duminică, 17 ianuarie 2021

PÉPÉ LE MOKO – Julien Duvivier (1937) avec Jean Gabin

 

PÉPÉ LE MOKO – Julien Duvivier (1937)

Des ruelles, un dédale grouillant de vie, où Julien Duvivier filme des pieds, des pas, des ombres portées : la Casbah est un maquis imprenable par la police, où Pépé le Moko (« moco » : marin toulonnais en argot) a trouvé refuge. Ce malfrat au grand cœur (Gabin) s’y sent comme chez lui. Il y étouffe aussi. Quand ses rêves de liberté, sa nostalgie de Paname prennent les traits d’une demi-mondaine, Pépé, on le sait, est condamné… On a tout dit de ce drame de Duvivier : sa poésie des bas-fonds, son expressionnisme, son exotisme superbement factice de film « colonial » ; qu’il était le premier vrai film noir à la française… Tout est vrai. Le comparse de Pépé avec son bilboquet rappelle le complice de Scarface jouant sans cesse avec une pièce de monnaie. Les dialogues de Jeanson sont une ode à Paris, au parfum du métro, plus enivrant que toutes les épices réunies. L’assassinat de Charpin aux accents violents d’un piano mécanique pourrait sortir d’un Fritz Lang des années 1930. Comme ce dernier, d’ailleurs, Duvivier interroge la culpabilité individuelle ou collective à travers Pépé, le bouc émissaire. Un homme seul dans la foule qui paiera cher d’avoir cru à la liberté, à l’amitié, à l’amour — des valeurs trahies, comme dans Panique ou La Belle Equipe. Ce romantisme désespéré est indémodable. [Guillemette Odicino – Télérama (mars 2018)]

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PÉPÉ LE MOKO (Julien Duvivier, 1937)

Pépé le Moko marque une date-clé de la carrière de Gabin. Non pas que ce film de 1937 constitue son premier succès personnel : c’est La Bandera, déjà réalisé par Julien Duvivier, qui a fait décoller sa carrière deux ans plus tôt. Mais Pépé le Moko lui offre mieux encore : le rôle du gangster algérois lui permet d’accéder, à l’âge de trente-trois ans, au statut de mythe. Certes, il faut se garder de considérer aujourd’hui ce rôle avec notre connaissance de la future carrière de Gabin. Le spectateur de l’époque ne peut évidemment savoir que, dans les trois années à venir, l’acteur va jouer dans des films aussi essentiels que La Bête humaineQuai des brumes ou Remorques. Ni qu’en cette même année 1937, il tiendra le rôle, non moins crucial dans son parcours, du lieutenant Maréchal dans La Grande illusion. Mais indépendamment de ces chefs-d’œuvre encore à naître, Pépé le Moko marque à lui seul un passage radical. Car après le Pierre Gilieth de La Bandera, le truand qui règne sur la Casbah d’Alger confirme la capacité de Gabin à incarner des personnages « bigger than life », comme on dit alors à Hollywood : des héros auxquels chacun peut s’identifier malgré leurs éventuelles faiblesses (ou peut-être en partie grâce à elles), mais qui, surtout, accentuent certains traits de la condition humaine. [Collection Gabin – Eric Quéméré – janvier 2006]

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PÉPÉ LE MOKO (Julien Duvivier, 1937)

Comme pour beaucoup de cinéastes, la carrière de Julien Duvivier prend souvent des airs de montagnes russes. Après un certain nombre de succès dont celui, colossal, de La Bandera, le réalisateur connaît en 1936 un cuisant revers avec La Belle équipe, film dans lequel joue pourtant Jean Gabin. Désireux de ne pas rester sur l’échec d’une œuvre qu’ils avaient tous deux portée à bout de bras, le cinéaste et l’acteur se mettent bientôt en quête d’un nouveau projet. C’est alors que Duvivier se voit proposer un sujet dont n’a pas voulu son confrère Jean Renoir : il s’agit de l’adaptation d’un roman policier écrit par le mystérieux « détective Ashelbé ». Enthousiaste à l’idée d’explorer un genre qu’il a encore peu fréquenté, le cinéaste propose à Gabin de se lancer dans l’aventure, dont il espère qu’elle leur permettra de se « refaire »… Pour transposer a l’écran le roman original, Julien Duvivier fait appel à Henri Jeanson, qui est sans doute un peu surpris par cette proposition. Deux ans plus tôt, ce dernier a en effet écrit au sujet de Gabin, qui jouait le rôle de Ponce Pilate dans un film de Duvivier : « Ce n’est pas du Golgotha qu’il descend, mais de la Courtille », sous-entendant que l’accent de Belleville de l’acteur ne sied guère à cette évocation biblique. Le scénariste ne s’attendait donc sans doute pas à ce que cette pique lui vale d’être ensuite embauché par le tandem Gabin / Duvivier !  [Collection Gabin – Eric Quéméré – janvier 2006]

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PÉPÉ LE MOKO (Julien Duvivier, 1937)

Habitué à se battre pour imposer ses vues à ses producteurs successifs, Duvivier aura à livrer un nouveau combat lors de la préparation de Pépé le Moko. Car si personne ne songe évidemment à remettre en question le choix de Gabin pour le rôle de Pépé, il n’en va pas de même pour celui de Gaby. Le cinéaste tient à engager la jeune Mireille Balin, mais les producteurs du film estiment non seulement qu’elle n’est pas assez connue pour apparaître dans un film aussi important, mais que son physique ne convient guère à ce personnage. Duvivier  met donc au point un stratagème : avec l’aide d’une costumière et d’une maquilleuse, il transforme Mireille Balin en « femme fatale », avant de l’emmener ainsi parée chez ses producteurs. Lesquels acceptent aussitôt d’engager la jeune actrice… Pour le reste de la distribution, Duvivier fera appel à toute une pléiade d’acteurs chevronnés, tels Gabriel Gabrio et Fernand Charpin, dont les visages « typés » compteront pour beaucoup dans l’atmosphère singulière du film. Une atmosphère entièrement recréée en studio car, à l’exception de quelques plans filmés à Alger, à Marseille et à Sète, tout le tournage de Pépé le Moko aura lieu aux studios Pathé de la Butte Montmartre…  [Collection Gabin – Eric Quéméré – janvier 2006]

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PPÉPÉ LE MOKO (Julien Duvivier, 1937)

Magnifique, Pépé le Moko, entré dans la légende, l’est effectivement. « Extraordinaire » est excessif si l’on tient compte des légères réserves que l’on doit émettre quant aux dialogues un peu trop fleuris de Jeanson. Les bons mots, son péché mignon, abondent : « Avoir l’air d’un faux jeton à ce point-là, j’te jure que c’est vraiment de la franchise » ; « Jamais descente de police n’a mieux mérité son nom : ce n’est pas une descente, c’est une dégringolade » ; « J’en ai marre  de la casbah. Si tu venais avec moi, tu serais une espèce de casbah portative » (première version de la fameuse « Atmosphère » de Hôtel du Nord), etc. La prose de Jeanson, souvent brillante à l’écrit, devient un peu lourde à l’écran, défaut que l’on retrouvera dans certaines de ses sept autres collaborations avec Duvivier. [Julien Duvivier « Le mal aimant du cinéma français » Vol 1 : 1896-1940 – Eric Bonnefille – Edition L’Harmattan – 2002]

Cela étant dit, il est difficile de ne pas admirer ce joyau qui n’a rien perdu de son éclat depuis 1936. On y retrouve les thèmes essentiels qui font le cinéma de Duvivier. En premier lieu, les problèmes et ambiguïtés concernant l’identité et le passé touchent plusieurs personnages : Pépé, dont le véritable nom est apparemment inconnu de tous (même les policiers, dès la première scène, l’appellent Pépé le Moko) et qui a tenté d’échapper, dans la casbah, à un lourd passé – en vain d’ailleurs puisque, comme Gilieth dans La Bandera, il est rattrapé par le destin et la police ; Pierrot (Gilbert Gil) essaie lui aussi de fuir de déserteur (l’issue en sera également la mort) ; Tania (Fréhel) tente, elle, de faire coïncider son présent avec ce qu’elle fut, en accompagnant son vieux disque, mais sa photo de jeunesse nous montre une femme à laquelle elle ne ressemble plus ; Régis (Charpin, dans un des rares rôles antipathiques de sa carrière possède une double personnalité (d’indic), de même que l’inspecteur Slimane dont la fascination trouble pour Pépé se mêle à son désir de l’arrêter. Gaby elle-même (Mireille Balin) laisse son passé dans l’ombre : « Qu’est-ce que tu faisais avant ? » lui demande Pépé. « Avant quoi ? Ben, avant les bijoux… Je les désirais. »  [Julien Duvivier « Le mal aimant du cinéma français » Vol 1 : 1896-1940 – Eric Bonnefille – Edition L’Harmattan – 2002]

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PÉPÉ LE MOKO (Julien Duvivier, 1937)

La casbah, comme la Légion de La Bandera, est « l’ailleurs » où les personnages ont cru changer de vie mais l’exil – autre obsession de Duvivier – est décevant et s’avère n’être qu’une nouvelle prison, rendue plus douloureuse par la nostalgie de Paris (Pépé est envoûté par la litanie des lieux parisiens qu’il évoque avec Gaby). L’aspect carcéral est d’ailleurs, clairement signifié à l’image : les éclairages créent des ombres quadrillant le décor ; Inès (Line Noro) est vue derrière le treillis d’une fenêtre d’où elle épie Pépé et Gaby ; Pépé, dans la scène finale, est bloqué derrière  les grilles du port. La mort, tandis que s’éloigne l’objet de son amour, est la seule issue. « On crève tout seul, comme un chien », disait Golder.  [Julien Duvivier « Le mal aimant du cinéma français » Vol 1 : 1896-1940 – Eric Bonnefille – Edition L’Harmattan – 2002]

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PÉPÉ LE MOKO (Julien Duvivier, 1937)

Le rôle à la fois protecteur et oppressant que joue la casbah est évidemment amplifié par la beauté du décor de Jacques Krauss et les angles sous lesquels il est filmé. Comme l’écrit Léon Barsacq, dans son étude sur « Le Décor du Film »,  l’idée directrice du film, montrant la casbah comme un repaire, un labyrinthe, une forteresse imprenable, est beaucoup mieux exprimée par le décor qui donne bien l’impression d’un monde clos, avec le dédale de ses ruelles abruptes aux murs presque aveugles, où tout détail inutile est banni, que par une vue documentaire de la vraie casbah, qui disperse l’intérêt par son pittoresque involontaire. Notons que l’aspect prison/labyrinthe est introduit dès l’ouverture du film, lors du montage présentant les lieux (carte de la casbah, rues étroites, escaliers).  [Julien Duvivier « Le mal aimant du cinéma français » Vol 1 : 1896-1940 – Eric Bonnefille – Edition L’Harmattan – 2002]

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PÉPÉ LE MOKO (Julien Duvivier, 1937)

Si Pépé est menacé par les traîtres et les policiers, c’est finalement, une fois de plus, des femmes que viennent les coups fatals : volontairement par Inès qui, par jalousie, le précipite dans les griffes de la police ; involontairement par Gaby pour qui Pépé quitte l’abri de la casbah, ce qui le conduit à l’arrestation puis au suicide. Pourtant, les personnages féminins sont moins schématiques et vus avec davantage de tendresse que dans beaucoup d’autres films de Duvivier. Tania est émouvante, Inès est attachante et pathétique malgré (ou à cause de) son amour possessif et désespéré, Mais, surtout, Gaby est une femme relativement libre, prête à abandonner la sécurité financière que représente Kleep (Granval) pour vivre avec Pépé. Elle est à la fois lointaine et proche, à la fois « icône » apparemment inaccessible (comme l’étaient alors surtout les actrices hollywoodiennes) et capable de s’enflammer à l’évocation de la Place Blanche. Pépé résume lui-même : « T’es tout en soie, t’es pleine d’or et tu me fois penser au métro, à des cornets de frites. »   [Julien Duvivier « Le mal aimant du cinéma français » Vol 1 : 1896-1940 – Eric Bonnefille – Edition L’Harmattan – 2002]

Lucas Gridoux, Jean Gabin
PÉPÉ LE MOKO (Julien Duvivier, 1937)

Autre personnage tout à fait surprenant dans l’œuvre de Duvivier, l’inspecteur Slimane, dont la fascination clairement homosexuelle pour Pépé, qu’il est chargé d’arrêter, est exprimée par la finesse du jeu de Lucas Gridoux et des répliques à double sens : « Moi je t’aurai Pépé »,  «On t’aime trop Pépé, les femmes te perdront »« Je n’écoute jamais beaucoup les femmes, tu sais »… Pépé, conscient de ce double jeu, l’appelle « mon petit poulet », lui rappelle « Tu m’aimes trop pour [m’arrêter] » et ironise gentiment : « Elle est belle ton indéfrisable » ou encore « Où est-ce que tu achètes ton rimmel ? Ça te fait les yeux de coquin ». Lorsque Slimane se rend compte de la passion de Pépé pour Gaby, il a d’ailleurs des réactions d’amant délaissé, révèle cette liaison à Inès et à Kleep et devient l’instrument du destin qui conduira Pépé à sa perte : « Tu vois Pépé, tu es venu à mon rendez-vous… »   [Julien Duvivier « Le mal aimant du cinéma français » Vol 1 : 1896-1940 – Eric Bonnefille – Edition L’Harmattan – 2002]

PÉPÉ LE MOKO
PÉPÉ LE MOKO (Julien Duvivier, 1937)

On a souvent parlé, à propos de Pépé, d’une influence américaine, notamment de Scarface, dans son aspect film de gangsters. C’est surtout vrai dans le règlement de comptes coûtant la vie, à Régis (Charpin), scène dure qui s’achève dans les bruits conjugués du piano mécanique, des cris de terreur de Régis et des coups de feu. Mais la virtuosité, le rythme de la mise en scène sont bien du Duvivier. On peut même s’interroger, au contraire, sur son éventuelle influence sur le film noir américain, notamment par son emploi des éclairages et des ombres – lui-même partiellement hérité de l’école allemande, des années vingt. Des images, constamment traversées de personnages à l’arrière-plan ajoutés aux nombreux protagonistes de l’histoire, se dégage une impression de grouillement humain.

Mireille Balin, Jean Gabin, Lucas Gridoux
PÉPÉ LE MOKO (Julien Duvivier, 1937)

La succession de brefs gros plans, désormais classique chez le cinéaste, est ici splendidement employée comme ellipse de mise en scène : ainsi, lors de la première rencontre, de Gaby et Pépé, un montage rapide nous donne à voir : le visage de Gaby / celui de Pépé / les mains de Gaby ornées de bijoux / les yeux de Pépé / le cou de Gaby orné d’un collier / les yeux de Pépé / les yeux de Gaby / les yeux de Pépé,/ la bouche de Gaby. En quelques secondes, Duvivier éclaire la psychologie de son héros. Un autre effet souvent employé par Duvivier, l’utilisation d’une transparence irréelle transforme aussi une scène de liaison en moment inoubliable : la descente de Pépé vers le port, traduite par des images se succédant en arrière-plan en fondus enchaînés, sans que le premier plan – Gabin – soit interrompu.   [Julien Duvivier « Le mal aimant du cinéma français » Vol 1 : 1896-1940 – Eric Bonnefille – Edition L’Harmattan – 2002]

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PÉPÉ LE MOKO (Julien Duvivier, 1937)

À sa sortie, en janvier 1937, Pépé le Moko remporte un succès qui dépasse encore celui de La Bandera. Aux yeux du public, Gabin apparaît désormais comme le héros au grand cœur qu’un destin cruel s’ingénie à frapper, registre qui va devenir en quelque sorte sa marque de fabrique. De son côté, Mireille Balin, dont les producteurs ne voulaient pas au départ, devient la nouvelle vedette féminine du cinéma français, et s’apprête à retrouver pour Gueule d’amour celui avec qui elle a ébauché une brève idylle sur le plateau de Pépé le Moko. Quant au film lui-même, il connaît une formidable carrière internationale, séduisant en particulier le public américain. Sans doute parce que Duvivier y rend hommage aux polars hollywoodiens, et au plus grand de tous, Scarface – la manière dont l’un des malfrats de Pépé le Moko joue au bilboquet n’est évidemment pas sans rappeler le personnage de George Raft dans le chef-d’ œuvre d’Howard Hawks. Ironie de l’histoire : ce sera alors au tour de Duvivier d’influencer les réalisateurs du film noir « made in USA » qui, à partir de 1941, livreront toute une série d’œuvres empruntant son ambiance à Pépé le Moko. Dès 1938, John Cromwell en tourne d’ailleurs un remake officiel avec Charles Boyer et Hedy Lamarr, avant que John Berry ne donne lui aussi dix ans plus tard sa propre version du célèbre film français. [Collection Gabin – Eric Quéméré – janvier 2006]

Autour de Pépé le Moko : LE GRAND « DUDU  » 

On doit à Julien Duvivier plusieurs films ayant bâti le fameux « mythe Gabin », de Maria Chapdelaine à Voici le temps des assassins, la collaboration de l’acteur et du cinéaste a débouché sur certains des meilleurs titres de leurs filmographies respectives.  

Parmi les amitiés légendaires du cinéma, figure en bonne place celle qui unissait le réalisateur et l’interprète de Pépé le Moko. On aurait pourtant pu redouter que la rencontre de deux tempéraments aussi affirmés ne crée plutôt des étincelles. Comme le dira un jour Gabin en évoquant Julien Duvivier : « On m’avait dit qu’il avait mauvais caractère et on lui avait sans doute dit aussi que le mien n’était pas toujours facile. C’est peut-être parce qu’on s’équilibrait tous les deux qu’il n’y a jamais eu d’histoires entre nous et qu’on s’est parfaitement entendu, au point que c’est avec lui que j’ai fait le plus de films » – sept, pour être exact, un record battu uniquement par les douze collaborations de Gabin et du réalisateur Gilles Grangier… C’est en 1933 que Duvivier contacte le jeune acteur : le film d’espionnage qu’il lui propose ne verra pas le jour, mais le projet de Maria Chapdelaine finit par les réunir l’année suivante. Gabin se souviendra de la complicité qui s’est aussitôt instaurée entre eux : « C’est sur le bateau qui nous amenait au Canada que notre amitié est vraiment née. On a eu le temps de se parler, d’échanger des idées sur pas mal de choses et sur le cinéma en particulier. C’est Duvivier qui m’a appris ce que j’ignorais encore de la technique ». [Collection Gabin – Eric Quéméré – janvier 2006]

DONNANT DONNANT

Après le succès de Maria Chapdelaine, celui que Gabin surnomme désormais « Dudu » ne tarde pas à jouer de cette amitié toute neuve pour convaincre l’acteur d’incarner Ponce Pilate dans Golgotha. Certain de se couvrir de ridicule en costume romain, Gabin finit par accepter pour faire plaisir à Duvivier, mais en y mettant tout de même une condition : que le réalisateur s’engage à le diriger ensuite dans l’adaptation de La Bandera, un roman dont il vient d’acheter les droits. Bien que Golgotha s’avère un nouveau succès, les deux hommes auront du mal à convaincre les producteurs de se lancer dans ce projet. Heureusement, Gabin et Duvivier tiennent bon, et La Bandera, connaît à sa sortie un véritable triomphe, qui fait soudain de son interprète le roi du cinéma français. Ce qui n’empêche pas les financiers de faire une nouvelle fois la fine bouche lorsque le tandem leur propose le projet de La Belle équipe, une histoire d’ouvriers montant une coopérative. Il faudra toute la ténacité des deux hommes pour que le film voie finalement le jour : malheureusement, le public s’en désintéressera totalement… [Collection Gabin – Eric Quéméré – janvier 2006]

DEUXIÈME ROUND

Loin de se décourager, Gabin et Duvivier se lancent alors dans l’aventure de Pépé le Moko, dont l’exotisme séduit cette fois les foules : c’est un nouveau triomphe. L’acteur enchaîne ensuite des films non moins mythiques sous la direction de CarnéRenoir et Grémillon, puis survient la guerre. C’est donc à Hollywood que les deux compères se retrouveront, au début de 1943 : dans L’Imposteur, Duvivier fait de Gabin un criminel qui finit par rejoindre les Forces Françaises Libres. Après quoi il leur faudra attendre 1956 pour tourner Voici le temps des assassins, leur dernier film. Les temps ont changé : Gabin, qui vient tout juste de reconquérir son statut de star, va désormais travailler avec une nouvelle génération de cinéastes, tandis que Duvivier vient de signer avec succès les deux premiers Don Camillo. Mais l’acteur témoignera jusqu’à sa mort d’une profonde estime pour le cinéaste de La Bandera et de Pépé le Moko… [Collection Gabin – Eric Quéméré – janvier 2006]

Autour de Pépé le Moko : RÊVES D’EXOTISME

Légionnaires, explorateurs et aventuriers en tous genres ont longtemps peuplé les écrans, dans des films ayant pour cadre les contrées les plus lointaines. De Pépé le Moko à Lawrence d’Arabie, retour sur une mode qui transporta littéralement les foules. 

Très tôt, le cinéma a rêvé d’horizons lointains. À la suite des opérateurs Lumière, lancés dès 1897 dans la chasse aux vues « pittoresques », certains réalisateurs partent aux quatre coins du monde pour en rapporter des images jusque-là inconnues. En 1922, Robert Flaherty signe ainsi avec Nanouk l’Esquimau le premier grand documentaire du septième art (il cosignera ensuite avec Murnau le magnifique Tabou). De son côté, Léon Poirier retrace dans La Croisière noire la célèbre expédition Citroën en Afrique. Mais la fiction n’est pas en reste : dès 1921, Jacques Feyder crée l’événement en tournant L’Atlantide non pas en studio, mais dans le Sahara. Le film remporte un énorme succès, et le public va s’avérer désormais friand de contrées mystérieuses – un goût encore accentué par l’Exposition coloniale de Paris en 1931. Cette année-là, Maurice Tourneur réalise Partir, film dont le héros criminel s’embarque pour l’Indochine. Sur un thème similaire, La Bandera fera de Gabin l’archétype de l’aventurier romantique – une image confortée par Pépé le Moko. Et cette veine « exotique» du cinéma français se verra également illustrée par des films comme Macao l’enfer du jeu de Jean Delannoy ou, dans un style plus réaliste, Le Fleuve de Jean Renoir… [Collection Gabin – Eric Quéméré – janvier 2006]

DE SHANGHAI À CASABLANCA

De l’autre côté de l’Atlantique, les cinéastes d’Hollywood se laissent gagner eux aussi par cette « fièvre tropicale », Josef von Sternberg en devient même le champion, signant dès 1930 le sulfureux Morocco, où Marlène Dietrich se consume pour le légionnaire Gary Cooper. Dans Shanghai Express, le réalisateur plonge ensuite son actrice fétiche dans la guerre civile chinoise, avant de livrer en 1941 une nouvelle vision de la mégapole asiatique dans Shanghai, interprété cette fois par Gene Tierney. Mais Sternberg n’a évidemment pas l’exclusivité d’un genre auquel se frottent de nombreux cinéastes – notamment Frank Capra, qui réalise en 1937 le lyrique Horizons perdus. Car depuis le triomphe au début des années 30 de Tarzan l’homme-singe et de King Kong, le public américain réclame lui aussi de pouvoir « s’évader ». Influencé par les films de Gabin, qui ont connu une sortie remarquée aux États-Unis, William Wellman fait à nouveau de Gary Cooper un légionnaire dans Beau geste, avant que Michael Curtiz ne situe l’intrigue de son chef-d’œuvre Casablanca dans la cité marocaine, alors sous domination française. [Collection Gabin – Eric Quéméré – janvier 2006]

DERNIÈRE SÉANCE

Mais le « temps des colonies » va bientôt prendre fin : en 1947, l’Inde proclame son indépendance, devenant un modèle pour les pays d’Afrique et d’Asie. Le cinéma rendra évidemment compte de cette rupture. D’une manière parfois militante, comme ce sera le cas avec les films de René Vautier (Afrique 50 lui vaut d’être emprisonné, et Avoir 20 ans dans les Aurès sera également censuré) ou d’Yves Boisset (RAS). Mais même au sein du cinéma de divertissement, la représentation des pays d’outremer va singulièrement changer : si un film comme Lawrence d’Arabie puise encore largement dans la tradition d’avant-guerre, Joseph Mankiewicz et Nicolas Ray donneront, dans Un Américain bien tranquille et Les 55 jours de Pékin, une vision moins angélique de la présence occidentale en Asie. Ce qui n’empêchera pas des films d’aventures plus tardifs comme Fort SaganneOut of Africa ou Indochine de perpétuer à leur manière le romanesque hérité de Pépé le Moko[Collection Gabin – Eric Quéméré – janvier 2006]

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PÉPÉ LE MOKO – Julien Duvivier (1937) avec Jean Gabin, Mireille Balin, Line Lors, Lucas Gridoux, Fernand Charpin, Marcel Dalio,Fréhel…

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