L'Année dernière à Marienbad.
Tristan in labirint
L'HISTOIRE
ANALYSE ET CRITIQUE
Alain Resnais poursuit la révolution esthétique et narrative de son Hiroshima mon amour (1959) avec ce tout aussi intrigant et envoutant L'Année dernière à Marienbad. Le film constitue un aboutissement et une forme d’extrême de tous les travaux signés jusque-là par le réalisateur et reposant sur un équilibre ténu entre humanisation et déshumanisation. Le court-métrage Toute la mémoire du monde (1956) dépeignant le fonctionnement de la Bibliothèque Nationale nous égarait déjà ainsi dans les dédales labyrinthiques de ces pièces envahies de livre, quand à l’inverse les statuettes des Statues meurent aussi (1954, coréalisé avec Chris Marker et Ghislain Cloquet) se voyaient dotées de vie et exprimaient le point de vue anticolonialiste (et controversé à l’époque) de ses instigateurs. Ce questionnement possédait cependant toujours un ancrage dans le monde réel, les horreurs de la Shoah dépeintes dans le documentaire Nuit et brouillard (1956) exprimant le pire de cette déshumanisation alors que le poème filmique Hiroshima mon amour met la catastrophe nucléaire en arrière-plan pour privilégier les émois de son héroïne.
Après Marguerite Duras, et avant Jacques Sternberg sur Je t’aime, je t’aime (1968), Resnais collabore à nouveau avec une figure singulière de la littéraire française d’alors en faisant appel à Alain Robbe-Grillet. Chef de file du Nouveau Roman dont les caractéristiques anticipent nombre de préceptes de la Nouvelle Vague (rejet de l’intrigue classique, questionnement sur la position du narrateur), Robbe-Grillet va les mélanger aux motifs précités du cinéma d’Alain Resnais pour un résultat singulier. Cette fois, Resnais ne choisit pas entre déshumanisation et humanisation, nous irons de l’un à l’autre dans une approche radicale, abstraite et expérimentale. Le film s’ouvre sur une voix-off dont nous ne saisissons que des bribes tandis que la caméra vogue dans un impressionnant décor gothique. Ce rapport de désynchronisation entre la voix et l’image, l’absence de repères quant au montage et qui sera au cœur du récit s’amorcent dès cette ouverture. Nous découvrons ainsi que ces premiers mots entendus correspondent à ceux d’une pièce de théâtre à laquelle des spectateurs assistent dans un château faisant office d’hôtel. La pièce s’achève et l’effet de décalage ressenti en ouverture se prolonge avec les convives semblant se mettre en route de façon machinale pour donner vie à cette soirée. Resnais multiplie les effets qui confèrent des airs factices à cet environnement et à ces protagonistes : phrasé des convives décalés avec le mouvement de leurs lèvres, conversations creuse qui semblent rebondir d’une personne à une autre accentuées par les poses mimétiques des invités... Cet effet de boucle et de repli sur soi s’applique également au décor avec ces travellings traversant d’interminables couloirs impossibles à distinguer les uns des autres, tandis que les dessins ornant les murs reproduisent les formes géométriques de l’impressionnant jardin entourant le château.
Hors du temps et du monde réel, les êtres arpentant ces lieux ne sont que des ombres d’êtres vivants et semblent reproduire à l’infini ce rituel. Un homme (Giorgio Albertazzi) semble pourtant vouloir s’en extraire, simplement en interpelant une jeune femme (Delphine Seyrig) et en lui affirmant qu’ils se sont connus et aimés l’année précédente, à Marienbad. L’insistance de l’homme va lui donner un objectif lui permettant de surmonter la déshumanisation des boucles, tandis que le déni de la femme va progressivement faire dérailler sa perception et remettre en cause cette existence fantôme. On ne tirera cependant ces conclusions qu’au terme d’un voyage onirique et hypnotique totalement déroutant. Les mouvements de caméra de Resnais nous promènent dans les majestueux décors (le tournage se partagea entre les châteaux de Nymphenburg et d'Amalienburg, le parc du château de Schleissheim en Bavière, ainsi qu'en studio à Paris) par une étrangeté dont on ne sait si c’est celle du rêve ou du cauchemar. La magnifique photo de Sacha Vierny accentue cet aspect onirique, lui conférant un romanesque immaculé (les rencontres aux jardins) ou une incertitude ténébreuse selon les moments. La musique, où les tourbillons de cordes alternent avec l’orgue pesant et inquiétant de Marie-Louise Girod, joue également un rôle majeur dans l’atmosphère indéterminée du film.
Ce ton insaisissable vient à la fois de l’anxiété de l’homme forcé d’être aimé pour ne pas perdre la raison et des hésitations de la femme pour qui s’abandonner signifie perdre ses repères, aussi désincarnés soit-il. Le montage dresse une mosaïque complexe qui nous perd dans le dialogue finalement mental au fil des multiples boucles où l’homme aura tenté de convaincre la femme. Tout semble constamment se répéter sans jamais être tout à fait la même chose au détour d’un décor changeant qui prolonge une conversation débutée ailleurs et/ou avant/après, d’une tenue vestimentaire. Le dialogue décalé de l’image précède parfois de plusieurs minutes le moment qu’il évoque (la discussion autour de la statue du couple), Resnais ajoutant encore à la confusion avec des angles de caméra qui adopte le point de vue du couple ou se font carrément omniscients comme cette plongée sur la statuette lors d’une énième répétition. Les variations seront ainsi distillées avec parcimonie et exigent l’attention du spectateur, jusqu’à ce que Resnais fasse subtilement dérailler son dispositif. Là encore, tout repose sur la psyché torturée des personnages. L’homme brise progressivement la boucle par ses visions propres où il altère la narration quand elle prend des directions contraires à ses désirs (la mort de Delphine Seyrig dont il ne veut pas) et finit par contaminer la femme. Celle-ci est troublée par ses sentiments changeants, revivant d’abord les moments racontés par l’homme qui surgissent dans son esprit comme des inserts puis des reprises de séquences à part entière. Enfin, elle va endosser son identité propre et donc des séquences selon son seul point de vue (l‘attente précédent le départ final notamment).
On peut ainsi dire que l’homme (ainsi que le second protagoniste masculin, le joueur incarné par Sacha Pitoëff) est une incarnation filmique des préceptes du Nouveau Roman et un double filmé d’Alain Robbe-Grillet. A l’inverse, la femme, plus libre et emportée, représente Alain Resnais et de manière plus vaste le cinéma plus malléable contre la littérature et/ou le théâtre. L’homme paraîtra toujours un peu figé dans sa quête tandis que l’éveil de Delphine Seyrig bouleverse. Alain Robbe-Grillet avait enregistré tous les dialogues du film et Resnais avait fait reproduire aux comédiens le phrasé de l’écrivain (à leur grand désarroi) tandis qu’il dirigeait réellement Delphine Seyrig, un fait qui étaye donc plutôt cette thèse. Ceci dit, les interprétations peuvent amener sur d’autres territoires encore tant le film est riche, notamment par le personnage du joueur ou même du fait d'un possible passé commun dans le monde réel pour le couple avant qu'il soit dans cette boucle temporelle, mentale ou dimensionnelle. Le final les voit en tout cas s’évader pour un lieu certainement aussi étrange et inconnu. L’influence du film est immense, du Shining (1980) de Stanley Kubrick (lieu vu comme un espace mental faisant répéter des actes passés, meurtriers en l’occurrence) au plus récent Inception (2010) de Christopher Nolan où le monde des rêves sert de révélateur pour surmonter un traumatisme sentimental. Le mystère et l’étrangeté du film de Resnais restent cependant uniques et furent saluées à l’époque par un Lion d’Or au Festival de Venise en 1961.
https://www.dvdclassik.com/critique/l-annee-derniere-a-marienbad-resnais
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24 mars 2007
L’année dernière à Marienbad (1961) d’Alain Resnais
Elle :
Alain Resnais signe un film très particulier et peu facile d’accès durant lequel on peut éprouver un certain ennui. A mi-chemin entre imaginaire et réalité, il nous fait pénétrer dans un univers baroque d’une très grande beauté visuelle et baignant dans une musique envoûtante. Cette histoire d’amour fou avec cette belle femme interprétée par Delphine Seyrig passe en second plan. Le film s’attache davantage à la forme pour créer une atmosphère fascinante où l’on sent la patte d’Alain Robbe-Grillet. La mise en scène est somptueuse et très élaborée. Un grand travail sur les longs travellings, les éclairages et la composition des cadrages a été accompli. Les personnages en plan arrêté dans les décors de cet austère château de Marienbad font penser à des tableaux en clair obscur. Il faut se laisser gagner par la beauté sans chercher à décrypter le sens profond de ce film.
Note :
Lui :
Plus que tous les autres films d’Alain Resnais, L’année dernière à Marienbad est un film à nul autre pareil. La trame narrative s’efface, déstructurée et atemporelle, pour faire place à un travail esthétique sur les plans qui n’a que rarement été poussé aussi loin. Le film est le fruit d’une collaboration entre Alain Resnais et Alain Robbe-Grillet. Le lieu, un vaste château en Bohême, offre ses lignes géométriques pour constituer un environnement austère où évolue ce petit groupe de personnes empreintes de préciosité. Cette rigidité des lieux et des personnages vient en opposition totale avec l’amour fou entre les deux personnages principaux, un amour qui a du attendre une année pour pouvoir se déclarer et se concrétiser. Chaque plan semble travaillé à l’extrême, à commencer par les lumières qui façonnent des images d’une beauté à couper le souffle ; il y a aussi ces travellings, lents et doux, qui semblent caresser les êtres et les choses, déplacements aériens autour de scènes où le temps s’est figé ; enfin, Alain Resnais joue avec les décors extérieurs et intérieurs, vastes aires de marbre et de miroirs, et avec Delphine Seyrig dont chacune des postures semble avoir été pensée pour créer de nouvelles lignes gracieuses. Le spectateur que nous sommes acquiert dès lors l’impression de pénétrer un tableau vivant, hors du temps et des espaces. A mes yeux, L’année dernière à Marienbad n’est pas si difficile d’accès car il suffit de se laisser submerger par la beauté pour pénétrer ce dédale d’images et de sentiments. Le film devient alors terriblement envoûtant.
Note :
Acteurs: Delphine Seyrig, Giorgio Albertazzi, Sacha Pitoëff
Voir la fiche du film et la filmographie de Alain Resnais sur le site imdb.com.
Lire une analyse plus approfondie du film sur le site du Ciné Club de Caen…
Voir les autres films de Alain Resnais chroniqués sur ce blog…
Note : Le film a donné son nom au jeu avec des allumettes qui y tient une place si symbolique : on l’appelle maintenant le jeu de Marienbad. Le mari de Delphine Seyrig dit « je puis perdre, mais je gagne toujours » car en effet il est impossible au joueur qui joue en premier de gagner face à une personne expérimentée. Ce jeu a acquis une certaine popularité parmi les informaticiens car la méthode pour gagner repose sur l’utilisatisation des nombres binaires.
=========================================================L'année dernière à Marienbad
Scénario: Alain Robbe-Grillet Photo: Sacha Vierney Musique: Francis Seyrig. Avec : Delphine Seyrig (A), Giorgio Albertazzi (X), Sascha Pitoëff (M), Françoise Bertin, Luce Garcia-Ville. 1h35.
Le film décrit le rêve d'un homme qui aime une femme inaccessible. Il vient la chercher. Mais le rêve est aussi cauchemar : la femme ne se souvient plus de lui. Il essaie de l'atteindre. Lorsqu'il croit l'avoir fait, elle s'est déplacée sur une autre pointe du temps, un autre souvenir : il faut la convaincre à nouveau. De nouveaux cauchemars se dressent devant lui : est il sur que c'est elle qu'il aime ? Est-il sûr de l'avoir rencontré ? Mais oui, c'est elle qu'il aime. Il l'emporte dans sa nuit. Fin du rêve, avant celui de demain.
Resnais explore ses thèmes favoris : l'angoisse de l'oubli, l'immobilité du temps, l'abandon du réalisme traditionnel pour un réalisme plus profond, celui de la pensée.
Il est stimulé par la rencontre avec son scénariste, le pape du nouveau roman, Alain Robbe-Grillet. Cela le conduit à des recherches formelles assez proches de celles poursuivies par Peter Greenaway (musique lancinante, dialogues leitmotiv, surexpositions blanches, images éclairs, clairs obscurs, arabesque des travellings, présence obsédante du hors champs avec des recadrages permettant l'intrusion de personnages ou des basculements de décors).
Mais, parallèlement à ces recherches formelles, ce film d'amour, où "la glace reste présente en plein coeur de l'été" est le plus exalté depuis L'âge d'or de Bunuel ou les films de Cocteau. "Laissez moi, je vous en supplie" répète Delphine Seyrig. Et son amant de répéter :
"Toujours des murs, toujours des couloirs, toujours des portes, et de l'autre côté encore d'autres murs. Avant d'arriver jusqu'à vous, avant de vous rejoindre, vous ne savez pas tout ce qu'il a fallu traverser. Et maintenant vous êtes là où je vous aie mené, et vous vous dérobez encore. Mais vous êtes là dans ce jardin, à porté de ma main, à porté de ma voix, à porté de regard, à porté de ma main".
Bernard Pingaud a donné une description, maintenant classique du film :
"X a rencontré A, l'année dernière, dans cet hôtel ; ils se sont aimés, elle a accepté de fuir avec lui. Mais au dernier moment craignant la réaction de M, elle lui a demandé un délai. Ce délai est écoulé et X vient aujourd'hui la chercher. Premier déplacement : A ne reconnaît pas X. Elle a oublié. X s'étonne, rappelle des faits, des dates, cite des conversations, décrit des scènes qu'il ne peut pas avoir inventées. Présente même à l'appui de ses dires une photographie. A persiste à ne pas se souvenir. Deuxième déplacement : il se pourrait que X se trompe. Peut être a t il eut une aventure ici même l'an dernier, mais c'était avec une autre femme. Ou peut être A a-t-elle eut une aventure avec un certain Frank, dont le nom revient à plusieurs reprises dans les conversations des clients de l'hôtel. L'histoire se brouille. Troisième déplacement : X insiste, et comme si la force de son discours était communicative, comme s'il suffisait d'évoquer le passé avec suffisamment de conviction pour que ce passé existe, il réussit à entraîner A. A ce niveau aucun fait n'est plus vérifiable : seul le dénouement identifiera l'histoire. Quatrième et dernier déplacement : la fuite des amants est racontée au passé de telle sorte que l'histoire peut recommencer au début : c'est l'année dernière qu'elle a eut lieu, il ne s'agit jamais que de la répéter indéfiniment..."
Pas à pas, le film offre effectivement les pistes suivantes : Un Double prologue : tout d'abord la description-commentaire de l'hôtel immense, luxueux et lugubre. Puis, un spectacle de théâtre ; il est dit "la peur de perdre quelqu'un de tellement proche qu'on le croit partie de soi-même", sonnerie de réveil et puis la phrase sur laquelle se clôt le spectacle : "voilà, maintenant je suis à vous." Applaudissements les personnages ne mettent à vivre, des conversations sont évoqué, les années 28 et 29. Cette année là, en été, l'eau de bassin avait gelé. Frank qui, l'année dernière venait la surveiller et qui était monté dans sa chambre. Séquence cauchemardesque du tir : A et X se rencontrent : première évocation des jardins de Fredrikstrasse avec sa statue aux deux personnages. Première mise en scène de cette rencontre avec la statue sur une terrasse. Mais il se peut aussi, troisième évocation, que cette statue ait été au bord de l'eau. Elle est aussi dans un tableau : M révèle qu'il s'agit de Charles III et de son épouse lors du procès en trahison devant la Diète. Discussion d'un groupe avec X et A sur la terrasse. Un jour elle a cassé son talon et s'est appuyée sur lui. Ils se retrouvent souvent : c'est comme s'il n'y avait que lui et elle. Un soir il est monté chez elle, un verre s'est cassé, dans le bar ou dans sa chambre. Alors que X et A vont ensemble au concert, M apparaît : "Vous allez à ce concert, je vous retrouve pour le dîner". X et A se donnent un baiser sous une statue. Il lui a proposé de partir avec lui. Elle est retenue par celui qui est peut être son mari. X montre une photo à A. Il lui rappelle qu'il avait du insister pour la prendre. Elle sort dans le jardin et voit la statue dans un autre endroit. Elle brise un de ses talons. Elle lui avait demandé un an, il vient la chercher. On voit sa photo sur un banc blanc ; Quatrième vision de la statue auprès du bassin. Plusieurs mouvements de A sur le lit. M vient dans sa chambre et examine la photo prise l'an dernier par Frank peut être, mais il n'était pas ici, mais c'était peut être à Fredricstrasse. X apparaît, M tue A ; ce n'était qu'une vision suggérée par la peur. "C'est vous vivante qu'il me faut". X perd une nouvelle fois au jeu contre M. X devient l'amant de A ; elle est dans son déshabillé blanc à plumes. Dans une cape noire, elle lui demande un an. M sait que A va le quitter. Cela se fera pendant la soirée théâtrale dont A a été dispensée du fait de son malaise. M aurait pu venir, X est venu, A est parti avec lui. Les douze coups de minuit sonnent, rappelant la sonnerie du prologue ; elle est à lui.
"Oui, L'année dernière à Marienbad est totalement onirique. C'est une comédie musicale, sans chanson, qui tente d'approfondir les forces du rêve". "Je suis parti, confiait Resnais à l'Express, de cette idée : une forme d'itinéraire qui pouvait aussi être une forme d'écriture, un labyrinthe c'est à dire un chemin qui a toujours l'air guidé par des parois strictes, mais qui néanmoins à chaque instant conduit à des impasses et oblige à revenir en arrière à repasser plusieurs fois aux même endroits sur des parcours plus ou moins longs, à explorer une nouvelle direction et à retomber sur une nouvelle impossibilité."
La rencontre avec Alain Robbe Grillet semble avoir été fortuite. Il est certain que Resnais n'y a pas vu d'abord une prédestination semblable à celle qui l'a porté au devant de Marguerite Duras. "C'est mon producteur qui me l'a fait rencontrer"dit il. De plus il ne connaissait pas particulièrement l'oeuvre romanesque de son nouvel auteur. Mais pouvait il ne pas être fasciné par l'obsession de l'homme qui marche, obsession que Robbe Grillet partage avec nombre de nouveaux romanciers : Carol, Butor, Simon, Pinget, Beckett ? Initialement donc les unissait cette obsession et cette attitude de l'homme qui marche, et marchant, cherche et se cherche ; cette inquiétude du regard promené qui se réfléchit sur la réalité apparente des choses, sur leur "présence". Dans un important essai théorique Alain Robbe Grillet proposait d'ailleurs des bases à la révolution littéraire qui, s'inspirant des nouveaux concepts scientifiques à l'égard de la nature, s'efforce aujourd'hui de modifier les conditions du dialogue entre l'homme et le monde et de poser une nouvelle axiomatique de l'objet : "Dans cet univers romanesque futur, lit on dans "une voie nouvelle pour le roman futur", gestes et objets seront là avant d'être "quelque chose", et ils seront encore là après, durs, inaltérables, présents pour toujours et se moquant de leur propre sens, qui cherche en vain à les réduire au rôle d'ustensile précaire, entre un passé informe et un avenir indéterminé..."
Resnais a recherché, au travers d'une tentative concrète, les preuves de la validité d'une certaine "vision" formaliste. Le propos du réalisateur et de l'auteur fut donc essentiellement de faire un film objet :" Nous voulions dit Resnais, nous trouver un peu comme devant une sculpture qu'on regarde sous tel angle, puis sous tel autre, dont on s'éloigne, dont on se rapproche". En somme un film autour duquel tourner ; qui soit objet global ou miniature cosmique ; qui présente les propriétés d'un univers à la fois fini (tentative de description mentale) et illimitée dans son étendue comme dans sa durée ; (recherche d'une théorie unitaire de la mémoire), un film qui ait une courbure, qui soit non euclidien. De telle façon que celui qui s'y engage finisse toujours par revenir, au terme de l'itinéraire, à son point de départ. Et de telle façon que la durée soit convergence incessante vers un instant présent qui se déplace incessamment sur l'axe horizontal du temps. Alain Resnais et Alain Robbe Grillet, fascinés par ces sculptures parfaites, que l'on peut admirer sous tous les angles, échafaudent "un film dont on ne saurait jamais quelle est la première bobine".
Trente ans avant Smoking, no smoking, le cinéaste parie sur la liberté du spectateur, convié à participer à l'acte de création.
Jeu des allumettes ou des cartes disposées en 4 rangées de 7, 5, 3 et 1. Chacun son tour, on peut prendre autant d'allumettes que l'on souhaite, mais dans une seule rangée. Celui qui garde la dernière allumette a perdu.
Le film a été tourné en Bavière où Resnais a trouvé palaces et jardins. Il y a l'aquarium de Munich, les châteaux glacés de Nymphenburg et d'Amalienburg, le parc somptueusement ordonné de Schleissheim. Près de 50 % du film a néanmoins été tourné en studio à Paris. L'un des plus longs travellings du film commence en studio à Paris, se poursuit dans une pièce de château de Nymphenburg et se termine dans un morceau des jardins de Schleissheim. Et la célèbre statue des jardins de Marienbad est en papier mâché. En fait, le modèle le plus proche de Marienbad selon Alain Resnais, c'est l'hôtel du Louvre, à Paris, près du palais Royal, notamment ses longs couloirs baroques.
Marienbad doit son nom à Mariànské Làzne à vingt kilomètres de la frontière allemande. Durant le XIX et le début du XX, la station thermale la plus huppée d'Europe (Goethe, Ibsen, Kipling, Gorki, Tolstoï, Dvorak, Chopin..) après Karlsbad (au nord est de la république tchèque). Aujourd'hui, c'est le paradis thermal des allemands du troisième âge.
"Au début, nous nous étions mis d'accord avec Robbe-Grillet pour appeler le film L'année dernière. On trouvait cela plus mystérieux, la suspension absolue du temps, plus d'espace… Marienbad n'est revenu qu'au tout dernier moment dans le titre, avant le tournage. Tout cela a mis une belle pagaille dans la critique et dans la géographie du cinéma".
Sources :Antoine de Baecque, Libération du vendredi 27 août 2004.
Une soirée théâtrale dans un somptueux palace d'une ville d'eau allemande. Un homme très élégant rencontre une femme et s'efforce de la persuader que, l'année précédente, à Marienbad, elle avait promis de tout quitter pour vivre avec lui. La femme ne se souvient absolument pas d'avoir eu une telle conversation avec lui. L'homme la poursuit pourtant et la harcèle, parfois doucereux, quelquefois inquiétant. Décontenancée, elle ne sait si elle le désire, s'il la répugne, si elle lui obéira, tandis que des images tragiques d'un viol ne cessent de la hanter. Les jardins et les décors de l'hôtel sont intimement liés à sa longue quête intérieure...
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Dans un hôtel luxueux et baroque, sous les yeux de l’énigmatique M. (Sacha Pitoëff), un inconnu à l’accent italien (X., Giorgio Albertazzi) semble tenter de convaincre une jeune femme (A., Delphine Seyrig) qu’ils se sont déjà rencontrés et aimés. Souvenirs, mensonges, réel, imaginaire et fantasmes dérivent au gré d’une somptueuse partition visuelle, sonore et narrative.
En avant propos de son volume d’Études Cinématographiques coordonné sur le thème « Alain Resnais et Alain Robbe-Grillet, évolution d’une écriture » (n° 100/103, 1er trimestre 1974), Michel Estève écrit : « En 1961, la rencontre d’un cinéaste en quête d’une écriture cinématographique nouvelle et d’un romancier soucieux de rompre avec une esthétique romanesque traditionnelle en définissant les lignes de force du Nouveau Roman donnait naissance à L’Année dernière à Marienbad où, dans son ensemble, la critique saluait la conjonction de deux tempéraments d’artiste et de deux conceptions esthétiques comparables ».
Lion d’Or à la Mostra de Venise en 1961 (où, fait exceptionnel, A. Resnais réalisateur et A. Robbe-Grillet scénariste reçoivent chacun une statuette !), le film sort aussitôt en septembre sur les écrans français et déclenche une polémique entre une majorité enthousiaste parlant d’œuvre labyrinthique d’une profondeur éblouissante et une minorité virulente dénonçant un formalisme creux à la manière de Marcel L’Herbier. En fait, détesté par les « jeunes turcs » de la critique à la fin des années 50, l’auteur de L’Inhumaine (1924) et de L’Argent (1928) a été largement réhabilité depuis, ce qui ôte aujourd’hui leur principal argument aux détracteurs de Marienbad qui travaille justement ces contradictions surprenantes entre des effets d’un autre âge et une forme à la limpide beauté créatrice de sens.
L’Année dernière à Marienbad scelle un temps par sa réussite esthétique Nouvelle Vague et Nouveau Roman, à savoir deux des mouvements artistiques les plus importants du XXe siècle. Le rappro-chement venait d’être amorcé par Hiroshima mon amour (1959), tourné par A. Resnais sur un scénario de Marguerite Duras, tandis que le romancier des Gommes (1953) était déjà en pleine préparation d’un premier long métrage dont il venait d’effectuer les repérages à Istanbul lorsque son producteur le présente à A. Resnais. Sur la demande du cinéaste, le romancier lui propose plusieurs scripts et le metteur en scène choisit Marienbad. A. Robbe-Grillet remet donc à plus tard la réalisation de son propre film L’Immortelle (1963) pour travailler au scénario dont A. Resnais va suivre de très près l’écriture par une implication quotidienne. Fort curieux de romans contemporains, le cinéaste jouera ainsi un rôle de passeur de la littérature au cinéma, mais en dehors de la longue tradition de l’adaptation puisqu’il s’agit de scénarios originaux. L’Année dernière à Marienbad fonde donc un courant de « cinéma littéraire », ensemble hétéroclite de cinéastes tels que Pierre Kast, Henri Colpi, Agnès Varda, Éric Rohmer, Antoine Bourseiller et, bien sûr, M. Duras et A. Robbe-Grillet qui réaliseront respectivement une quinzaine et une dizaine de films importants dans les décennies suivantes.
Si les trajectoires du psychologisme social de A. Resnais et du cinéma cliché de A. Robbe-Grillet ne se rejoindront plus ensuite, leur intersection crée dans Marienbad un espace et un temps purement mentaux organisant tour à tour et au même titre des fragments passés ou lointains, ou des désirs fantasmagoriques : « Une fois de plus, je m’avance une fois de plus le long de ce couloir… ». Certains citeront James Joyce et Henri Laborit admire le film qui lui paraît reproduire parfaitement les mécanismes de la pensée ; plus tard, les théories du biologiste inspireront à A. Resnais Mon Oncle d’Amérique (1980). Robert Benayoun titre sa monographie L’Arpenteur de l’imaginaire en rattachant l’univers du cinéaste au Surréalisme entre rêve et mémoire tandis que Daniel Rocher étudie le symbolisme du noir et du blanc à partir du célèbre poème de Mallarmé « Un coup de dé jamais n’abolira le hasard », en écho au jeu du Nim auquel M. dit pouvoir perdre mais gagne toujours. Une bonne vingtaine d’interprétations pertinentes ont été proposées de cette histoire, depuis la machine de L’Invention de Morel de Bioy Casarès jusqu’au combat entre le ça, le moi et le surmoi des psychanalystes en passant par des mythes celtiques et légendes bretonnes.
L’idée de départ du film est celle du décor à stucs et moulures de l’hôtel, imaginé baroque pour pouvoir être modifié selon les épisodes du récit suscités par ces éléments architecturaux : un parc, une statue, une balustrade, mais surtout la chambre de la jeune femme et un long couloir. Providence (1977) reprendra sur un mode plus léger cette structure ouverte, mais plusieurs visions n’épuisent pas le « mystère » de Marienbad car le brouillage fait partie intégrante de l’effet à produire. Désigné dès Hiroshima mon amour comme l’archétype de l’auteur de films avec l’emploi du travelling pour style et la mémoire pour thématique, A. Resnais a voulu se revendiquer inversement de façon un peu provocatrice « simple » metteur en scène, déclarant avec humour « je suis un moule à gaufres, on peut y couler n’importe quelle pâte », suggérant qu’il pouvait donc faire un Duras, un Robbe-Grillet et aussi bien un Bernstein (en effet Mélo en 1986). Tout aussi malicieux, A. Robbe-Grillet pense pour sa part que le succès de cette œuvre bicéphale ne résulte pas de l’accord fusionnel des deux auteurs mais, au contraire, du fait que lui a écrit un film sur la persuasion (X.) et A. Resnais tourné un film sur la mémoire, ce qui se sent effectivement dans le jeu de la divine Delphine Seyrig (A.), dont la voix douce et suave animera dorénavant pendant un quart de siècle le cinéma d’auteur français de son timbre extraordinaire.
Jean-Luc Godard avait beaucoup aimé Hiroshima mon amour qu’il considérait comme le magistral point d’orgue et le chef-d’œuvre du classicisme des années 50 alors que Les Quatre cents coups de François Truffaut proposait d’après lui les prémices du « jeune » cinéma (tous deux ayant été présentés au festival de Cannes en 1959). Au printemps 1960, À Bout de souffle de Godard est salué pour sa part comme la brillante manifestation d’un cinéma moderne en gestation. Par conséquent, le second long métrage de Resnais apparaît l’année suivante en porte à faux par rapport aux œuvres du nouveau cinéma, aussi différent des œuvres de Truffaut ou Godard que de celles des anciens, R. Clément ou H.-G. Clouzot. Expérience radicale s’appuyant sur la pure fascination de la « magie » cinématographique, l’insolite Année dernière à Marienbad impose donc en 1961 sa singularité tout en marquant un point de rupture à la fois dans l’histoire littéraire et cinématographique. Revu avec notre recul de cinquante ans, le film conserve toujours son éclat solitaire, mais il a trouvé sa place de borne infranchissable entre un cinéma du passé désormais obsolète et un art du présent en perpétuelle évolution.
René Prédal
professeur émérite
études cinématographiques
université de Caen
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Souvenirs de l’Année dernière
Marienbad making of
Par OLIVIER CORPET
Qu’est-ce que L’Année dernière à Marienbad ? Un film d’Alain Resnais ? Un ciné-roman d’Alain Robbe-Grillet ? Une seule et même œuvre avec deux auteurs ?
Tiré d’un roman ? La formule est stupide et erronée. Stupide parce que Alain Robbe-Grillet a presque toujours refusé d’adapter ou de laisser adapter ses romans à l’écran. Erronée puisqu’il est patent que c’est plutôt de son travail de scénariste pour ce film que Robbe-Grillet a tiré un ouvrage qualifié par lui de «ciné-roman». Au-delà de l’inculture que traduit cette ânerie publicitaire, ce qui frappe dans ce petit texte, c’est ce qu’il dit de l’incapacité de ses rédacteurs à pouvoir concevoir autre chose que le schéma traditionnel du cinéaste qui adapte l’écrivain, de l’image et du son qui se substituent au papier et à l’encre.
Le 18 novembre 1960, Pierre Courau, l’un des coproducteurs du film, en cours de fin de tournage en Bavière, écrit à Robbe-Grillet qui se trouve lui à Istanbul (et n’ira volontairement jamais sur le tournage). Il lui écrit pour l’informer que le tournage va bientôt prendre fin et lui demander de l’aide pour la rédaction d’un synopsis du film destiné à « ces esprits rétrogrades que sont les distributeurs qui pour l’instant boudent le film ».
Deux jours après, le 20 novembre, Robbe-Grillet lui envoie le résumé demandé dont il réutilisera le texte dans l’introduction à son propre volume sur Marienbad (Minuit, 1961).
Parmi les idées diverses qu’ils imaginent alors on relève en particulier la « matérialisation du jeu des allumettes » si fameux dans le film ou encore une action spécifique vis-à-vis des journalistes et des hommes influents : «provoquer dans Arts un article de Touchard sur le film», « montrer le film à Cocteau et lui expliquer avant toute projection son intérêt ».
Redoutant d’être marginalisés, voire empêchés de participer au festival de Venise, les deux Alain jouent alors l’entente parfaite entre l’écrivain et le cinéaste. Et durant toute la période après la sortie du film et son Lion d’or, ils n’auront de cesse l’un et l’autre de dire toute la nouveauté qu’a représentée pour chacun d’eux leur coopération artistique. En réalité, très vite, il devint évident que cette coopération n’est pas aussi idyllique que l’un et l’autre veulent le laisser croire. En 2001, à l’occasion de la préparation du volume de ses écrits, intitulé Le Voyageur (Christian Bourgois éditeur), Robbe-Grillet rompt avec les convenances et, revenant sur cette entente fraternelle et artistique, apporte une révélation publique dans une note ajoutée au texte publié en 1961 dans Réalités sur les rapports réels qu’ils avaient entretenus pour et autour de la fabrique de L’Année dernière à Marienbad. Tout alors, en effet, n’était qu’harmonie entre eux, au point que Robbe-Grillet pouvait écrire : « Resnais voyait si bien ce que je voulais faire que les rares modifications qu’il me suggéra çà et là, un dialogue par exemple, allaient toujours dans mon propre sens comme si j’avais moi-même fait des remarques sur mon propre texte. »
En vérité, si nos relations étaient constamment excellentes, nous nous rendions compte cependant que nos conceptions respectives du récit cinématographique demeuraient plutôt divergentes. Resnais, qui voyait dans mon travail l’occasion d’un grand rôle pour Delphine Seyrig, passait outre à ses réticences devant les obscurités et incertitudes de l’anecdote. Quant à moi, je lui abandonnais de bonne grâce les modifications pourtant importantes qu’il faisait subir au rôle féminin ou à la bande sonore.
J’ai souvent signalé par la suite les différences notables entre ses préoccupations et les miennes. En définitive, sous l’apparence d’une adhésion parfaite l’un à l’autre, deux auteurs à part entière s’affrontent au sein du film. Et c’est peut-être aussi ce qui fait sa force. »
Les archives de Robbe-Grillet, conservées à l’Imec, sont plus qu’éloquentes : on peut voir dans le manuscrit du scénario de Marienbad donné à Resnais, puis dans celui du ciné-roman que Robbe-Grillet publie juste au moment de la sortie du film, combien celui-ci est extrêmement précis dans ses indications de dialogues, de mouvements de caméra, de décors, etc. Il faudra publier un jour leur correspondance pour comprendre le rapport extrêmement tendu qu’ils ont eu alors.
Robbe-Grillet répondant avec une précision extrême à toutes les demandes de Resnais pour la modification de ses dialogues, Alain Resnais de son côté ne semblant lui-même retenir de ces échanges que le souvenir de la « magnifique écriture » des lettres de son complice.
Lorsque l’on examine l’ensemble des pièces écrites qui forment l’archive de cette coopération, on est frappé par le fait que celle-ci brouille considérablement les rapports entre écriture littéraire et écriture filmique, au point qu’on peut s’interroger sur la légitimité et la raison de la partition sanctionnée in fine entre « un film réalisé par Alain Resnais » et « un scénario écrit par Alain Robbe-Grillet », comme le laissent entendre tous les dictionnaires et manuels de cinéma aujourd’hui. On comprend alors mieux pourquoi lorsque, s’interrogeant sur le contenu d’un futur coffret sur l’ensemble de ses œuvres cinématographiques, Robbe-Grillet s’est longuement interrogé sur la question d’y placer ou non Marienbad…
Mais revenons à notre point de départ. Lorsque Robbe-Grillet et Resnais font connaissance, l’écrivain propose au cinéaste plusieurs scénarios. Ce dernier aurait décidé de les tourner tous en commençant par celui alors intitulé L’Année dernière, que Robbe-Grillet tourne lui-même peu de temps après, à Istanbul. Ce film, que Robbe-Grillet disait ne pas aimer souleva comme on le verra plus loin l’enthousiasme de Jean Cocteau qui avait trouvé que Marienbad « souffrait un peu de la chose littéraire ». Quant à Marguerite Duras, qui n’aimait pas trop que Robbe-Grillet ait tenté cette expérience cinématographique avec Resnais après son aventure avec Hiroshima mon amour, elle lui envoya un petit billet dans lequel elle lie énigmatiquement les deux titres. Ce lien reste encore aujourd’hui l’un des plus forts qui ait jamais uni littérature et cinéma.
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L’ANNÉE DERNIÈRE À MARIENBAD
Alain RESNAIS - France 1961 1h33mn - avec Delphine Seyrig, Giorgio Albertazzi, Sacha Pitöeff... Scénario d’Alain Robbe-Grillet et Alain Resnais.
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Resnais, ici, inverse la logique : Ce n'est plus la force du propos qui tends à l'universel, mais son caractère embryonnaire, sa quasi-absence en somme, ce refus de mettre l'oeuvre au service d'autre chose que de sa propre fulgurance esthétique et émotionnelle. Tout cela mène à un formidable paradoxe : le nouveau roman et ses codes tels qu'établis par Robe-Grillet, si imbuvables à mes yeux en littérature, se trouvent intégralement justifiés, et même sublimés, une fois intégrés aux contraintes spécifiques à l'image. Etrangement, le nouveau roman trouve sa puissance non pas par le Roman comme il l'espérait, mais par le cinéma, qui se révèle finalement bien plus adapté à sa nature profondément libre et affranchie de contraintes narratives que la littérature.
Mais universel par les sentiments même qu'il provoque, universel pour ceux qu'il vise sans savoir qu'il les vise, et qui ne savent pas non plus qu'ils sont visés par lui; universel car en le voyant, j'ai senti des milliers d'yeux le regarder avec moi, et ces yeux partageaient mon hypnose, a des kilomètres à la ronde
Universel, donc, car véritablement unique.
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Je crois que je n'avais pas vu un truc pareil depuis le Jour et la Nuit de sinistre mémoire, autant de ridicule boursoufflé sans le moindre recul ni conscience, ça impressionne, forcément...
Alain Robbe-Grillet ne se contente pas de haïr la littérature et de tout faire pour le prouver il a aussi pensé à souiller au passage le cinéma de son invraisemblable absence de talent dans ce pensum dont il écrit l'histoire (inexistante), les dialogues (ineptes) et le découpage (risible). Pendant ce temps-là, Resnais lèche ses cadrages et sa photographie comme un marbrier ses pierres tombales.
J'avais pourtant donné au film toutes ses chances, choisissant minutieusement un après-midi solitaire de gueule de bois, ces moments où le moindre geste devient impossible et où la seule réaction saine (couper tout de suite cette abomination et regarder un vrai film) ne peut parvenir jusqu'à mon cerveau fatigué.
Dès le début, on sait qu'on va avoir droit à une de ces séances horrifiques qui se comptent sur les doigts d'une main de lépreux, la musique assommante, la pièce de théâtre lourdingue, le maniérisme pathétique, tout concorde pour former comme une sorte de parodie de film prétentieux à la française, vous savez bien, ceux du début des années soixante qui allaient montrer au monde ce que c'était que réellement le cinéma et qui méprisaient tout ce qui en faisait l'essence : l'histoire, les acteurs, le montage, entre autres... et qui donnent finalement furieusement envie de rajouter un ou deux points à tout le cinéma de papa des années cinquante tant la comparaison est douloureuse...
Malheureusement, une parodie involontaire dénuée du moindre humour, à un moment, ça lasse, surtout que les trois abominables pantins qui servent de personnage ont commencé à intervenir et, pire, à parler de ces voix affreusement monocordes qui sont la marque de fabrique obligatoire de tout navet prétentieux qui se respecte. Dans cette bande-son révulsante, chaque syllabe, chaque rire contraint donne envie de déterrer un Resnais encore chaud pour faire passer sa dépouille par toute la variété des tortures barbares que votre esprit vagabondant se met à créer pour l'occasion, compensant par une imagination fertile l'absolu manque d'idée qui se déroule alors devant vos yeux en pleurs.
Et non, je le regrette pour tous les étudiants en première année des beaux-arts qui trépignent tout émoustillés devant ce modèle indépassable, une symbolique lourdement appuyée n'a jamais été le commencement du début d'un bourgeonnement d'idée.
Donc à un moment, rire tout seul devant son chat à chaque réplique, ça ne suffit plus, on se dit qu'on n'est peut-être pas assez faible pour subir autant d'abjection au réveil et que quels que soient les pires péchés qu'on a pu faire dans sa vie, on les à déjà rachetés la veille en finissant Moins que zéro et que se taper dans le même week-end un des pires livres de l'humanité et un de ses pires films, ça commence à dépasser la mesure.
C'est étrange comme tout en étant parfaitement creux ces pantins amorphes parviennent cependant à suer l'antipathie par tous les pores de leurs visages désagréables, j'ai coupé le son une ou deux fois, par hygiène, mais même sans les dialogues grotesques ils arrivent à repousser les limites du répugnant avec une nullité toujours confondante.
C'est tellement cliché que ça pourrait presque en devenir fascinant, surtout avec cette laborieuse mise en scène académique qui souligne gravement tout le vide du propos mais non, même ça ils le ratent lamentablement, l'ennui triomphe et s'étale partout sans le moindre petit espoir d'une compensation quelconque.
Le meilleur moment du film c'est quand je suis allé pour la deuxième fois soulager ma vessie de petite fille de trois ans, exceptionnellement je n'ai pas cru bon de mettre le film sur pause et j'ai bien gagné comme ça une ou deux minutes. Sachant que chaque minute semble bien durer ici deux ou trois heures, j'en ai presque économisé un après-midi complet. On se console comme on peut.
Quand toutes les larmes ont été pleurées, quand le mot fin qui n'a jamais été aussi attendu se pose après une phrase sadiquement interminable on retrouve sa liberté avec le soulagement mystique du naufragé qui pose un pied tremblotant sur la terre ferme et on savoure chaque petite goulée d'air qui vous donne l'impression d'être vivant, de nouveau, enfin.
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"L'ANNÉE DERNIÈRE À MARIENBAD" !!!
Publié le 27 Octobre 2009 par 007bond
"L'Année dernière à Marienbad" a été réalisé par Alain Resnais et sorti au cinéma, le 25 juin 1961
" Dans un grand hôtel fastueux, un homme tente de convaincre une femme qu'ils ont eu une liaison l'année dernière".
Film "phare" dans la longue carrière, très fructueuse, du réal français Alain Resnais, "L'Année dernière à Marienbad" est une expérimentation cinématographique unique qui mène le spectateur à prendre une place active dans le déroulement de l'histoire; celle-ci s'avérant n'être qu'un prétexe à l'impressionnant travail artistique de Resnais et du scénariste Alain Robbe-Grillet.
Plutôt qu'une critique - impossible à faire - cette expérience, véritable analyse, doit être développée en plusieurs théories.
1ère théorie : Un homme veut persuader une femme qu'ils se sont aimés l'année dernière à Marienbad - "elle" ayant tout oublié.
2ème théorie : Des automates - personnages fantômatiques dans le long-métrage - répétant sans cesse, et à une période précise, les mêmes actions et mêmes dialogues. L'homme se rend compte de cet automatisme, essaye - dans un laps de temps - de résonner "la femme" et la persuade de le rejoindre.
3ème théorie : "L'acteur" remet en question, à chaque diffusion de l'oeuvre, la trame qui se dévoile devant lui, cherchant à prendre les rênes du scénario pour le tourner à son avantage. Exemple : la scène où "Elle" meurt et "Lui" décidant de la faire revivre. Au final, lorsque les 2 protagonistes quittent le "plateau", ils peuvent exister, pleinement, en dehors du champs.
4ème théorie : "L"année dernière à Marienbad" est un jeu où le personnage central tente de remporter le lot "la femme". Une épreuve incompréhensible sans règles explicites ( à l'image du jeu des bâtonnets).
5ème théorie : "L'Année ..." est un "documentaire" implicite sur les conflits et la relation entre un réal et son scénariste. Le scénariste étant "l'homme" dans le long-métrage, essayant à la fois d'imposer ses idées puis de bouleverser les codes "logiques" face au réal "la femme", tétu mais conciliant.
6ème théorie : "Marienbad" est un hommage à la liberté, au pouvoir de la mémoire...
Pour en arriver au filmage et au montage : Resnais nous délivre une des plus grandes leçons de cinéma, jouant dans la rapidité puis la lenteur. Il promène sa caméra tel un intrus grâce à un travelling - maîtrisé de bout en bout -, à la limite du voyeurisme dans un monde "labyrinthe", à l'esthétisme magique, effrayant, glaçant et sublimé; tout ceci harmonieusement mélangé à un scénario de Robbe-Grillet.
"L'Année dernière à Marienbad" ballade puis transcende les pensées du spectateur. Ce long-métrage fascinant est le plus abouti, le plus extravagant dans le cinéma de Resnais; le grand cinéaste français et son scénariste ont réussi l'impossible : une Oeuvre cinématographique philosophique à la réflexion sans fin, magistrale !!!
Pour en savoir plus, je vous conseille de visionner le documentaire sur "Marienbad" de Luc Lagier ( DVD produit par Studio Canal + )
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Deuxième long-métrage d'Alain Resnais, "L'Année dernière à Marienbad" a remporté le Lion d'Or à la Mostra de Venise en 1961. Le grand critique Ado Kyrou, spécialiste du surréalisme, écrivait à la sortie du film : "Ce long-métrage est écrit et réalisé avant tant de liberté qu'il échappe presque à ses auteurs, tout en répétant plus puissamment leurs préocupations et leur monde personnel. Film, presque de rêve, il s'adresse à la partie onirique du monde de chaque spectateur ; il peut donc être interprété de différentes manières selon l'inconscient de chaque élément du public. On peut y rentrer par différentes portes, on peut aussi refuser d'y rentrer et dans ce cas le film n'existe plus".
Le film a popularisé un jeu de stratégie, au point que celui-ci est souvent appelé désormais "jeu de Marienbad" : il s'agit de répartir en 4 rangées des objets identiques ( par exemple des jetons ou des allumettes). Chaque joueur doit à tour de rôle retirer un ou plusieurs objets, et celui qui a pris le dernier objet a gagné ou perdu la partie. L'un des personnages du film connaît une méthode infaillible pour remporter toutes les parties.( Source : Allociné )
ALAIN RESNAIS
Alain Resnais, né à Vannes en 1922, avant de devenir cinéaste, était un passionné de bande-dessinées, de photographies et de littérature. Fasciné par le monde du spectacle, il s'inscrit au célèbre cours Simon dès son arrivée à Paris, puis intègre l'IDHEC en 1943. C'est à partir de 1946 qu'il se consacre uniquement au 7ème Art. C'est avec le documentaire "Nuit et Brouillard" sur les camps de concentration qu'il s'est révélé au grand public. Son 1er long-métrage "Hiroshima mon amour" le consacre et il ne cessera de tourner : "L'Année...." en 61, "Je taime, je t'aime" en 68; Engagé comme la plupart des réals de la nouvelle vague, Resnais réalise des films d'ordre moral ou politique comme "Muriel" en 1963. Dans les années 80, il s'attaque à des choix de films plus ludiques comme les excellents "Smoking/No Smoking" en 93 ou "On connait la chanson" en 98. Alain Resnais, vrai boulimique, ne cesse de réaliser et laisse sa propre marque dans cinéma français !!! (Prochain film "Les herbes folles", présenté - en compétition - au Festival de Cannes 2009) ( Source : évène )
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Note moyenne : 5 (sur 31 notes) /
L’année dernière à Marienbad — Resnais et Robbe-Grillet
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«CE LIEU RÉEL N'EXISTE PAS, OU SI PEU...»
Eté. Lieux mythiques. Alain Resnais, réalisateur de «l'Année dernière à Marienbad», tourné en 1961 :
Quand on rencontre Alain Resnais pour évoquer Marienbad, un sourire s'esquisse sur ses lèvres. Et il s'excuse d'entrée : «Je n'ai pas grand-chose à dire. Dans l'Année dernière à Marienbad, c'est "l'année dernière" qui compte, pas "Marienbad". Je n'y ai jamais été, et pas une image du film n'y a été tournée. C'est un leurre. Le film est construit sur l'incertitude, sur des sensations. C'est sans doute cela qui a créé un mythe autour de lui, et l'a renforcé au fil des années. Mais, quarante ans après, je vous le confirme : Marienbad est une pure illusion...»
Dans le film tourné en 1961, écrit par Alain Robbe-Grillet, le mythe est lancé : dans un palace baroque, un homme (Giorgio Albertazzi) essaie de persuader une belle jeune femme brune (Delphine Seyrig) qu'ils se seraient connus et aimés «l'année dernière à Marienbad». La scène, en fait, est plus complexe. L'homme, qui est fasciné par le visage de cette femme, vu des dizaines de fois par fragments, par éclats, finit par lui dire : «La première fois que je vous ai vue, c'était dans les jardins de Frederiksbad...» Elle nie, ne se souvient de rien, n'y est jamais allée. Et monsieur X de répliquer : «Eh bien, c'était ailleurs peut-être, à Karlstadt, à Marienbad, ou à Baden-Salsa ou même ici, dans ce salon.» Scène de drague en Bohême.
«Récit suspendu».
Alain Resnais reprend ses excuses, comme s'il était pris en flagrant délit d'imposture : «Il n'y a pas d'année dernière, et Marienbad ne se trouve plus sur aucune carte. Ce passé, comme ce lieu, n'ont aucune réalité en dehors de l'instant où ils sont évoqués. Sans doute le cinéma est-il le moyen d'expression prédestiné pour ce genre de récit suspendu. La caractéristique essentielle de l'image est sa présence, c'est pour cela que Marienbad a fini par prendre cette réalité-là : je crois que beaucoup de spectateurs, en sortant du film, et plus encore dix, vingt, quarante ans après, sont persuadés qu'il se situe là-bas, que les acteurs y marchent, y posent près des statues, y traversent des parcs. L'Année dernière à Marienbad, en fait, est un film perpétuellement recréé par le spectateur lui-même, par ses puissances d'imagination : c'est comme la tache de Rorchardt.»
Marienbad, effectivement, n'est plus sur la carte : ce fut autrefois le nom allemand d'une station thermale tchèque, Mariànské Làznè, en Bohême occidentale. Et c'est en Bavière que le film a été tourné et que Resnais a trouvé palaces et jardins, avec l'aide de son chef opérateur Sacha Vierny et de son décorateur Jacques Saulnier, «dans un rayon de trente kilomètres, c'était le plus économique...» Il y a l'antiquarium de Munich, les châteaux glacés de Nymphenburg et d'Amalienburg, le parc somptueusement ordonné de Schleissheim, et beaucoup de studio à Paris (près de 50 % du film). Puis tout est recréation formelle : une oeuvre située entièrement dans la tête des deux Alain, Robbe-Grillet qui l'a écrit selon un découpage ultraprécis, au détail près, Alain Resnais qui «prolongea cette expérience par l'enregistrement cinématographique», ainsi qu'il le dit aujourd'hui.
L'un des plus longs travellings du film commence en studio, à Paris, se poursuit dans une pièce du château de Nymphenburg et se termine dans un morceau des jardins de Schleissheim... Et la célèbre statue des jardins de Marienbad est un papier mâché. En fait, le modèle le plus proche de Marienbad selon Resnais, c'est l'hôtel du Louvre, à Paris, près du Palais-Royal, notamment ses longs couloirs baroques. «J'y suis allé pour la première fois en 1932, avec mon père pharmacien qui avait gagné un séjour offert par les aspirines du Rhône. C'est un lieu que j'aime, un labyrinthe. Et, durant le tournage parisien de Marienbad, c'est là que je dormais pour rester dans l'ambiance...»
Sur place, dans la petite cité tchèque, le maire a pourtant remercié Resnais, «très touché qu'un grand cinéaste ait tourné dans sa ville»... Lui aussi y a cru. Il y avait même un ciné-club, intitulé les Amis de Marienbad, qui a invité le réalisateur à venir présenter son film sur place. «Mais le ministère tchèque de la Culture a interdit la présentation et dissous le cinéma, regrette Resnais. Au milieu des années 60, le régime communiste ne plaisantait pas avec la langue tchèque, et n'aimait pas du tout qu'on parle de "Marienbad", un nom allemand...»
«Duettistes».
Ce qui a «construit» Marienbad dans l'imaginaire du public, ce fut aussi la polémique qui entoura immédiatement le film, à sa sortie en septembre 1961. Resnais en convient : «C'est la bataille de Marienbad qui a fait exister Marienbad. C'est comme Waterloo ! Ce lieu réel n'existe pas, ou si peu, par rapport au combat qui l'a fait entrer dans l'histoire et dans les mémoires.» De ce film, dont son réalisateur rêvait «qu'on ne puisse pas déterminer quelle est sa première bobine...», Lion d'or à Venise, les critiques et les spectateurs sortent partagés comme jamais. Le Figaro se déchaîne : «Comment, nous dit-on, vous n'avez pas vu Marienbad ! Et l'on nous regarde comme si l'on n'avait jamais entendu la Neuvième de Beethoven. Ce film est moderne dans la mesure où il est sans conteste le plus ennuyeux qu'on puisse voir. Or l'ennui, le néant sont devenus les valeurs numéro un de la pensée européenne. Il est normal qu'une oeuvre d'un ennui aussi rigoureux ait enthousiasmé une élite qui considère le rien comme un des beaux-arts et qui craint de passer pour niaise en avouant ne pas saisir les beautés du vide.» Et Resnais de s'amuser encore du «numéro de duettistes, à la Laurel et Hardy» qui leur a permis, lui et Robbe-Grillet, d'expliquer à des parterres de journalistes «qu'il n'y avait rien à comprendre, mais tout à ressentir».
Une dernière confidence, et le vieux cinéaste malicieux avoue que Marienbad a bien failli passer à la trappe des lieux mythiques : «Au début, nous nous étions mis d'accord avec Robbe-Grillet pour appeler le film l'Année dernière. On trouvait cela encore plus mystérieux, la suspension absolue du temps, plus d'espace... Marienbad n'est revenu qu'au tout dernier moment dans le titre, avant le tournage. Tout cela a mis une belle pagaille dans la critique et dans la géographie du cinéma.»
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