions normales et que ma haine infantile et furieuse s’est dissoute, a disparu. Nous nous sommes alors rencontrés dans l’affection, la compréhension réciproques. » Les scènes de réunion familiale des Fraises sauvages trouveront en effet un écho heureux dans Fanny et Alexandre, le testament de Bergman diffusé le même soir sur ARTE.
Avant de se conclure sur des images d’apaisement, Les Fraises sauvages se révèle aussi l’un des films les plus optimistes, sensuels et drôles de Bergman – notamment grâce aux jeunes zazous que le vieux professeur prend en auto-stop, parmi lesquels la mutine Bibi Andersson. Le critique Jean-Luc Godard ne s’y trompera pas en envoyant un télégramme enflammé du Festival de Berlin – où Les Fraises sauvages remporta l’Ours d’or – expliquant en substance que si l’on multipliait Heidegger par Giraudoux on obtenait Bergman.OLIVIER PÈRE
Catégories : Sur ARTE
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15 février 2015
Les Fraises sauvages (1957) de Ingmar Bergman
TITRE ORIGINAL : « SMULTRONSTÄLLET »
Le professeur Borg, âgé de 78 ans, doit recevoir un prix couronnant ses cinquante années en tant de docteur. Il se rend en voiture à l’Université de Lund avec sa belle-fille Marianne. Pendant le trajet, il revit certains éléments de son passé… Ecrit et réalisé par Ingmar Bergman, Les Fraises sauvages fait partie des oeuvres les plus profondes du cinéma. Cet homme qui se sent proche de la mort porte un regard sur sa vie, à la fois par introspection et par le regard des autres, ce qui génère en lui une foule de sentiments variés, parfois contradictoires, qui le désorientent. La forme est aussi enthousiasmante que le fond car Bergman fait preuve d’une remarquable limpidité et d’une grande simplicité dans sa mise en scène ; rien n’est appuyé et pourtant tout est fort. En 1957, Bergman avait déjà une vingtaine de films à son actif mais il n’avait pas encore quarante ans : tant de maturité dans son cinéma et dans son propos qui aborde de nombreux aspects fondamentaux de la vie est assez exceptionnel. C’est d’autant plus étonnant que l’on sait qu’il y a souvent, dans ses films, une certaine identification de Bergman avec son personnage principal. Ce n’est pas un film sombre et amer, comme en témoigne la très belle fin ; la lucidité de son propos le place au-delà de cette simple problématique. Ce n’est pas non plus un film sur la mort, c’est bien plus un film sur la vie, sur ce qui la constitue, sur l’essence-même du passé. Comme j’ai pu personnellement le constater, Les Fraises sauvages est un film que l’on peut voir plusieurs fois, à des moments différents de notre vie, et ressentir différemment. Sa profondeur le permet.
Acteurs: Victor Sjöström, Bibi Andersson, Ingrid Thulin, Gunnar Björnstrand, Max von Sydow
Voir la fiche du film et la filmographie de Ingmar Bergman sur le site IMDB.Voir les autres films de Ingmar Bergman chroniqués sur ce blog…
Voir les livres sur Ingmar Bergman…
Ingrid Thulin et Victor Sjöström dans Les Fraises sauvages d’Ingmar BergmanRemarques :
* Victor Sjöström avait exactement l’âge de son personnage. Rappelons que Victor Sjöström est l’un des plus grands cinéastes du cinéma muet et, à ce titre, l’un des maîtres de Bergman. Ses films sont hélas assez difficiles à voir aujourd’hui. D’abord en Suède, puis à Hollywood entre 1924 et 1930 où il réalisa de grands films (notamment avec Lilian Gish) qui n’eurent jamais le succès qu’ils méritaient, ce cinéaste a toujours fait preuve d’un grand lyrisme dans ses réalisations mais aussi d’inventivité (voir sa filmographie sur IMDB). Les Fraises sauvages est son dernier film en tant qu’acteur puisqu’il est décédé deux ans plus tard.
* La première scène de rêve au début du film est un hommage au très beau film de Victor Sjöström La Charrette fantôme (1921).==============================================
LES FRAISES SAUVAGES, INGMAR BERGMAN : ET VOUS, QU’AVEZ-VOUS FAIT DE VOTRE VIE ?
Les Fraises Sauvages – Résumé
Le Dr Isaak Borg a mené avec brio sa carrière de médecin et doit être récompensé par une distinction honorifique.
Mais peu avant son départ, il fait un rêve étrange dans lequel il est confronté à la perspective de sa propre mort. Le vieil homme, perturbé par les réflexions que le rêve éveille en lui, décide alors de hâter son départ et de prendre sa voiture, accompagné par sa belle-fille Marianne.
Ce voyage ouvre à Borg autant d’opportunités de replonger dans des lieux qui ont marqué son passé et il réalise peu à peu que la solitude dans laquelle il est plongé pourrait bien avoir une explication tangible.
Lui, qui pensait maîtriser sa vie avec maestria, ne s’est-il finalement pas bercé d’illusions ?
Réalisateur – Ingmar Bergman.
Durée du film – minutes.
Note – ★★★★☆Les Fraises Sauvages – Critique
J’avais découvert Ingmar Bergman avec Le Septième Sceau et j’avais été fascinée par la richesse symbolique de son film. Les Fraises Sauvages nourrissent également la perspective de profondes réflexions sur deux thèmes chers à Bergman : l’approche de la mort et la solitude.Borg, ou la solitude héritée
Isaak Borg (Victor Sjöström), au centre de l’intrigue, est un homme vieillissant qui nous apparaît d’abord comme un solitaire. Après une brillante carrière de médecin, il a perdu sa femme (Gertrud Fridh) et vit désormais aux côtés de sa gouvernante âgée qui se préoccupe de lui comme s’ils formaient ensemble un couple platonique.
Borg est de ces hommes méthodiques et rigoureux qui aiment à croire qu’ils maîtrisent leur vie avec une virtuosité indéniable. Il possède une grande intelligence analytique qui lui a permis de devenir un médecin riche et respecté, à défaut d’être aimé… et justement, il s’apprête à recevoir une distinction honorifique pour couronner cette carrière accomplie.
Mais une nuit, il plonge dans un étrange rêve où il se retrouve dans une rue déserte… face à une horloge sans aiguilles. Une rue où le seul être qu’il croise s’évapore dans le néant sous ses yeux, avec brutalité. Puis il y a ce corbillard qui, à défaut de perdre les pédales, perd ses roues et place Isaak Borg face à sa propre mort. Autant de symboles qui impliquent un arrêt, une pause dans la course du temps.
Borg exprime d’emblée quelque chose de froid qui contraste avec l’attitude ouverte des gens qui l’entourent, à commencer par sa bienveillante gouvernante qu’il traite avec rudesse. On comprend alors qu’il n’est pas solitaire. Il est seul, une situation qui résulte bien davantage de son attitude que d’un choix.
Cette froideur court dans la famille. On la ressent tout particulièrement lorsque Borg rend visite à sa mère qui, à 95 ans, n’exprime guère d’amour et agonit Marianne – la belle-fille – de reproches avant même de daigner faire sa connaissance. Elle explique qu’elle ne reçoit pas de visites bien qu’elle envoie de l’argent à chacun. Mais l’affection ne s’achète pas et ce précepte vieux comme le monde trouve sa place dans Les Fraises Sauvages.
« Ne fait-il pas froid ici ? […] J’ai eu froid toute ma vie. Surtout au ventre »
Ces propos, dans la bouche d’une femme qui a donné naissance à dix enfants, prennent soudain une signification très symbolique.
Rêves, souvenirs et réalité
Au fil de l’intrigue, on détricote peu à peu les causes de cette solitude et la part de responsabilité qui pèse sur les épaules d’Isaak Borg. On alterne entre une narration classique et des moments où Borg plonge dans ses rêves… ou, plus tard, est amené à vivre comme dans un souvenir des moments du passé lors desquels, en réalité, il n’était pas présent. Il acquiert une sorte d’omniscience qui lui permet peu à peu de porter un autre regard sur sa vie.
L’intelligence analytique dont fait preuve Borg contraste avec son incapacité à comprendre l’humain. Les rêves remettent en cause ce que Borg a de plus cher : sa maîtrise rigoureuse de la planification (c’est un homme d’habitudes) avec le symbole de l’horloge sans aiguilles ; sa confiance en ses capacités (avec une scène de tribunal où il est jugé sur ses compétences de médecin, une carrière dans laquelle il s’est pleinement investi)
Borg est un stratège qui croit comprendre comment fonctionnent les gens : il a prêté de l’argent à son fils et sait que ce dernier le remboursera, par honneur et parce qu’il a été élevé comme ça ; il pensait connaître sa femme, il pensait connaître Sara (la jeune femme dont il était épris, jouée par Bibi Andersson, et qui a fini par épouser son frère)… et ce mélange de rêves et de souvenirs lui fait prendre conscience qu’en réalité, il ne savait rien.
Il a hébergé sa belle-fille Marianne (Ingrid Thulin), persuadé que ce seul geste faisait de lui une belle âme… alors que la jeune fille aspirait plus que tout à être écoutée, une attention qu’Isaak Borg n’a su lui offrir. Il a aimé Sara mais celle-ci préférait aller chercher dans les bras d’un autre l’affection qu’il était incapable de lui donner. Il a été trompé par sa femme, ultime geste de défi contre son indifférence…
Pas étonnant que Borg soit profondément secoué par les rêves et réminiscences qui s’emparent de lui lors de son voyage entre Stockholm et Lund (à plus de 600 kilomètres). Peu à peu, de spectateur il devient acteur : passif dans ses premiers rêves, il est ensuite témoin à part entière de scènes réelles auxquelles il assiste dans une sorte de rêve lucide… avant d’être reconnu et de devenir « palpable » aux yeux des figures du passé.
Le film prend alors un tout autre sens… et c’est comme si Borg entrait dans une forme de communion avec lui-même.
Les Fraises Sauvages
« Les Fraises Sauvages », dans le film, évoquent ce coin où la douce Sara allait cueillir des fraises dans la maison familiale, à l’époque où Isaak Borg était transi d’amour pour elle mais ne savait visiblement pas le lui montrer. C’est le lieu qui cimente les incompréhensions et les souvenirs.
Et pour pleinement comprendre ce titre, il faut revenir à la version originale suédoise : le film s’appelle Smultronstället. Traduit littéralement, le mot fait effectivement référence à un carré de fraises sauvages. Mais il peut aussi désigner un lieu sous-estimé auquel sont attachés des souvenirs d’une valeur sentimentale inestimable.
Les Fraises Sauvages m’a moins séduite que Le Septième Sceau mais reste un film profond, riche en niveaux de lecture et en symboles. La photographie est superbe, le noir et blanc valorisant la pureté des jeunes visages et le poids des ans, sublimant la nature et isolant les terreurs enfouies pour nous les restituer avec une force inouïe.
C’est un film de peu de mots qui parle pourtant beaucoup. A voir absolument !==========================================
- 3 mai 2008
Pourvoyeur d'images de génie, Ingmar Bergman tient aujourd'hui, dans l'univers cinématographique, une des tout première place. La force de son oeuvre, ses réflexions graves mais d'une portée universelle, son originalité, son style, qui est celui d'un créateur à part entière, son écriture si personnelle ont fait de chacun de ses films un événement justifié. Aussi comment entrer dans cette vaste filmographie sans être désorienté ? Il me semble que "Les fraises sauvages" peuvent être une introduction valable à une oeuvre dense et difficile qui se nourrit d'humanité, mais qui a souvent intimidé le néophyte.
Bergman est le chantre de la solitude et ce long métrage aborde le sujet à travers le personnage d'un vieil homme qui vient de recevoir une distinction honorifique, couronnant sa carrière de médecin. A la suite d'un rêve, il bouscule ses plans et décide de se rendre en voiture à Lund avec sa belle-fille, ce qui lui permettra de revoir des lieux chargés d'évocations et de souvenirs.
Ce sera également l'occasion de revivre certains d'entre eux et de faire le bilan de sa longue existence. Mais, heureusement, des personnes rencontrées vont l'aider à se réconcilier avec un passé chargé d'échecs sentimentaux et d'éclairer ses vieux jours d'une lueur de tendresse.
En effet, une fois arrivé à Lund pour y recevoir sa récompense, le professeur Isaak Borg, ébranlé dans ses convictions, prend la résolution de tenter d'agir de façon à entretenir désormais des rapports moins formels avec son entourage. Un arrêt à la maison de son enfance le replonge au coeur de son passé, à la différence qu'il devient le témoin de scènes auxquelles il n'avait pas assisté à l'époque. C'est ainsi qu'il revoit sa fiancée d'alors, Sara, en train de se laisser séduire par son propre frère et qu'il la surprend plus tard se lamentant de ce que sa cour, érudite et compassée, l'avait contrainte à aller chercher ailleurs un peu plus de volupté. Se révèlent à lui l'étendue de son incompréhension à son égard et sa coupable négligence. Sa remise en cause, si elle est tardive, n'en est pas moins sincère. Si bien qu'au lieu d'une lente marche funèbre, "Les fraises sauvages" s'ouvre sur une allégorie qui n'est pas seulement pour le héros une sorte de politesse du désespoir, mais tend à conclure que l'existence se poursuit sous un éclairage autre, que le rêve est aussi une forme de vie, une vie transposée en une perspective réconciliante, où la fiancée de jadis se remet en route avec vous vers un horizon apaisé. L'auteur parvient avec virtuosité à doser rêve et réalité sans jamais leur attribuer de frontières trop précises, cela en une orchestration d'une poignante beauté. On sait également que Bergman était très musicien et qu'il se dégage de ses oeuvres une musicalité étrange qui m'a toujours frappée. Dans "Les fraises sauvages", on voit Sara jeune suspendre le temps à l'aide d'un prélude, lent et nostalgique, du clavier bien tempéré. Bergman a toujours privilégié deux types dans le répertoire musical : celui des spiritualistes comme Bach et Mozart et celui des romantiques avec Chopin, Schumann, Schubert et Bruckner. Il a consacré un film à l'opéra de Mozart : "La flûte enchantée" qui est une réussite.
Par ailleurs, "Les fraises sauvages", comme l'ensemble de l'oeuvre bergmanienne, bénéficie d'une grande rigueur esthétique, rendue peut-être plus captivante que le film a été tourné en noir et blanc, de même qu'il jouit d'une interprétation hors pair - il n'est pas besoin de souligner que le réalisateur était un formidable et très exigeant directeur d'acteurs - avec une Ingrid Thulin et une Bibi Andersen merveilleuses et un Victor Sjöström d'un puritanisme et d'une misanthropie douloureuses qui n'étaient pas éloignés de ceux de son metteur en scène. Restent les souvenirs et la nostalgie d'un passé heureux que celui-ci sait si bien traiter avec l'austérité grandiose qui le caractérise. Si bien que ce film majeur porte à son sommet une inspiration jamais démentie par la poésie : la nature ne fait qu'un avec le vertige des sens et des souvenirs qui s'empare de cet homme sans repères temporels. Chacun, au final, trouvera ce qu'il cherche, car ici rien n'est imposé. Il y est moins question de la mort, des échecs ou des désillusions que de la continuation possible de la vie alors même qu'elle arrive à son terme.Ne nous y trompons pas, Bergman s'est profondément mis en scène dans cet opus pour la raison suivante : à l'âge de 15 ans, il avait assisté à la projection de "La charrette fantôme", le grand film réalisé par Victor Sjöström, dont il reconnut, par la suite, l'immense influence. Trente ans plus tard, en réalisant "Les fraises sauvages", Bergman, voulant interroger la figure de son père, fit appel, tout naturellement, au grand cinéaste pour l'interpréter. Mais il finit par se rendre compte que ce qu'il cherchait derrière la figure paternelle était son propre passé, sa propre enfance. De cette quête, de cet examen sans complaisance de lui-même, est né ce film lumineux, où la convocation des souvenirs et des rêves mêlés à la réalité produit une atmosphère inoubliable. " La vérité, c'est que je vis sans cesse dans mon enfance. Dans "Les fraises sauvages", je me meus sans effort et assez naturellement entre des plans différents temps-espace, rêve-réalité - a confié à un journaliste le cinéaste suédois. C'est probablement cette recherche du temps perdu qui a marqué d'un sceau inaltérable cette oeuvre prodigieuse.
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- Cet article propose de réfléchir de façon cinématographique au concept de genre : inégalités femmes/hommes, stéréotypes de genre, identité sexuelle… et d’aborder ces questions à partir du film “Les Fraises sauvages” (1957) d’Ingmar Bergman.
Le personnage principal de ce classique de Bergman est Isak Borg, un homme au crépuscule de sa vie […], qui fait le point sur son existence. Pourtant, sont abordées aussi, en filigrane, des questions qui ont été peu analysées : la place des femmes et les rapports hommes-femmes dans la société suédoise des années 1950. Si les fraises sauvages, en faisant remonter les souvenirs du personnage, sont un peu l’équivalent cinématographique des madeleines de Proust, se pourrait-il qu’elles soient aussi une évocation métaphorique des personnages féminins du film ? Toujours est-il que la diversité féminine dans cette œuvre patrimoniale du cinéma mérite qu’on se penche un peu sur cet aspect, notamment pour la façon dont il évoque l’évolution des mœurs.
Les premiers personnages féminins apparaissent à l’écran dès le prologue, sous la forme de photographies encadrées, alors qu’Isak Borg se présente en voix-off : d’abord sa bru, au moment où il parle de son fils unique […], puis sa mère, et enfin son épouse, Karin, décédée depuis plusieurs années. Cet inventaire n’a rien d’anodin : s’il s’avère immédiatement cohérent avec le caractère solitaire de Borg (qu’il a lui-même affirmé dès le départ), il sonne aussi comme un aveu inconscient du personnage à propos de l’importance réelle des femmes dans sa vie. Mais il s’agit aussi d’un trompe-l’œil car Karin, en étant la seule nommée parmi les quatre personnages photographiés, peut apparaître comme la plus importante. Or, dès le plan suivant, surgit une autre femme. Brièvement interrompu, Borg l’identifie ainsi : « Par bonheur, j’ai une excellente gouvernante ». Le sous-entendu est en fait plutôt glaçant : il n’y avait pas d’amour entre Isak et Karin, puisque l’existence de la gouvernante suffit à compenser son absence !
Une fois le générique passé, Bergman nous expose une relation plutôt ambiguë entre Borg et cette gouvernante, Agda. Le premier, en pyjama et robe de chambre, entre sans frapper dans la chambre de la seconde, encore couchée. Se développe alors un dialogue qui tient plus d’une dispute au sein d’un vieux couple, lorsqu’elle se montre vexée qu’il puisse partir sans elle pour la cérémonie qui va le nommer docteur jubilaire.
Puis, lorsqu’Isak prend son petit déjeuner, arrive sa bru, Marianne, qui lui demande si elle peut faire la route avec lui. Ce personnage se pose dans une sorte d’entre-deux, tentant d’allier une certaine considération pour ses aînés et une volonté de modernité. Cela se traduit physiquement lors de sa première apparition : elle porte une robe longue et sobre, mais elle fume. D’autre part, on comprend qu’elle s’est réfugiée chez son beau-père et qu’elle hésite à se séparer d’Evald, le fils d’Isak. Dans la scène suivante, lorsqu’Isak déclare qu’« une loi devrait interdire aux femmes de fumer », l’expression de Marianne montre une véritable exaspération mais elle détourne d’abord la conversation pour éviter toute confrontation. Lorsqu’Isak revient toutefois sur ce thème en affirmant que le cigare est « un vice d’homme », Marianne ose demander : « Quels vices y a-t-il pour une femme ? » Bergman poursuit alors le portrait d’un homme du passé en faisant répondre à Isak : « Pleurer, enfanter et dire du mal d’autrui ». Marianne souligne subtilement le caractère rétrograde de cette réplique en demandant immédiatement : « Quel âge avez-vous vraiment ? » Isak n’est d’ailleurs pas dupe : « Tu fais de l’ironie ? » La discussion évolue ensuite vers une véritable franchise, avec l’aval d’Isak. Ce que Marianne dit alors de lui sonne comme un réquisitoire contre la sournoiserie des sociétés paternalistes : « Vous n’êtes qu’un vieil égoïste, sans le moindre égard pour autrui, qui n’écoute que lui-même mais qui camoufle tout cela par ses bonnes manières et son charme ».
Arrive ensuite la scène où Isak et Marianne font une pause près de la maison où le vieil homme a passé tous les étés de son enfance. La vision des fraises sauvages fait ressurgir le passé. À travers un mélange de souvenirs et d’illusion, il revoit sa cousine Sara, avec qui il avait une relation amoureuse mais qui a fini par se laisser séduire par Sigfrid, le frère d’Isak. On comprend mieux l’aigreur du personnage et l’absence d’amour entre lui et Karin, dont on saisit qu’elle a sans doute été un choix par dépit.Les rêveries d’Isak sont soudainement interrompues par l’irruption d’une jeune femme qui ressemble de façon troublante à Sara et porte le même prénom (les deux femmes sont jouées par Bibi Andersson). Dès son apparition, tout participe à faire d’elle la femme moderne et émancipée : sa tenue (pantalon, chemise à carreaux), sa coiffure (cheveux courts), sa grande désinvolture (notamment dans sa façon de tutoyer le vieil homme), sa liberté de ton… Ensuite, sa présence dans la voiture paraît délivrer Marianne, qui se détache les cheveux. Sara affiche son extrême indépendance en tenant une pipe […] et en voyageant avec deux jeunes hommes, Anders, qu’elle présente comme son « ami fidèle » tout en disant « nous nous aimons avec passion », et Viktor, qui les « chaperonne » sur ordre du père de la jeune femme, laquelle affirme qu’il l’« aime aussi ». Elle continue avec une spontanéité sans tabou : « Il me faut séduire Viktor pour m’en débarrasser. Je suis vierge, voilà pourquoi je suis si mal embouchée ».Lors de la scène de l’accident qui suit, un nouveau personnage féminin intervient : Bérit, la conductrice de l’autre véhicule. Son mari, Alman, la présente comme une ancienne actrice et la rend responsable de l’accroc. Il la force à s’excuser. On la sent totalement soumise, même si elle se permet ensuite de se moquer de son mari […]. Cette tentative de rébellion semble encourager l’homme à l’humilier davantage devant les occupants de l’autre véhicule : il prétend que son comportement est dû à un état de choc […]. Dans la scène suivante, il accentue son emprise, apparaissant comme un véritable pervers narcissique. Alors que sa femme est en pleurs, il est hilare, met en doute sa sincérité (car c’est une actrice) et parle d’elle à la troisième personne tout en la fixant avec insistance, pour mieux la briser. La gêne est palpable parmi les autres personnages mais seule Marianne ose briser leur silence. Quand elle lui suggère de laisser sa femme tranquille, Alman opte pour l’ironie machiste : « Ne touchez pas aux larmes des femmes, elles sont sacrées ». Il tente ensuite de disqualifier l’intervention de Marianne en prétendant qu’elle peut se « payer le luxe de la défendre » parce qu’elle est « belle » ! Ce personnage paraît incapable de porter un quelconque crédit intellectuel à une femme, affirmant implicitement que le sarcasme dont fait preuve Marianne est, pour lui, inexplicable car elle ne lui semble pas hystérique contrairement à sa femme. Voilà résumé en un personnage les plus grands stéréotypes de la mentalité misogyne : si une femme fait preuve d’une forme de révolte contre un homme, ou d’une simple affirmation de son individualité, c’est parce qu’elle souffre d’hystérie – implicitement : une femme dépend d’un homme (le plus souvent son mari ou son père) et n’a pas d’intelligence propre.
Un autre aspect de la domination masculine est abordé durant l’arrêt à la station-essence. Le pompiste, qui connaît et admire le docteur Borg, appelle sa femme enceinte et suggère d’appeler leur futur fils Isak en son honneur. Le médecin demande alors ce que serait leur choix si l’enfant était une fille. Réponse du futur père : « Nous ne faisons que des garçons ». C’est un réflexe typique des sociétés qui valorisent plus les hommes : pour certains pères, avoir une fille n’est pas envisageable ! Également prisonnier des traditions, Borg ne semble absolument pas choqué par cette réponse […], ne faisant plus allusion à l’autre hypothèse.
Plus tard, Isak rend visite à sa mère (âgée de 96 ans), en compagnie de Marianne. Lorsqu’ils pénètrent dans la maison, la vieille dame […] se penche, dévisage Marianne et déclare sèchement : « Est-ce ta femme ? Je ne veux pas la voir. Elle nous en a trop fait ». Cette réplique sert à dresser le portrait d’une femme à la fois sénile et caractéristique d’une pensée orthodoxe, austère et intransigeante. Après que Marianne l’a saluée avec une grande courtoisie, elle reproche à la jeune femme de ne pas être « auprès d’Evald et de [s]on enfant ». Marianne lui rappelle qu’ils n’ont pas d’enfant, provoquant une remarque très conservatrice : « Les jeunes d’aujourd’hui sont curieux ». Elle se justifie immédiatement en se prenant pour exemple : « J’ai mis, moi, dix enfants au monde ! » À travers ce personnage, transparaît la façon dont les femmes elles-mêmes sont façonnées par des siècles de domination masculine qui les ont assignées à des rôles restreints de mères et d’épouses.
Après cette visite, Anders et Viktor, qui s’étaient déjà disputés au sujet de la religion, sont en train de se battre, officiellement pour les mêmes raisons, mais il y a fort à parier qu’ils expriment implicitement leur rivalité amoureuse envers Sara. D’ailleurs, Bergman se focalise sur la discussion entre Isak et Sara, véritables spectateurs du combat de coqs qui se déroule essentiellement hors-champ. La jeune femme explique qu’elle leur a suggéré : « Occupez-vous plutôt de moi ». Sa franchise et le contenu de ses déclarations continuent de la poser un peu plus comme la femme affranchie par excellence. Elle s’interroge sur celui qui lui plaît le plus, visiblement épanouie par sa possibilité de choisir librement celui qu’elle aimera. Elle avoue ostensiblement son attirance physique pour Anders, mais la volonté du jeune homme de devenir pasteur lui paraît « antique », elle-même n’étant pas croyante. Inversement, elle admet que Viktor l’intéresse parce qu’il est « sympa », qu’il « ira loin » et qu’il gagnera « plus d’argent » s’il devient docteur. Sur ce point, on peut déceler un soupçon de conformité avec le statut social traditionnel des femmes qui vivent aux crochets de leurs maris – et n’ont donc pas d’indépendance, ne serait-ce que du point de vue financier. […]
Isak s’endort ensuite sur le trajet (notons au passage que c’est, comme souvent durant le film, Marianne qui conduit). Reprennent donc ses rêveries et son introspection, qui nous permettent de mieux comprendre son rapport avec les femmes. Il se souvient de sa cousine Sara, qui lui annonce qu’elle va se marier avec Sigfrid et paraît prendre un plaisir malsain à le faire souffrir. Il se retrouve ensuite dans une scène cauchemardesque qui mêle habilement consultation médicale (dont il est le patient), procès (où il est le prévenu) et examen oral de type universitaire (où il est le candidat). Désarçonné par cette étrange situation, il y apprend que sa femme l’accuse de « froideur, égoïsme, dureté ». Il est alors conduit dans la forêt où il revit la fois où il a été témoin d’une relation adultérine de son épouse. On saisit donc que le personnage s’est réfugié dans sa froideur par incapacité à digérer deux échecs amoureux, ce qui l’a conduit à la solitude.
Une fois son somme terminé, Isak se confie à Marianne sur ses rêves récurrents : « comme si je voulais me dire quelque chose qu’au fond je ne veux pas entendre […] : que je suis mort bien que je vive ». À ces mots, l’expression de sa belle-fille se durcit car cela lui rappelle l’échange qu’elle a eu avec Evald lorsqu’elle lui a annoncé être enceinte. Celui-ci lui a demandé de choisir entre lui et l’enfant. « Il est absurde de mettre des enfants au monde et de croire qu’ils auront une meilleure vie que nous », a-t-il ajouté avant d’avouer que lui-même était un enfant qui n’était « pas désiré dans une union qui était un enfer » et qu’il n’était même pas certain d’être le fils d’Isak. Ses propos sont alors proches de ceux de son père : il sous-entend un certain déterminisme sur les besoins supposés naturels des femmes, qui seraient « de vivre et de donner la vie », alors que les siens seraient « de mourir, d’être complètement mort ». Après cette confession, Isak se sent probablement fautif de la froideur de son fils car il autorise Marianne à fumer. À travers ces deux personnages masculins, l’incapacité d’être père peut apparaître comme un autre déterminisme (l’effet miroir du fantasmagorique instinct maternel) mais on comprend en fait que c’est lié aux traumatismes personnels de ces deux hommes, donc que la question de la paternité dépend d’évolutions individuelles et d’influences sociales, et non d’une inhérente caractéristique masculine.
Puis on comprend mieux ce qui se cachait derrière les expressions de Marianne lors de la visite chez la mère d’Isak, quand elle avoue la peur qu’elle avait ressentie en comparant la froideur de l’aïeule à celles d’Isak, d’Evald et de son futur fils : il lui paraît alors nécessaire de rompre avec cet héritage comportemental, quitte à élever seule son enfant. Elle évoque aussi le couple rencontré lors de l’accident, refusant que son propre couple devienne ainsi – Isak faisant remarquer que cette rencontre lui a rappelé sa propre relation avec son épouse. Le ménage traditionnel est ainsi questionné de façon tacite.
Les personnages arrivent ensuite à destination. Isak retrouve Agda, qui est finalement arrivée avant lui. La gouvernante prend des mains du vieillard le bouquet que Sara, Anders et Viktor venaient de lui offrir, comme si ces fleurs lui étaient destinées ; et leurs chamailleries recommencent. Les retrouvailles entre Marianne et Evald présentent quant à elles un mélange de froideur et de possibilité de réchauffement.
Après la cérémonie organisée en son honneur, Isak s’inquiète de la mine fatiguée d’Agda et lui indique qu’il regrette leur dispute du matin. Agda le croit malade, tellement l’attitude du vieil homme ne correspond pas à son comportement habituel. Le professeur ose ensuite lui proposer de se tutoyer, comme une reconnaissance des nombreuses années qu’ils ont vécues ensemble, mais la gouvernante refuse catégoriquement de telles « familiarités ». Surgit un autre aspect du statut traditionnel des femmes quand elle ajoute : « Une femme doit veiller à sa réputation ». Sa courte argumentation fait apparaître toute la pression sociale, à travers le jugement d’autrui, qui ralentit toutes les tentatives d’évolution des rapports entre femmes et hommes. Elle sous-entend également le fait que la société est encore plus incapable d’accepter des relations libres entre deux personnes âgées. Quand elle sort de la chambre, elle conclut : « Je laisse la porte ouverte ; vous savez où je suis en cas de besoin ». Cela rentre certes dans son rôle de gouvernante mais le sourire qu’elle arbore sonne comme une possible invitation, avec l’allusion suivante : toute relation est tolérable mais elle doit rester secrète si elle sort des normes admises.
Juste après, Isak entend une chanson provenant de l’extérieur. Il sort sur le balcon et, en contrebas, aperçoit Sara, Viktor et Anders qui viennent le féliciter avant de partir. Alors que les jeunes hommes sortent du plan, Sara ajoute, avec le ton espiègle qui la caractérise : « Sais-tu que je n’aime que toi ? » Il est facile d’y voir dans cette séquence un retournement de la fameuse scène du balcon de “Roméo et Juliette”, donc un pied-de-nez possible aux relations traditionnelles entre hommes et femmes. Ensuite, Isak parle à son fils, qui admet qu’il ne peut pas vivre sans Marianne et affirme : « Elle décidera ». C’est une porte entre-ouverte vers plus d’égalité et de compréhension au sein de leur couple – donc de modernité.
Le film se termine par un rêve plus apaisé d’Isak, dans lequel sa cousine Sara l’aide à retrouver ses parents. Des courants de pensée rétrograde (de type Manif pour tous) pourraient interpréter cela comme la nécessité absolue, pour l’équilibre d’un enfant, de vivre aux côtés d’un père et d’une mère. Mais y voir un tel signe n’est pas cohérent par rapport au reste du film. Plus que la défense de la famille traditionnelle, ce film de Bergman semble plutôt plaider pour plus d’égalité entre hommes et femmes, pour plus de liberté amoureuse, et pour plus de sérénité dans les relations humaines – ce qui, par extension, aurait également des conséquences positives sur le bien-être des enfants.
Raphaël Jullien ========================================
Disparition d'Ingmar Bergman, maître d'un cinéma existentialiste
Le réalisateur suédois est mort lundi 30 juillet à l'âge de 89 ans. Au cinéma, au théâtre et à la télévision, il laisse une oeuvre immense, centrée sur la difficulté à vivre
Lecture en 5 min.
Le cinéaste Ingmar Bergman en 1998 (photo Seijbold/AP).
La mort qu'il avait mise en scène dans Le Septième Sceau a rejoint Ingmar Bergman, lundi 30 juillet, vers 7 heures du matin. Le cinéaste s'est éteint, à l'âge de 89 ans, « calmement et doucement », selon les mots de sa fille Eva, présente à ses côtés, dans sa maison sur l'île suédoise de Faarö, son refuge où il avait tourné plusieurs de ses chefs-d'oeuvre.
Le grand Suédois laisse une immense oeuvre centrée sur la difficulté à vivre, entre bilans caustiques et interrogations métaphysiques.
« Il allait de soi que le cinématographe devienne mon moyen d'expression. Je me faisais comprendre dans une langue qui ne passait pas par le langage qui me manquait, par la musique que je ne dominais pas, par la peinture qui me laissait froid. J'avais soudain une possibilité de correspondre avec le monde autour de moi dans une langue qui se parle littéralement d'âme à âme, dans des tournures qui, presque voluptueusement, se soustraient au contrôle de l'intellect. »
Plus loin. « Avec toute la faim rentrée de l'enfant que j'étais, je me suis jeté sur mon médium, et, pendant vingt ans, sans me lasser, avec une sorte de fureur, j'ai transmis des rêves, des sensations, des fantasmes, des crises de folie, des névroses, des stases de la foi et de purs mensonges. »
Sévérité paternelle, froideur maternelle...
Ces mots, Ingmar Bergman les avait couchés dans Images, un ouvrage écrit à la première personne et paru en 1992. Dix ans après les adieux du maître au cinéma - mais pas à la télévision, encore moins au théâtre - sous la forme d'un film largement autobiographique, Fanny et Alexandre, qui éclairait enfin les grands thèmes de son oeuvre, qu'une quarantaine de titres avaient à peine réussi à épuiser.
D'autres livres, d'autres scénarios, écrits par lui mais réalisés par d'autres, ont ensuite apporté de nouveaux éclairages. En la matière, Les Meilleures Intentions, du Danois Bille August, Palme d'or à Cannes en 1992, a constitué un apogée. Bien que retiré du monde dans son île de Faarö, au large des côtes suédoises, en pleine mer Baltique, Ingmar Bergman n'avait jamais été aussi présent. Dans ce film, Bergman avait remonté le temps jusqu'à la veille de sa naissance au sein d'un couple qui ne se comprend plus et se déchire.
Son père, né dans une famille modeste, est un pasteur luthérien, austère et « habité » ; il se distinguera par sa rigueur et sa sévérité à l'égard du jeune Ingmar, son second fils. La mère, issue d'une famille de grands bourgeois d'Uppsala, lui manifeste une froideur et une distance dont il souffrira longtemps.
C'est à Stockholm que Bergman passe son adolescence, avec de fréquentes et salutaires échappées à Uppsala, dans la chaleureuse maison de sa grand-mère maternelle, où il découvre le cinéma, vers l'âge de 10 ans, grâce à un projecteur amateur. À 12 ans, il assiste à une représentation du Songe de Strindberg, en sort fasciné et se prend de passion pour la mise en scène de théâtre, à laquelle il va se consacrer entièrement, n'hésitant pas à rompre avec sa famille.
Une grande liberté formelle lui procure la notoriété
Très vite, Ingmar Bergman se fait un nom. Pendant la guerre, il monte de nombreuses pièces - on sait aujourd'hui que Bergman, à la suite d'un séjour à Weimar, en 1936, fut séduit par le charisme de Hitler et les manifestations de force de la jeunesse allemande d'alors, mais il n'a jamais adhéré à un parti pro-nazi, contrairement à son frère. Sa découverte de la Shoah en 1946 renforce ses angoisses métaphysiques et ses interrogations sur le silence de Dieu, thème récurrent de son oeuvre.
Avec l'accord d'Albert Camus, Bergman monte Caligula au théâtre municipal de Göteborg. Il a déjà entamé un travail d'écriture de scénarios pour la Svensk Filmindustri, le grand studio de cinéma suédois, où a longtemps officié le cinéaste Victor Sjöström, que Bergman admire par-dessus tout - il lui offrira le rôle principal des Fraises sauvages, en 1957.
Crise, son premier film comme réalisateur, est un échec. Soutenu par un producteur indépendant, il insiste. Mélodrames, Il pleut sur notre amour, Bateau pour les Indes, et Musique dans les ténèbres, développent - déjà - des histoires de couples qui tournent mal. Bergman n'a pas encore trouvé son style, et s'inspire du néoréalisme à la française.
Au début des années 50, Jeux d'été et Monika marquent un tournant radical et définitif. Bergman s'est affranchi des codes les plus classiques pour aller vers une grande liberté formelle qui lui procure une première notoriété en dehors des frontières de la Suède - la nouvelle vague fera de Monika l'un de ses films phares.
Tout n'est plus que silence, masques
C'est à sa position particulière, entre âge classique du cinéma et modernité, que Bergman doit sa fulgurante singularité, comme sa pérennité, tant sa thématique traverse les générations ; on le redécouvre sans cesse. Sans doute la meilleure réponse que le maître pouvait apporter à ceux, nombreux en Suède dans les années 60 en particulier, qui lui ont reproché la totale absence de considérations sociales dans ses films.
À la même époque, les années 50, Bergman inaugure un système de fonctionnement qui va perdurer des années : l'hiver, il multiplie les mises en scènes de théâtre - à Göteborg, puis Malmö, et enfin Stockholm. Et l'été, il s'isole avec sa troupe d'acteurs pour tourner un film, parfois deux. Bergman expérimente, acquérant une parfaite maîtrise de son art.
Son cinéma part dans plusieurs directions : comédies caustiques avec Une leçon d'amour et Sourires d'une nuit d'été, drames avec La Nuit des forains et Rêves de femmes, oeuvres fortement teintées d'inspiration théâtrale où des couples s'entre-déchirent. Hantés par la mort, Le Septième Sceau (avec sa célèbre partie d'échecs entre un chevalier de retour de croisades et la Mort) et Les Fraises sauvages portent à un sommet les questionnements métaphysiques du cinéaste.
Au début des années 60, sa trilogie des « films de chambre » - À travers le miroir, Les Communiants et Le Silence - poursuit cette quête mais glisse progressivement vers le mystère des êtres, évacuant la question de Dieu, comme si le cinéaste voulait en finir avec la religion. Bergman clôt son cycle par un terrifiant constat d'incommunicabilité, de la même manière et au même moment que l'Italien Antonioni.
Tout n'est plus que silence, masques. Ses personnages ont perdu la foi. Toujours plus épurée, la forme démultiplie la puissance du propos. En la matière, Persona, sur la perte d'identité, constitue un point d'orgue. L'Heure du loup et La Honte, les derniers films de cette décennie-là, n'offrent plus que terreur et chaos.
Fanny et Alexandre, film de l'apaisement
Après une tentative peu convaincante en langue anglaise, Le Lien, Ingmar Bergman revient à son univers avec Cris et Chuchotements, oeuvre magistrale qui baigne dans une couleur rouge, et intègre la plupart des thèmes chers au cinéaste.
Alors que son succès est immense, Bergman amorce un spectaculaire virage, abandonnant le grand écran pour la télévision qui lui offre la souplesse technique et financière à laquelle il rêvait alors. En sortent Scènes de la vie conjugale, La Flûte enchantée, modèle d'opéra filmé, et Face à face.
En 1976, humilié par un absurde scandale fiscal, le cinéaste part s'installer à Munich. Inspiré par le Berlin étourdissant des années 20, il tourne L'OEuf du serpent, puis, mais à Oslo, Sonate d'automne. Retourné en suède, il signe ses deux longs métrages pour le cinéma : De la vie des marionnettes, et surtout Fanny et Alexandre, film de l'apaisement.
Et achève sa carrière avec un ultime chef-d'oeuvre, Sarabande, réalisé pour la télévision suédoise, et présenté, trente ans plus tard, comme la suite de Scènes de la vie conjugale, avec ses acteurs fétiches (Liv Ullmann et Erland Josephson). Il offre, derniers feux d'un immense créateur, la quintessence de son art, condensé magistral de son parcours artistique où s'enroulent ses tourments : culpabilité, impossibilité de vivre en couple, paternité hostile ou indifférente et toujours l'absence de Dieu.
Mises en scène de théâtre, films et livres et moyens métrages : Ingmar Bergman, jusqu'au bout, aura déployé une exceptionnelle fécondité artistique.
https://www.la-croix.com/Culture/Actualite/Disparition-d-Ingmar-Bergman-maitre-d-un-cinema-existentialiste-_NG_-2007-07-30-524791
Deux documentaires évoquent Ingmar Bergman, entre ombres et lumière
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Le grand cinéaste suédois aurait eu 100 ans cette année. Deux documentaires, «A la recherche d’Ingmar Bergman» et «Bergman. A Year in the Life», évoquent l’œuvre magistrale et titanesque d’un créateur génial, mais égocentrique et bourrelé de culpabilité
Ingmar Bergman en famille. — © DR
De retour des croisades, un chevalier erre à travers un pays ravagé par la peste. Sur une plage, la Mort vient le trouver. Pour surseoir à l’inéluctable, le chevalier lui propose de jouer sa vie aux échecs. Evidemment, il perdra. Magistrale allégorie médiévale, quête métaphysique fondamentale, Le septième sceau (1957), d’Ingmar Bergman, est une pierre d’angle du 7e art, le film qui va accélérer la réinvention du cinéma (Nouvelle Vague, Nouvel Hollywood…), le film préféré de Woody Allen et le film fondateur de Margarethe von Trotta.
Née à Berlin en 1942, la comédienne et réalisatrice (L’honneur perdu de Katharina Blum, Les années de plomb, Rosa Luxemburg…) part étudier à Paris en 1960. Elle voit Le septième sceau dans une salle de quartier, et sa vie bascule: elle se consacrera corps et âme au cinéma. Aujourd’hui, elle s’acquitte de sa dette en dédiant un documentaire au réalisateur suédois, qui aurait eu 100 ans en juillet.
A la recherche d’Ingmar Bergman (actuellement sur les écrans) commence par un retour à la scène primitive. Sur la plage où Bergman tourna la première séquence du Septième sceau, la cinéaste refait les cadrages originels, mélange les images emblématiques et le décor marin éternel. Elle rencontre ensuite des témoins, actrices (Liv Ullmann) ou enfants (le réalisateur Daniel Bergman), pour évoquer une œuvre titanesque – quelque 70 films et autant de mises en scène pour le théâtre ou l’opéra — et une vie compliquée. Bergman ayant fait figurer Les années de plomb parmi ses dix films préférés, Margarethe von Trotta se sent légitimée dans sa quête.
Féerie aquatique
Née en Suède en 1968, Jane Magnusson a commencé par faire de la natation synchronisée. Chaque équipe portait le nom d’un film de Bergman. La naïade a eu l’idée de proposer au vieux maître, déjà reclus sur l’île de Fårö, une féerie aquatique dans sa piscine. Il a décliné au motif qu’il ne voulait personne dans sa piscine, précisant qu’il avait un chien méchant – ce qui était faux. Le dialogue téléphonique se poursuit au-delà de la mort avec Bergman. A Year in the Life. Cette année – 1957 – au cours de laquelle Bergman sort trois films, dont Le septième sceau et Les fraises sauvages, monte quatre pièces de théâtre et mène une vie sentimentale mouvementée – avoir sa femme et deux maîtresses sur le plateau n’est pas facile…
Animé d’un mouvement centrifuge original, ce film qui raconte une vie, de l’enfance au grand âge, autour du pivot qu’est cette année de productivité phénoménale, est sans doute plus original, plus dynamique que l’essai de Margarethe von Trotta. Mais les deux approches se complètent et se répondent pour brosser le portrait d’un génie tourmenté.
Nœud de névroses
«Je ne dors pas plus de quatre heures; après l’angoisse fait exploser mon estomac», disait Ingmar Bergman. Ce cinéaste qui a filmé la lumière comme nul autre, la lumière qui brille dans les yeux des enfants, la lumière du Nord qui aiguise les paysages, était un nœud de névroses, bourrelé de culpabilité et plein de zones d’ombre – il a été fasciné par Hitler jusqu’à la fin de la guerre… Les témoignages remettent en cause Laterna magica, sa formidable autobiographie: il n’était peut-être pas cet enfant sévèrement réprimé par un père pasteur. Les châtiments corporels, tel celui montré dans Fanny et Alexandre, s’abattaient plutôt sur son frère, tandis qu’Ingmar posait des «questions sur Jésus et les anges dont il était récompensé par du chocolat chaud et des gâteaux».
Homme à femmes compulsif, il séduisait les actrices. Lorsqu’elles étaient enceintes, il leur disait: «Maintenant, je sais que tu m’aimes», puis les quittait. Il a eu huit enfants de cinq femmes différentes dont il s’est peu soucié – il affirme ne pas connaître leurs dates de naissance. «Ingmar était plus proche de son enfance que de celle de ses enfants», explique un de ses rejetons. Son fils Daniel se souvient d’une réunion de famille où le vieil homme retiré du cinéma pleurnichait: «Les acteurs me manquent.» Sa fille lui a sèchement lancé que ce serait bien si une fois il disait que ses enfants ou ses petits-enfants lui manquaient. Lui: «Mais ils ne me manquent pas»…
Fesses engourdies
«Il était adorable quand il était Ingmar et insupportable quand il devenait Bergman», dit Liv Ullmann. Le comédien et metteur en scène Thorsten Flinck connaît bien la face dictatoriale du cinéaste. Il en fait une hilarante imitation lorsque celui-ci, devenu le patron du théâtre suédois, l’a incendié.
En 1982, après Fanny et Alexandre, Ingmar Bergman a pris sa retraite. Il a toutefois tourné encore une douzaine de films pour la télévision, dont les brillants En présence d’un clown et Sarabande. Il a vécu ses dernières années sur l’île de Fårö dans une «solitude absolue». La gouvernante qui lui apportait à manger lui massait le dos. Au bout d’un moment, il la congédiait: «J’ai eu assez de chaleur humaine, vous pouvez y aller.» Il est décédé le 30 juillet 2007.
Déjà âgé, Ingmar Bergman répond à une interview télévisée. On lui demande s’il considère que 1957 a été la meilleure année de sa vie. «Je ne raisonne pas ainsi…», commence-t-il. Puis il se déplace sur sa chaise. «J’ai dérangé ton cadrage», fait-il avec une sollicitude hypocrite, avant de préciser: «J’ai les fesses engourdies»… Une aimable façon de dire: «Tes questions, je m’assieds dessus.» A Year in the Life se termine sur cette gracieuse pirouette. Tout est dit et le mystère demeure.
«A la recherche d’Ingmar Bergman (Searching for Ingmar Bergman)», de Margarethe von Trotta (Allemagne, France), 1h39.
«Bergman. A Year in the Life (Bergman. Ett År ett liv)», de Jane Magnusson (Suède, Norvège), 1h57.
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