THE POSTMAN ALWAYS RINGS TWICE (Le Facteur sonne toujours deux fois) – Bob Rafelson (1981)
C’est le désir et la passion qui est au centre de l’adaptation de Bob Rafelson. Comme Visconti, il arrêtera son film après le deuxième accident qui coûte la vie à Cora, laissant Frank désespéré devant le corps inerte. Le rêve de Frank est devenu cauchemar avec cette fin qui précipite la cruauté du destin décrite par Cain.
Signe des temps, la recherche d’un réalisme « sale » (la photographie glauque de Sven Nykvist y est pour beaucoup), la crudité des rapports sexuels entre les deux amants, la longueur volontairement pesante de certaines scènes, tranchent avec la version de Tay Garnett où Lana Turner est plus un objet mythique qu’une femme en chair et en os. Ici les champs-contrechamps amoureux des visages en gros plan de Garfield et Turner sont remplacés par de furieux corps à corps, passionnés, violents et sexuels sur la table d’une cuisine ou dans l’entrebâillement d’une porte. Ici encore, il est intéressant d’analyser la scène de la première rencontre.
Nick qui a retrouvé son origine grecque (Rafelson rajoutera même une scène de fête avec chants et danses folkloriques, insistant ainsi sur l’idée de melting pot et la xénophobie latente de Frank) demande à Cora qui est dans la cuisine ce qu’elle peut encore servir à Frank. A travers la porte vitrée, Frank l’aperçoit, floue, de dos. Alors qu’il mange, elle vient dans la salle. Ils se regardent. Nick est derrière le comptoir. Elle sort une cigarette. Frank présente son briquet, la flamme éclate entre leurs deux visages, étincelle de passion, de désir. Leur destin est scellé.
Jack Nicholson enserre le personnage de Frank dans les rais de son jeu spécifique. Plus vieux que dans le roman, sa vie semble déjà chargée d’un lourd passé. Rafelson en fait un professionnel du jeu, qui ne saura pas résister à cette autre passion lors de leur première fugue. Il misera l’argent des billets de train qui devaient leur permettre de fuir devant une Cora affligée.
Jessica Lange est extraordinaire en femme qui n’en finit pas d’encaisser les coups, sans rien dire, forte et opiniâtre, dure au mal, bouillante de sexualité animale, brutalement paniquée, innocente et fragile. Femme effarouchée mais consentante dès les premiers instants, elle est au plus près de la Cora de James Cain.
La vigueur de son désir pour Frank et la logique criminelle qui en découle sont extrêmement proches du livre. La violence des pulsions sexuelles largement étalée dans quelques scènes particulièrement chaudes (les scènes de la plage sont remplacées par des scènes de lit) et la brutalité sanguinolente du meurtre de Nick éclatent mêlant désir et répulsion, plaisir et peur, dégoût et passion.
Angelica Huston joue le rôle de l’autre femme, dompteuse comme dans le roman, mais la séquence de leur escapade est traitée sur un mode presque comique. Ici, encore elle déclenchera la jalousie de Cora, alors enceinte de Frank. Mais finalement le mariage aura bien lieu et constitue l’éphémère mais émouvant constat d’un amour absolu. Cette scène correspond par bien des côtés au moment où dans le livre les deux amants nagent vers le large pour se prouver leur amour. [Regards sur les 5 adaptations cinématographiques – Gérard Camy – L’Avant-Scène Cinéma (Le Facteur sonne toujours deux fois) – avril 2004]
ENTRETIEN AVEC BOB RAFELSON
Propos recueillis par François Forestier et François Guérif – Polar (1981)
La version de Bob Rafelson du Facteur sonne toujours deux fois traite avec franchise, voire brutalité, de tout ce qui était absent dans celle de Tay Garnett. Les modifications concernent essentiellement le personnage de Cora, magistralement interprétée par Jessica Lange.
La force de Rafelson est de toujours montrer sans jamais rien expliquer. Dès le premier plan de la route sortant de l’ombre au petit matin avec un auto-stoppeur vagabond grillant une cigarette, le cadre frappe par son authenticité. Il évoque irrésistiblement la crise américaine, l’époque des « hobos » et leur errance à travers le pays en quête d’un endroit où survivre. Cet endroit sera pour Frank le relais routier où il cherche à resquiller un petit-déjeuner. La façon dont il avale son repas nous montre sa faim et annonce son désir de se reposer.
L’apparition de Cora frappe aussi par son authenticité. Dans la cuisine, mal habillée, mal peignée, elle accomplit mécaniquement les travaux quotidiens. Son ennui est perceptible, son désir d’autre chose aussi. Le personnage du mari sort enfin de la caricature. Ce n’est plus le brave type un peu naïf et simplet, mais un émigré qui n’a pas encore réussi à s’intégrer. Il recherche ses compatriotes et perpétue des traditions qui n’ont rien d’Américaines ; ce qui contribue à accentuer l’isolement de Cora. Cora n’est pas une vamp ou une garce. La brutalité érotique de sa première scène passionnelle avec Frank répond à sa violence intérieure, au désir de se sortir d’un univers clos et insipide. Tout au long du film, la colère de Cora s’apaisera. Frank et elle passeront par le meurtre et la trahison pour réaliser qu’ils ont besoin l’un de l’autre et que, finalement, leur rêve est simple et bourgeois : avoir des enfants.
Mener une vie décente. Pour atteindre ce but, il leur faut abattre les obstacles, simplement. C’est cet itinéraire d’une passion qui va évoluer vers un amour enfin apaisé que Rafelson montre avec précision et sensibilité. Deux êtres, plus très jeunes, essaient de conquérir leur droit à un bonheur normal. Mais la seconde chance, thème américain par excellence, n’existe pas. Le châtiment ne vient pas, comme dans le livre, de l’exécution de Frank, mais bien d’avoir perdu au cours d’un accident stupide, cette dernière possibilité de s’en sortir. [James Cain et le cinéma – François Guérif – Polar (1981)]
Pour qui n’a pas vu la version de Tay Garnett, le film de Bob Rafelson peut paraître une réussite par une certaine fidélité au roman de James M. Cain. Il est en revanche impossible d’oublier le couple formé par John Garfield, au jeu beaucoup plus sobre que celui de Jack Nicholson, et une Lana Turner en pleine splendeur. Quant à l’érotisme on peut penser que l’apparition de Lana Turner en short blanc est lus troublante que la scène, plus crue, où Jack Nicholson prend Jessica Lange sur la table de la cuisine… Il manque également au film de Rafelson le sens du destin tragique si cher au film noir et qui marquait la version Garnett, Frank étant finalement condamné – comme dans le roman – pour un meurtre qu’il n’avait pas commis… [L’Héritage du film noir – Patrick Brion – Editions de La Martinière (2008)]
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LE DERNIER TOURNANT – Pierre Chenal (1939)
On croit souvent que le roman noir américain est une découverte de l’après-guerre, et qu’il a fait son apparition en France à partir de 1945. Il n’en est rien. Un classique du genre, comme Le Facteur sonne toujours deux fois de James Cain était publié chez Gallimard, dans une traduction de Sabine Berritz, dès 1936 ; il est très significatif que ce roman célèbre qui fut porté à l’écran quatre fois, ait connu sa première adaptation cinématographique en France, et cela dès 1939. Elle précédait celles de Visconti (1942), de Tay Garnett (1946) et enfin celle de Bob Rafelson (1981). Il s’agit du Dernier tournant de Pierre Chenal.
Film malchanceux d’un cinéaste malchanceux, il fut présenté au public au début de 1940, en pleine drôle de guerre. Les critiques étaient, pour beaucoup, sous les drapeaux, les journaux s’occupaient peu de cinéma, et il n’y eut guère d’articles. Après l’armistice, Chenal étant juif fut frappé d’interdit, et ses films avec lui. Pourtant Le Dernier tournant ressortit sous l’occupation, sans nom de metteur en scène, tout comme L’Empreinte de Dieu de Leonid Moguy ou Les Misérables de Raymond Bernard.
A la Libération, de nouveaux interdits s’abattaient sur le film. Cette fois, ils frappaient deux acteurs, la vedette féminine Corinne Luchaire, fille du célèbre journaliste « collaborationniste » Jean Luchaire (il fut fusillé en 1946), et Robert Le Vigan, ami de l’écrivain Céline, qu’il avait accompagné en exil en Allemagne, au cours de l’été 1944. Fait prisonnier, Le Vigan fut par la suite assez lourdement condamné. Son nom et celui de Corinne Luchaire disparaissaient à leur tour du générique du Dernier Tournant, tandis que celui de Pierre Chenal y était rétabli… Tout cela nuisit à la carrière du film.
Pourtant celui-ci méritait de connaître un meilleur sort. Des quatre versions du roman de James Cain, celle-ci est loin d’être la moins bonne ni la moins fidèle, malgré les difficultés de la transposition.
L’histoire, en elle-même, est assez simple. Il n’est pas sûr, d’ailleurs, qu’elle fournisse un aussi bon scénario qu’on l’a cru. La fausse bonne trouvaille du dénouement est sans doute ce que contient de moins convaincant cette histoire célèbre. Par contre, les personnages, puissamment dessinés, et le décor, évoqué avec un fort pouvoir de suggestion, sont de premier ordre.
Le film de Pierre Chenal est, sur ces deux plans essentiels, tout à fait réussi, ou peu s’en faut. Pourtant, la transposition en France de cette histoire très américaine n’était pas facile à réussir. Elle fut néanmoins opérée de façon satisfaisante, l’action étant située dans le midi de la France, dans un paysage isolé et sauvage, avec lequel le caractère marginal des protagonistes s’harmonisait assez bien. Par ailleurs l’irruption de roman noir américain au sein du cinéma Français d’alors donne des résultats intéressants et marque une rupture sensible avec les schémas habituellement en vigueur. On est très loin, soudain, du réalisme poétique à la Carné-Prévert, de sa rhétorique un peu mièvre et de son univers entièrement recomposé en studio. Les extérieurs nombreux, où s’intègrent bien certains décors naturels, situent Le Dernier tournant très loin du Quai des brumes et du Jour se lève, et lui donne l’avantage sur le plan de l’authenticité.
Certes, avec sa propre adaptation, Visconti ira plus loin, trois ans plus tard, dans cette direction, et Ossessione peut, à bon droit, passer pour une des premières œuvres du néoréalisme italien. Il reste à Chenal le mérite d’avoir indiqué la voie. Il eut aussi celui de vouloir rester fidèle à l’esprit de l’œuvre originale. Les dialogues sont signés de Charles Spaak, un des scénaristes typiques du cinéma français de cette époque. En réalité, Chenal, mécontent du travail de Spaak, eut l’heureuse initiative de demander à la traductrice du roman de refaire le dialogue en reprenant le plus possible celui du roman de Cain. Ce qui fut fait, même si le générique ne l’indique pas, avec l’aide d’un scénariste expérimenté, également non crédité.
L’autre point fort du film, c’est son interprétation. Certes, Fernand Gravey n’est pas totalement satisfaisant dans le rôle de Frank, l’amant vagabond, devenu criminel ; il a un peu trop l’air échappé de n’importe quel film français du moment, plus proche du populisme ambiant que de la future « Série noire ». Mais il est le seul à mériter ce reproche. Michel Simon fait, comme d’habitude, une composition remarquable dans le rôle du mari assassiné. Le Vigan est encore plus extraordinaire dans un personnage de martre-chanteur, cauteleux et redoutable. Mais la grande vedette du film, le personnage centrai de l’histoire, c’est bien Corinne Luchaire, dans le rôle de Cora, la femme fatale qui va faire de son amant un criminel sans remords.
Sa composition est d’autant plus saisissante que la jeune vedette avait alors à peine dix-neuf ans. Sa brève carrière et sa destinée pathétique méritent quelques lignes à cette place, car c’est dans Le Dernier tournant qu’elle eut son meilleur rôle et montra qu’elle avait tout pour devenir une grande vedette. Après un bout de rôle, à la limite de la figuration dans Les Beaux jours de Marc Allégret, en 1935, ses débuts véritables se situent dans Prison sans barreaux (1937) de Leonid Moguy. Le film était médiocre, mais connut un grand succès public, grâce en partie à un prix à la Mostra vénitienne de 1938. Il connut même une version anglaise (de Brian Desmond Hurst) avec une interprétation britannique, entourant Corinne Luchaire, seule actrice à figurer dans les deux versions. Promue vedette du jour au lendemain, celle-ci allait tourner six films en trois ans, avant de disparaître dans les remous de la guerre et de l’épuration (on lui reprochait, outre son nom encombrant, quelques liaisons un peu voyantes avec des officiers de la Wehrmacht) et de mourir à moins de trente ans, emportée par la tuberculose. Elle a raconté sa vie dans un livre fort intéressant, « Ma drôle de vie ».
L’HISTOIRE
Frank (Fernand Gravey), un vagabond sans but dans l’existence, est engagé par Nick Marino (Michel Simon), patron d’une auberge à l’écart de tout. La vue de Cora (Corinne Luchaire), la jeune femme de Nick, l’a poussé à accepter l’emploi. Pour fêter l’événement, Nick saisit son accordéon et, dans une intention mal définie, oblige Frank et Cora à danser ensemble . Au bout de quelque temps, l’inévitable se produit et Frank devient l’amant de Cora qui ne supporte plus cette existence isolée auprès de son vieux mari. Une tentative de fuite ayant tourné court, les deux amants décident de tuer Nick. Après une première tentative, Nick se retrouve à l’hôpital, persuadé qu’il a été victime d’un accident. La seconde tentative est la bonne. L’enquête les ayant innocentés, Frank et Cora sont désormais libres. Les ennuis commencent avec le chantage d’un cousin (Robert Le Vigan) de Nick. Mais Frank parvient à se débarrasser de l’encombrant personnage. Mais le châtiment survient : un banal accident d’auto, véritable celui-là, tue Cora. Frank en réchappe, mais la police qui l’avait toujours soupçonné, cette fois ne le ratera pas. Le destin fait comme le facteur : il sonne toujours deux fois.
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