- WILLIAM HOLDEN (Postare)
SUNSET BOULEVARD (Boulevard du crépuscule) – Billy Wilder (1950)
Un homme flotte sur le ventre dans une piscine; les policiers tentent maladroitement de repêcher le cadavre. Le début de Sunset Boulevard est l’un des plus déstabilisants et en même temps des plus brillants de l’histoire du cinéma. Joe Gillis (William Holden), un petit scénariste sans succès, y raconte comment sa rencontre avec l’ancienne star du muet Norma Desmond (Gloria Swanson) l’a conduit à sa perte. [Film Noir 100 All-Time Favorite – Paul Duncan, Jürgen Müller – Edition Taschen – (2013)]
Au début de l’histoire, Gillis, à court d’argent et harcelé par ses créanciers, se retrouve effectivement dans le monde des morts vivants. Norma Desmond est en train d’enterrer un singe – une scène que l’on peut interpréter comme une allusion plus ou moins perfide au sort qui attend Gillis. Elle nous fait sentir la colère qui a manifestement amené Wilder à réaliser le film – la colère contre le star system dans lequel il faut se transformer en singe pour survivre. Norma Desmond et son majordome Max von Mayerling (Erich von Stroheim) – il est aussi son ex-mari – se sont inventé leur propre royaume bizarre, loin de la réalité, dans l’immense demeure de l’actrice déchue. Ici, dans les couloirs poussiéreux, Norma Desmond se croit toujours au faîte de la gloire. Elle écrit avec acharnement le scénario de son come-back et se voit – comble de l’aveuglement – dans le rôle de la séduisante Salomé. [Film Noir 100 All-Time Favorite – Paul Duncan, Jürgen Müller – Edition Taschen – (2013)]
Gillis arrive à point nommé pour l’aider à rendre le manuscrit à peu près présentable. Désespéré, l’auteur accepte cette mission peu gratifiante mais bien payée. Mi-fasciné, mi-révulsé, le jeune homme sera bientôt totalement sous l’emprise de sa commanditaire, avec son glamour d’un autre temps. Il remarquera trop tard qu’il appartient désormais à ce « musée » en regardant la Desmond jouer aux cartes avec les autres « figures de cire » – les anciennes stars du muet comme Buster Keaton qui jouent leur propre rôle dans une scène fantomatique. Son amour pour Betty Schaefer (Nancy Olson), une employée de la Paramount, avec laquelle il rédige secrètement un scénario, ne pourra plus le sauver. Quand il décide enfin de rompre, Norma Desmond le tue par jalousie. [Film Noir 100 All-Time Favorite – Paul Duncan, Jürgen Müller – Edition Taschen – (2013)]
David Lynch, dont Sunset Boulevard est l’un des cinq films préférés, dira du film qu’il est une « rue conduisant vers un autre monde ». On comprend que le réalisateur de Labyrinth Man (Eraserhead, 1977) et de Blue Velvet (1985) soit impressionné par l’aura morbide dans laquelle baigne la demeure principale lieu du film. La gigantesque propriété un peu décatie symbolise le vieux Hollywood, l’époque où les stars, peut-être à cause de leur mutisme, étaient des dieux et des déesses – une époque révolue depuis longtemps. [Film Noir 100 All-Time Favorite – Paul Duncan, Jürgen Müller – Edition Taschen – (2013)]
Elle symbolise également le monde que chacun crée autour de soi et qui risque à tout moment de se transformer en prison. Sunset Boulevard est une complainte sur la puissance destructrice de l’aveuglement. Pendant que Desmond et von Mayerling sombrent avec le monde qu’ils se sont inventé, Gillis prostitue son talent parce qu’il ne se sent plus capable d’affronter le monde extérieur. Pourtant, il aurait pu créer quelque chose de nouveau, le travail avec Betty était prometteur. Mais une fois que l’on a trahi ses idéaux, il n’est plus possible de retrouver son innocence. [Film Noir 100 All-Time Favorite – Paul Duncan, Jürgen Müller – Edition Taschen – (2013)]
Cette réflexion existentialiste sur la peur du changement renferme également un avertissement clair au monde hollywoodien. Les structures du vieil Hollywood y sont encore omniprésentes à la fin des années 1940. Elles sont symbolisées ici par la caricature du chef des studios fumant un gros cigare, étalé sur un canapé – il ne s’intéresse qu’au succès financier et traite ses auteurs comme des esclaves. [Film Noir 100 All-Time Favorite – Paul Duncan, Jürgen Müller – Edition Taschen – (2013)]
Le fait qu’Erich von Stroheim – un réalisateur incompris – et Gloria Swanson – une diva bannie de la lumière des projecteurs – jouent leur propre rôle est également fort significatif. Ils illustrent tragiquement le peu de valeur que l’industrie du cinéma accorde aux héros « mis au rancart », alors que des studios comme Paramount leur doivent leur existence, ainsi que le remarquera Desmond. [Film Noir 100 All-Time Favorite – Paul Duncan, Jürgen Müller – Edition Taschen – (2013)]
Hollywood se vengera à sa manière de cet esprit dénigreur : bien que nommé pour onze oscars, Sunset Boulevard n’en obtiendra que trois (pour le Meilleur scénario, la Meilleure musique et la Meilleure direction artistique en noir et blanc). Après la projection, le magnat des studios Louis B. Mayer rugira qu’il faudrait chasser ce « bâtard » de la ville, « le rouler dans le goudron et les plumes ». Finalement, il devra lui-même se rendre à l’évidence que l’âge d’or de l’usine à rêves est révolu. Dans la vie réelle, l’heure est désormais à la télévision. [Film Noir 100 All-Time Favorite – Paul Duncan, Jürgen Müller – Edition Taschen – (2013)]
Sunset Boulevard est un des rares films dont le ton soit donné dès les premières minutes. S’ouvrant sur le récit sarcastique d’un mort commentant les circonstances de son propre assassinat, cette œuvre, tout à fait originale propose une vision cruelle et sardonique de Hollywood et des spécimens les plus bizarres de sa faune. On ne peut qu’imaginer l’effet qu’aurait produit la séquence d’ouverture originale, coupée au dernier moment : on y voyait Joe Gillis, après le meurtre, à la morgue, en train de raconter son histoire à un public de cadavres fascinés. [Encyclopédie du film Noir – Alain Silver et Elizabeth Ward – Ed Rivages (1979)]
L’alliance de l’humour mordant de Billy Wilder, scénariste et metteur en scène, et des éléments classiques du genre noir produit un film étrange qui tient à la fois de la comédie et du film noir. Il n’y a jamais de rires gras, mais de nombreux sourires acerbes : lors de l’enterrement du petit chimpanzé domestique ; ou encore, lorsque Joe, malgré sa gêne, est obligé de jouer son rôle de gigolo ; quand Norma se lance dans un divertissement à la Max Sennet pour séduire son amoureux mal à l’aise et au moment de la partie de cartes rituelle, avec les vieux amis de Norma, « figures de cire » guindées et solennelles parmi lesquelles on remarque Buster Keaton. [Encyclopédie du film Noir – Alain Silver et Elizabeth Ward – Ed Rivages (1979)]
Il faut noter que, même si l’humour particulier de Sunset Boulevard est induit par la vie de Norma et le milieu dans lequel elle a évolué, il ne se retourne presque jamais contre elle. Le véritable bouffon est, en fait, le faible et inconsistant Joe auquel la beauté veule de William Holden sied parfaitement. Norma, que joue Gloria Swanson, est, elle, une figure tragique dotée par Wilder d’une très forte présence. Cette femme totalement vouée à son obsession, qui s’accroche à ses rêves avec une ténacité qu’en fin de compte on ne peut qu’admirer, est le seul personnage du film à inspirer une sympathie profonde, mis à part le Max, fanatiquement fidèle de Erich von Stroheim. En visionnant l’un de ses vieux films, elle bondit dans le faisceau lumineux, brutal et peu flatteur du projecteur en s’écriant : « Des visages comme ça, on n’en fait plus ! ». La réaction cynique de Joe ne peut alors être partagée par le spectateur, même si l’élan de Norma est trop incontrôlé et narcissique. [Encyclopédie du film Noir – Alain Silver et Elizabeth Ward – Ed Rivages (1979)]
Déjà déterminants dans A Foreign Affair (La scandaleuse de Berlin), ambition et spectacle sont ici au centre de l’œuvre. Abruptement, le film peut provoquer d’abord une réaction de gêne à la vision, presque morbide, d’une ancienne star du muet jouant ainsi en quelque sorte son propre rôle au moment de la « déchéance » après les heures de gloire. En fait, le propos porte moins sur la décadence de la star que sur l’irréalité, l’illusion, dans laquelle celle-ci se plonge, se reclus. D’où d’ailleurs le rôle symbolique de sa demeure, refermée sur l’extérieur, sans lumière. Cette décadence vient non de ce qu’elle n’est plus star, dans l’actualité, mais de ce qu’elle refuse ce changement d’époque et de modes, de ce qu’elle s’aliène à cette image d’elle-même. Elle joue encore au lieu d’être. Elle n’est plus qu’image. D’où la tragédie, quand Gillis, involontairement et par sa seule présence, vient rompre cette illusion, tout en étant celui qui, par son travail de scénariste, pourrait la perpétuer. Tel le rayon de soleil dans la demeure du vampire, Gillis est le brin de lumière, donc de vie, dans l’univers de cette femme qui n’est placé que sous le signe de la mort. Le film s’ouvre pratiquement sur la mort d’un chimpanzé, pour se terminer sur celle de Gillis qui, bien qu’humain, n’est pas autrement considéré. Quant au préambule, le corps dans la piscine et l’arrivée des policiers et photographes, il n’est bien sûr pas moins éloquent à cet égard. [Billy Wilder – Gilles Colpart – Filmo n°4 – Edilio (1982)]
Déjà, la construction et le mode de narration du film s’imposent, pour le moins originaux. Le commentaire off à la première personne, typique du film noir, et l’ambiance ainsi créée, non moins typique du genre, cernent Gillis comme un personnage de tragédie moderne, un loser, irrémédiablement introduit dans un cauchemar dont il ne maîtrise rien, mil par une force que le Réalisme poétique et le film noir à la française auraient appelée « Destin ». Destin qui se matérialise d’abord en manque d’argent, plus exactement en conséquence du manque d’argent, puisque c’est pour échapper à des créanciers que Gillis se réfugie dans le garage. Le fait est d’importance, et caractéristique dans l’œuvre de Billy Wilder, quelles qu’en soient les formes, même souriantes comme dans The Major and the Minor (Uniformes et jupon court), où déjà Susan Applegate ne doit sa rencontre avec l’amour, c’est-à-dire avec le major, qu’à l’impossibilité pour elle d’acheter un billet de train plein tarif et l’obligation de se cacher du contrôleur dans le premier compartiment venu. [Billy Wilder – Gilles Colpart – Filmo n°4 – Edilio (1982)]
Les données sont diamétralement inversées dans Sunset Boulevard. La progression bascule jusqu’au délire clinique et jusqu’au néant, jusqu’à ce que le spectateur ait la révélation de la suprême audace du réalisateur : faire raconter le récit… par un mort ! Qui d’autre qu’un mort, en effet, aurait pu rapporter cette histoire d’outre-tombe ? [Billy Wilder – Gilles Colpart – Filmo n°4 – Edilio (1982)]
« Film le plus sincère qui ait été réalisé sur Hollywood » selon l’expression même de Billy Wilder, Sunset Boulevard est, plus que tout autre, un film sur la représentation et sur la réalité profonde de l' »usine à rêves » Hollywood. Face à Gloria Swanson dans ce fantastique rôle de (dé)composition, les personnages du passé apparaissent comme des figures de cire (la partie de cartes). La tragédie culmine dans la séquence où Norma Desmond se projette son dernier grand film, Queen Kelly, effectivement interprété par Gloria Swanson sous la direction de… Erich von Stroheim, dont ce fut aussi la dernière mise en scène en 1928. Et Wilder multiplie les références et citations, allusion aux Grandes espérances (Great Expectations) de David Lean, ou réflexion nostalgique et désabusée de Max von Mayerling déclarant qu’en ces temps-là trois metteurs en scène s’imposaient, David Wark Griffith, Cecil B. De Mille, et… lui-même. C’est-à-dire, entre les mots, ni plus ni moins que Erich von Stroheim, second maître avoué de Billy Wilder après Lubitsch. La forme expressionniste du film prend alors valeur d’hommage au cinéaste malheureux des Rapaces (Greed), qui dut abandonner sa carrière de réalisateur après ce Queen Kelly auquel Sunset Boulevard répond si exactement. [Billy Wilder – Gilles Colpart – Filmo n°4 – Edilio (1982)]
L’HISTOIRE
Poursuivi par ses créanciers qui cherchent à lui confisquer sa voiture, le scénariste fauché Joe Gillis (William Holden) s’engage dans une allée de Sunset Boulevard et se réfugie dans un garage délabré attenant à une grande demeure décrépie. La propriété est occupée par une star du cinéma muet depuis longtemps oubliée, Norma Desmond (Gloria Swanson), et par son fidèle valet de chambre, Max (Erich von Stroheim), qui fut autrefois son mari et un metteur en scène célèbre. Attirée par Joe, Norma lui propose de travailler pour elle le script d’un film qui marquera son retour dans les studios, Salome.
Joe n’ayant plus un centime accepte et s’installe dans une chambre au-dessus du garage. L’écrivain, sans aucune force de caractère, se retrouve, en quelque sorte, le gigolo de Norma qui l’étouffe sous son affection jalouse, le couvrant de vêtements et de bijoux coûteux en attendant que les beaux jours de sa gloire renaissent. Lassé que Norma lui rabatte toujours les oreilles de passé, Joe s’échappe un soir et se rend dans un café où il rencontre Betty Schaeffer (Nancy Olson), jeune femme qui travaille dans un studio. Ensemble, ils élaborent un projet de scénario, puis Joe rentre furtivement chez Norma mais Max, toujours à l’affût, le surprend. Joe tombe amoureux de Betty et essaye de rompre avec Norma, mais elle fait une tentative de suicide et il revient.
Lorsqu’elle découvre les rendez-vous secrets entre Joe et Betty, Norma va voir la jeune fille et lui dit que l’homme qu’elle aime n’est rien de plus qu’un médiocre gigolo. Cette fois-ci, elle est allée trop loin ; Joe trouve le courage de partir, mais Norma, hors d’elle, le tue. Cernée par les policiers et les journalistes, elle devient folle et descend son escalier, face à la caméra des actualités, croyant accomplir enfin son grand retour au cinéma.
Le final de Sunset Boulevard – Wilder fait rarement usage de virtuosité sur le plan formel. Son apparente neutralité stylistique masque la subtilité de sa mise en scène. Il n’y a que quand la mort et la folie sont les points d’arrêt qu’il déroge ce principe. La fin de Sunset Boulevard en est l’exemple. Elle est conçue sur la (fausse) réalisation d’un rêve. Celui de Norma Desmond qui désire revenir devant les caméras et ignore que son crime va exaucer autrement cette idée fixe. L’homme qui l’avait découverte puis épousée avant de devenir son valet collabore avec les médecins et la police pour qu’elle quitte sa maison. Il lui dit qu’elle va tourner sa grande scène de descente d’escaliers du palais et transforme les caméras d’actualités en caméras pour la fiction. Il « »dirige » alors Norma dans ses derniers instants de normalité, fermant ainsi les parenthèses d’une carrière qu’il avait provoquée, pour que nous assistions à son passage du réel à l’illusion, de la vie à une légende ternie par son meurtre. Tous l’entourent pendant cette lugubre mise en scène. Norma les contourne, pour qu’on la filme, puis elle devient une phalène guidée par la lumière éblouissante des projecteurs. Les plans se succèdent pour indiquer non seulement la folie de cette femme, mais sa cristallisation en fantôme de cinéma. Et elle devient cinéma, entend la musique de cette Salomé qu’elle cherche à faire tourner à DeMille pour son come-back à l’écran, puis ignore ce qui l’entoure pour aller vers la caméra, dans la caméra, se transformant en une image floue pour tous, un spectre hors du temps et du figuré. [Billy Wilder – Noël Simsolo – Collection Grands Cinéastes – Le Monde / Cahiers du cinéma (2007)]
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L'HISTOIRE
Joe Gillis, scénariste fauché, est relancé une fois de plus par ses créanciers. Deux gros bras lui réclament sa voiture qu'il déclare ne plus avoir en sa possession, avant de partir la récupérer discrètement pour la mettre en lieu sûr. Sur sa route, il recroise les deux brutes et une poursuite s’engage. Pour leur échapper il se cache sur une petite route et y découvre une immense demeure décrépie. Quelqu’un le hèle de l’intérieur, il semblerait qu’on l’attend...
ANALYSE ET CRITIQUE
Quand Norma Desmond dit à celui qu’elle croit être le fossoyeur qu’elle désespère de voir arriver : « Enfin vous voilà ! Pourquoi m’avez-vous fait attendre si longtemps ? », c’est bel et bien, sans le savoir, au scénariste qu’elle a en face d’elle et même au cinéma tout entier qu’elle s’adresse. Norma est une star. Une star du muet qui fut adulée et chérie et qui, avec l’arrivée du parlant, est brutalement tombée en désuétude. « Je vous reconnais, vous étiez une grande » ; « Je SUIS une grande, ce sont les films qui sont devenus petits. » Norma vit dans l’illusion de sa gloire perdue, dans un monde tout entier figé en cette époque bénie où elle recevait des milliers de lettres de fans par semaine. Joe Gillis, scénariste arriviste et corrompu, abusera de sa confiance et profitera de la situation en aidant Norma à préparer son "come-back".
Considéré dès l’écriture comme traitant d’un sujet brûlant, le script de Sunset Boulevard fut distribué aux différents intervenants avec une mention spécifiant bien la nécessité de tenir secret le contenu du scénario. Billy Wilder avait raison, Sunset Boulevard sera très mal reçu par la profession. Il faut dire que Wilder dresse un portrait terrible de l’industrie cinématographique. Hollywood fabrique des vedettes, il fait d’individus des monstres aux égos boursouflés, les exploite et les oublie. Joe Gillis (incarnation de cet Hollywood sans morale) traitera Norma avec mépris jusqu’à ce qu’il saisisse comment tirer profit de la situation dans laquelle le hasard l’a plongé. Film sur la célébrité et ses dérives, violent pamphlet contre la puissante machine hollywoodienne, Sunset Boulevard porte également un regard plein de tendresse sur le cinéma et sa magie. Le retour de Norma aux studios Paramount pour y rencontrer Cecil B. DeMille (sur le tournage réel de Samson et Dalila) permet d’ailleurs au cinéaste de signer l'une des plus belles séquences du film : Norma y sera reconnue par les siens, ceux qui font le cinéma, les techniciens et figurants des studios, ces petites mains sur lesquelles Wilder porte un regard plein d’une bienveillante affection.
Cette subtile alchimie de tons (version emphatique de ce que seront plus tard des films plus nuancés tel La Garçonnière où, là non plus, le rire n’est jamais très loin des larmes) se retrouve dans le jeu grandiloquent de Gloria Swanson. On est ébloui par son incroyable présence à l’écran. Ses éclats de colère, sa détermination sans faille et sa fragilité font de sa prestation l'une des plus belles performances d’acteur de l’histoire du cinéma. Cette star imaginaire à la personnalité baroque est aujourd’hui une véritable icône et représente à jamais à nos yeux de cinéphile l’image même de la "Diva". Gloria Swanson fut véritablement une des idoles du muet. Contrairement à Norma Desmond, elle survécut au passage à l’ère du parlant, tournant même dans une comédie musicale, mais disparut tout de même des écrans quelques années plus tard. Sunset Boulevard marqua en 1950 son retour au cinéma dans un premier rôle pour une performance absolument inoubliable.
S’il faut saluer la performance de Gloria Swanson, il faut également louer l’intégralité d’un casting particulièrement bien choisi. Erich Von Stroheim hésita longuement avant d’accepter le rôle de Max qui offrait, tout de même, de tragiques résonances à ce qu’avaient été son parcours et sa vie. Lui qui fut l’un des plus brillants réalisateurs des années 20 et offrit au cinéma quelques-uns de ses plus grands chefs-d’œuvre (il dirigea d’ailleurs Gloria Swanson dans Queen Kelly en 1929) fut rejeté par Hollywood à force de dépassement de planning et de budget (Foolish Wifes coûta plus d’un million de dollars, ce qui en 1922 était absolument faramineux). En 1950 il n’était plus qu’un second rôle au visage connu, un faire-valoir de luxe. Wilder lui rendra l’un des plus émouvants hommages d’un réalisateur à l’un de ses pairs en le replaçant à nouveau, le temps de la dernière séquence du film, derrière une caméra. Von Stroheim, revenu exprès d’Europe aux Etats-Unis pour y tourner le film, retournera définitivement finir ses jours en France après le tournage.
On le voit, le film tisse habilement des parallèles entre pure fiction et matériau historique, et si cette spécificité du film lui confère un aspect particulièrement jouissif (comme une sorte de connivence entre le film et le spectateur "initié"), l’essentiel de sa beauté n’est pas là. Nul besoin en effet de connaître la biographie de Von Stroheim ou celle de Gloria Swanson pour éprouver du plaisir à la vision de ce chef-d’œuvre. Le scénario d’une richesse infinie ménage de formidables rebondissements, les dialogues étincelants fourmillent de répliques cultes et cet incroyable mélange de tonalités entre rires, larmes et compassion fait du script de Sunset Boulevard un bijou à l’éclat inégalé. Ce mélange des genres (film sur la folie ? film sur le cinéma ? film noir ?), cette atmosphère mortifère teintée de fantastique, l'inventivité de la mise en scène, la qualité globale d’une production en tous points irréprochable et la sublime prestation de Gloria Swanson font définitivement de Boulevard du crépuscule un chef-d’œuvre absolu.
DANS LES SALLES
DISTRIBUTEUR : SPLENDOR FILMS
DATE DE SORTIE : 9 NOVEMBRE 2016
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