luni, 4 ianuarie 2021

Polanski 2

"Le couteau dans l'eau": coup d'essai, coup de maître.

Un film à la loupe

Le Couteau dans l'eau | Roman Polanski


LE COUTEAU DANS L’EAU

Nóz w wodzie

Un film de Roman Polanski

Le Couteau dans l’eau (Noz w wodzie) de Roman Polanski (1962)

Comédien chez le jeune Andrzej Wajda dans les années 50, puis étudiant à la prestigieuse Ecole nationale de cinéma de Łódź ou il réalise une dizaine de courts-métrages, Roman Polanski réalise à 29 ans son premier long-métrage. Le Couteau dans l’eau, l’histoire d’un couple bourgeois confronté à un jeune marginal impétueux, ouvrira immédiatement au cinéaste l’accès aux cinématographies occidentales. Du reste, Le Couteau dans l’eau restera longtemps (jusqu’au Pianiste en 2002) le seul film qu’il tournera en Pologne, son pays même s’il est né et a vécu ses trois premières années à Paris.

A la fin de ses années d’étude à l’Ecole de cinéma de Lodz, qu’il ne validera d’ailleurs pas, Roman Polanski est embauché à plein temps par Kamera, une société de production pour laquelle il est chargé de mettre sur les rails des projets de films. Polanski ne perd pas de vue son ambition de réaliser son premier long, ce que Kamera finira par lui proposer.

Polanski coécrit le scénario du Couteau dans l’eau avec Jerzy Skolimowski, alors étudiant comme lui à l’Ecole de cinéma de Lodz. Il s’entoure sinon de son équipe habituelle pour ses courts-métrages, et confie la musique à son ami Krzystof Komeda. Le film présente un couple en voiture engagé sur la route pour un week-end de croisière sur leur voilier. Le mari manque de renverser un jeune auto-stoppeur placé au milieu de la route pour obliger la voiture à s’arrêter. La discussion s’amorce puis l’auto-stoppeur entre finalement dans la voiture. Il finit même par accompagner le couple sur le bateau…

Le film rappelle immanquablement Plein Soleil, le film que René Clément réalisa en 1960 avec Alain Delon, Maurice Ronet et Marie Laforêt, deux ans avant le film de Polanski. Il est probable que le jeune cinéaste avait vu le film de Clément. Lorsqu’il rendait visite à sa soeur à Paris, Polanski passait ses journées à la Cinémathèque de Langlois pour découvrir les films qui ne sortaient pas dans la Pologne communiste. Les deux films n’ont cependant pas grand chose à voir sinon cette configuration schématique, deux hommes qui se disputent la même femme sur un bateau.

Le film commence avec Krystina (Jolanta Umecka) au volant de la voiture. Andrzej, le mari (Leon Niemczyk)  s’impatiente et l’a fait arrêter sur le bord de la route. Dès les premiers instants, Andrzej a besoin d’affirmer son autorité. Pire, il se montre condescendant après avoir manqué de renverser un jeune auto-stoppeur au milieu de la route (Zydmunt Malanowicz) en spéculant sur ce qui aurait pu arriver si son épouse avait encore été  au volant.
Andrzej prend le jeune homme dans la voiture et finit par l’inviter sur le voilier. Le film va se dérouler ainsi, pendant environ 1h20, exclusivement à l’intérieur de l’étroit petit bateau. Polanski fait preuve d’assez de talent pour varier constamment les angles, expérimenter quelques procédés (comme cette scène ou l’auto-stoppeur regarde son doigt pointé vers le ciel en fermant alternativement un oeil puis l’autre) et d’offrir ainsi une mise en scène dynamique et moderne.

Le voilier devient le théâtre d’un affrontement psychologique entre les deux hommes. Ils se livrent à un véritable combat de coqs. Andrzej se montre méprisant et moqueur vis à vis de son cadet dont il raille l’incapacité à diriger le voilier. Ce dernier lui répond en se hissant tout au haut du mat. L’auto-stoppeur commence alors à susciter l’admiration de Krystyna, en même temps que l’agacement d’Andrzej, qui se sait incapable d’un pareil effort. Vexé, il se saisit d’ailleurs fermement de la barre, histoire de montrer que c’est encore lui qui est aux commandes.

Le vers est dans le fruit. Clairement Krystyna devient l’enjeu de la rivalité entre les deux hommes. Les regards se multiplient entre elle et l’auto-stoppeur. Polanski multiplie lui les allusions sexuelles, notamment via le couteau qui donne son titre au film, véritable symbole phallique que les deux garçons finissent par se disputer.

Le tournant intervient dans la scène à l’intérieur de la cale du petit navire. Le trio s’y réfugie après avoir été surpris par une averse. Pour passer le temps, ils se prêtent au jeu des mikados. Dans un premier temps, le plus jeune surprend discrètement le corps nu de Krzystyna en train de se changer. Elle prend ensuite place entre les deux mâles et le duel peut reprendre, qui va commencer à tourner en faveur de l’un. Les participants au jeu prêtent un gage lorsqu’ils perdent. Le premier enjeu devient Krystyna elle-même, puis le couteau. La tension est présente. Les deux hommes se livrent à un nouveau concours, fortement connoté sexuellement, lorsqu’ils se défient pour gonfler un matelas pneumatique. Andrzej pratique un mouvement qui évoque la masturbation tandis que le plus jeune voit le matelas prendre de la vigueur entre ses jambes. Là, c’est comme si les rôles étaient redistribués. Andrzej est relégué à la position du voyeur et l’auto-stoppeur rentre dans celle du mâle actif. Le basculement s’opère complètement lorsque Krystyna, pour récupérer un gage, doit chanter. Andrzej, agacé, se met un casque sur les oreilles, préférant écouter le commentaire d’un match de foot à la radio. Krystyna entame sa chanson, dans l’indifférence de son mari et  en regardant l’invité dans les yeux. Les paroles sont sans équivoque :  « Ne dis plus rien. Ne me regarde plus ainsi. Laisse-moi partir. Fini le temps des mots d’amour. Des clairs de lune, des étoiles. Fini le temps de la tendresse. Ne mens pas, ne me demande rien. Tu sais qu’il ne nous reste rien etc. »


Krystyna se rend compte que son mari est un idiot arrogant et lui en fera part sans ménagement. « tu es poseur, cabotin… Crâner devant un petit morveux ! C’est pour ça que tu l’as invité ». L’eau est encore calme mais le couple traverse des courants tumultueux. On se doute que leur vie commune devra se construire sur les ruines de cette journée.

Le film, malgré sa subtilité et ses audaces – ou peut-être à cause de ça – est très mal accueilli à sa sortie en Pologne. Il faut dire que critiques et spectateurs sont habitués à des films de propagande pour le pouvoir socialiste. Polanski livre un film totalement affranchit de ces modèles. Il va même jusqu’à insérer sur la fin du film une scène de dispute entre les deux époux qui est le prétexte à une dénonciation des rapports de classes au sein de la société.

Le film est mal reçu en Pologne mais est en revanche très bien accueilli à l’étranger. Polanski remporte le Prix FIPRESCI de la critique internationale lors de la Mostra de Venise en 1962. Le Couteau dans l’eau est aussi nommé dans la catégorie du meilleur film étranger lors de la cérémonie des Oscars en 1964. Déjà raillé lors de ses études pour son habitude à utiliser son passeport pour sortir de Pologne, Polanski comprend qu’il sera mieux accepté et mieux compris s’il travaille hors de son pays. Il a d’autant plus besoin de changer d’air que l’expérience du tournage du Couteau dans l’eau a été particulièrement pénible. Au court de ce tournage, Polanski a perdu un de ses meilleurs amis, le documentariste Andrzej Munk, été confronté à la Police, a subit un accident de la route terrible qui manqua de peu de lui coûter la vie, et dû encore faire face à la sortie du film, outre les mauvaises critiques, au divorce avec sa première épouse, l’actrice Barbara Kwiatkowska…
Polanski s’installe alors à Paris et rencontre bientôt le scénariste Gérard Brach qui sera un de ses plus grands amis. Ensemble ils écrivent des scénarii, dont celui de Répulsion qu’il tournera en 

1964 à Londres avec Catherine Deneuve….

http://www.laterna-magica.fr/blog/?p=14103


Le couteau dans l’eau (1962) Roman Polanski

par Neil 5 Avril 2019, 02:55 1960's

Fiche technique
Film polonais
Titre original: Noz w wodzie
Date de sortie: 9 mars 1962
Genre: crise conjugale
Durée: 1h34
Scénario: Jerzy Skolimowski et Jakub Goldberg
Image: Jerzy Lipman
Musique: Krzysztof Komeda
Avec Leon Niemczyk (Andrej), Jolanta Umecka (Krystina),  Zygmunt Malanowicz (L‘étudiant)

Synopsis : Un couple assez fortuné veut faire une croisière à bord d'un yacht. En se rendant au port de plaisance, ce couple rencontre un étudiant qu'ils prennent en stop. (wikipedia)

Mon avis : Rapports de forces et vent de liberté

Le tournage du Couteau dans l’eau, dont le scénario fut co-écrit par l’étudiant qu’était alors Jerzy Skolimowski, n’a pas été de tout repos. Pour son premier film, Roman Polanski enchaîne les catastrophes : une actrice non professionnelle qu’il fait diriger, des conditions climatiques exécrables, un emprisonnement d’une nuit, une séparation, un accident de voiture et un séjour à l’hôpital. Le film sort qui plus est en catimini et n’aura pas de très bons échos en Pologne, ce qui finira de convaincre son auteur de s’exiler en France. Il reçoit ailleurs un accueil nettement plus favorable, avec en particulier l’obtention du Prix Fipresci à la Mostra de Venise ainsi qu’une nomination à l’Oscar du meilleur film en langue étrangère.

Un couple se dispute dans la voiture : l’homme n’apprécie guère la façon de conduire de sa femme. Celle-ci lui laisse le volant et ils roulent alors à toute vitesse. Soudain ils voient au milieu de la route un jeune homme qui fait du stop. Bon gré mal gré, le conducteur s’arrête et invite le jeune homme. Il lui dit qu’ils ne pourront pas le garder bien longtemps puisqu’ils vont bientôt arriver à leur destination : un ponton d’où ils comptent partir en bateau pour la journée. Arrivés là-bas, le jeune homme les aide à prendre le large et au dernier moment le mari lui propose de venir avec eux. Le jeune étudiant qui n’a jamais pris la mer accepte et les aide tant bien que mal à partir.

Un vent de liberté souffle dans Le couteau dans l’eauRoman Polanski n’a alors pas 30 ans et Jerzy Skolimowski tout juste 24. Ils ont envie de raconter, et de dénoncer, plein de choses et ça se voit. Pourtant la façon dont-ils le font est très subtile. Comme dans la suite de sa carrière, le réalisateur polonais raconte une histoire qui pourrait sembler anodine pour y insuffler des idées politiques et sociétales. Ici, les rapports de force qui unissent les trois protagonistes de l’œuvre (la rareté du nombre de personnages est d’ailleurs à souligner) vont petit à petit émerger. Les deux hommes vont s’affronter autour de cette femme et c’est autant une compétition sentimentale, et même sexuelle, que sociale.

L’un a de l’argent, il est un parvenu, alors que l’autre est un jeune étudiant qui ne rêve peut-être inconsciemment que de ce statut et qui va faire valoir sa jeunesse pour séduire la femme et agacer l’homme. La science du cadrage atteint dans Le couteau dans l‘eau une quasi-perfection tout à fait remarquable, d‘autant plus pour un premier film. Roman Polanski joue avec la caméra, la positionnant toujours au meilleur endroit pour capter des petits détails qui vont à chaque fois souligner son propos. Cette intelligence de la mise en scène, jamais explicitement formalisée, instille petit à petit la tension qui monte dans cette embarcation qui renforce forcément le sentiment d’oppression. 

À l’occasion de ce voyage l’homme et la femme de ce Couteau dans l'eau vont se rendre compte qu’ils ne s’aiment plus (se sont-ils jamais aimés ?), ils en viendront même à se mépriser mutuellement. Par de fines allusions, Roman Polanski évoque la domination masculine, la transition d’un pays voire même de la société pré soixante-huitarde qui aspire à plus de liberté. Tout ça, dans un huis-clos, et au travers d’une histoire qui lorgne vers le polar : ce sont d’ailleurs autant d'éléments que le réalisateur va s’appliquer à utiliser de façon régulière tout au long de sa carrière.


Ma note : ***

Le couteau dans l’eau (1962) Roman Polanski
http://lecinedeneil.over-blog.com/article-le-couteau-dans-l-eau-1962-roman-polanski-87068519.html

"Le couteau dans l'eau": coup d'essai, coup de maître

CRITIQUE DVD - Nous sommes dans les années 1960. Rangez Mad Men et autres reconstitutions, pour entrer dans cette vie que le très jeune homme Roman Polanski a su sur le moment, avec la finesse qui sera toujours la sienne, prélever et coucher sur la pellicule en 1962.

CRITIQUE DVD - L'un des avantages des DVD tient dans leur présentation en coffret, parce que cela permet de mettre la main sur des films souvent retirés des rayonnages. Ainsi, je trouve dans un magasin un coffret consacré à Roman Polanski et composé de trois disques, renvoyant à ce que l'on pourrait appeler sa "première époque".

Le premier film de Roman Polanski

Le premier film du coffret, Répulsion, est très connu; le deuxième, Cul-de-sac, un peu moins, mais avait déjà fait sensation. La boîte en comprend enfin un troisième, moins connu encore.

C'est pour lui que j'achète l'ensemble, car c'est le premier film que Roman Polanski réalisa: Le couteau dans l'eau.

Sa disponibilité en DVD est très heureuse, car il est impossible de le voir en cinéma et je ne l'ai jamais vu à la télévision. Bonheur de pouvoir regarder de nouveau un film de ce metteur en scène qui se révéla grand dès son premier essai. Coup d'essai, coup de...

Ce film en noir et blanc est en langue polonaise, le seul qu'il réalisa dans cette langue.

Nous sommes dans les années 1960, puisque le film date de ses années-là. Sorti en 1962, il valut en son temps un premier cercle de gloire à son si jeune réalisateur. 50 ans plus tard, ce film apparaît, pur silex taillé dans l'histoire, avec ces femmes de l'époque qui portent des lunettes en forme d'aile d'oiseaux, ces hommes qui croient porter les cheveux longs alors que ceux-ci sont en réalité courts et pensent qu'être habillé d'une façon décontracte c'est d'avoir le dernier bouton de sa chemise blanche défait.

C'est donc cela, la vie avant.

J'ai vu beaucoup de films sur cette époque, de cette époque, le velours de mon divan en est élimé par endroits, mais aucun n'en est le reflet aussi pur, aussi net.

Rangez Mad Men et autres reconstitutions, pour entrer dans cette vie que le très jeune homme Roman Polanski a su sur le moment, avec la finesse qui sera toujours la sienne, prélever et coucher sur la pellicule en 1962.

Un week-end de jeu pour couple bourgeois

Un couple de bourgeois aisés prend un auto-stoppeur que leur voiture avait failli écraser et, pour s'excuser (ou bien est-ce un prétexte?), emmène cet étudiant de 20 ans bien de sa personne en bateau pendant le week-end.

Mais très vite, des rapports de domination s'élaborent.

Ainsi, le mari s'affirme comme celui qui commande. Normal, il est le propriétaire, le capitaine, le mari, le plus âgé. Le jeune homme commence par obéir. Après tout il est là par le bon plaisir du couple, pour leur bon plaisir.

Mais il est aussi le plus jeune, le plus beau et c'est lui que le jeune épouse regarde.

Le premier objet qu'il sort de son sac d'étudiant est un couteau de chasse dont il expose méthodiquement qu'"il ne sert à rien quand on est sur l'eau, mais qu'il est si utile si l'on veut se faire un chemin dans la vie". Tout est dit dans cette phrase, la conception de l'existence qu'il partage de fait avec le mari.

C'est l'atmosphère lourde et silencieuse du bateau, sur lequel il se met à pleuvoir qui nous le fait comprendre: le but de la vie est de gagner, gagner sur l'autre, toujours sur plus d'autres, et cela se fait au couteau.

Pas de blabla et pas de quartier: il suffit de regarder les jeux du couteau, scène après scène, pour s'en rendre compte.

Le couteau

Le jeune homme commence à jouer avec la pointe du couteau entre ses doigts à lui, plus tard il s'amuse à piquer la passerelle du bateau entre les doigts du mari qui lui tend la main pour ce faire (car les duels sont toujours consentis).

Le couteau dans l'eau 

Par la suite le mari essaie d'avoir la même aisance en maniant le couteau entre ses propres doigts, tandis qu'en symétrie, le jeune homme tente de maîtriser les cordages qui l'avaient dans un premier temps enficelé au grand rire du capitaine, mais que désormais il domine.

Ainsi, quel plaisir pour lui de grimper devant l'épouse au mât avec puissance alors qu'il ne pouvait le faire au départ! Le "propriétaire" sent qu'il perd la partie, son épouse, son honneur, sa jeunesse, lui-même. Il rabaisse alors l'invité en lui faisant laver le pont, mais cela n'ôte pas la blondeur des cheveux du jeune homme captif que l'épouse contemple.

Ce couteau devient le symbole de la rivalité entre les deux hommes (pas la peine d'appeler Papa Freud).

Ainsi, ils jouent avec l'épouse au Mikado et dès que l'un perd, l'autre a le droit de lancer le couteau dans le mur en bois du bateau, qui en porte la trace. Dans la même partie, la jeune femme donne en gage au jeune invité son coffret à bijoux (non, non, Papa Freud, on a déjà dit, la ligne est occupée) et chante tandis que le mari se bouche les oreilles.

Jeu à trois dans une pièce close et flottante, étroitement filmé

Qui est l'obstacle de l'autre?

Ça alterne. Comme alterne dans ce rapport de tension et de rivalité, l'apprentissage viril qui prend une grande part du film, à tel point que l'on finit par se demander si le couple auquel Polanski est attentif ne serait pas celui formé par l'homme mûr installé dans la vie et le jeune homme de passage, réunis par accident, isolés ensemble par la mer.

Les bateaux sont des huit-clos. Les couples y tournent en cage, les tiers s'y invitent.

On voit nos trois personnages mijoter et s'asticoter, la jeune épouse regardant d'autant plus l'encombrant invité qui défie son vieillissant mari, le jeune homme montant au mât juste parce que le propriétaire lui a dit de ne pas y toucher.

Roman Polanski, dès son premier film, savait faire monter la tension par des petites choses.

Ainsi, les deux mâles se battent en mesurant leur capacité à tenir à mains nues une casserole de soupe chaude. Cela vaut des affrontements plus théâtraux, le code est le même.

De la même façon, le réalisateur rétrécit l'angle de vue au fur et à mesure que les personnages sont oppressés, le spectateur étant entraîné dans ce goulot. Ou bien, la caméra tourne tout autour du bateau, les protagonistes de ce qui dégénère en drame apparaissant alors par dessous car nous devenons la mer même.

Huit-clos de la mer, prison du bateau et arme blanche

Alors, le mari vole le couteau.

Dans ce film lent, qui a consisté à dresser image par image le tableau, tout se met à aller très vite, puisque tout est déjà écrit, le drame est dans chaque détail que le film a dessiné précédemment un à un.

On peut alors passer très rapidement à des scènes de violences, d'injures, d'adultères, toujours recouverts d'eau de mer ou de pluie diluvienne, sans qu'on arrive plus à discerner lequel est vraiment en danger, du mari ou du prétendant.

Jusqu'à la dernière scène où tout semble se retourner, car il ne s'agit jamais que d'un week-end d'un couple bourgeois qui cherche à se distraire un peu, comme dans un film de Bunuel.

L'on retrouve ainsi, parce que dès 1962 Roman Polanski est un grand cinéaste, ce film comme une pierre précieuse au fond du coffre à bijoux. Nous voici dans le rôle de l'épouse: à qui l'offrir?

https://www.huffingtonpost.fr/emma-dagonssa/roman-polanski-le-couteau-dans-l-eau-critique_b_1936604.html

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Le Couteau dans l’eau

de Roman Polanski

Andrzej et Christine, un couple fortuné, décident de partir en croisière. Sur leur chemin, ils font la rencontre d'un jeune homme à qui ils proposent de les suivre à bord de leur yacht. Malgré leur bonne entente de départ, la différence sociale entre le couple et leur invité provoque quelques tensions… Le jeune Roman Polanski, passionné de cinéma, étudie à la célèbre école de cinéma de Lodz, dont est également issu Andrzej Wajda (Roman Polanski jouera dans Une génération, premier film de Wajda, en 1952). Il y tourne plusieurs courts métrages très remarqués, et y rencontre le futur cinéaste Jerzy Skolomowski. Ils cosignent tous deux le scénario du Couteau dans l’eau, premier long métrage de Polanski, qui sera également le premier film polonais à être nominé à l’Oscar du meilleur film étranger. Cette nomination propulse Roman Polanski sur le devant de la scène internationale. Le Couteau dans l’eau dénonce, avant les événements de 1968, la société de consommation et l’ordre bourgeois. A la sortie du film, en 1963, Jean-Louis Bory écrivait ceci dans la revue Arts : « J’admire la délicatesse avec laquelle Polanski nous raconte cette histoire. Rien n’est dit. Tout est suggéré. C’est à la fois simple et subtil. Comme dans Antonioni, c’est ce qu’il y a autour, à côté, sous les paroles qui compte surtout. Quand on disait "cinéma polonais", on répondait Wajda. J’ai l’impression très nette qu’il va falloir ajouter : et Polanski. »

(Nóz w wodzie, Pologne, 1962, 1h34, N&B, avec Leon Niemczyk, Jolanta Umecka, Zygmunt Malanowicz) 

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Le Couteau dans l'eau
Réalisé par Roman Polanski, sorti le 9 mars 1962 en Pologne
Titre original : Nóż w wodzie
Avec Leon Niemczyk, Jolanta Umecka et Zygmunt Malanowicz

"Andrzej (Leon Niemczyck) emmène sa femme (Jolanta Umecka) en week-end. En route, il prend un étudiant (Zygmunt Malanowicz) en auto-stop. L'étudiant les suit à bord du yacht mais, très vite, un sourd antagoniste oppose les deux hommes..."

Mon avis
 (grand film) :
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Alors que les années 1940 s'achèvent, Roman Polanski  a déjà acquis une belle notoriété dans le pays d'origine de ses parents, la Pologne. En effet, dès 1948 (et après avoir enregistré différents spectacles radiophoniques pour enfants avec la troupe de La Joyeuse Bande), il triomphe au théâtre en interprétant le rôle principal de la pièce Le Fils du régiment que met en scène Josef Karbowski (son physique très juvénile lui permet d'ailleurs d'incarner un garçonnet de 7 ans alors qu'il a le double d'âge). Cette expérience lui donne par la suite l'opportunité de faire ses premiers pas au cinéma ; d'abord en tant qu'acteur (tournant notamment pour le compte de son ami Andrzej Wajda en 1955 dans Génération - Pokolenie), puis en tant que réalisateur (peaufinant ainsi son style sur près d'une dizaine de courts-métrages tournés jusqu'au début des années 1960). En 1962, le futur réalisateur de Rosemary's babyLe Bal des vampires ou encore Chinatown met en scène son premier long-métrage. Intitulé Nóż w wodzie (Le Couteau dans l'eau en France), le film est co-écrit avec son ami Jerry Skolimowski (et avec la collaboration de Jakub Goldberg). En dépit de ses nombreuses qualités artistiques, Le Couteau dans l'eau est très mal accueilli en Pologne, le Groupe Kamera (en charge de la distribution) se contentant même de le sortir en toute confidentialité. Mais si le film est unanimement décrié et incompris dans son pays d'origine (déçu, le cinéaste ne tournera de nouveau en Pologne qu'en 2002, près de quarante plus tard, à l'occasion de son film témoignage Le Pianiste), il rencontre un joli succès à l'international (et ceci en dépit d'une distribution assez discrète également ; je n'ai d'ailleurs pas pu trouver la date de sortie française initiale). Le premier long-métrage de Roman Polanski décroche ainsi le prix de la critique à la Mostra de Venise en 1962, est projeté officiellement au Festival de New- York l'année suivante (faisant également la couverture du fameux Time Magazine) et aura même l'honneur d'être nominé pour l'Oscar du meilleur film étranger en 1963. Le Couteau dans l’eau propose une intrigue resserrée autour de seulement trois personnages qui vont se côtoyer le temps d’un week-end à bord d'un lieu unique matérialisé par un luxueux voilier. De multiples relations complexes vont dès lors pouvoir s'établir entre ces trois individus si différents et si proches à la fois : deux adultes en couple face à un étranger célibataire, deux hommes orgueilleux face à une femme désenchantée, deux "riches" matérialistes face à un "sans-le-sou" idéaliste, deux jeunes porteurs d'un regard nouveau face à un vieux conservateur.

Andrzej est journaliste sportif et a l’air d’avoir plutôt bien réussi professionnellement. En revanche, le couple qu’il forme avec la jeune Krystyna semble avoir sombré dans une incommunicabilité routinière, et le week-end romantique qu’ils prévoient de passer ensemble ne donne pas l’impression de les rapprocher davantage (visiblement peu satisfait de la manière dont sa femme conduit, il finit même par prendre le volant de la voiture). Excédé par ce dialogue de sourds perpétuel (ce que Roman Polanski illustre pertinemment par une absence de son durant les premières séquences dialoguées), Andrzej se défoule alors sur son accélérateur (comme un palliatif lui permettant d’affirmer sa virilité) et manque d’écraser un jeune étudiant qui se tenait là, planté au beau milieu de la route, comme bravant la mort (tel un jeu lui permettant également de prouver qu’il en a dans le pantalon). Dès la première rencontre entre les deux hommes, le malaise s'installe et un combat de mâles se met immédiatement en place entre le vaniteux bureaucrate brutal et l’arrogant étudiant fougueux. Au-lieu de s’excuser pour avoir failli le tuer, Andrzej s’agace et commence à enguirlander le jeune homme sous l’œil moqueur de sa femme ; avant de brutalement l’inviter – ou disons plus  justement, le forcer – à monter avec eux. À l’évidence, la présence de ce garçon est l’opportunité que celui-ci espérait pour faire mousser son ego et prouver sa supériorité en tant qu’homme à sa femme blasée. Car, bien que ce jeune coq soit particulièrement horripilant, il paraît assez "faible"  – de part son âge, sa position sociale et sa condition physique – et représente un faire-valoir idéal  à qui le mari aura tout le loisir d’exhiber sa magnifique épouse, son luxueux voilier et ses gros bras musclés. L’étudiant quant à lui n’ose pas refuser (probablement plus par défi et par attirance pour la jeune femme, que par crainte) et s’embarque alors dans ce concours de "la plus grosse" (désolé, c’est que j’ai trouvé de plus parlant ! ^__^) autour de cet objet du désir que symbolise la belle Krystyna.

Le Couteau dans l'eau
Une certaine idée du vague à lame...
 On le sait, Roman Polanski a toujours été un amateur de belles jeunes femmes ; une passion qui s’illustrera sur grand écran avec des actrices aussi splendides que Catherine Deneuve (Répulsion), sa sœur Françoise Dorléac (Cul-de-sac), Faye Dunaway (Chinatown), Isabelle Adjani (Le Locataire) ou bien entendu encore la sublimissime Sharon Tate (Le Bal des vampires). Dès son premier film, le cinéaste témoigne ainsi de son attachement au beau sexe en confiant le premier rôle féminin à la voluptueuse Jolanta Umecka ; une non-professionnelle dont il remarque l’avantageux physique dans une piscine municipale de Varsovie. L’affublant d’une improbable paire de lunettes austère, d’une coiffure stricte et de vêtements informes dans la première partie du long-métrage, Roman Polanski parvient malicieusement à la rendre totalement quelconque habillée afin qu’elle apparaisse d’autant plus éblouissante une fois vêtue de son unique et minuscule bikini (un procédé que le réalisateur utilisera également dans Le Locataire en parvenant à rendre Isabelle Adjani disgracieuse avant d’en révéler l’exceptionnelle sensualité). En outre, Roman Polanski va parvenir à changer une faiblesse présumée – l’inexpérience dans la comédie de son interprète – en une force effective – la relative inexpressivité de l'actrice renforçant le caractère énigmatique du personnage.  Pour incarner le mari macho, le cinéaste  va faire appel au nettement plus expérimenté acteur de théâtre Leon Niemczyk. Là encore, Roman Polanski va tirer le meilleur parti possible des particularités de chacun puisque la solide expérience du comédien lui permet de donner plus d'ampleur à son personnage ; lui conférant une assurance qui tranche judicieusement avec l'interprétation plus spontanée de son adversaire. À l'origine, le cinéaste avait l'intention de tenir le rôle de l'étudiant (ce qui n'aurait pas été très surprenant compte-tenu le tempérament du personnage), mais les responsables de Kamera jugèrent le physique du réalisateur inapproprié. Le fringuant Zygmunt Malanowicz (alors encore étudiant en art dramatique) fut donc préféré. Mettant son corps d'éphèbe et son jeu brut au service du film, le comédien parvint assez subtilement à rendre palpable l'ambiguïté et la complexité de son personnage. Toutefois, et alors que la bande son du long-métrage s'est avéré inutilisable en l'état, Roman Polanski va avoir l'idée de prêter sa voix à Zygmunt Malanowicz afin de mieux en maîtriser l'interprétation ; il fit également appel à une actrice professionnelle pour doubler Jolanta Umecka et ainsi renforcer son personnage.

Dès les premiers instants du film, la tension est palpable entre les différents protagonistes et alors qu'une rupture  semble se profiler à l'horizon pour notre couple, l'arrivée d'un jeune étudiant va complètement chambouler la donne et laisser place à un impitoyable duel au soleil, entre opposition et fascination (une tension qui ira crescendo et qui sera illustré à l'image par ce ciel qui ne cesse de s'assombrir ; avec un très beau travail sur la photographie de Jerzy Lipman en prime). Comme souvent chez Polanski, un rapport de force masculin va donc rapidement se mettre en place entre un être a priori dominant et celui qu'il pense dominer. Les deux hommes n'auront alors de cesse de s'affronter pour affirmer leur supériorité l'un sur l'autre et, par la même, leur virilité. Le mari va ainsi fièrement exhiber sa grande dextérité dans la maniement de la barque, railler l'étudiant parce qu'il n'y parvient justement pas (les cordages venant alors fouetter celui-ci comme autant de coups de fouet dominateurs asséné par cet homme d'âge mûr) ou encore parce qu'il ne sait pas nager, prouver qu'il gère mieux sa nervosité (le battant aisément à une partie de Mikado) et démontrer que c'est bien lui le seul maître à bord (lui donnant des ordres de plus en plus humiliants). Mais si ce dernier donne d'abord l'impression de subir sans broncher, il ne restera pas sans répliquer : escaladant le mat du bateau avec une facilité déconcertante, multipliant les sous-entendus subtils (faisant mine de voir un mouton dans le ciel pour dénigrer le style de vie de ce journaliste embourgeoisé par exemple), se saisissant d'une casserole bouillante à pleines mains, devinant l'heure simplement en observant le ciel ou jonglant sans difficulté avec la lame tranchante de son couteau ; symbole phallique menaçant que les deux hommes se disputeront au même titre que la femme. Le mari s'essayera ainsi vainement à jongler avec l'arme avant de parvenir à battre (non sans arrogance) le jeune homme à un exercice de lancé de couteau, et même plus tard refuser de lui rendre (comme s'il cherchait par la même à le castrer d'une part de sa virilité). Cette compétition incessante entre le mari et l'étudiant est donc surtout un moyen pour chacun de s'affirmer en tant qu'homme.

Le Couteau dans l'eau
Ces obscurs objets de désir...

À travers la question de savoir qui se sert le mieux du manche ou qui tire le plus fort l'embarcation se pose celle de savoir qui abandonnera le premier et qui prendra le dessus sur l'autre ; ou plus simplement de qui sera le "vrai homme" à bord (ce thème est d'ailleurs souvent abordé dans les discutions les personnages, comme lors du fameux passage de la boussole "trop grosse" pour un auto-stoppeur).
 Le passage le plus significatif de cette rivalité masculine étant à mon sens celui où les deux hommes gonflent les matelas pneumatiques, chacun scrutant l'avancée de l'autre avec inquiétude et envie (l'orgueil du mari sera de nouveau illustré ironiquement par le réalisateur lorsque celui-ci gonflera un crocodile en plastique judicieusement placé à hauteur de ceinture, comme s'il s'agissait de son propre sexe). Il y a quelque chose de très érotique dans cette lutte de pouvoir entre les deux hommes (le passage où ceux-ci tirent le bateau dans les hautes herbes n'est d'ailleurs pas sans rappeler la lascivité crypto-gay de certains péplums gavés de musculeux corps masculins à moitié dénudés) ; chacun étant à la fois sujet et objet du désir (la musique jazzie de Krzysztof Komeda ne faisant que renforcer cette sensualité lancinante, y ajoutant même une touche de tristesse mélancolique). De toute évidence, Andrzej cherche à en mettre plein la vue à l'étudiant. Pourtant, celui qui possède tous les signes extérieurs de richesse (et par extension, de pouvoir), ne peut s'empêcher d'être fasciné par le jeune homme comme on le verra lors du fameux tour consistant à faire passer le plus rapidement possible le couteau entre les doigts (un petit jeu dangereux que connaissent bien les amateurs d'Aliens grâce au personnage de Bishop). Roman Polanski a ici une façon très particulière de mettre en valeur ces deux corps presque nus, transpirants et collés l'un à l'autre. Entre défi et envie, une certaine ambiguïté semble effectivement grandir entres les deux hommes. Ils ne se jalousent plus seulement l'un l'autre (le confort de vie et la belle épouse du mari, l'indépendance et la liberté de l'auto-stoppeur), ils s'influencent conjointement. Andrzej essaiera ainsi de s'entraîner secrètement au couteau ou sifflotera machinalement le même air que l'étudiant ; auquel Krystyna finira d'ailleurs par dire : « Il était comme toi. Tu rêves d’être lui. ».

Derrière cette opposition, se trouvent donc le désir. Et une femme. Bien que celle-ci semble se désinstéresser de cette guerre masculine puérile, elle n'en reste pas moins au cœur même de la bataille que se livre les deux hommes ; son corps étant un irrésistible objet du désir que se disputent les deux hommes (à l'instar de cette petite culotte frou-frou que le réalisateur filme sans relâche). Dans l'intimité de la cabine, lorsque les corps sont au plus près et que la tension érotique est au plus fort (l'étudiant ne parvenant pas à détourner les yeux de la jeune femme qui se dénude, sous le regard à la fois amusé et agacé du mari), les langues vont alors progressivement se délier. Comme elle le confiera à travers un refrain lourd de sens, Krystyna ne se satisfait plus de sa condition actuelle et son bonheur passé est loin (aussi loin que ces paroles dont elle ne se souvient plus). Tandis que son mari semble se désintéresser de cette femme aspirant à une certaine émancipation (préférant écouter une épreuve sportive retransmise à la radio, bien qu'il finisse lui aussi par se lancer dans un petit laïus), l'étudiant restera lui très attentif (serrant amoureusement des objets lui appartenant tout en lui répondant par poème interposé). En quelque sorte, l'arrivée de cet individu presque tombé du ciel va agir comme un véritable révélateur de sentiments et d'aspirations pour chacun. Roman Polanski s'amuse d'ailleurs avec les symboles religieux pour représenter ce diable tentateur. Il est impossible de ne pas songer à la figure christique lorsque l'étudiant est filmé en plongée : allongé les bras en croix, les jambes superposées et la tête légèrement inclinée (avec un assemblage de cordes enroulées en spirale derrière celle-ci comme une sainte auréole). Plus tard, on le verra aussi littéralement courir sur l'eau durant cette superbe scène où il maintient l'équilibre du voilier. Habile dans ses cadrages, Roman Polanski jouera également avec le nom du bateau "Christina" (en hommage à la femme demandera l'étudiant ?) puisque seule la première partie apparaîtra à l'écran : "Christ" (une astuce que le réalisateur reprendra d'ailleurs durant la scène du "déluge"). La suite du film ne viendra que renforcer le statur du martyr de l'étudiant et son aura presque divine : ce dernier semblant alors capable de triompher de la mort (comme une "renaissance" à la fois physique et spirituelle).

Le Couteau dans l'eau
La rage du lion, l'œil du tigre...

Grâce à sa réalisation toute en subtilité, le cinéaste parvient à s'aventurer sur différents terrains (entre tragédie et ironie), mais laisse les spectateurs libres de se forger leur propre opinion. Le Couteau dans l'eau ne privilégie véritablement aucun personnage et  même si l'étudiant représente à bien des égards l'archétype de la figure polanskienne dans toute sa splendeur (ce jeune dominé un brin naïf et bien décidé à ne pas se laisser faire) – long-métrage invite surtout à la subjectivité (lorsque l'étudiant tend son doigt en l'air et regarde le ciel, fermant un œil puis l’autre, Roman Polanski joue ainsi avec le montage pour simuler les différents points de vue avec lequel on peut appréhender une chose). À la fin du film, les masques tombent (tout comme la voile du bateau s'abaissant pareille à un rideau qui annonce la fin d'une représentation) et il n'est alors plus si évident de déterminer qui est un "homme, un vrai" et qui ne l'est plus vraiment. À propos de son infortuné ami marin, Andrzej conclura même en disant « qu'il était trop sûr de lui » et « qu'il s'était ramolli » sans s'en rendre compte. Une sentence qui s'applique bien évidemment tout autant à lui, si ce n'est plus.  Le machisme, désuet, tombe littéralement à l'eau tandis que se profile le triomphe de la féminité, symbole d'une ère nouvelle. Pourtant, si Andrzej semble faire preuve d'humilité, Krystyna ne profite pas de la situation (la simple "peur" de son mari lui suffit) et le couple reprend finalement sa route (routine ?) habituelle (il reprend le volant et elle remet ses grosses lunettes). Les personnages ont changé, mais demeurent finalement les mêmes. D'ailleurs, le réalisateur ne donne pas de conclusion claire et définitive à son intrigueOnt-ils progressé ou sont-ils restés les mêmes, prisonniers de leur existence (tournant en rond, comme un bateau à la direction faussée que le vent charrie) ou de leurs idéaux utopistes (ne parvenant plus à avancer, tel un crachat inerte sur la surface de l'eau que le courant n'emporte plus) ? Roman Polanski laisse aux spectateurs le soin d'imaginer ce que vont à présent devenir les personnages et quel chemin ils vont prendre.

Les plus attentifs n'auront d'ailleurs pas manqué de remarquer la boucle narrative que forme Le Couteau dans l'eau, le film se terminant presque de la même façon qu'il a commencé. Une construction narrative ramenant systématiquement au point de départ et que l'on retrouvera souvent chez le cinéaste par la suite. Qu'il s'agisse du Bal des vampiresMacbethLe LocatairePirates ou encore Le Pianiste, à chaque fois on retrouve cette idée d'éternel recommencement en forme de points de suspension.
 De fait, si l'on peut arguer à juste titre que Le Couteau dans l'eau se termine un peu en queue de poisson, l'analyse psychologique faite par Roman Polanski des différents protagonistes n'en demeure pas moins passionnante. Et sa vision du monde de résolument moderne (annonçant malgré lui une rupture familiale, sociale, générationnelle et sexuelle qui ne tardera pas à venir alors que les années 1960 n'en sont qu'à leurs jeunes années). Sa mise en scène est également assez époustouflante s'agissant d'un premier film et ses plans aussi inspirés que signifiants (outre ceux déjà évoqués, j'insisterai seulement sur les profondeurs de champs magistrales qui donnent l'impression que les personnages au premier plan interagissent directement avec ceux au second plan ; comme un trésor que l'on convoite fébrilement ou un secret que l'on essaie ardemment de percer à jour). En outre, sa capacité à jouer avec l'espace est également plutôt sidérante ; parvenant en deux-trois mouvements à mettre en place un huis clos particulièrement étouffant. D'ailleurs, si certains pourront légitimement reprocher au film la relative lenteur de son rythme, j'ai trouvé que ces longueurs contribuaient néanmoins à renforcer d'autant plus la singularité de son atmosphère : oppressante et étirée comme un songe étrange dont on ne se réveille jamais vraiment, et qu'on oublie vraiment jamais. Fort de la réussite de ce film, Roman Polanski avait à l'époque reçu une proposition pour refaire Le Couteau dans l'eau en anglais avec des acteurs connus d'Hollywood. Ne voulant pas se répéter lui-même, celui-ci a définitivement refusé. À raison, certainement.
http://shin.over-blog.org/article-29820044.html
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Le couteau dans l'eau des féministes

25 Novembre 2020 ,Publié dans #Positions

 

Vue du film "le couteau dans l'eau" (1962)

 

Note de juillet 2020 : Le mouvement féministe qui a mené cet hiver la campagne anti-Polanski, encouragé dans cette voie par les nouveaux Tartuffe, qu'ils soient de LREM du NPA ou d'ailleurs, s'étrangle de rage et d'indignation en prenant connaissance du nouveau gouvernement de Macron. Cela n'est pourtant pas surprenant, et c'est le moment de remettre en ligne ce texte :

 

Polanski et les séparatistes

 

L’académie des « Césars » n’est pas un tribunal, même moral, et les distinctions artistiques qu’elle a accordé à Polanski sont sans doute parfaitement justifiées, de son point de vue. C’est à n’en pas douter, un excellent cinéaste.

 

On pourrait simplement à ce titre lui reprocher d’avoir craché dans la soupe en déguerpissant de la Pologne socialiste à la première occasion, elle qui avait offert à cet orphelin de la Shoah la possibilité de devenir le créateur qu’il est.

 

Aujourd’hui, Roman Polanski est devenu à son grand dam le symbole français du machisme dans le cinéma et des violences faites aux femmes dans la société en général. L’attribution de la distinction de meilleur réalisateur fait donc scandale, dans le contexte marqué par l’action du mouvement féministe « Me Too » et de la campagne de dénonciation des abus présumés qui ont perturbé les carrières de femmes des médias ou du spectacle, qui pour le reste de leur biographie font plutôt envie que pitié.

 

Polanski est-il un bon choix de bouc émissaire ? Son œuvre, en tout cas par son contenu n’a rien de sexiste ou de douteux sur le plan sexuel, contrairement à celle de Matzneff qui a fait les frais de l’actualité il y a quelques semaines (ou de Nabokov, si on veut aller jusqu'au bout pour déboulonner les grands mythes littéraires). Dans le duel à distance qui l’oppose à Adèle Haenel, il est substitué à un autre cinéaste présumé violeur, moins connu, pour les besoins de l’efficacité.

 

Polanski a un dossier : son affaire de viol sur mineure américaine de 1977 dont il a fuit en France les conséquences pénales, et des accusations plus récentes sur des faits anciens, activement sollicitées, qui évidemment n’ont pas pu être prouvées. En ce sens il peut être sélectionné comme exemple, dans une stratégie politique d’intimidation des violeurs, dans l’industrie du cinéma, et le reste de la société. C’est effectivement ce qui se passe, c'est une tentative assez trouble d'instaurer un rapport de force, d'utiliser des mauvais procédés pour la bonne cause.

 

Cela n’a rien à voir avec la justice. Ce n'est pas forcément la question d'ailleurs. On ne va donc pas s’en occuper, sauf pour remarquer en passant qu'on ne peut faire aucune confiance a priori au système judiciaire américain qui est en-dessous de toutes les normes. Certains peuvent même être tenté de défendre Polanski pour la seule raison que son cas est devenu une sorte de test de la puissance extraterritoriale des juges corrompus et des tribunaux abusifs de l'Empire américain. Mais ce ne sera pas notre cas.

 

La vraie question qui nous occupe c’est : est-ce une bonne stratégie, est-ce que cela va contribuer à améliorer la condition générale des femmes confrontées à la violence quotidienne ? Il est possible en effet qu’à l’instar d’autres affaires où des violeurs sont rattrapés par leur passé très longtemps après les faits, cela installe dans l’esprit d’éventuels prédateurs une forme d’inhibition.


Mais il est bien plus probable, aussi, comme l’a fait le code d’autocensure Hayes à Hollywood à partir de 1934, que cela ne fasse que renforcer l’hypocrisie ambiante et la dissimulation, car le fond du problème qui est la misère sexuelle de part et d’autre n’est même pas abordé. Il est certain aussi que cela ne facilite pas les relations ordinaires hommes-femmes, mêmes si les premiers essayent de s’en sortir en rasant les murs.

 

Le fait est que le désir sexuel des hommes et des femmes est archaïque. Les hommes désirent la possession des femmes pour se pavaner devant d'autres hommes, et les femmes recherchent inlassablement un improbable protecteur respectueux. Le désir n’est pas libre, et n’est pas libérateur, et le principal dans le désir sexuel ou dans tout autre désir, est de s’intégrer à un conformisme, même si ce conformisme peut être celui d’une minorité en chambre d'écho (qui dans ce cas a tendance à revendiquer une forme de privilège sur la majorité des hommes sans qualités, tout à fait méprisés).

 

D’une manière plus générale, la démarche de ce courant féministe qui fait l’actualité semble se déployer vers une remise en cause à grande échelle de la substance profonde des relations entre les sexes, et plus particulièrement du désir masculin. Ce qui en soi serait une démarche bien fondée, car il comporte une incontestable composante agressive.

 

Mais ce mouvement a commandé une enquête d’opinion (il a pu se la payer ce qui montre qu’il s’agit d’un mouvement prospère par d’importants appuis financiers et institutionnels) selon laquelle environ 90 % des femmes auraient vécu dans leur vie un viol, ou un acte sexuel non consenti, ce qui est la même chose. On y retrouve là une expression du féminisme radical pour lequel, « toutes les femmes ont été violées ». Ce qui n’est pas très loin de dire que tous les hommes sont des violeurs.

 

Voilà qui ressemble beaucoup à la théorie de la "banalité du mal" de Hannah Arendt, qui généralise à tous les Allemands la culpabilité dans le crime génocidaire pour au bout du compte dédouaner les nazis.

 

Bref, l'ennemi, ce n'est pas le capital, c'est le genre masculin. Nous avons affaire à un cas typique de séparatisme communautariste, où une minorité cherche par un discours victimaire à se sanctuariser (à se mettre au-dessus de toute critique), à délégitimer la parole du groupe adverse et dont les représentants autoproclamés cherchent à obtenir les divers privilèges liés à l’accès aux médias et au soutien de ministres peu respectables par ailleurs.

 

L’utilisation du scandale sexuel « pour la bonne cause » est infiniment dangereux, si l’on veut bien remarquer que c’est souvent par ce biais que l’on tente de mettre hors jeu en les discréditant les adversaires du pouvoir (voir Julian Assange), d’autant plus qu’il n’est pas du tout nécessaire d’aboutir à une condamnation judiciaire pour arriver à ses fins, le lynchage médiatique y suffira bien.

 

Ce type de discours moralisateur, quelques soient les bonnes intentions de ses promoteurs, aboutit à diviser profondément les gens, et à atomiser le prolétariat en groupes mutuellement hostiles ; prolétariat qui est de nos jours au moins majoritairement constitué de femmes. La condition des prolétaires relevant d'un groupe opprimé est liée aux succès de la lutte commune avec tous les autres prolétaires, avec lesquels l’unité est primordiale. Les divers groupes petits-bourgeois séparatistes (pas exclusivement mais très souvent marqués d’extrême-gauche) les conduisent à la défaite en conduisant leurs chefs à la célébrité.


Un mouvement dont la tactique cherche à obtenir des succès d’opinion en culpabilisant le sexe masculin en bloc est un mouvement fondamentalement opposé à l’émancipation collective du genre humain. Par rapport à ses objectifs pratiques, en tout cas à ses objectifs explicites de faire reculer la violence sexiste, il est voué à l’échec.

GQ, 4-8 mars 2020

 

PS : il ne faut pas déduire de cet article que je défende l'immunité des membres des professions artistiques. Ils doivent répondre de leurs actes comme tous les autres, devant la collectivité qui les entretient.

 

PPS : Certaines figures du féminisme radical inspirent le respect mais ce courant est engagé dans une impasse politique dans la mesure où il ne critique pas vraiment la structure de classe et les conditions sociales concrètes qui produisent la violence sociale, et notamment la violence contre les femmes. Or l'indubitable progrès de la condition féminine depuis 1848 est dû à l'accès massif des femmes à la condition de travailleur salarié. Le patriarcat est mort, et c'est le capitalisme qui l'a tué.

 

La violence contre les femmes qui se déchaîne dans le monde (notamment en Amérique latine) survient après deux générations d'émancipation relative et de lois prétendant instituer l'égalité entre les sexes, mais sans remise en cause de la structure de classe.

 

Si on veut concrètement faire reculer le viol, il faut s'attaquer non à Polanski mais aux groupes des médias financés par la publicité qui ne peut pas faire vendre un savon ou un pot de yaourt sans y associer l'image prostituée d'une femme (ou d'un enfant). Au lieu d'en faire la critique, on s'appuie pour mener des campagnes de lynchage moral sur ces mêmes médias proxénètes et maccarthystes, sans se poser de questions !

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Roman Polański [ˈrɔman pɔˈlaj̃skʲi], souvent francisé en Roman Polanski, né Raymond Thierry Liebling le 18 août 1933 à Paris (88ans)





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