Ludwig - Le crépuscule des Dieux "Ludwig"
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Réalisé par Luchino Visconti
Avec Helmut Berger, Trevor Howard, Silvana Mangano,
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Titre original : Ludwig
.Long-métrage italien, français, ouest-allemand .
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Helmut Berger et Silvana Mangano
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Helmut Berger et Sonia Petrova
Helmut Berger et Folker Bohnet
Une enquête signée par plusieurs médecins le déclare fou et Louis se trouve interné au château de Berg.
Ludwig est précédé de deux autres films s'inspirant de Richard Wagner et Thomas Mann,
L'un des les lieux de tournage,
Sa particularité est d'abriter à la fois un théâtre et un opéra.
Maximilien III Joseph ordonna la construction de ce nouveau théâtre après l'incendie de la salle Saint-Georges, alors utilisée pour des représentations théâtrales et musicales. Plusieurs opéras ont été présentés pour la première fois dans ce théâtre, notamment Idomeneo, re di Creta de Mozart, en 1781.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, le théâtre Cuvilliés fonctionne jusqu'en 1944. Ensuite, l'intérieur est démonté et les sculptures en bois, les balustrades sont mises à l'abri. De ce fait, seul le bâtiment se trouve détruit par les bombardements alliés. Il est reconstruit à l'identique à quelques mètres de son emplacement d'origine, il rouvre ses portes le 12 juin 1958 dans le cadre des festivités du 800e anniversaire de la ville de Munich. Il faut attendre 1985 pour le voir totalement achevé.
En 2004, il ferme pour une rénovation complète. Il rouvre ses portes le 14 juin 2008 avec une représentation de Idomeneo de Mozart sous la direction de Kent Nagano.
Sources :
http://www.allocine.fr
http://www.cineclubdecaen.com
http://www.notrecinema.com
http://fr.wikipedia.org
http://guide.munich-french-connection.net
LUDWIG – LE CRÉPUSCULE DES DIEUX de Luchino Visconti : l’incompris
Classique de Luchino Visconti, Ludwig – Le crépuscule des Dieux, nous emporte dans le quotidien de Louis II de Bavière de son règne à peine sorti de l’adolescence à sa chute dans la déchéance la plus totale.
C’est le portrait d’un roi qui se fiche pas mal de gouverner que dresse le cinéaste. Ludwig (Helmut Berger) apparait toujours déconnecté de la réalité, ailleurs, et ne semble vivre que pour ses lubies. Les mondanités, le protocole, les règles : il a tout cela en horreur. C’est ce qui le rapproche de sa cousine, la sublime Elisabeth d’Autriche (Romy Schneider), qui ne rate aucune occasion pour échapper aux devoirs qui la fatiguent en se prétendant « souffrante ». Le lien entre Ludwig et Elisabeth est très fort et le jeune roi n’a de cesse de mettre cette femme élégante et brillante sur un piédestal. Il lui voue un amour absolu et alors qu’il n’a jamais touché une femme, ce n’est qu’avec elle qu’il pourrait songer à se marier. Mais si à l’époque les mariages entre cousins ne posaient pas trop de problèmes, Elisabeth est déjà mariée et il lui est impossible de tout lâcher pour l’impétueux Ludwig.
Si le cousin et la cousine se retrouvent sur beaucoup de choses et se comprennent parfois sans même avoir besoin de mots, ils n’ont pas les mêmes limites. Elisabeth sait jouer de ses privilèges et s’autorise des caprices mais dans les situations stratégiques sait témoigner de sagesse. Ludwig, lui, se comporte comme un adolescent en pleine crise. Il envoie valser toutes les obligations, se désintéresse de la vie du peuple et se laisse consumer par ses passions. Admirateur absolu de Richard Wagner, il va dépenser des sommes folles pour avoir le compositeur dans sa demeure et lui permettre de réaliser ses compositions et en particulier de monter Tristan et Isolde. Le roi espère trouver en l’artiste un ami. Ce dernier, hélas, va surtout profiter de la fascination qu’il exerce sur lui et tirer la corde jusqu’à l’extrême.
C’est ce qui touche dans le personnage de Ludwig : derrière sa froideur et son apparente nonchalance, c’est un garçon qui ne demande qu’à être aimé, trouver un ami, un confident, quelqu’un à qui il peut faire confiance. Avec son statut, il est forcément difficile de trouver des personnes sincères et loyales autour de soi et la dualité de Wagner dans leur relation va beaucoup le faire souffrir intérieurement. Il aura bien du mal à admettre que l’artiste a profité de lui. Elisabeth le décevra aussi à sa façon. Quand elle ne veut pas venir, elle ne vient pas (ainsi ne fera-t-elle pas l’honneur de sa venue lors de la représentation de Tristan et Isolde malgré l’insistance de son cousin) et elle ne donnera jamais à Ludwig toute l’affection qu’il espère d’elle. Stratège, elle essaiera de le pousser dans les bras de la jeune Sophie, avec plus ou moins de succès.
Si au départ les lubies de Ludwig amusent, on réalise rapidement que la dépression voire la folie le guettent. Quand ce ne sera pas Wagner, son obsession se portera sur des comédiens ou sur la construction de châteaux ne servant à rien. Plus le temps passe, plus Ludwig est décrié, incompris et se referme sur lui-même. Il cède alors à l’autodestruction.
La dernière partie du métrage le montre ravagé, vivant en vase clos, entouré de jeunes éphèbes. Dès le départ, on avait deviné son homosexualité refoulée. Elle se matérialise peu à l’écran, davantage suggérée si ce n’est sur la fin où il est clair que les beaux garçons, qu’ils soient valets ou autres, sont les bienvenus. La façon qu’a Ludwig de vivre cette homosexualité est sous le signe de la culpabilité. On ne voit pas une réelle histoire d’amour, plus des attirances qu’il noie à grands coups de substances pour s’oublier.
On retient de cette grande fresque aux décors et aux costumes somptueux l’interprétation magnétique de Helmut Berger mais aussi celle de Romy Schneider qui a accepté pour Visconti de se remettre dans la peau de « Sissi ». Elle est d’une beauté et d’une élégance foudroyantes et illumine chaque scène où elle est, montrant merveilleusement toute l’importance qu’a Elisabeth d’Autriche pour Ludwig. La mise en scène est superbe, s’apparentant de nombreuses fois à des tableaux de Maître. Et Visconti esquinte joliment le genre du film en costumes en nous entraînant dans une sorte de lent cauchemar, une fuite en avant infernale où règnent le mal-être, la solitude, le terrible sentiment d’être toujours incompris.
Si la vision du film est exigeante en raison de sa durée de presque 4 heures (et il y a des longueurs car on est dans le quotidien d’un garçon qui s’ennuie copieusement), le portrait sensible et ténébreux de Ludwig captive. Ou l’histoire d’un roi qui ne pensait qu’à s’évader que par l’art pour fuir la réalité.
Film sorti en 1973. Disponible en DVD, VOD et sur Mycanal
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Ludwig : le crépuscule des dieux de Luchino Visconti : place de l’artiste et crépuscule d’une époque
Ludwig : le crépuscule des dieux (1972) de Luchino Visconti est le troisième film de ce qui devait être la « tétralogie allemande » du cinéaste (qu’il avait entamée avec Les Damnés en 1969 et Mort à Venise en 1971). Un accident cérébral l’empêcha de réaliser la dernière oeuvre de ce cycle, qui l’aurait couronné d’un point de vue thématique et stylistique : une adaptation du grand oeuvre de Thomas Mann, La Montagne Magique. C’est à l’ombre de cette tétralogie avortée, et à la lueur des écrits de Thomas Mann, qu’il convient par conséquent de parler de Ludwig.
Ludwig se présente comme une enquête conduite par les ministres de Louis II de Bavière (1845-1886) pour établir sa folie, ou du moins son incapacité à régner. La structure du film parvient à maintenir l’attention du spectateur tout du long, ce qui n’est pas une mince gageure pour un film d’une durée de presque quatre heures. Le déroulement du récit de la vie du monarque est entrecoupé de gros plans de ministres ou de témoins, qui nous regardent dans les yeux (regards-caméra) pour nous confier leur effarement devant ses « manies ». Des séquences viennent ensuite confirmer ou infirmer leurs remarques, portant ainsi le point de vue de Visconti. Celui-ci est clair : Ludwig n’est pas fou et au contraire plus lucide que beaucoup : ne pouvant plier le mouvement de l’Histoire à ses désirs, il y plie les arts et les châteaux, agissant comme un metteur en scène créant les décors de sa vie. Il veut se libérer du carcan qui l’entoure, ministres, militaires, sa mère, les autres têtes couronnées d’Europe, l’apparat étouffant de la Cour qui le juge à l’aune de ce que devrait être un roi. Il est entouré de gens qui ne peuvent comprendre ni son amour de l’art, ni ses préférences sexuelles, ni son rejet de ses obligations de souverain, ni sa volonté de lutter contre l’Histoire. La seule personne dont il puisse espérer qu’elle le comprenne, c’est Sissi, et même elle finit par le repousser. Peu à peu, ce carcan du monde qu’il prétend ignorer va se retourner contre lui.
D’un point de vue formel, mais un ton en-deçà, Ludwig fait parfois penser au Guépard (1963) et à Mort à Venise. Ludwig a vraiment été tourné par Visconti dans les châteaux qu’a fait construire Ludwig (Linderhof, Berg ou Neuschswanstein), de même que Le Guépard fut vraiment tourné dans des palais siciliens réouverts et rénovés pour l’occasion, et Mort à Venise vraiment tourné dans le Grand Hôtel des Bains au Lido. Visconti a souvent mis en scène des personnages que la réalité rebute, mais quant à lui, il tirait parti du réel et son oeil en examinait toutes les possibilités. Tourner dans ces palais, c’était le prétexte qu’il avait trouvé pour y passer du temps, pour s’imaginer y vivre, pour les montrer au monde. Dans Ludwig, il les filme en longs plans larges (en scope, au format 2,35:1, et en Panavision) pour mieux les mettre en valeur. La photographie d’Armando Nannuzzi, notamment dans les scènes de nuit, est d’ailleurs superbe, et les couleurs aussi, qui relient le film au romantisme tardif sur un plan esthétique. Les zooms, qui marquent son appartenance au début des années 1970, sont utilisés avec parcimonie et avec une vitesse mesurée (alors que Nannuzzi en avait fait un usage outrancier dans Les Damnés). Le film baigne dans la musique crépusculaire de Wagner, qui le berce comme la mer un navire.
Loin de ne filmer que des palais, Visconti fait le portrait des hommes qui les habitent. Aussi est-ce également d’un point de vue thématique que Ludwig s’inscrit dans une filiation avec Le Guépard et Mort et Venise. Avec Le Guépard, en premier lieu, car bien que ce dernier ne fasse pas partie de la « tétralogie allemande », Visconti y met également en scène un homme qui refuse de participer à la réalité historique de son temps. Le Prince Salina décide dans la force de l’âge de ne plus tenir sa place dans le nouveau monde issu de la révolution italienne et décline notamment la possibilité d’entrer au Parlement italien. De même, Ludwig refuse la marche du temps, c’est-à-dire l’intégration inéluctable de la Bavière au Reich Allemand. Ludwig et Salina ont également en partage une certaine lucidité sur eux-mêmes. Le Prince Salina y ajoute une lucidité totale sur son époque. Ludwig est sans illusion sur le processus historique et comprend très bien le monde où il vit, mais il le refuse avec une violence et une démesure qui l’éloignent de la main sûre et du contrôle sur lui-même du Prince Salina. Ludwig ne vit que par procuration, au travers du refuge de l’Art (la musique de Wagner et ses châteaux, et c’est d’ailleurs ce qui reste de lui aujourd’hui) ; Salina aussi ne vit plus que par procuration, mais à travers son neveu Tancrède, un homme entreprenant et actif, qui se sent comme un poisson dans l’eau dans le nouveau monde. C’est que Ludwig est un artiste, au sens du terme que lui donnait Thomas Mann dans ses oeuvres de jeunesse, c’est à dire un homme complètement submergé par son extrême sensibilité au monde. Ludwig est complaisant envers ses défauts à cause d’un oeil perpétuellement tourné vers son for intérieur à l’instar d’un personnage d’un tableau de Modigliani. Le Prince Salina, lui, est un homme solide ayant les pieds rivés dans la terre de Sicile et aidant Tancrède autant qu’il peut. Les arts éloignent toujours plus Ludwig du monde, Tancrède rattache encore Salina au monde.
Avec Mort à Venise, ensuite, parce que le tempérament artistique de Ludwig le relie à Aschenbach. Chez les deux hommes, conformément aux interrogations de jeunesse de Thomas Mann sur les artistes (dans Les Buddenbrook, Tonio Krüger et Mort à Venise), le tempérament artistique est grevé d’une tare nerveuse empêchant l’artiste de tenir pleinement sa place au milieu des hommes. « Quelle doit être la place de l’artiste dans la société ? » telle est la question que se posait Mann, et que Visconti a reprise à son compte car il se la posait pour lui-même – quand on est à la fois aristocrate, héritier des inégalités de l’Histoire, et communiste ce qui supposerait de renoncer à ses privilèges de propriétaire, qui est-on ? La place de Ludwig n’était certainement pas d’être roi, tandis qu’Aschenbach en tant qu’artiste reconnu avait lui plus de liberté et pouvait s’adonner dans Mort à Venise à sa fascination pour Tadzio sans mettre en péril la politique d’une nation. Dans les deux films, les personnages (paradoxe pour Ludwig) se vivent et se situent hors de l’Histoire et hors de la société. Cette dernière, en retour, les a jugés « décadents », tel que le mot était compris à la fin du XIXè et au début du XXè siècles, voire aliénés. Ludwig, malgré sa popularité au sein de la population bavaroise, fut écarté du trône pour cette raison, et ce n’est que tardivement que l’Histoire reconnut ses mérites de roi constructeur et mécène des arts. C’est à cette idée de décadence et de crépuscule d’une culture (des idoles, écrivit Nietzsche) que Visconti donna corps dans les trois films de la « tétralogie allemande ». Il y parvint de manière très convaincante, si l’on excepte la tentative discutable, dans Les Damnés, de rattacher la décadence de la famille d’un industriel allemand à un processus de décadence historique (l’idée de Visconti de faire du nazisme une dégénérescence du capitalisme est globalement infondée historiquement et économiquement).
Un mot sur les interprètes. Romy Schneider, reprenant le rôle de l’impératrice Elisabeth d’Autriche (Sissi), qui l’avait rendue célèbre, est éblouissante de grâce et de beauté. Ses scènes avec Ludwig, qui montrent deux êtres en rupture de ban avec le monde et la société, mais qui restent prisonniers malgré tout de certaines convenances, sont très émouvantes. Une fois n’est pas coutume, le jeu maniéré d’Helmut Berger s’accorde bien au caractère et au destin de Ludwig. Berger est en particulier étonnant dans la deuxième partie du film, où un maquillage outré et des roulements d’yeux lui donnent de faux airs d’Ivan le Terrible – de faux airs, car c’est en réalité un enfant. Enfin, Trevor Howard, en Wagner, apporte un peu de vitalité au monde fermé du film.
Ce monde fermé, c’est l’horizon ultime du récit. Ludwig s’est isolé du monde dans les décors qu’il s’est fait construire et finit enfermé au chateau de Berg au crépuscule de sa vie. Est-ce lui qui choisit de sortir du décor de sa vie, devenue prison ? Ni l’Histoire, ni le film, ne le disent. On a le sentiment à la fin du film que Visconti a fait le tour de la question de la place et des tares de l’artiste – d’ailleurs certains critiques ne furent pas tendres avec ses films tardifs. Après une série de films en forme d’autoportraits, il était temps pour lui passer à autre chose, à l’instar de Thomas Mann qui résolut ses interrogations de jeunesse en écrivant La Montagne Magique, où il fit d’une pierre deux coups : il trouva sa place dans la vie (elle était d’écrire le grand roman allemand de l’époque) et s’attaqua à un autre problème qui concernait cette fois tous les hommes et pas seulements les artistes : faut-il vivre dans la contemplation ou dans l’action, qu’est-ce qui est préférable, une vie contemplative ou une vie active, et si l’on choisit la première ne court-on pas le risque que la seconde vous rattrape ? A cette question à laquelle Visconti entendait sans doute se confronter en projetant d’adapter La Montagne Magique, il ne lui fut hélas pas donné de pouvoir répondre.
Strum
Le temps jamais retrouvé de Visconti. - Pierluigi Piccini Blog
Qu’ont en commun le réalisateur italien, georges perec ou the who ? tous ont laissé une création inachevée. fasciné par l’oeuvre de proust, Luchino Visconti échoua à la transposer à l’écran. Il n’empêche : de “senso” à “mort à venise”, “La recherche” imprègne ses films.
Dès l’âge de 13 ans, Luchino Visconti est exposé à La Recherche du temps perdu alors qu’il observe son père, plongé dans la lecture de Du côté de chez Swann, qu’on venait de lui envoyer de Paris. ” Ma stupeur devant son intérêt, racontait Visconti, lui fit interrompre sa lecture un moment. Il me confia qu’il souffrait à chaque page tournée, en pensant que ce prodigieux roman allait se terminer. “ L’oeuvre de l’écrivain accompagnera le cinéaste le reste de sa vie, dans ce qu’il compare à une fièvre, estimant, dès l’âge de 17 ans, en être resté à Stendhal, Balzac et Proust.
La Recherche est une telle évidence pour Visconti que son adaptation cinématographique en 1971 – avec Suso Cecchi d’Amico, sa scénariste attitrée depuis Bellissima (1951) et Senso (1954) – relève de la respiration, d’un accouchement sans douleur. ” On avait tellement eu l’occasion, pendant trente ans, de parler du livre et des personnages, expliquait la complice du cinéaste, qu’écrire son adaptation n’a pas été difficile, une fois le point de départ et le point d’arrivée choisis. “ Le scénario en question fait 393 pages, comporte 98 scènes, soit plus de quatre heures de film. La dernière scène montre Marcel au lit, cerné par ses manuscrits. Alors qu’il ferme les yeux et se laisse envahir par ses souvenirs d’enfance, une voix off retentit : ” Longtemps je me suis couché de bonne heure. “ Visconti-Proust, ” ça allait de soi “, comme l’assure la productrice française Nicole Stéphane, qui avait acquis les droits de l’oeuvre auprès de Suzy Mante-Proust, la nièce de l’auteur. Deux fidèles collaborateurs de Visconti, Mario Garbuglia et Piero Tosi, effectuent les repérages et travaillent à la préparation des costumes. Les acteurs sont choisis. Le rôle du narrateur est dévolu à Alain Delon ; celui de Charlus, à Marlon Brando. Son amant sera incarné par Helmut Berger. Silvana Mangano sera la duchesse de Guermantes ; Simone Signoret, Françoise ; et Charlotte Rampling, alors inconnue, Albertine. Greta Garbo accepte même de sortir de son silence pour revêtir, le temps d’une journée de travail, les habits de la Reine de Naples.Cette année-là, Visconti passe un mois en France, dont deux semaines en Normandie, où il trouve sa gare idéale, celle d’Houlgate. Le Grand Hôtel de Cabourg, dont l’ascenseur est le même qu’à l’époque de Swann, envisage de fermer un an pour les besoins du tournage. Pour l’hôtel de Guermantes, à Paris, le réalisateur de Mort à Venise choisit l’hôtel Pozzo di Borgo, rue de l’Université, et le musée Jacquemart-André. Les tonalités du film sont arrêtées : noire et bleue. Peu à peu, le projet prend une ampleur considérable, la durée du film est réévaluée à cinq heures et demie, le budget dépasse allègrement les 20 millions de dollars, et l’argent commence à manquer. Au lieu de patienter, sachant pertinemment qu’il finira par obtenir le budget qu’il souhaite, Visconti préfère se lancer, en 1972, dans la réalisation d’un autre film, Ludwig, avec Helmut Berger dans le rôle du prince Louis II de Bavière. Selon Nicole Stéphane, l’acteur, vexé de ne pas s’être vu proposer le rôle du narrateur, confié à son ennemi juré Alain Delon, aurait détourné le cinéaste de La Recherche. Suso Cecchi d’Amico croit davantage à une superstition : le réalisateur travaillait, avec La Recherche, à ce qu’il estimait être ” son dernier film “. S’y atteler signait son arrêt de mort. Frappé d’une thrombose durant le montage de Ludwig, à moitié paralysé, il abandonne définitivement le projet en 1973.Ce coup du sort, les retards de production, la peur de réaliser le film pour lequel il semblait né font de l’adaptation de La Recherche une oeuvre impossible. Mais Visconti l’a tant de fois mise en scène dans sa tête qu’elle existe dans une autre dimension. Car, de fait, elle colore tout son cinéma. Un livre de Florence Colombani, Proust-Visconti. Histoire d’une affinité élective, a parfaitement décrit la proximité qui s’était établie au fil des ans entre l’écrivain et le cinéaste : la rêverie autour d’une enfance mythifiée, la peinture d’un monde au bord du gouffre, la passion de Venise. Toute l’oeuvre de Visconti est hantée par celle de Proust. La relation entre Charlus et Morel est transposée dans Senso (1954). La fameuse scène du bal du Guépard (1963) trouve son origine dans Le Temps retrouvé et la longue réception des Guermantes. Visconti reconnaît que Tancrède et Angelica, le couple incarné par Alain Delon et Claudia Cardinale, rappelle Odette et Swann. Pour Sandra (1965), Visconti utilise la musique de César Franck, comme Proust dans La Recherche – la sonate de Vinteuil, le musicien imaginé par le romancier, est modelée sur celle du compositeur. D’une certaine façon, Visconti reconstitue la plage de Balbec dans Mort à Venise (1971), tandis que le personnage de veuf solitaire, enfoui dans ses souvenirs et ses livres, incarné par Burt Lancaster dans Violence et Passion (1974), son dernier grand film, rappelle le narrateur de La Recherche. Hantée par ses propres films, qui n’ont cessé de rendre Proust vivant, l’oeuvre fantôme du réalisateur italien ne pouvait pas prendre forme.
par Samuel Blumenfeld – illustration YANN KEBBI
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