sâmbătă, 30 ianuarie 2021

bergman 2 / A saptea pecete (Det Sjunde Inseglet), 1955

 "La mort m'a visité ce matin, nous jouons aux échecs."

Le septième sceau, Ingmar Bergman

Le septième sceau

 
  
 
1955

(Det Sjunde Inseglet). Avec : Max Von Sydow (Le chevalier Antonius Block), Gunnar Bjornstrand (Jons, son ecuyer), Bengt Ekerot (la Mort), Nils Poppe (Jof). 1h36.
 
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 Le chevalier Antonius Blok revient des Croisades avec son écuyer Jons. Soudain la silhouette noire de la mort apparaît sur le bord de la mer pour appeler sa victime ; le Chevalier de la raison la défie aux échecs pour pouvoir ainsi gagner du temps et découvrir le sens de la vie. Non loin de là, Jof le bateleur, sa femme Mia, leur bébé Mikhaël et le jongleur Skat. Jof a vu la Vierge Marie. Plus tard Blok et Jons s'arrêtent dans une église de campagne : le moine qu'interroge le chevalier n'est autre que la Mort. Quant à Jons, qui regarde un peintre travailler à une danse macabre, il raconte sa croisade et se déclare sceptique. Sortis de l'église, ils aperçoivent une jeune sorcière vouée au bûcher et, poursuivant leur route, arrivent dans un village déserté par ses habitants : la peste règne sur la contrée et, au moment où Jof fait son numéro, une procession de flagellant débouche au chant du "Die Irae".


Le chevalier, Jons et une fille muette sauvée d'un moine renégat, rejoignent la roulotte de Jof et de Mia : moment de paix. Dans une clairière, le bûcher est dressé : Blok interroge en vain la sorcière. La Mort lui reproche de toujours poser des questions. La partie d'échecs reprend : Blok qui voit Jof partir détourne l'attention de la Mort qui lui avoue ne rien savoir et n'avoir pas de secrets. Le chevalier et un petit groupe arrivent enfin au château où les attend la femme de Blok. Au matin, Jof aperçoit la Mort qui les entraîne tous sur la colline.

 

Le septième sceau est le dernier qui permettra d'ouvrir le Livre de la révélation (Apocalypse), et de connaître les secrets divins qu'ils enferme. Seul l'Agneau (le Christ) peut briser ce seau -qui vient après six autres symbolisant les fléaux dont est accablé l'homme (pouvoir, violence, faim, peste, mort…) :

"Et lorsque l'Agneau ouvrit le septième sceau, il se fit dans le ciel un silence d'environ une demi-heure" : l'aventure du chevalier -qui apparaît de nulle part, rejeté par la mer sur la grève, de même qu'ex nihilo apparaît son adversaire la mort se joue dans l'espace spirituel de cette demi-heure, au moment où le secret du ciel est en instance de révélation.

A la fin du film, le chevalier n'a pas eu accès à la révélation. Ses rencontres terrestres se sont avérées décevantes entre l'écuyer athée, l'esprit qui nie, et le jongleur innocemment chrétien, sorte d'Adam d'avant la chute qui a la Grace mais ne le sait pas. Ces deux pôles délimitent le terrain de son questionnement. Mais lui cherche une foi consciente à la mesure de l'homme réel et c'est pour cela qu'il s'est mis en tête de converser avec la mort, face à face avec Dieu.

Saint Paul a promis qu'après la mort, nous ne verrions plus comme dans un miroir (titre original, mal traduit en français de A travers le miroir) mais face à face. C'est toujours l'obsession bergmanienne, même s'il n'y a pas de Dieu, pas de figure visible dans l'au-delà, il y a peut-être, au moins une vérité qui m'attend et dont je ne serai plus seulement condamné à voir le reflet.

  • Je suis pris de dégoût et d'épouvante. Mon mépris des hommes m'a rejeté de leur communauté. Je vis dans un monde fantôme prisonnier de mes rêves
  • Mais tu ne veux pas mourir ?
  • Si je le veux.
  • Alors qu'attends-tu ? La connaissance... ou des garanties?
  • Appelles ça comme tu veux. Est-ce si impossible de comprendre Dieu avec ses sens ? Pourquoi se cache-t-il derrière des promesses à demi articulées et des miracles invisibles ? Qu'advient-il de nous si nous voulons croire mais nous ne le pouvons pas ? Pourquoi ne puis-je pas tuer Dieu en moi ? Pourquoi continue-t-il de vivre de façon douloureuse et avilissante ? Je veux le chasser de mon cœur. Je veux savoir, pas croire. Pas supposer mais savoir. Je veux que dieu me tende la main, qu'Il me dévoile son visage et qu'Il me parle.
  • Mais il se tait.
  • Des ténèbres, je crie vers lui mais il n'y a personne
  • C'est peut-être cela.
  • Alors la vie est une crainte insensée. On ne peut vivre face à la mort et au néant de tout.
  • La plupart ne pensent ni au néant ni à la mort.
  • Et quand la fin approche, ils voient des ténèbres !
  • Oui ce jour là.
  • Je comprends : à notre crainte, il nous faut une image et cette image nous l'appelons Dieu.
  • Tu t'alarmes ?
  • La mort m'a visité ce matin, nous jouons aux échecs. Ce délai me permet de vaquer à une affaire importante
  • quelle afaire ?
  • ma vie durant j'ai cherché, erré, discouru. Tout était dénué de sens, ça n'a rimé à rien, je le dis sans amertume ni contrition parce que je sais qu'il en est de même pour tous. Je veux utiliser ce délai à quelque chose qui ait un sens.
  • C'est pourquoi tu joue aux échecs avec la mort ?
  • C'est une habile tacticienne mais je n'ai encore perdu aucune pièce
  • Comment espère-tu la déjouer ?
  • Je jouerai avec mon cheval et mon fou. Mais elle n'a rien vu. Je détruirai l'un de ses flancs

 

Le Septième Sceau

Le Septième Sceau
Titre originalDet Sjunde inseglet
RéalisationIngmar Bergman
ScénarioIngmar Bergman
Acteurs principaux

Max von Sydow
Gunnar Björnstrand
Bengt Ekerot
Nils Poppe
Bibi Andersson
Gunnel Lindblom

Pays d’origineDrapeau de la Suède Suède
Durée96 min.
Sortie1957


Le Septième Sceau (Det sjunde inseglet) est un film suédois d'Ingmar Bergman, sorti en 1957.

Le film est considéré comme un classique du cinéma mondial (en), ainsi que l'un des plus grands films de tous les temps. Il a établi Bergman en tant que réalisateur de renommée mondiale, contenant des scènes qui sont devenues emblématiques grâce aux hommages, à l'analyse critique et aux parodies.

Synopsis

Au xive siècle, un chevalier et son écuyer, après dix ans passés aux croisades, sont de retour en Suède où une épidémie de peste noire fait rage.

Sur une plage déserte, le chevalier rencontre la Mort et lui propose une partie d'échecs afin de retarder l'échéance, le temps de trouver des réponses à ses problèmes métaphysiques : Dieu existe-il ? La vie a-t-elle un sens ? L'épidémie de peste est-elle celle dont parle l'Apocalypse ? Tandis que l'écuyer professe l'idée de néant, le chevalier refuse de le croire.

Chemin faisant, ils se lient à une jeune famille de baladins qui cheminent au cœur du pays tourmenté. À leur contact, le chevalier redécouvre le bonheur insouciant des âmes pures et les plaisirs simples de la vie, qu'il dit avoir oubliés depuis son départ en croisade.

Le chevalier est ensuite fait échec et mat par la Mort ; son sursis est terminé. Le chevalier demande à la Mort de lui révéler « son secret », celle-ci lui répondant qu'elle n'en a pas. Avec son écuyer et quelques compagnons de rencontre, il rentre au château qu'il avait quitté dix ans auparavant. La Mort frappe alors à la porte et les entraîne dans une fantastique danse macabre, où seuls sont épargnés les baladins.

Fiche technique

Distribution

Acteurs non crédités :

Production

Inspiration

La Mort jouant aux échecs. Tableau d'Albertus Pictor (1480). Église de Täby, Diocèse de Stockholm.

Le réalisateur Ingmar Bergman aurait été inspiré par une peinture d'Albertus Pictor située dans l'église de Täby représentant la Mort jouant aux échecs.

Le titre du film provient d'une phrase de l'Apocalypse selon saint Jean, les deux premiers verset du chapitre 8 :

« Et lorsque l'Agneau ouvrit le septième sceau, il se fit un silence dans le ciel, environ une demi-heure.
Et je vis les sept Anges qui se tiennent devant Dieu ; on leur remit sept trompettes. »

Les sept anges soufflent tour à tour dans leur trompette, et à chaque sonnerie un fléau s'abat sur le monde.

Scénario

Pour les besoins de son récit, Bergman a pris des libertés avec la vérité historique, en faisant coïncider des événements non contemporains. En fait, l'époque des croisades est terminée dès la fin du xiiie siècle, la grande peste noire se manifeste au milieu du xive siècle, et les procès de sorcières dans le Nord de l'Europe n'ont vraiment commencé qu'à la fin du xve siècle (avec la publication du Malleus Maleficarum ou « Marteau des sorcières » par les inquisiteurs dominicains Heinrich Kramer et Jacques Sprenger en 1486).

Tournage

préparation d'une scène du film tournée au studio Filmstaden.

Box-office

Box-office France : 642 796 entrées

Distinctions

  • Festival de Cannes 1957 : Prix spécial du jury, ex æquo avec Kanal.
  • Ruban d'Argent (Syndicat National des Journalistes de Cinéma, Italie) 1961 : prix du Meilleur réalisateur d'un film étranger.
  • Cercle des écrivains de Cinéma (Espagne) 1962 : prix du Meilleur film étranger.
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  • Le Septième Sceau d’Ingmar Bergman : le Chevalier et la Mort

    Le Septième Sceau Ingmar Bergman film

    Max Von Sydow (Le Chevalier) dans Le Septième Sceau d’Ingmar Bergman (1957).

    Après dix ans de croisades, un chevalier et son écuyer retrouvent leur pays rongé par la Peste Noire. Le mal est vécu comme une punition divine par les Suédois, qui se préparent à l’Apocalypse. Le chevalier (Max Von Sydow), lui, met en doute l’existence de Dieu. et lorsque la Mort (Bengt Ekerot) lui rend visite, il propose une partie d’échecs afin de retarder sa dernière heure.

    Dans la scène ci-dessous, le Chevalier est entré dans une chapelle. Il regarde le Christ en croix au-dessus de l’autel, puis il aperçoit un prêtre encapuchonné derrière une croisée. Il s’approche et s’adresse au clerc…

    LE CHEVALIER : Je voudrais me confesser aussi sincèrement que possible, mais mon cœur est vide. Et ce vide est comme un miroir qui renvoie ma propre image. J’y aperçois mon reflet, et je suis saisi par le dégoût, et la peur. Mon indifférence pour les autres m’a placé en dehors de la société. Je vis maintenant dans un monde de fantômes, enfermé dans mes rêves et mes idées.

    LE PRÊTRE : Et malgré cela, vous ne voulez pas mourir.

    LE CHEVALIER : Si. Je veux mourir.

    LE PRÊTRE : Qu’est-ce vous attendez ?

    LE CHEVALIER : Je veux savoir.

    LE PRÊTRE : Vous voulez des garanties.

    LE CHEVALIER : Appelez ça comme vous voulez. (Il s’agenouille.) Est-il vraiment inconcevable qu’un homme parvienne à comprendre Dieu ? Pourquoi se cache-t-Il dans un nuage de pseudo-promesses et de miracles invisibles ? Comment peut-on croire au miracle de la Foi quand elle nous manque ? Qu’est-ce que deviendront ceux qui veulent croire mais qui ne le peuvent pas ? Et ceux qui ne veulent ni ne peuvent croire ? Pourquoi je n’arrive pas à tuer Dieu en moi ? Pourquoi survit-Il en moi de cette façon humiliante, alors que je veux le chasser de mon cœur ? Pourquoi demeure-t-Il, malgré tout, cette réalité moqueuse, dont je ne peux me débarrasser ? Vous m’écoutez ?

    LE PRÊTRE : Je vous écoute.

    LE CHEVALIER : Je veux savoir ! Je ne veux pas des croyances, ni des hypothèses. Je veux savoir. Je veux que Dieu me tende la main, qu’il me montre son visage et qu’il me parle.

    LE PRÊTRE : Et Dieu demeure silencieux…

    LE CHEVALIER : Je l’appelle depuis les ténèbres. Mais c’est comme si personne n’était là.

    LE PRÊTRE : Peut-être qu’il n’y a personne…

    LE CHEVALIER : Alors la vie est une horreur absurde. Aucun homme ne peut vivre face à la Mort, en sachant que tout est néant.

    LE PRÊTRE : La plupart des gens ne pensent ni à la mort, ni au néant.

    LE CHEVALIER : Mais un jour, on se retrouve au crépuscule de sa vie, face aux ténèbres.

    LE PRÊTRE : Oui. Ce jour-là…

    LE CHEVALIER : Oui, j’ai bien compris… Nous devons transformer notre peur en idole. Et cette idole, nous devons l’appeler Dieu.

    LE PRÊTRE : Vous êtes inquiet, mon fils.

    LE CHEVALIER : La Mort m’a rendu visite ce matin. Nous avons commencé une partie d’échecs. Cela m’a fait gagner un peu de temps, et je vais pouvoir régler une certaine affaire…

    LE PRÊTRE : Quelle affaire ?

    LE CHEVALIER : Toute ma vie, j’ai cherché, j’ai réfléchi, j’ai discuté sans la moindre pertinence, dans un perpétuel non-sens. Toute une vie de néant. Oui, je le dis sans amertume, et sans regrets, car je sais que la plupart des gens vivent ainsi. Mais je veux utiliser ce répit pour accomplir une action qui ait enfin un sens…

    LE PRÊTRE : C’est pour cela que vous jouez aux échecs avec la Mort…

    LE CHEVALIER : C’est un tacticien redoutable, mais pour l’instant, je n’ai pas perdu une seule pièce.

    LE PRÊTRE : Comment arrivez-vous à surpasser la Mort dans ce jeu ?

    LE CHEVALIER : Je joue une combinaison avec mes fous et mes cavaliers. Il ne l’a pas remarqué pour l’instant. Et, au prochain coup, j’exposerai son flanc.

    Le prêtre tourne son visage vers le Chevalier, qui reconnaît la Mort avec stupeur.

    LE PRÊTRE, narquois : Je tâcherai de m’en souvenir.

    LE CHEVALIER : Tu n’es qu’un traître. Et un tricheur. Mais nous nous retrouverons. Et je trouverai une autre façon de te battre.

    LE PRÊTRE : Nous nous retrouverons à l’auberge. Et nous continuerons notre partie.

    La mort s’en va.

    LE CHEVALIER, seul : Cette main est bien la mienne. Et je peux la bouger. Je sens mon sang battre sous la peau. Le soleil est encore haut dans le ciel. Et moi… Moi, Antonius Block, je joue aux échecs avec la Mort.

    Dialogue extrait du film Le Septième Sceau réalisé par Ingmar Bergman (1957). Traduction en français effectuée par nos soins. N’oubliez pas qu’il est impossible de travailler un texte sans l’œuvre complète. Vous pouvez acheter le film en ligne et le récupérer dans la librairie la plus proche via ce lien Place des Libraires : Le Septième Sceau – Ingmar Bergman

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  • 17 mai 2006
    LE SEPTIEME SCEAU d'INGMAR BERGMAN

    Collection Christophe L.   


    Ingmar Bergman, fils d'un pasteur luthérien, naquit à Uppsala en 1918 et fut, dès son enfance, en proie à des doutes et des préoccupations métaphysiques. La vie austère qu'il menait dans sa famille, l'éducation stricte qu'il reçut, en firent un enfant inventif et rêveur. Il éprouva très tôt une véritable fascination  pour le monde du spectacle, monde qui figurait pour lui le fantastique, le mythique, l'imaginaire, en contradiction avec la vie ordinaire, et lui permettait d'outrepasser les interdits. En compagnie de sa soeur, il montait des spectacles et prêtait aux marionnettes qu'il animait ses audaces et ses fureurs, ses désirs et ses révoltes. Ainsi envisagea-t-il l'art comme le lieu idéal de la transgression, celui où l'homme s'autorise à vivre  une vraie vie, celui où l'on franchit le seuil des tabous et des peurs. Il est vrai qu'il fût toujours en quête de l'effrayante vérité, celle qui, ne cessant  de se réfugier dans les replis ultimes de notre inconscient,  inspirera son oeuvre et l'incitera à exiger de ses acteurs et de ses actrices le paroxysme. Metteur en scène au regard implacable, il fut pour lui-même et les autres d'une exigence parfois impossible à satisfaire. Tourner sous sa direction était un honneur autant qu'une épreuve. Eric Rohmer - qui l'admirait - écrivit  à son propos :  L'art de Bergman est si franc, si neuf, que nous oublions l'art pour le problème des problèmes et son cortège infini de corollaires. Rarement le cinéma a su porter si haut et réaliser si pleinement nos ambitions.

    Max von Sydow. Collection Christophe L.

     

    Le Septième Sceau fut tourné en 1956 et se vit attribuer en 1957 le Grand Prix Special du Festival de Cannes, alors que le cinéaste suédois avec déjà produit quelques-uns de ses chefs- d'oeuvre :  Jeux d'été ( 1950 ), Monika ( 1953 ), La nuit des forains ( 1953 ), Sourires d'une nuit d'été ( 1955 ).

    "Et lorsque l'Agneau ouvrit le septième sceau, il se fit dans le ciel un silence d'environ une demi-heure".

    "C'est l'ombre de la mort qui donne relief à l'existence ", disait-il et ce film, qu'est-il d'autre, sinon une longue méditation sur le sens de la vie, que la mort vient implacablement interrompre, dans sa trajectoire terrestre et humaine ? Un pessimisme fondamental, dont Kierkegaard est peut-être l'un des inspirateurs et père spirituel, mêle les thèmes du désespoir, de la révolte, de la misère d'une humanité sans amour, mais non sans Dieu, dont la présence sera ré-affirmée dans son film  La Source ( 1959 ), comme l'unique moyen de réconciliation entre les vivants.

    L'histoire est la suivante : un Chevalier interprété par Max von Sydow - avec lequel Bergman tournera plusieurs longs métrages - revient des Croisades, lorsque lui apparaît -au bord de la mer - sur une grève sauvage et solitaire, la mort. Pour gagner du temps et peut-être découvrir l'ultime vérité, le Chevalier lui propose une partie d'échecs. Autour d'eux, dans la Suède du XVIe siècle, que l'usage du noir et  blanc restitue dans une sorte de dépouillement minéral, la peste sévit, fauchant les vies avec une sombre indifférence.

    Je veux utiliser ce délai ( celui que lui accorde la partie d'échecs ) a quelque chose qui ait un sens.
    - C'est pourquoi tu joues avec la mort ?
    - C'est une habile tacticienne mais je n'ai encore perdu aucune pièce.
    - Comment espères-tu la déjouer ?
    - Je jouerai avec mon cheval et mon fou.
    - Je veux savoir, pas croire, dit encore le Chevalier à son partenaire, la mort. Je veux que Dieu me tende la main, qu'Il me dévoile son visage et qu'Il me parle.


    Collection Christophe L.

    Mais le silence de Dieu parait être la seule réponse que reçoive l'ancien Croisé. Et ce silence est intolérable. L'obsession de Bergman se dévoile dans ce film avec une troublante intensité. Même si aucune figure visible de Dieu n'existe, il ne peut pas ne pas y avoir une vérité à découvrir et à comprendre. Une vérité qui se livre et ne nous condamne plus à la vision improbable de son reflet. Chacun des protagonistes du film cherche quelque chose, parfois sans le savoir, ou possède quelque chose, parfois en l'ignorant. Ainsi le jongleur, simple en esprit, sorte d'Adam avant la chute, nimbé de la grâce de l'innocence. Ou bien le jeune couple de la troupe de comédiens ambulants qui consacre le plus clair de son temps à chanter et à s'aimer.Ceux-là ne seront pas emportés dans la sinistre farandole de la mort. Ceux-là représentent une humanité, encore dans sa pureté originelle, qui n'apostrophe ni Dieu, ni Diable, et se contente de vivre, malgré la peste noire et les épreuves innombrables, avec une naïve simplicité. 

    Le grand mérite de ce film est d'abord d'être simplement un film et l'un des plus beaux que l'on puisse voir, bien qu'il comporte une part importante d'abstrait et de théorie. Son point de départ n'est pas - ainsi que nous le confie l'auteur - une idée mais une image. Et nous n'avons pas de peine à le croire, tant il y fait référence aux thèmes chers aux peintres et sculpteurs du Moyen-Age. S'il y a naïveté dans ces diverses allégories, c'est parce que Bergman a su retrouver la candeur et la saveur de cet art incomparable et qu'avec sa pellicule il en a restitué l'iconographie, sans céder au décalque, et en y ajoutant, pour notre plus grand bonheur, le fruit d'une création constamment originale.

    Le Septième Sceau se déroule comme une longue fresque médiévale qui n'est pas sans évoquer les peintures du Hollandais Jérôme Bosch aux composantes mystiques et symboliques et  les danses macabres, fréquentes alors, sur les murs des cathédrales. L'époque est évoquée avec un réalisme sans outrance, mais volontairement détaché, qui ajoute à l'esthétisme de ce film bien séquencé. C'est, à mon avis, l'un des plus aboutis de Bergman. Grâce à lui, il connut d'ailleurs une renommée mondiale et se révéla comme l'un des maîtres incontesté de l'art cinématographique. D'autant qu'il  replace l'humain et le questionnement métaphysique au centre de nos préoccupations ;  ce, avec une écriture sobre et des images qui cernent l'essentiel au plus près. Les acteurs, conduits de main de maître, sont tous excellents. Leurs visages, saisis avec précision dans leur nudité la plus émouvante,  nous rendent étonnamment sensible le drame dans lequel le metteur en scène les immerge. Un film qui fait date et a le mérite de nous remettre en phase avec les problèmes fondamentaux de notre destinée.

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  • Un petit tour chez Bergman ? L'ironie du “Septième Sceau”

  • Ingmar Bergman, d'emblée, un mardi ? Attendez, pas un texte savant sur son œuvre, non merci, mais un p'tit coup d'œil sur Le Septième Sceau (1956), rien que du light. Envie d'un dialogue avec la Mort un poil plus enlevé, inspiré, profond que celui de Jean Dujardin avec sa tumeur. Ça se défend, non ? Je comprends qu'on puisse avoir peur de Bergman : la chape de sérieux dont l'entourent ses thuriféraires – quoique les études bergmaniennes semblent un peu passées de mode –, des œuvres bien austères pour les adulescents cinéphiles d'aujourd'hui (quoiqu'en fait on rigole pas mal chez tonton Ingmar). Y a-t-il encore des jeunes gens allant apprendre la vie et l'amour en s'enfilant du chef-d'œuvre suédois ? Bergman est-il réservé aux plus de 45 ans ?

    Dans son sacrosaint Dictionnaire du cinéma, Jacques Lourcelles n'y va pas avec le dos de la cuiiler sur Le Septième Sceau : « Œuvre à la pâte assez molle, sans rythme, remplie de dialogues souvent vides... » Il exagère, bien sûr. Ce qui le gêne, c'est facile, c'est l'explicitement métaphysique. Le Septième Sceau agite une petite troupe de personnages dans un Moyen-Age de désolation (et de peste noire) et, parmi eux, un chevalier – Max Von Sydow, 27 ans, blondeur étrange –, de retour des Croisades, qui, on le sait peut-être, joue aux échecs avec la Mort. Le chevalier voudrait un signe de Dieu, il n'a droit qu'à des processionnaires qui se flagellent ou des brûleurs de sorcières... Il y a eu d'autres films avant celui-ci sur la peur de la mort et de ce qui la suit peut-être, sur l'Apocalypse annoncé, mais aucun n'a affiché le programme de façon si évidente, presque scolaire. Les cinéphiles aiment que le sens passe en douce...

    De fait, Le Septième Sceau est un des films qui feront du cinéma – pendant, quoi, un quart de siècle ? – un art sérieux pour gens sérieux. « Vous avez vu Le Septième Sceau ? Glaçant, non ? », s'interrogeait-on dans les dîners de 1956. Le contexte de l'époque n'y est pas pour rien : on est en pleine Guerre Froide, une autre forme de peste menace, et le chevalier à la triste figure est celui qui a vu Auschwitz et Hiroshima. C'est l'homme brisé du XXe siècle, le cousin de Steiner dans La Dolce Vita. Bergman n'est pas un idéologue, il n'a pas les réponses attendues sur l'humain et ce qu'il y a au-delà. Il peut poser les questions, en revanche, de manière dynamique, car c'est un homme de spectacle. Dans ces années-là, il passe l'hiver à la scène, l'été sur les plateaux : les acteurs sont les mêmes, et leur entente, leur jeu collectif donnent quelque chose de théâtral à ces aventures historiques. Voilà, Bergman peut donner un point de vue de saltimbanque, et ne s'en prive pas. Plus Beckett que Dreyer, en fait.

    L'extrait ci-dessus vaut le coup d'œil. Les comédiens ambulants (dont Bibi Andersson, ultra-mimi) sont interrompus par une spectaculaire procession, menée par un oiseau de mauvais augure annonçant la mort pour tous. Par rapport à leurs tréteaux minus, l'Eglise, c'est un sacré budget, une sacrée mise en scène : des figurants, de la fumée comme dans un film d'Angelopoulos, etc. On admire l'organisation de l'espace : le long plan fixe, à hauteur d'homme sur les processionnaires, les cadres admirablement composés sur les visages. Une mise en scène en capte une autre, ce dont personne, ni le cinéaste, ni les personnages, ni le spectateur d'aujourd'hui, n'est tout à fait dupe. A la fin du show, l'écuyer du chevalier, dont Bergman a fait une sorte d'existentialiste, s'écriera : « Aucun homme moderne (il veut dire de son époque à lui) ne gobera ça. » L'anachronisme fait partie des coquetteries du maître. Il y a peut-être plus d'ironie que de profondeur dans Le Septième Sceau ; mais, sur certains sujets, l'ironie, c'est la profondeur.

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  • Le Septième sceau

    Det sjunde inseglet

    de Ingmar Bergman , Suède , 1957

    Au Moyen-Âge, un chevalier rentre des croisades... L’un des chefs-d’œuvre du cinéaste. « Une allégorie sur l’homme, sa recherche éternelle de Dieu, avec la mort comme seule certitude », selon Bergman, qui, comme souvent, y allie aussi l’humour. (1h36, N&B, avec Max von Sydow, Gunnar Björnstrand, Bengt Ekerot, Nils Poppe, Bibi Andersson)

    Le père d’Ingmar Bergman était un pasteur luthérien, et le petit Ingmar l’accompagnait lors de ses déplacements dans les églises rurales. Pendant que son père prêchait, l’enfant observait « le monde secret de l’église, fait de voûtes basses, de murs épais, de parfum d’éternité, de lumière solaire colorée qui tremblait sur l’étrange végétation des peintures moyenâgeuses et des figures sculptées sur le plafond et les murs. » C’est de ces souvenirs que s’inspire le réalisateur du Septième sceau. Dans un univers terrifié par la peste et la crainte de la fin du monde, Antonius Block croise toutes sortes de figures : bateleurs, paysans, gens d’église, sorcières, pestiférés, visionnaires, catins. Il les regarde avec indifférence ou lassitude, avec doute ou désespoir. Sauf la Mort, figure noire et blême, repoussante et fascinante à la fois, qu’il regarde avec ironie, avec défi. Le Septième sceau est une épopée, une quête, éclairée par une flamme intérieure.  C'est le surgissement d’un homme qui deviendra l’un des fidèles de Bergman mais aussi l’un des comédiens les plus fantastiques au monde : Max von Sydow.

    Extrait: "Moi, Antonius Block..."

    Pourquoi le 7e sceau ?
    Le titre est tiré d’un psaume de l’Apocalypse selon saint Jean, au chapitre 8 :  « Et lorsque l’Agneau ouvrit le septième sceau, il se fit un silence dans le ciel, environ une demi-heure.  Et je vis les sept Anges qui se tiennent devant Dieu ; on leur remit sept trompettes. Les sept anges soufflent tour à tour dans leur trompette, et à chaque retentissement un fléau s’abat sur le monde. »

    Jouer avec la mort
    Pour la scène mythique du film représentant le personnage principal  jouant aux échecs avec la Mort, Bergman s’est inspiré d’une fresque suédoise du Moyen-âge, peinte par Albertus Pictor. Cette référence est explicitée dans le film. 

    Grande carrière 
    Après ces débuts au théâtre et quelques petits rôles dans des films suédois, Max von Sydow, âgé de 28 ans (il est né en 1929), tient pour  la première fois le rôle principal d’un film. 

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    le-septieme-sceau

  • LE SEPTIÈME SCEAU

     De retour des croisades, le chevalier Antonius Blok rencontre la Mort sur son chemin. Il lui demande un délai et propose une partie d’échecs. Dans le même temps, il rencontre le bateleur Jof et sa famille. Jof a vu la vierge Marie. Un des films qui fit découvrir le cinéma suédois et qui contribua à la grande notoriété de Bergman. 
    « Je ne crains ni l’Enfer, ni le Diable –

    Mais j’ai, de ce fait, perdu toute joie » (Goethe, Faust I, Acte I)

     

    « Comment écrire une oeuvre qui parle d’eschatologie, qui fasse sens, dans une décennie où les questionnements métaphysiques liés à Dieu intéressent de moins en moins de monde ? En captant l’attention du spectateur, grâce à un enchaînement de circonstances extraordinaires, et d’apparitions fantastiques, comme celle de la Mort. Pour le scénario du Septième Sceau, Bergman joue avec la réalité des faits historiques, en mélangeant la fin des croisades, avec la survenue des premières vagues de la peste noire, dans le monde occidental moyenâgeux. Qu’importe ! Le Moyen-Âge a toujours été plus ou moins une période mal connue, que ce soit dans les années soixante, ou à l’heure actuelle. Il est donc des libertés face à l’Histoire qui, sublimées dans un traitement cinématographique, permettent de rendre compte du sentiment persistant de la fin, pas seulement d’un monde, mais du monde.

    Après tout, le seul Moyen-Âge que l’on voit dans Le septième sceau est celui du contexte, des costumes, et des peurs régressives de la population, prête à laisser sacrifier une jeune femme qui aurait commercé avec le diable, au prétexte que cela anéantirait la peste. Les caractères, eux, sont plus contemporains. Le chevalier Antonius Block est un idéaliste déchu. Après dix ans passés à guerroyer en croisade, il rentre, dépité, en compagnie de son écuyer, Jöns, dont l’apparente bonhommie cache mal l’effroi face à la mort. Deux individus antagonistes, que seuls réunis la conviction que l’époque a changé. Fantômes d’un pays, le leur, qu’ils ne reconnaissent plus, ils sont passés du statut d’acteurs de leur temps, à celui de spectateurs blasés. Apogée des illusions perdues, l’homme qui, en son temps, prêchait leur départ en Terre Sainte, est devenu un voleur notoire, qui passe son temps à dépouiller des fermes abandonnées, et à boire à la taverne du coin. Le septième sceau représente une certaine idée de la décadence, à la fois morale et irrationnelle, telle cette peste, absurde, qui s’abat sur les Suédois, perçue comme l’acmé du châtiment divin.

    Comble de l’horreur, la folie est aussi présente. Antonius Block, dépassé par ce qui l’entoure, doit composer avec la venue de la grande faucheuse, là pour prendre sa vie. Ne se laissant pas abattre, il décide de lutter, en jouant aux échecs, dans une allégorie de son combat pour préserver son existence terrestre. Ses rêves s’en étant allés, il ne lui reste plus que, dans ce qu’il comprend être ses derniers instants sur Terre, l’accès à la connaissance. Dieu existe-t-il ? Pourquoi, alors, est-il silencieux ? Et le Diable, qui l’a côtoyé ? Interrogeant tour-à-tour les uns et les autres, c’est finalement la Mort qui lui délivre la réponse ultime: il n’y en a pas. Il est inutile donc de continuer à chercher.

    Là où Le Septième Sceau aurait pu être un film plombant, sans laisser de place à l’espoir, Bergman a décidé d’en faire une histoire riche d’enseignements, proche des romans d’apprentissage allemands  (Bildungsroman). Peut-être que le monde court à sa perte, peut-être que, lorsque tout semble s’effondrer, la connaissance peut apparaître comme un refuge salutaire. Mais, en vérité, tant qu’il y a quelque chose à sauver, le jeu en vaut la chandelle. C’est cet enseignement que Antonius Block recevra, parvenant au passage à se jouer de la Mort, pour ceux qui lui sont chers. Plus qu’obtenir des explications sur les zones d’ombre, c’est finalement la transmission, le souffle de la vie sans cesse renouvelée, qui est le plus important

  • Livre

    Les meilleures intentions : roman, Bergman, Ingmar, Edité par Gallimard - 1992

    Par suite de quel malentendu, des êtres, animés par les meilleures intentions, peuvent-ils se faire tant de mal? C'est la question que Bergman se pose à propos de ses parents, dont il a essayé d'imaginer et d'analyser l'histoire, jusqu'au moment de sa naissance. Son texte est porté par une écriture toujours prête à s'adapter à la "prise de vue" la plus vive.L'Oeil sur l'écran

    Blog cinéma, commentaires de films ... (anciennement films.blog.lemonde.fr

    Le septième sceau (1956) de Ingmar Bergman

    TITRE ORIGINAL : « DET SJUNDE INSEGLET »

    Dans la filmographie d’Ingmar Bergman, Le Septième Sceau apparaît comme l’un des films les plus ambitieux dans son propos, un film auquel il a voulu donner avant tout une dimension philosophique ou métaphysique. Comme pour lui donner plus de poids, voire une certaine légitimité, Bergman ancre ses réflexions dans un contexte historique : un chevalier de retour des Croisades cherche des réponses sur l’existence de Dieu. Outre toute une série de réflexions sur la crainte de la mort et la vanité de notre existence, cette trame lui permet de mettre en scène des plans vraiment remarquables, telle cette partie d’échec de Max von Sydow avec la Mort sur la plage ou la procession des pénitents. Toutefois, ce n’est pas tant la puissance ou la richesse des images qui frappèrent tant à l’époque et assurèrent à ce film (et à Bergman) sa renommée car, comme certains critiques ne manquèrent pas de le souligner, Le Septième Sceau ne peut guère se comparer avec les œuvres de Dreyer ou Sjöström. Non, c’est bien l’ambition de son propos qui lui valu d’être remarqué. Dans un registre plus anecdotique, on notera que le soin de Bergman dans le choix de ses jolies actrices est souvent cité sur ce film.

    Note : 3 étoiles

    Acteurs: Max von Sydow, Gunnar Björnstrand, Bibi Andersson, Inga Gill, Inga Landgré

    Voir la fiche du film et la filmographie de Ingmar Bergman sur le site imdb.com.

    Voir les autres films de Ingmar Bergman chroniqués sur ce blog…

    Une réflexion sur « Le septième sceau (1956) de Ingmar Bergman »

    2 février 2009 à 14 h 03 min

    « Moi Antonius Blok je joue aux échecs avec la mort ».

    La peste noire doublement présente dans la réalité et sur fresques accentue les interrogations d’un esprit errant revenu de dix ans de croisades. L’initiation divine se quête en gagnant un temps nécessaire à la collecte de réponses, pour cela il faut entretenir la longévité d’une partie d’échecs en récupérant une stratégie captée faussement derrière les barreaux d’un confessionnal de fortune par une mort à visage humain habillant une entité dispensée par nature de moralité.

    « Le vide est le miroir de mon visage, je veux savoir pour ne plus croire. Je veux que dieu me tende la main, qu’il me dévoile son visage et qu’il me parle ».

    Antonius cherche à l’aide de ses interlocuteurs temporaires la mise en pages de ses réflexions, l’espoir d’une révélation consciente, une compréhension religieuse pure conquise dans le pré ou lors de la traversée de ces villages tuméfiés. Une découverte faisant de cet indécis un homme libre acquis à une croyance dévoilée par une image, un comportement ou un mot révélateur contre argument envers une époque souillée par les démences d’individus mystiquement isolés dans un moyen age dévasté par les épidémies et les malédictions.

    L’étude se poursuit en croisant un chrétien naïf persuadé d’avoir vu la vierge. Les yeux exorbités d’une sorcière au bûcher scrutés intensément afin d’y percevoir une vérité au seuil du passage dans l’au delà s’avèrent décevant, ils ne conduisent qu’a un diagnostic primaire repositionnant Antonius dans un processus de questions sans réponses. Qui a-t-il après la mort ? A quoi sert la vie ? Quelle est notre mission sur terre ?

    Ingmar Bergman signe une œuvre difficile, souvent hermétique, le contexte médiéval assoiffe ces âmes à la recherche d’un repos terrestre impossible. Manipulées par les désordres de leurs terres ils réactualisent les écritures apocalyptiques en y rajoutant l’outrance du désespoir.

    Les configurations offertes ne procurent que peu de positionnement réfléchis. L’homme n’est plus homme, il se réfugie dans une prophétie réactualisée. Antonius ne dispose pas d’éléments pour travailler sur ses interrogations, l’époque est vide de lumière, croupie sous les superstitions, ses composants pillent les cadavres, rôtissent les illuminés, sarabandes sur les crêtes.

    Un monde en dérive espère la rédemption dans des processions abusives pendant qu’un interrogatif recherche désespérément un apaisement dans ses conflits métaphysiques.

    "L’un des plus grands acteurs du monde"

    Dès la fin des années 60, il sort des frontières de la Suède et tourne aux quatre coins du monde. Il incarne Jésus dans "La plus grande histoire jamais contée" (1965) aux côtés notamment de Charlton Heston, et joue dans Hawaï (1966) avec Julie Andrews. Sa carrière hollywodienne est marquée par son rôle de prêtre dans "L’Exorciste" (1973) de William Friedkin, immense succès au box-office. 

    Puis il incarnera de nombreux méchants à l’écran, tournant sous la direction de David Lynch ("Dune"), Steven Spielberg ("Minority report"), Martin Scorsese ("Shutter Island"). Infatigable, il intègre la saga "Star Wars" en 2014, avec le rôle de Lor San Tekka, proche de la famille Solo, pour le septième épisode "Le réveil de la force" avant d’incarner la Corneille à Trois Yeux dans la série au succès planétaire "Game of Thrones". 

    Max von Sydow avait pris la nationalité française en 2002, il était marié depuis 1997 avec la réalisatrice française de documentaires Catherine Brelet.  Pour l’ancien président du Festival de Cannes Gilles Jacob, "c’était l’un des plus grands acteurs du monde. Il pouvait jouer des rôles spectraux ou inquiétants, mais Max était d’une délicatesse et d’une humanité bien émouvantes."

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  • Le Septième Sceau d’Ingmar Bergman est un incontournable pour beaucoup de cinéphiles, car il fait partie de ces films qui assurent au spectateur un vertige enivrant, assailli de questions philosophiques mises en images par une réalisation sublime. L’homme et la mort n’auront jamais été aussi intimes.

    Synopsis : Au XIVe siècle, un chevalier et son écuyer, après dix ans passés aux croisades, sont de retour en Suède où fait rage une épidémie de peste. Sur une plage déserte le chevalier rencontre la Mort et lui propose une partie d’échecs afin de retarder l’échéance, le temps de trouver des réponses à ses problèmes métaphysiques : Dieu existe-il ? La vie a-t-elle un sens ? L’épidémie de peste est-elle celle dont parle l’Apocalypse ? Tandis que l’écuyer professe l’idée de néant, le chevalier refuse d’y croire.

    D’abord, un oiseau, puis une plage avec deux chevaux, un chevalier, son écuyer – assoupi – et un échiquier. La Mort les rejoindra bientôt ; alors le chevalier (Max Von Sydow, jeune et charismatique) lui proposera une partie d’échecs. Son corps est prêt à mourir, mais pas son esprit : il va donc lutter contre l’inéluctable. Défier la Mort. « Tant que je résiste, je vis ; et si je gagne, tu me libères ». Pourtant l’homme ne peut pas gagner, vaincre la mort est impossible, mais il profite de ce délai en espérant en tirer quelque réponse à son trouble métaphysique.

    « Le vide est le miroir de mon visage. […] Je vis dans un monde de fantômes, prisonnier de mes rêves. », et d’ajouter qu’il n’attend que « La Connaissance » pour se laisser mourir. La connaissance de ce qu’est la mort, de ce qu’il y a derrière – si quelque chose il y a –, de ce que veut dire « croire », de ce qu’est la miséricorde dans ce monde si sombre. Sa foi vacillante le questionne, et la connaissance doit en rétablir l’équilibre.
    « Pourquoi ne puis-je tuer Dieu en moi ? ». Le chevalier souhaite que Dieu lui parle, qu’il lui fasse un signe, lui montre son visage. Mais la Mort lui répond simplement que « Dieu se tait », car il n’y a rien à dire. Le silence de Dieu souligne la vacuité totale de la mort : elle ne cache aucune substantialité, aucune réalité matérielle ou intelligible, aucun savoir ; la mort est un néant, un non-être. Le Septième Sceau interroge l’homme sur l’angoisse de sa propre mort, sur la peur de ce néant et le besoin de se raccrocher à ses espoirs. « À notre crainte il nous faut une image. Et cette image, nous l’appelons Dieu ».

    Puisque la Mort maintient qu’elle ne sait « rien », puisque Dieu reste muet, le chevalier se tourne alors vers les hommes. Chez les pécheurs, il cherche un moyen de rencontrer le diable afin de le questionner à son tour. Une jeune femme, condamnée au bûcher pour sorcellerie, lui répondra simplement : « Tu peux le voir quand tu veux ». Une phrase décisive qui pose la question de l’attente : doit-on attendre un signe de Dieu (ou du diable), comme le chevalier, ou plutôt est-il là, partout, tout le temps, à condition qu’on veuille vraiment le voir ? Et encore : doit-on chercher la beauté et le sens des choses dans une vie ultérieure, ou plutôt ici et là, partout, tout le temps, à condition qu’on veuille vraiment ouvrir les yeux ?

    La Mort vous va si bien

    Bergman donne à la Mort un rôle de confesseur, qui écoute la tourmente des hommes comme ultime rédemption avant de les emporter. Cette symbolique est d’autant plus appuyée lors de la scène où le chevalier se confie à la Mort derrière une grille, en contre-plongée, tel un fidèle dans un confessionnal. Mais le spectateur, comme le chevalier Antonius Block, se rend compte progressivement que ces questions existentielles ne trouvent jamais réponse. Néanmoins, le simple fait de les poser est déjà suffisant pour en être bouleversé.

    Au-delà du personnage à part entière, la mort contamine l’atmosphère, envahit les esprits et les discussions. La mort est partout, on la sent, on la touche, on la voit et on entend son long râle traverser les allées. On joue au théâtre avec des masques de squelettes, on rencontre des cadavres sur la route, on torture des femmes pour éloigner le Malin, on peint des fresques de la « Danse Macabre », et enfin on propage la rumeur de l’arrivée de la peste noire. « Une tête de mort les intéresse plus qu’une femme nue », puisque les gens voient le Mal comme une punition divine, et jouissent de cette souffrance pour plaire à Dieu. Car on craint le Jugement Dernier, on craint l’Apocalypse, et on ferait tout pour y échapper, jusqu’à sombrer dans le fanatisme.
    Bergman souligne l’insalubrité des temps médiévaux : immoralité, débauche sexuelle, maladie, infirmité, flagellation, sueur, puanteur, meurtres, tortures, boue. Une atmosphère sale et mortifère théâtre de l’humanité pécheresse. Si Dieu existe, comment a-t-il pu vouloir cela ? Comment expliquer l’existence de la peste, sans doute le mal ultime, si Dieu nous aime ?

    Par ailleurs, on peut interpréter l’arrivée de la peste comme métaphore de la mort qui arrive inéluctablement, dont le délai qui nous en sépare est comme le délai que la Mort offre au chevalier le temps d’une partie d’échec. Le temps de regarder la peste arriver, de regarder la mort arriver, pour enfin détourner les yeux du néant abyssal de l’au-delà et peut-être, pour une fois, pour une dernière fois, apprécier les choses d’ici-bas. Et en voir la beauté absolue. Et écouter tout ce que la vie a à nous raconter. En d’autres termes, la quête stoïcienne du chevalier se métamorphosera en retrouvailles avec un hédonisme perdu. La fermeté de l’âme qui scrute le ciel retrouvera toute sa vitalité dans l’appréciation de fraises, de lait, et de choses simples.

    La danse des rêveurs

    Malgré ses nombreuses rencontres, Antonius Block est incontestablement seul. Tout comme il est l’unique personnage à voir la Mort suivre son cortège, il semble être aussi le seul à se questionner. Son écuyer (Gunnar Björnstrand, qui incarne à merveille le vieux briscard désabusé) est aux antipodes d’Antonius, éternel cynique préférant jouir des plaisirs du corps plutôt que de torturer son esprit. Et quant au couple d’acteurs de théâtre (les remarquables Nils Poppe et Bibi Andersson), ils sont le miroir inversé du chevalier : eux ne se posent aucune question, ne s’inquiètent pas du futur ou de la mort, mais vivent au jour le jour en souriant à chaque bise de vent, avec une naïveté et une insouciance infantiles.

    Le thème du théâtre est omniprésent dans l’œuvre d’Ingmar Bergman, ici mis en parallèle avec la religion : ce sont comme deux théâtres, sauf que le second n’en est pas conscient. Les acteurs sont méprisés par les foules pour vivre dans la fiction et « hors du monde » ; les fidèles sont tout autant dans l’illusion et hors de ce monde, en ne vivant que dans la perspective de l’au-delà.

    Après sa vision de la Vierge Marie, le mari dit à sa femme : « Tu ne me crois pas, mais c’est la réalité. Pas celle que tu vois, mais une autre réalité ». Oui, il y a toujours chez le cinéaste suédois une profonde réflexion sur le dualisme réel-imaginaire, dont il aime souvent brouiller les frontières. Dans le couple, c’est la femme qui incarne le réel, et le mari l’imaginaire. Celle-ci lui rétorque à plusieurs reprises « Toi, avec tes idées » (fantaisier en suédois, signifiant donc, plus qu’« idée », la « fantaisie » et le « fantasme »), avec un sourire moqueur.

    Pour autant, chez Bergman, c’est toujours le rêve qui triomphe (Fanny et Alexandre, Les Fraises sauvages), parce qu’il est si humain, face aux cyniques et aux pessimistes. À l’image du couple d’acteurs, son cinéma se range du côté de la pulsion de vie qui ouvre la porte sur la richesse du monde, là où ceux qui, comme le chevalier Antonius, sombrent dans la pulsion de mort ne trouvent derrière cette porte rien d’autre qu’une pièce vide et obscure. Un dualisme sublimé, on ne le soulignera jamais assez, par des noirs et blancs somptueux, aussi contrastés et purs que les cases d’un échiquier.

    Le Septième Sceau, c’est enfin un final inoubliable. Difficile de ne pas être à jamais hanté par ce couloir aux allures de tunnel, dans lequel le regard des personnages se perd et par où la Mort surgit. Un tunnel à l’image de ce long voyage en roulotte, à l’image de cette longue introspection, de cette longue danse finale sur la colline et de ce sublime regard face-caméra des personnages, attablés, qui contemplent apaisés l’inéluctabilité de leur destin, la Mort, enfin là, prête à les emporter. Et un peu plus loin, découvrir que le couple d’acteurs est sauf, avec leur bébé qui nous rappelle que la mort des uns permet la continuation de la vie des autres, que les êtres se croisent dans l’écoulement éternel du monde.

    Ingmar Bergman est un grand rêveur, qui par l’obscurité et la violence de ses œuvres parvient toujours, miraculeusement, à faire vaincre l’espoir et l’optimisme. Le Septième Sceau questionne beaucoup et ne répond presque jamais. Et bien souvent dans la vie, on ne retient que les réponses sans même se rappeler des questions. Revoir ce film ne permet pas d’y voir plus clair, mais il permet au contraire de se souvenir de ces questions existentielles qui, si elles ont de quoi donner le vertige, méritent d’être répétées encore et encore, aussi inlassablement que Bibi Andersson et ses « Toi et tes visions » répétés à son mari jusqu’à la dernière seconde, nous arrachant un ultime sourire volé.
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    Max von Sydow, le chevalier du « Septième sceau », est mort

    L’acteur franco suédois, qui a commencé sa carrière avec Ingmar Bergman et a joué avec les plus grands cinéastes américains, est mort à 90 ans.
    Stéphane Dreyfus,

    Lecture en 1 min.
    L’acteur Maw von Sydow est mort à 90 ans. Il jouait encore récemment dans Star Wars ou Game of Thrones.TIM BRAKEMEIER/PICTURE ALLIANCE / DPA

    Mercredi 6 février 2019 à 20h
    Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
    Cycle Ingmar Bergman (1/3)

    LE SEPTIÈME SCEAU
    DET SJUNDE INSEGLET
    (Ingmar BERGMAN - Suède - 1957 - 102 min)

    " Et lorsque l'Agneau ouvrit le septième sceau, il se fit dans le ciel un silence d'environ une demi-heure " :
    l'aventure du chevalier - qui apparaît de nulle part, rejeté par la mer sur la grève, de même qu'ex nihilo apparaît son adversaire,
    la mort, se joue dans l'espace spirituel de cette demi-heure, au moment où le secret du ciel est en instance de révélation.

    Dans la filmographie d’Ingmar Bergman, Le Septième Sceau apparaît comme l’un des films les plus ambitieux dans son propos, un film auquel il a voulu donner avant tout une dimension philosophique ou métaphysique. Comme pour lui donner plus de poids, voire une certaine légitimité, Bergman ancre ses réflexions dans un contexte historique : un chevalier de retour des Croisades cherche des réponses sur l’existence de Dieu. Outre toute une série de réflexions sur la crainte de la mort et la vanité de notre existence, cette trame lui permet de mettre en scène des plans vraiment remarquables, telle cette partie d’échec de Max von Sydow avec la Mort sur la plage ou la procession des pénitents. Toutefois, ce n’est pas tant la puissance ou la richesse des images qui frappèrent tant à l’époque et assurèrent à ce film (et à Bergman) sa renommée car, comme certains critiques ne manquèrent pas de le souligner, Le Septième Sceau ne peut guère se comparer avec les œuvres de Dreyer ou Sjöström. Non, c’est bien l’ambition de son propos qui lui valu d’être remarqué. Dans un registre plus anecdotique, on notera que le soin de Bergman dans le choix de ses jolies actrices est souvent cité sur ce film. [http://films.blog.lemonde.fr/2007/08/28/septieme-sceau/]

    Moyen-Âge, un chevalier et son écuyer retournent en Suède après plusieurs années de croisades. Sur leur chemin, ils rencontrent la Mort avec qui le chevalier entame une partie d'échecs. L'occasion pour lui de trouver des réponses à ses questions métaphysiques.
    « Est-ce qu'on peut jouer aux échecs avec la Mort ? Bien sûr que non, on perd toujours. Aujourd'hui, on peut aller voir toutes sortes de spécialistes afin de contrer, ne serait-ce qu'un temps, le prochain coup de la Mort. Grâce à une opération ou une radiothérapie on peut mieux s'en défendre, mais finalement c'est elle qui nous met échec et mat. Et Dieu ? Dieu ne vient pas à la rescousse, il ne fait que se taire. C'est le thème central du Septième Sceau. Nous sommes tous condamnés. On peut espérer, mais des indications concrètes qu'après la vie sur terre il existe autre chose, de préférence meilleure que celle-ci, n'existent toujours pas. Ce constat a tourmenté ce fils de pasteur qu'était Ingmar Bergman (1918-2007) pendant toute sa vie. S'il n'y a rien après, s'il ne reste rien, quel est le sens de cette misérable vie qu'est la nôtre ? Ces questions-là, on ne les retrouve plus très souvent dans le cinéma de fiction aujourd'hui. Trop graves, on n'a plus le temps, sauf quand on s'appelle Woody Allen. Ou Michael Haneke. Ingmar Bergman exprime ses doutes existentiels à travers chacun de ses principaux personnages. Le chevalier Block espère encore bénéficier de la Providence, contre tout bon sens. Son valet cynique Jöns a dépassé ce stade depuis longtemps. Il représente (...) le rationalisme occidental. Et puis il y a le jeune couple de baladins cheminant (...). Ils ne vivent que dans le présent, passionnément. Ce sont eux qui parviennent à échapper à la Mort. Ainsi, le réalisateur crée finalement encore un peu d'espoir dans son film.
    Paul Verhoeven (Extrait de Plus de Verhoeven, traduit du néerlandais par Harry Bos)

    (LACINÉMATHÈQUE FRANÇAISE)

    Avec Ingmar Bergman, il parlait de cinéma et de l’au-delà. À 90 ans, Max von Sydow l’y a rejoint dimanche 8 mars pour entamer, sans doute, une partie d’échec, comme celle qu’il dispute avec la Mort dans le Septième sceau (1957), l’un des chefs-d’œuvre du cinéaste suédois disparu en 2007.

    La rencontre avec le futur maître du 7e art se fit au théâtre. Avec lui, Max von Sydow, né à
    LE SEPTIÈME SCEAU, INGMAR BERGMAN : DIVIN !

    Le septième sceau – Résumé

    Au XIVe siècle, en Suède. Une grande épidémie de peste ravage le pays.

    Un chevalier, Antonius Block (Max von Sydow), est fraîchement revenu de croisade avec son fidèle écuyer Jöns (Gunnar Björnstrand) ; sur une plage, il rencontre la Mort (Bengt Ekerot).

    Craignant le sort qui l’attend s’il la laisse l’emporter, Block parvient à négocier avec elle un sursis : la Mort lui accorde une partie d’échecs. Si Block la gagne, elle le laissera en paix. Si Block perd, la Mort l’emmènera mais il aura gagné un peu de temps.

    Un temps que le chevalier espère mettre à profit pour répondre aux nombreuses questions existentielles qui le tourmentent.Réalisateur – Ingmar Bergman.
    Durée du film – 96 minutes.
    Note – ★★★★★

    Le septième sceau – Critique

    Le septième sceau est un film mythique d’Ingmar Bergman que je n’avais encore jamais vu. Mon ignorance en matière de cinéma a parfois du bon, elle m’amène à porter un regard non influencé sur ces films que l’on qualifie de « chefs d’oeuvre » et ces réalisateurs « légendaires ». Elle me permet de dire que je n’aime pas, même quand il s’agit d’un réalisateur encensé par la critique. Elle m’autorise à comparer des gens qui, dans l’esprit des férus de cinéma, ne sont peut-être pas comparables. « Je ne suis pas assez jeune pour tout savoir », écrivait l’auteur de Peter Pan. Il en va de même pour moi et le cinéma : j’ose la franchise parce que j’ai tout à apprendre.

    L’univers du film Le septième sceau m’a fait penser au Ruban Blanc de Haneke que j’ai critiqué ici. Chronologiquement, ça aurait dû être l’inverse puisque le film d’Ingmar Bergman remonte à 1957. J’ai retrouvé un style… le noir et blanc, bien sûr, mais aussi une grande maîtrise des jeux de lumière, des visages, des ombres, des détails, un véritable tableau qui prend vie sous vos yeux. Mais là où Haneke m’avait déçue par excès de fatalisme et de noirceur, Bergman m’a rivée à l’écran.

    L’histoire, d’abord, à la frontière du fantastique.


    Antonius Block évolue au Moyen-Age, dans un monde où l’on croit aux sorcières et au Diable, où une épidémie de peste noire ravage tout sur son passage. Des morts par milliers mais surtout une peur insidieuse qui contamine les esprits. Une peur que l’Église récupère pour attirer plus de fidèles. Une peur que les acteurs doivent apprivoiser pour continuer à séduire le public. Une peur qui conduit des hommes pieux à voler. Block affiche la façade d’un homme réservé, en proie à des questionnements intimes d’une portée considérable : la peur du néant, le doute terrible qui l’envahit quant à l’existence même de Dieu.

    La religion est omniprésente dans le film. On la retrouve à travers l’histoire des trompettes de l’Apocalypse : dans la Bible, il est question d’un livre scellé de sept sceaux, que personne n’a pu ouvrir. Ces sceaux correspondent à des révélations faites aux Hommes sur les dangers qui les menacent (guerres, famines, épidémies, etc). L’ouverture du septième sceau coïncide avec l’apparition de sept anges à qui l’on remet sept trompettes pour annoncer divers malheurs et événements. Cette annonce est précédée d’un grand silence dans les Cieux.

    Ce silence divin est au cœur des préoccupations du chevalier Antonius Block à l’heure où la Mort le menace : « Est-il si difficile d’appréhender Dieu avec ses sens ? Pourquoi doit-il se cacher au milieu de promesses vagues et de miracles invisibles ? Comment pouvons-nous croire les croyants quand nous ne nous croyons pas nous-mêmes ? Qu’arrivera-t-il à nous qui voulons croire mais ne le pouvons pas ? Et qu’en est-il de ceux qui ne veulent ni ne peuvent croire ? » s’interroge-t-il. « Je veux la connaissance. Pas la foi, pas les suppositions. La connaissance. Je veux que Dieu me tende la main, qu’il dévoile son visage et qu’il me parle, mais il reste silencieux ».

    L’esthétique du film emprunte beaucoup à l’univers du théâtre. Il y a dans Le septième sceau quelque chose d’épuré, une simplicité très puissante des décors et des êtres. La plage de galets, le mouvement rythmique des vagues qui viennent s’y écraser, le jeu d’échecs posé là, la forêt et son pesant silence, la roulotte sans artifice des acteurs. La Mort, si présente et charismatique dans un sobre habit noir et un maquillage blafard à mi-chemin entre le crâne et le clown blanc, avec cette attitude à la fois dramatique et pragmatique. Un rôle dans lequel Bengt Ekerot excelle.

    Compte tenu des thèmes abordés, le film pourrait être pesant et pourtant, ce n’est pas le cas. Certaines scènes créent une rupture bienvenue : amourette champêtre, représentation donnée par des acteurs devant une foule sceptique, franchise parfois insolente de l’écuyer, simplicité brutale de ces hommes qui se laissent aller à la moquerie, à la tromperie dans une joyeuse désorganisation. On est très loin d’Hollywood : il n’est pas question d’effets spéciaux, de quête de réalisme, de suspense à vous donner la chair de poule. Il y a cette profondeur qui vous fait réfléchir, ce rythme lent où il se passe pourtant tant de choses. Les dialogues en suédois apportent une musicalité particulière à l’ensemble et la bande originale signée Erik Nordgren m’a particulièrement plu (ce compositeur a d’ailleurs collaboré avec Bergman sur de nombreux films).


    J’ai beaucoup aimé cette parenthèse offerte par Le septième sceau. Ce film est comme un message posé là, dont chacun fait ce qu’il veut. On n’a pas l’impression d’être les otages du marketing ou d’une vision du monde que l’on voudrait nous faire partager. On nous dit quelque chose, libre à nous de penser cette quête spirituelle comme on l’entend. C’est un film qu’on ne peut pas appréhender en un seul visionnage, certaines phrases mériteraient d’être notées pour réfléchir dessus. Mais dès la première fois, Le septième sceau vous laisse une marque indélébile. Le Septième Sceau Présentation : Le septième Sceau est un film d’Ingmar Bergman, sorti en 1957 et qui reçut le Prix Spécial du jury du Festival de Cannes. C’est ainsi que son réalisateur acquit une notoriété mondiale. Le récit se déroule au XIVème siècle. De retour des croisades, dans un pays ravagé par la peste, le chevalier Antonius Blok croise sur une plage déserte la Mort, qui vient le chercher. Pour s’accorder un délai, le chevalier entame une partie d’échecs avec cette dernière. Ayant perdu la foi, celui-ci se trouve alors engagé dans une quête métaphysique. Il s’agit autant d’obtenir des réponses sur Dieu que de trouver un sens à sa vie. Ipso facto, il adopte une attitude différente de celle de son écuyer Jöns, incroyant et désabusé. L’omniprésence de la Mort permet à Bergman de décliner différentes attitudes existentielles. Ainsi verra-t-on représentés tour à tour une foule pénitente, des villageois superstitieux, un comédien désinvolte ou encore un ancien séminariste matérialiste. Bergman privilégie l’exploration de quatre personnages, auxquels il donne une véritable épaisseur, qui ne sont pas réductibles à des types. Néanmoins : • on pourra voir s’incarner en l’écuyer Jöns, du fait de son athéisme, une lucidité qui le préserve du fanatisme. Il fait ainsi figure d’humaniste lorsqu’il propose de sauver une jeune fille accusée de sorcellerie. Cependant, l’ « indifférence au ciel » de l’écuyer, selon ses propres mots, le conduit à quelque mépris de l’existence, parfois à l’orgueil. • L’agnosticisme actif du chevalier semble sur ce point préférable. Blok accepte l’angoisse existentielle pour regarder la mort en face. Si ses questions sur Dieu demeurent sans réponses, le chevalier parvient, malgré la brièveté du délai que lui accorde sa partie d’échecs avec la Mort, à produire un acte qui ait un sens. Paradoxalement, dans le silence divin, c’est l’absence de communication qui rendra possible la communion : en effet, en donnant sa vie pour éloigner la Mort d’une famille de comédiens, Blok accomplit un geste christique. • Enfin, le couple de comédiens et leur enfant Mikael, illustrent le refus bergmanien du manichéisme. En effet, bien que la Mort les guette, ceux-ci se détournent des morbides préoccupations des villageois et continuent de prendre goût à la vie. Ils se font ainsi les témoins de ce qu’il y a de bon ici-bas. À travers eux, est préservée la possibilité du bonheur. LESATTITUDES EXISTENTIELLES : Antonius Blok : Le questionnement Le premier exposé de la position de Blok a lieu au moment de la confession. D’emblée, il confie au prêtre, qui est en fait la Mort, que son « cœur est vide ». La croisade lui a fait perdre la foi en Dieu. Cette perte de la foi semble avoir pour origine non pas le Créateur mais bien ces créatures. C’est la méchanceté humaine qui fait douter de la possibilité de la bonté divine. Dès lors la Mort s’interroge : pourquoi un homme pris de dégoût pour ses frères souhaite-t-il continuer à vivre en entamant la partie d’échecs ? Il y a deux raisons pour lesquelles Blok s’accorde un délai : la connaissance de l’existence de Dieu ; la possibilité d’actes sensés icibas. Tout d’abord, ce que Blok ne peut admettre est de quitter ce monde sans savoir si Dieu est. Son cœur étant vide, ce sont des preuves que le chevalier exige. « Je veux savoir. Pas croire ». C’est dans l’angoisse de la mort que la question de l’existence de Dieu prend tout son sens. La vie ne peut avoir de sens si Dieu n’existe pas. Refuser l’interrogation semble la pire solution aussi bien à Blok qu’à la mort qui, par expérience, sait la douleur des morts confrontés aux ténèbres alors qu’ils ont vécu sans cette pensée. Il faut donc chercher une preuve de l’existence de Dieu avant de quitter cette terre. En attendant une réponse, Antonius Blok se donne une deuxième piste : « Je veux utiliser ce délai à quelque chose qui ait un sens ». Dans l’hypothèse d’une réponse négative sur l’existence de Dieu, il faut envisager de trouver un sens dans ce monde. Or c’est au contact de Mia et Jof ainsi que de leur fils Mikael que Blok renonce à son mépris du genre humain. L’atmosphère du film change pour cette séquence : l’image est plus claire, la parole apaisée, la musique, celle de la cithare de Jof, plus douce et Blok, aux dires de Mia, n’a plus l’air si grave. Le chevalier peut alors reprendre la partie d’échecs en souriant et même en riant du tour qu’il a joué à la Mort. Le partage de plaisirs simples, des fraises sauvages et du lait frais, rappelle à Blok que la vie peut avoir du goût comme elle en a eu avant son départ pour la terre sainte avec sa bien-aimée. La vie a du sens, ici, en ce sens qu’elle a de la saveur. Mais c’est dans le sacrifice que la vie prend son sens, entendu cette fois comme ce qui justifie l’existence. Blok, détournant l’attention de la mort en faisant semblant de tricher puis en acceptant de perdre la partie, permet à la famille des comédiens de s’enfuir et d’échapper à la mort qui guette Mikael. Durant ces dernières heures de vie, Blok ne parviendra pas à la connaissance. Le diable ne répond pas plus présent que Dieu. La Mort elle-même ne sait rien au sujet de Dieu. « Ô Dieu, Toi qui es quelque part, qui dois être quelque part, sois-nous miséricordieux », telles sont les dernières paroles de Blok. La connaissance métaphysique de Dieu apparaît être une illusion. Mais Dieu « doit » exister car son inexistence serait immorale. Bergman, si critique envers la religion et ses dérives, semble reconnaître le bien-fondé du postulat de l’existence de Dieu tout en rejetant la possibilité de preuves. Jöns : la prison solipsiste de l’athéisme ? « Voici l’écuyer Jöns : Il nargue la mort, ricane du Seigneur, se rit de lui-même et sourit aux filles. Son monde n’existe que pour lui. Ridicule à tous, même à lui-même, insensé dans le ciel, indifférent à l’enfer. » Ce n’est pas seulement Dieu et son Royaume qui n’ont pas de sens pour l’athée mais tout ce qui existe. Sans la foi ni sa recherche, la solution est le cynisme. Ainsi Jöns tient-il ces propos, avant de rire, à la fille qu’il vient de sauver : « J’aurais pu te violer mais entre nous je suis las de cette forme d’amour ». Même dans ces bons actes, l’écuyer refuse de voir du sens. « J’aime donner des conseils, car je suis un érudit ». Rejeter tout l’évangile qu’il qualifie de « fable » assure à l’écuyer une forme de position d’homme éclairé dans laquelle il se complaît. Ce n’est pas tant par conviction qu’il refuse de croire que par égoïsme. Parce que son moi l’emporte, parce qu’il aime se croire sage, Jöns défie le Ciel. Ces dernières paroles témoignent de son orgueil quand il s’adresse en ces termes à son maître priant: « Des ténèbres […] où nous sommes tous plongés, il n’y a personne pour entendre ta plainte […] J’aurais pu purger tes soucis d’éternité en te donnant une herbe. Mais quel triomphe de se sentir vivant jusqu’au bout. » Il jouit de tenir son défi jusqu’au bout. Bien qu’il soit en face de la Mort, Jöns s’admire, lui qui a le courage de ne pas demander d’aide. Son existence, il semble ne la devoir à personne et aime « se sentir vivant » sans que personne ne l’aide pour cela. Parcours rapide d’autres attitudes présentes dans le film : • La superstitieuse : « une femme a enfanté d’une tête de veau » • Jof et Mia chantent en costume bouffon « Le Malin est sur le rivage » et poussent des cris d’animaux. Ils se refusent à effrayer les villageois et préfèrent un spectacle rassurant. • A l’inverse, le chef des pénitents : « La Mort est là dans votre dos ». C’est dans l’accusation et la punition (de l’autre et de soi) que la peur de la peste est combattue. Cette attitude, comme celle des bourreaux de la sorcière, rejoint une forme de superstition. Mais ici cette croyance amène à des souffrances et des méchancetés. • Jonas Skat, le troisième comédien et Lisa, la femme du forgeron, couchent ensemble. • Plog, le forgeron , recherche sa femme et boit. L’Apocalypse : Dans le livre de l’Apocalypse, Jean explique qu’il a lu un livre scellé par sept sceaux. Le dernier, le septième sceau est celui qui permettra de découvrir le mystère de la révélation de Dieu dans ce livre. Seul l'Agneau (le Christ) peut briser ce sceau -qui vient après six autres, lesquels symbolisent les fléaux dont est accablé l'homme (pouvoir, violence, faim, peste, mort…). "Et lorsque l'Agneau ouvrit le septième sceau, il se fit dans le ciel un silence d'environ une demi-heure". Le film a les mêmes thématiques (Dieu et les fins dernières) et un traitement comparable par sa poésie. Le Septième Sceau rejoint le texte de saint Jean : Bergman fait également de l’eschatologie un objet esthétique. Le jeu dans Le Septième Sceau Lorsque dans la première scène du film, la Mort apparaît à Antonius Blok, le silence se fait. Le bruit des vagues s’interrompt ; il ne reprendra qu’après la disparition du funeste messager. Ainsi l’agôn tragique du chevalier se trouve-t-il inscrit dans une temporalité distincte de celle de son voyage : le jeu mortel dans lequel celui-ci est engagé se déroule sur un autre plan. La partie d’échecs qui procure à Blok son répit est un thème emprunté à l’imagerie médiévale : d’après les dires de Bergman lui-même, l’inscription de celle-ci au seuil de son récit lui aurait été suggérée par une fresque peinte au XVème siècle par Albertus Pictor, où l’on voit précisément représentée la Mort jouant aux échecs. Le jeu d’échecs peut être interprété comme une allégorie de la situation de Blok : deux puissances s’y font face, deux forces dont l’antagonisme est symbolisé par l’opposition des couleurs, fidèle à l’esthétique du film. À l’occasion de cette première scène, la Mort se trouve étroitement associée à la couleur noire, non seulement par l’adoption des pions noirs, mais aussi par un plan noir, sorte de traversée symbolique de la Mort, lorsque celle-ci, s’approchant du chevalier, déploie sa cape. Mais il semble qu’en des sens distincts, tous les personnages trouvent dans le jeu une réponse à la question de savoir comment faire face à la mort. Ainsi l’écuyer Jöns semble-t-il bien jouer, lorsque devisant avec un peintre de fresques sinistres, il dessine sa propre caricature et la commente en ces termes : « Voici l’écuyer Jöns : il nargue la Mort, ricane du Seigneur, se rit de lui-même et sourit aux filles. Son monde n’existe que pour lui. » La solution donnée par Jöns à l’angoisse existentielle est celle de la dérobade : sorte de dilettante blondélien, « bouffon devant l’Eternel », il se constitue comme spectacle pour luimême. Ivre, le picaresque compagnon du chevalier, parlant de lui-même à la troisième personne du singulier, joue sa vie en un sens tout différent de celui en lequel Blok joue sa vie : celui-ci la parie celui-là la met en scène. Dans l’attitude esthétique de l’écuyer, le jeu devient un moyen de fuir la question du sens de l’existence. Au jeu de l’écuyer, répond celui du comédien Jönas, personnage grotesque qui semble se perdre avec son plein sérieux dans ce qui n’est pour Jöns qu’une insouciance de façade. Celui qui transpose dans sa vie la mascarade et ne craint pas de feindre la mort devant le forgeron qu’il cocufie est toutefois rattrapé par la réalité. Par quelque ironie tragique, c’est alors même qu’il se relève de sa mort théâtralisée que la Mort vient le cueillir, lors d’une scène qui ressemble fort à une farce médiévale. Son trépas burlesque survient sans qu’il ait pris le temps de s’interroger sur le sens de son existence. Sa protestation est non moins ridicule : avant de quémander une absurde petite minute à son bourreau, Jönas affirme qu’il n’a « pas le temps » de mourir, invoquant de vains motifs, tentant à toutes forces de se raccrocher aux engagements terrestres qu’il avait jusqu’alors négligés, comme le lui fait remarquer la Mort, qui n’a cure des préoccupations humaines. L’art dans Le Septième Sceau L’univers de la comédie, dans Le Septième Sceau, est à la jonction de deux thèmes majeurs du film : celui du jeu et celui de l’art. Le contexte historique choisi par Bergman et l’esthétique qui y est liée confèrent une place de choix à une expression artistique apparue au XIVème siècle : la Danse macabre, dont on peut penser qu’elle fournit la matrice même du film. La Danse macabre met généralement en scène des spectres ou d’autres figures allégoriques de la mort entraînant avec eux des êtres humains. Ce type d’expression artistique insiste souvent sur l’indifférence de la mort aux hiérarchies humaines. Ainsi verra-t-on souvent représentés, par exemple, marchant à la file derrière des morts, des ecclésiastiques de rangs inégaux. Dans Le Septième Sceau, l’on rencontre au moins deux danses macabres, encore que l’on puisse voir l’ensemble du film comme une Danse macabre : - La fresque du peintre que rencontre Jöns pendant que Blok est au confessionnal est une Danse macabre. Représentée, la mort est mise à distance. Le peintre, semble-t-il, entend la ridiculiser : son rire transforme la Danse macabre en une parade burlesque. Pourtant, pendant que le peintre s’en amuse, l’écuyer, sous l’effet d’une vision insupportable, détourne les yeux. Le peintre se félicite de la peur qu’il est parvenu à causer. Cette scène illustre l’ambiguïté du rôle de l’art dans le film : l’art se fait divertissement pour l’un, avertissement pour l’autre. Il associe des pouvoirs contraires, cache et révèle ce qu’il montre. Mais cette fresque a aussi une valeur programmatique et proleptique : elle représente par avance la procession des pénitents et l’agonie du pestiféré, à laquelle assistent par la suite les voyageurs, dans la forêt. - La vision de Jof, à la fin du film, où l’on retrouve les voyageurs marchant à la suite de la Mort. L’image réactualise l’une des caractéristiques essentielles de la Danse macabre : elle montre que la mort est aveugle aux hiérarchies humaines, égalise tout sur son passage. Mais la principale figure d’artiste, dans le film, est celle de Jof, comédien, musicien, jongleur. Itinérant, comme ses comparses Jonas et Mia, il semble peu adapté au sédentarisme. Dans un village où il donne une représentation, il est maltraité par les villageois, qui le forcent à danser, à « faire l’ours ». Un gros plan est fait sur le visage de Jof pour signifier son incrédulité à l’idée qu’on lui puisse vouloir du mal. L’artiste dont Bergman fait le portrait à travers Jof est donc un être vulnérable et naïf, à qui le spectacle, la chanson et la danse sont comme des œillères à la méchanceté et à la misère, à la violence et à la maladie qui sévissent dans le monde. À l’isolement spatial de la famille de saltimbanques fait donc pendant une douce cécité au mal. Dans Le Septième Sceau, tout se passe comme si l’art consolait de la vérité. Jof semble en effet trouver quelque beauté au mensonge, insiste bien peu pour que l’on croie ses visions : sans doute qu’elles soient vraies ou fausses ne change-t-il pas grand chose à ses yeux. Ainsi l’art éclipse-t-il la réalité. La représentation donnée par la troupe témoigne encore de cet aveuglement : précédant la procession et l’appel à la repentance du moine pénitent, la pièce des comédiens donne de ses propos eschatologiques une parodie par anticipation, chantant la geste triviale du diable sur fond de chorégraphie grotesque. Et tandis qu’est évoqué l’enfer, Jonas conduit au péché d’adultère la femme du forgeron. Dans Le Septième Sceau, la recherche de la vérité semble donc rendre l’individu malheureux. À ce titre, toute la grandeur romantique d’Antonius Blok consiste dans son obstination à rechercher la vérité en dépit des tourments qu’elle lui amène : le sublime consiste alors dans la représentation de la solitude du philosophe qui se dresse face à l’absurdité du monde tandis qu’autour de lui l’on s’étourdit en de rieuses parades pour l’occulter, pour n’y pas penser, pour être heureux malgré la réalité. Mais factice, la parade finira bien parC’était en 1966. Au quartier Latin, Ingmar Bergman faisait recette… L’époque était à l’enthousiasme, à la mélancolie et au café-crème. On lisait Wilhelm Reich et « le Kamasutra » en se posant des questions : Bergman était-il un chrétien pervers, un déçu de Dieu ou un social-traître ? Les conversations se poursuivaient jusqu’à l’aube. « Persona », qui venait de sortir, était invraisemblable, personne n’y comprenait rien. Pour les uns, c’était un film sur l’incommunicabilité. Pour les autres, une œuvre qui confirmait l’absurdité fondamentale de toute existence. Nul ne s’accordait sur la « valeur objective » des films de Bergman. Même les « Cahiers du Cinéma » étaient perplexes.

    Itinéraire d’un homme torturé

    Plus d’un demi-siècle a passé. La diffusion des films de Bergman, à la télé, est une occasion magnifique de redécouvrir un cinéaste comme il n’y en a jamais eu : arc-bouté sur son œuvre personnelle, ne s’écartant jamais de son chemin, halluciné par ses doutes et ses amours, traqué par ses démons et ses interrogations. De « Sourires d’une nuit d’été » (1955) à « Cris et Chuchotements » (1972), en passant par « le Septième Sceau » (1957), « les Fraises sauvages » (1957), « la Source » (1960), « Persona » (1966), « Scènes de la vie conjugale » (1973), « Sonate d’automne » (1978), voici l’itinéraire d’un homme torturé : aucune relation ne résiste, aucun amour ne survit, aucun jeu avec la Mort n’est gagnant. Et Dieu dans tout ça ? Dieu s’en fout, voilà la vérité.SÉLECTION

    Au CENTENAIRE D'INGMAR BERGMAN

    Image extraite du film d'Ingmar Bergman, Le septième sceau (1957)

    Sélection de films, documentaires et livres de et autour d’Ingmar Bergman à l’occasion de la rétrospective à la cinémathèque du 19 septembre au 11 novembre 2018, de la sortie en salles de deux documentaires consacrés au réalisateur (À la recherche d’Ingmar Bergman de Margarethe von Trotta et Bergman, une année dans sa vie de Jane Magnusson) et de la programmation au théâtre de la Bastille de deux spectacles en lien avec le travail du réalisateur.

    Il y a 100 ans est né le cinéaste Ingmar Bergman. Son nom reste associé à des images marquantes : le chevalier Max von Sydow jouant aux échecs avec la Mort (Le Septième Sceau), la ressemblance troublante entre Bibi Andersson et Liv Ullmann (Persona), l’agonie d’Harriet Andersson au sein d’un décor rouge sang (Cris et chuchotements). L’évocation de son univers éveille aussi des atmosphères plus légères : mélancolie d'un amour de jeunesse cueillant Les Fraises sauvages, érotisme de Monika, insouciance de Fanny et Alexandre, chassés croisés amoureux de Sourires d'une nuit d'été.

    Quand Bergman tourne pour la télévision, le cinéma n’est jamais très loin. Scènes de la vie conjugale est d’abord décliné en épisodes avant de connaître une version cinéma, tout comme son dernier film Saraband, est diffusé à la télévision puis projeté en salles. C'est également le cas d’Après la répétition dont le personnage principal met en scène une pièce d'August Strindberg, influence majeure de Bergman. S’il ne l’a jamais adapté au cinéma, il a mis en scène certaines de ses pièces. Telle est une autre singularité de Bergman : son intense activité théâtrale.

    Pour le cinéaste et critique Olivier Assayas, « Bergman dialogue avec les sommets du théâtre contemporain, et s'il n'avait jamais fait de films, il serait encore l'un des grands dramaturges de son époque ». Ses films et ses pièces accordent une égale importance à la parole, orale comme écrite. Elle se transmet d'abord lors des entretiens, telle la Conversation avec Bergman menée par Olivier Assayas. Elle passe aussi par l'analyse que Bergman donne de ses propres films dans Images et dans laquelle il tisse des liens avec son autobiographie écrite au même moment, Laterna Magica. Décrit par d'autres, le cinéaste devient Ingmar Bergman, le magicien du Nord, ou se décline en Ingmar Bergman ; le cinéma, le théâtre, les livres quand certaines de ses oeuvres, Le 7e sceau, Monika, font l'objet d'une analyse particulière.

    Bergman a souvent écrit les scénarios de ses films, et quelques projets non réalisés ont finalement été publiés en nouvelles : Une affaire d'âmes ; infidèles ; Amour sans amants. Malgré son titre Les meilleures intentions : roman comporte des parties dialoguées à la manière d'un scénario que Bille August tournera. Réunissant écrits personnels, photographies et textes parfois inédits les Archives Ingmar Bergman révèlent enfin les multiples facettes de l'œuvre monumentale qui fut celle d’Ingmar Bergman.

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ROBERT SIODMAK (1904 - 1973)