La dolce vita
Titre original | La dolce vita |
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Réalisation | Federico Fellini |
Scénario | Federico Fellini Tullio Pinelli Ennio Flaiano Brunello Rondi Pier Paolo Pasolini |
Acteurs principaux | |
Sociétés de production | Riama Film Pathé Consortium Cinéma Gray-Film |
Pays d’origine | France Italie |
Genre | Chronique dramatique |
Durée | 167 minutes |
Sortie | 1960 |
La dolce vita (prononciation italienne : /la ˈdoltʃe ˈviːta/), sorti initialement en France sous le titre La Douceur de vivre, est un film italo-français réalisé par Federico Fellini et sorti en 1960. Le film a obtenu la Palme d'or au 13e Festival de Cannes, ainsi que l'Oscar des meilleurs costumes de 1962.
Construit comme une succession de petits épisodes, La dolce vita suit Marcello Rubini, un journaliste de presse people, au fil d'une semaine de vie mondaine à Rome dans une recherche infructueuse de l'amour et du bonheur. Ce film marque un tournant dans la filmographie de Federico Fellini, faisant suite à trois films proches du néoréalisme : La strada (1954), Il bidone (1955) et Les Nuits de Cabiria (Le notti di Cabiria) (1957). Il inaugure le vocabulaire cinématographique personnel qui deviendra définitivement la marque de fabrique « fellinienne » des films de la maturité.
Aujourd'hui considéré comme un classique du cinéma italien et du cinéma en général, il a pourtant été accueilli par le scandale à sa sortie pour sa description d'une société oisive et débauchée.
Synopsis
La dolce vita est composée d'une série d'épisodes en apparence déconnectés. La structure du scénario n'est pas sans rappeler celle des films à sketches chers au cinéma italien et auxquels Fellini a lui-même eu recours plusieurs fois. Situé à Rome en 1959, le film suit, sur ce mode apparemment décousu, les pérégrinations de Marcello Rubini (joué par Marcello Mastroianni), un jeune provincial aux aspirations littéraires, devenu chroniqueur dans un journal à sensations.
L'analyse usuelle du scénario le découpe en un prologue, sept épisodes principaux interrompus par un intermède, et un épilogue, ce qui lui confère une structure fortement symétrique1,2,3. La longueur du film empêche souvent d'en percevoir, lors de la première vision, le caractère extrêmement structuré. À travers des tableaux connectés par la présence de Marcello et de quelques autres personnages-clés, Fellini explore l'intimité, dans le cadre plus large d'une société en mutation, la société italienne du miracle économique d'après-guerre1,2,3.
Les épisodes présentent chacun une voie qui s'offre à Marcello. Ces voies étant toutes sans issue, à la fin Marcello reste seul, comme tout héros fellinien4.
Prologue - Marcello
Séquence de jour — La première scène présente un hélicoptère transportant une statue du Christ au-dessus d'un ancien aqueduc romain, tandis qu'un second hélicoptère de presse le suit dans le ciel de la ville. Ce dernier est momentanément retardé par un groupe de jeunes femmes en bikini qui prennent un bain de soleil sur le toit d'un immeuble élevé. Marcello mime alors des numéros de téléphone, mais ne réussit pas à se faire comprendre et hausse les épaules avant de continuer son chemin en suivant le premier hélicoptère au-dessus de la place Saint-Pierre.
Épisodes 1 à 4
- Épisode 1 - Maddalena
Séquence de nuit — Dans un night-club select, Marcello est pris à partie par un homme célèbre photographié contre sa volonté. Il rencontre Maddalena (jouée par Anouk Aimée), une femme désœuvrée de la grande bourgeoisie qui, fatiguée de Rome, cherche constamment de nouvelles sensations. Marcello lui explique qu'il trouve que la capitale italienne lui convient, car elle est comme « une jungle où il pourrait se cacher ». Alors qu'ils se promènent en voiture dans la Cadillac de Maddalena, ils décident de raccompagner une prostituée chez elle, en banlieue romaine, et en échange se font prêter sa chambre pour y faire l'amour.
Séquence à l'aube — Après cette nuit avec Maddalena, Marcello Rubini retourne à son appartement, où il se rend compte que sa fiancée, Emma (Yvonne Furneaux), a fait une tentative de suicide. Sur le chemin de l'hôpital, puis en salle de réanimation, il lui déclare son amour éternel, alors qu'elle est encore à demi-inconsciente. En attendant qu'elle se remette, il téléphone à son amante bourgeoise.
- Épisode 2 - Sylvia
Séquence de jour — Marcello couvre l'arrivée à l'aéroport de Sylvia Rank (Anita Ekberg), une célèbre actrice internationale, qui est assaillie par une meute de journalistes. Pendant la conférence de presse de Sylvia, Marcello appelle chez lui pour s'assurer que sa fiancée Emma va bien, et il lui promet qu'il n'est pas seul avec la célèbre actrice. C'est à ce moment que le petit ami de Sylvia, Robert (Lex Barker), entre dans la pièce, complètement ivre. Après la conférence, Sylvia visite, pleine d' énergie, la coupole de la basilique Saint-Pierre, semant les photographes qui la suivent, mais fatigués par la montée rapide des escaliers. Marcello finit par se retrouver seul avec elle, à admirer le Vatican depuis le sommet de l'édifice.
Séquence de nuit — Marcello danse avec Sylvia dans un night-club à ciel ouvert. Robert reste à l'écart, dessinant et discutant autour d'une table, mais il fait plusieurs remarques déplaisantes à sa petite amie, ce qui conduit cette dernière à quitter le groupe, suivie avidement par Marcello et par ses collègues photographes. Prenant l'actrice à bord de sa voiture, Marcello réussit à se trouver de nouveau seul avec Sylvia. Il cherche vainement un lieu tranquille pour s'y réfugier avec elle, mais ils finissent par errer dans les ruelles de Rome. Trouvant un chaton abandonné en pleine nuit, Sylvia envoie Marcello lui chercher du lait. Lorsque celui-ci revient, il retrouve l'actrice qui s'est avancée toute habillée dans la fontaine de Trevi, et il finit par l'y rejoindre. Marcello hésite à embrasser Sylvia, mais il est alors stoppé par la coupure soudaine de l'arrivée de l'eau qui se versait dans le bassin.
Séquence à l'aube — Au petit jour, Marcello raccompagne enfin Sylvia à son hôtel. Malheureusement pour eux, ils tombent sur Robert, qui les attend dans sa voiture. Jaloux et pris d'une crise de colère, il gifle sa compagne et frappe également Marcello, en présence de plusieurs photographes, qui vont immortaliser l'incident.
- Épisode 3a - Steiner
Séquence de jour — Dans une église, Marcello retrouve un ami intellectuel et distingué, Steiner (Alain Cuny), qui lui montre son livre de grammaire du sanskrit. Le spectateur comprend alors qu'il a connu Marcello en d'autres temps, à un moment où celui-ci avait des ambitions littéraires, avant de se fourvoyer dans le journalisme à sensation. Steiner joue ensuite à l'orgue la toccata de Bach.
- Épisode 4 - Les deux enfants
Séquence de jour — Marcello, son ami le photographe Paparazzo (Walter Santesso) et Emma se rendent en périphérie de Rome pour un reportage sur deux enfants qui ont prétendument vu la Vierge Marie. Bien que l'Église soit officiellement sceptique, une foule de dévots, de curieux, de reporters et de carabiniers se rassemble sur le site. Au fil des interviews, la famille des enfants se révèle peu scrupuleuse.
Séquence de nuit — L’évènement est diffusé à la radio et à la télévision italiennes, alors que des malades incurables sont étendus sur des civières à même le sol à l'endroit de la supposée apparition mariale. La foule suit aveuglément les deux enfants qui prétendent voir la Vierge à droite et à gauche. Alors qu'une forte pluie s'abat sur les lieux, les enfants finissent par se retirer, et la foule dépouille un arbre qui aurait soi-disant abrité la Madone.
Séquence à l'aube — Après la forte montée de ferveur religieuse, le jour se lève sur l'escroquerie et la détresse des croyants trompés. Les dernières personnes restantes veillent le corps d'un des malades, qui est mort pendant la nuit.
- Épisode 3b - Steiner
Séquence de nuit : Marcello et sa fiancée Emma assistent à un débat de salon littéraire, dans la luxueuse maison de Steiner. Un groupe d'intellectuels y déclame de la poésie, joue de la guitare, philosophe et écoute des sons de la nature sur un magnétophone. Sur la terrasse, le journaliste confesse à son ami son admiration pour ce qu'il représente, mais Steiner admet qu'il est déchiré entre ce qu'offre la vie matérielle et une vie plus spirituelle, qui aurait le désavantage d'être moins sûre. Il évoque le besoin d'amour, et exprime sa peur de ce que ses enfants devront affronter un jour.
Intermède - Paola
Séquence de jour — Retiré dans un petit restaurant de plage du littoral romain, Marcello essaye de reprendre l'écriture après une dispute téléphonique avec Emma. Le va-et-vient de la très jeune serveuse Paola (Valeria Ciangottini) le distrait et l'empêche de continuer. Elle lui demande de lui apprendre à taper à la machine.
Épisodes 5 à 7
- Épisode 5 - Le père de Marcello
Séquence de nuit — Marcello rencontre sur la via Veneto son père (Annibale Ninchi), qui est venu visiter Rome. Avec Paparazzo, ils vont au club Cha-Cha-Cha, où Marcello présente à son père Fanny (Magali Noël), une danseuse française, avec laquelle ce dernier commence à flirter, comme si c'était lui le jeune homme.
Séquence à l'aube — À l'appartement de Fanny, le père de Marcello a un léger malaise. Marcello voudrait que son père reste à Rome, pour qu'il puisse se remettre et lui donner l'occasion de mieux le connaître, mais celui-ci insiste pour repartir par le premier train.
- Épisode 6 - Les aristocrates
Séquence de nuit — Marcello, la chanteuse Nico et d'autres amis rencontrés sur la via Veneto se rendent à un château hors de Rome, où une fête bat déjà son plein. Marcello y retrouve Maddalena. Ils explorent une maison en ruines annexée au château. Maddalena et Marcello, assis à distance dans deux pièces différentes, se parlent au moyen d'un système d'échos. Maddalena lui demande de l'épouser, tout en avouant qu'elle aimerait aussi continuer à profiter d'autres hommes, mais alors que Marcello lui déclare son amour, un autre homme est déjà en train de l'embrasser et elle ne répond plus. Alors que Marcello la cherche, il se fait entraîner par le groupe, qui s'en va explorer les jardins et les bâtiments, à la recherche de fantômes.
Séquence à l'aube — Épuisé, le groupe revient au château en croisant ceux qui se rendent à la messe.
- Épisode 3c - Steiner
Séquence de nuit — Sur une route, de nuit, Marcello et Emma se disputent dans une voiture à l'arrêt. Elle s'en va, il la convainc de revenir, mais ils continuent leur dispute, et il la chasse, avant de partir en voiture. Il revient la chercher à l'aube.
Séquence à l'aube — Marcello et Emma sont enlacés au lit. Marcello reçoit un appel téléphonique. Il se rue à l'appartement de Steiner, où il apprend que ce dernier s'est suicidé après avoir tué ses deux enfants.
Séquence de jour — Après avoir répondu aux questions de la police, Marcello et le commissaire vont à la rencontre de la femme de Steiner, évitant de lui annoncer l'horrible nouvelle devant les paparazzis qui l'assaillent.
- Épisode 7 - Nadia
Cet épisode, à l'époque où est sortie La dolce vita, était qualifié d'« orgie »1. De nos jours, il passerait plutôt pour une soirée agitée.
Séquence de nuit — Marcello et un groupe de fêtards investissent une villa au bord de la mer, propriété de Riccardo (Riccardo Garrone), un ami de Marcello, qui en est absent. Pour célébrer son récent divorce d'avec Riccardo, Nadia (Nadia Gray) entame un striptease. Alors qu'elle est sur le point d'ôter son dernier vêtement, Riccardo arrive dans sa villa, et tente de mettre tout le monde dehors. Marcello, ivre, provoque et insulte les autres participants.
Épilogue - Le monstre marin
Séquence à l'aube — Partant de la villa à l'aube, les noctambules se retrouvent sur la plage, où des pêcheurs hissent un filet qui contient un énorme poisson mortN 1.
Séquence de jour — Après avoir contemplé longuement l'œil glauque du monstre, Marcello entend une voix l'appeler. C'est Paola, la jeune fille du restaurant voisin qui l'interpelle. Séparé d'elle par l'embouchure d'une petite rivière, Marcello ne peut comprendre ce qu'elle dit : elle réitère, à l'aide de gestes, sa demande de lui apprendre à taper à la machine. Marcello finit par lui tourner le dos pour rejoindre le groupe des fêtards. Le film se termine sur un gros plan du visage de la jeune fille, qui, après avoir fait un dernier signe à Marcello, tourne lentement sa tête vers la caméra avec un sourire énigmatique.
Contexte
La dolce vita s'inscrit par bien des aspects dans son époque. Film de transition dans la carrière de Fellini, c'est aussi le film d'une époque-charnière, entre l'après-guerre et l'ouverture à d'autres modes de vie. Le contexte social est celui du boom économique, le contexte politique est celui du poids de la Démocratie Chrétienne, et le contexte culturel au cinéma est celui de la fin du néoréalisme.
Le miracle économique italien
À la fin des années 1950, la croissance économique déplace les préoccupations des Italiens, de la survie vers les plaisirs immédiats. La consommation se développe, c'est la fin des privations. Rome devient le centre de l'exhibition du mode de vie bourgeois6. Le traité de Rome de 1957 scelle la paix retrouvée et constitue le début de l'intégration européenne. Les jeux olympiques de Rome marquent alors le retour de l'Italie sur la scène internationale.
Rome devient aussi un second Hollywood, un « Hollywood sur Tibre », car les coûts de production des films sont plus bas à Cinecittà qu'aux États-Unis, ce qui fait que les coproductions italo-américaines se multiplient, et que la via Veneto est de plus en plus fréquentée par les vedettes américaines. Les frasques de la société mondaine, dans le monde des cafés et des cabarets, et dans cette nouvelle BabyloneN 3, sont scrutées par des journalistes, que l'on ne nomme pas encore paparazzis6.
Les films de la veine néoréaliste racontaient l'après-guerre de la misère, par exemple Fellini avec sa description du monde minable des arnaques dans Il bidone, ou Luchino Visconti, avec ses personnages de vagabond et de femme qui se prostitue à son mari dans Les Amants diaboliques (Ossessione). On parle ensuite de « néoréalisme rose » pour la veine qui décrit toujours la réalité sociale, mais cette fois de façon plus souriante.
La censure
Le cinéma italien, c'est aussi une longue histoire de cache-cache avec la censure. En 1910, le ministre de l'intérieur peut déjà interdire des films. La loi fasciste du sera reconduite, à quelques nuances près, en contradiction avec les principes de la constitution républicaine de 19487.
À la fin des années 1950, l'influence du Vatican se fait toujours sentir3, malgré l'article 7 de la nouvelle constitution italienne d'après-guerre, qui proclame la séparation de l'Église et de l'État, et l'article 21 qui consacre la liberté de la presse8,9.
Le président du Conseil, Giulio Andreotti, joue un rôle ambigu. D'un côté, il soutient une politique de coproductions ambitieuses avec d'autres pays (la France en particulier), la distribution des films italiens, et des manifestations culturelles comme la Mostra de Venise : en 1955, l'industrie italienne du cinéma est la seconde au monde derrière les États-Unis. D'un autre côté, à travers censures, boycotts de films, établissement de listes noires de cinéastes de gauche, il agit sur les contenus. La Démocratie chrétienne organise des campagnes de presse7. Fellini est bien vu des milieux conservateurs et mal vu des communistes, mais La dolce vita va inverser la situationN 4.
Malgré cette réaction politique en Italie, l'époque est aux bouleversements politiques et moraux : on voit émerger à l'international les figures de Kennedy, Khrouchtchev et Jean XXIII. Tullio Kezich parle de « seconde libération »4, une libération des mœurs après la libération militaire de 1945. La dolce vita est le signe annonciateur de cette libération10.
Toujours est-il que la censure est encore bien là : La dolce vita est saisie, coupée et remise en circulation en 1960 en même temps que Rocco et ses frères de Luchino Visconti, Les Adolescentes d'Alberto Lattuada et Ça s'est passé à Rome de Mauro Bolognini. L'avventura de Michelangelo Antonioni est saisie, puis remise en circulation sans coupure7. À sa sortie en Italie, La dolce vita est interdite aux mineurs de 18 ans ; il en sera de même en France. L'Espagne, sous la coupe de Franco jusqu'en 1975, ne pourra pas voir le film avant 198111.
Le néoréalisme
Le néoréalisme, au cinéma, est un mouvement qui s'étale selon les critiques de 1943 au milieu des années 1950, ou au début des années 1960. Il présente le quotidien tel qu'il est, en adoptant une position moyenne entre scénario, réalité et documentaire, et en utilisant les « gens de la rue » à la place d'acteurs professionnels, en romançant en quelque sorte la « vraie vie ». La pénurie de moyens pour les films hors de la ligne fasciste, puis pour tous les films après la Libération, contraint à tourner dans la rue. Les studios de Cinecitta abritent des réfugiés12, la pellicule manque. Les longs métrages s'acclimatent aux lieux authentiques : cela devient une sorte de code stylistique du néorealisme qui va puiser dans ces contraintes, réelles ou apparentes, une incontestable qualité de vérité.
La collaboration entre Fellini et Roberto Rossellini, un des maîtres du néoréalisme, est déterminante. Rosselini propose à Fellini de participer au scénario de Rome, ville ouverte (1945). En 1946, Fellini est son assistant sur le tournage de Païsa. Rosellini fait jouer Fellini dans L'amore (1948) et l'associe au scénario des Onze Fioretti de François d'Assise. Fellini collabore aussi avec d'autres réalisateurs du néoréalisme, notamment Alberto Lattuada, qui lui confie la mise en scène, puis la réalisation avec Les Feux du music-hall (1950). Fellini continue en réalisant ses propres films : Le Cheik blanc (1952), Les Vitelloni (1953), La strada (1954), Il bidone (1955), Les Nuits de Cabiria (1957). Tous ces films appartiennent à la veine néoréaliste.
Avec La dolce vita, Fellini passe, selon Serge July, « du néoréalisme au réalisme visionnaire, comme il passera ensuite du réalisme visionnaire à l'onirisme »3. Pour Edouard Dor, « avec ce film, Fellini abandonne le néoréalisme et l'utilisation de décors naturels en faveur d'un subjectivisme prononcé et les tournages en studio13 ». Pour Dominique Delouche, l'assistant de Fellini, le passage au studio et à la réalité inventée constitue un retour à son passé de dessinateur caricaturiste14. Pour Alberto Moravia, La dolce vita emprunte aux différentes veines, en fonction des besoins : « Du point de vue stylistique, La dolce vita est très intéressante. Bien qu'il reste en permanence à un haut niveau expressif, Fellini semble changer de manière en fonction du sujet des épisodes, dans une gamme de représentations qui vont de la caricature expressionniste au néoréalisme le plus sec15. »
Production et réalisation
Production
La dolce vita est une coproduction italo-française16. Le film est tourné entre le printemps et l'été 195917.
Dino De Laurentiis, le producteur initial, avance 70 millions de lires. Néanmoins, un désaccord provoque la rupture, et Fellini doit chercher un autre producteur, qui puisse rembourser l'avance de Dino De Laurentiis. Ce sont finalement Angelo Rizzoli et Giuseppe Amato qui sont retenus2. Giuseppe Amato, enthousiasmé par l'idée d'un film dont le cadre est la via Veneto, insiste pour que le film s'appelle Via Veneto. Angelo Rizzoli, lui, n'aime pas ce film ultramoderne, mais se laissera convaincre par Amato4.
Les rapports entre Fellini et Rizzoli sont courtois et restent cordiaux, même si le budget est un peu dépassé. L'un des postes dont le coût est le plus important est la reconstruction de la via Veneto en studio. Selon le critique et biographe Tullio Kezich, le coût de ce film, qui rapportera plus de 2 milliards de lires en quelques années1, n'aurait pas dépassé 540 millions de lires, un budget raisonnable pour ce type de film 2.
Scénario
Fellini avait imaginé en 1954 une suite de son film Les Vitelloni, sous le titre Moraldo in città (« Moraldo à la ville »), qui n'a jamais été tournée, mais constitue la graine d'où germera La dolce vita. La décision au printemps 1958 de relancer le projet vient de Dino de Laurentiis, qui juge encore bon le scénario, qui dort dans un tiroir depuis avant le tournage de La strada4. À l'origine, Marcello devait donc s'appeler « Moraldo », comme le personnage des Vitelloni, qui quitte sa province pour aller à Rome à la fin du film18.
Federico Fellini, Tullio Pinelli et Ennio Flaiano ont écrit le scénario19 ; on retrouve ces trois noms au scénario de presque tous les films de Fellini entre Les Feux du music-hall (1950) et Juliette des esprits (1965). Tullio Pinelli et Federico Fellini se sont rencontrés en 194620 et ont déjà collaboré à de nombreux scénarios, comme celui du Miracle, le second segment de L'amore de Roberto Rossellini (1948). Ennio Flaiano connaît lui aussi Fellini depuis longtemps, 1939, puisqu'il contribue au journal Omnibus à l'époque où Fellini travaille pour le Marc'Aurelio21,22. Bien qu'ayant collaboré au scénario de La dolce vita, Pier Paolo Pasolini ne figure pas à son générique : il fait partie des nombreuses personnes auxquelles Fellini demande leur avis, leur faisant faire un tour dans sa voiture et ne les libérant que lorsqu'il a obtenu la réponse à ses problèmes4. Brunello Rondi aide à la définition du personnage de Steiner23.
Un des motifs de la rupture entre De Laurentiis et Fellini est le scénario, que le producteur trouve trop chaotique2. Par ailleurs, il veut faire disparaître le personnage de Steiner, en particulier à cause de l'assassinat de ses propres enfants, élément qu'il juge malsain. De Laurentiis transmet le scénario à Ivo Perilli, Gino Visentini et Luigi Chiarini, qui tous trois donnent un avis négatif4.
Comme souvent dans les réalisations de Fellini, le scénario, provisoire, subit des métamorphoses importantes au fil de l'œuvre, et se remodèle autour des personnages et des situations. Deux scènes, complètement absentes du scénario original, sont complètement « improvisées » : la fête des nobles au château et le « miracle » des enfants, au milieu d'une foule de croyants, de forces de l'ordre et de militaires. Le critique de cinéma Tullio Kezich rapporte que Fellini s'oppose à la publication du scénario, justement parce qu'il reste bien peu de choses du document original. Fellini affirme que le film ne trouve sa physionomie que sur l'écran, mais se laissera néanmoins convaincre par l'argument que le scénario est intéressant justement parce qu'il montre la base de départ du travail du réalisateur2.
Le récit est agencé en grands blocs autonomes. Pour Jean Gili, La dolce vita est un film charnière, par l'abandon de la narration linéaire au profit d'une mosaïque, qui ne prend de sens que lorsqu'elle est envisagée dans son ensemble10. Fellini dit : « Il faut créer une sculpture à la Picasso, la casser en morceaux et la recomposer selon notre caprice4. »
Scènes
Les différentes scènes sont tirées de la réalité. Fellini dit : « Mes collaborateurs et moi-même n’avons eu qu’à lire les journaux pour trouver des éléments de documentation passionnants »24.
La scène d'introduction, qui présente une statue du Christ transportée en hélicoptère, reproduit un reportage de la RAI du , où des statues avaient été transportées en hélicoptère à Milan pour y être restaurées. D'après l'historien Julien Neutres, le passage de la figure sacrée dans les nouveaux quartiers en construction de Rome fait allusion à des scandales immobiliers qui avaient impliqué la société immobilière du Vatican14.
Au début du film, Marcello et Paparazzo volent des images à des convives qui se rebiffent, comme le reporter romain Tazio Secchiaroli, qui se fit agresser le par l'ex-roi Farouk, alors qu'il le mitraillait de flashes4.
Julien Neutres explique que la scène de la fontaine s'inspire d'un reportage photographique de Pierluigi Praturlon dans la Rome antique. Anita Ekberg s'était blessée au pied, et Pierluigi Praturlon l'avait fait poser, en robe blanche, le pied nu dans la fontaine de Trevi pour se soulager, puis entièrement avancée dans le bassin de la fontaine ; les photos en seront publiées dans Tempo illustrato en 14. Tullio Kezich remarque que cette scène en rappelle une autre : en 1920, pendant leur lune de miel, Zelda Fitzgerald se jette dans la fontaine de l'Union Square à New York, et Scott, pour en faire autant, sautera dans celle de l'hôtel Plaza4.
L'épisode du faux miracle s'inspire d'un reportage de Tazio Secchiaroli de , sur l'apparition de la Madone à deux enfants dans une localité proche de Terni. Secchiaroli participe au tournage de la scène du faux miracle et dit que l'atmosphère de cet épisode est proche de celle qu'il a vécue lorsqu'il est arrivé dans cette petite localité d'Ombrie2.
Le meurtre par Steiner de ses propres enfants, suivi par son propre suicide, est imaginé par le scénariste Tullio Pinelli. Celui-ci a été à l'école avec Cesare Pavese, et avait été touché par sa fin tragique4.
L'épisode de la fête dans la villa au bord de la mer s'inspire sans doute de l'affaire Montesi. En 1953, le corps de Wilma Montesi, âgée de 21 ans, est découvert sur la plage d'Ostie. On pense qu'elle a été tuée lors d'une orgie dans une propriété aristocratique proche. Une des personnes apparues dans l'enquête est Piero Piccioni, le fils du ministre des Affaires Étrangères Attilio Piccioni. Pendant le procès, qui débuta en 1957, des faits de drogue, de fêtes et d'escapades sexuelles ont filtré dans la presse1.
Le strip-tease de Nadia fait allusion à un strip-tease de l'actrice turque Aïché Nana au restaurant Rugantino du Trastevere en 1958, au milieu de la jet-setN 5, scandaleux à l'époque et immortalisé par des photos de Tazio Secchiaroli25 et d'autres reporters.
La scène du monstre marin évoque un fait divers : un horrible poisson d'une espèce inconnue s'est échoué sur la plage Miramare de Rimini au printemps 1934. Federico Fellini en fait un dessin, publié par la Domenica della Corriere le 26.
Deux épisodes prévus dans le scénario ne figurent pas dans le film2 :
- Un de ces épisodes présente une fête sur des hors-bords à Ischia, qui se termine de façon tragique, une jeune fille étant brûlée vive à cause d'une fuite de gazole d'un des hors-bords. Cet épisode est mis de côté avant même le début du tournage du film, même si l'idée plaisait beaucoup à Fellini, car le producteur Rizzoli avait un faible pour l'île d'Ischia. Le réalisateur n'a pas voulu tourner un épisode très onéreux, et la fin de la jeune fille brûlée aurait atténué le tragique de la mort de Steiner.
- L'autre épisode, resté inédit, montre Marcello faisant lire son roman à Dolorès, une écrivaine. Cet épisode coupé par Fellini fait doublon avec le personnage de Steiner. Les difficultés du contrat avec Luise Rainer, qui devait interpréter Dolorès, ont fini par convaincre Fellini de couper cette séquence.
Une fin alternative a aussi été tournée. Dans celle-ci, à la sortie de la villa des fêtards, Marcello ivre est laissé seul par les autres participants. Si Fellini avait monté cette fin, il aurait dû supprimer la rencontre entre Marcello et Paola, qui n'aurait plus eu de sens2.
Personnages
Tous les épisodes figurant dans le film ont été inspirés au cinéaste par des faits et des gens réels25.
Marcello
Pour Serge July, Marcello est un journaliste « people » en crise existentielle. Il erre de fête en fête, de femme en femme. Entre ses frasques et ses articles futiles, il rêve de littérature et d'art. Selon Tullio Kezich, « il aime et déteste à la fois le milieu dans lequel il vit, il est juste assez déraciné pour manquer se perdre à chaque instant, et juste assez sensible pour avoir de brusques sursauts »4 ».
Les critiques voient généralement en Marcello un « double » de Federico Fellini. Selon Àngel Quintana, « L'identification n'est pas totale, mais, malgré le décalage, il est évident qu'il y a quelque chose de lui dans ce Moraldo débarqué à Rome à la fin des années trente, poussé par le désir de découvrir les plaisirs occultes de la capitale6 ».
Alessandro Ruspoli, dit « Dado », roi de la « dolce vita » romaine, a par ailleurs été une source d'inspiration pour Federico Fellini27.
Enfin, selon Fellini, le personnage de Marcello s'inspire aussi d'un journaliste, Gualtiero Jacopetti, lequel, venu de la presse à scandales, réalisera ensuite des documentaires-choc, les fameux mondos3.
Paparazzo
Le mot paparazzi (désignant les photographes de presse qui ont pour domaine de prédilection la vie privée des célébrités) trouve son origine dans le film La dolce vita. En effet, le héros Marcello est souvent accompagné d'un jeune photographe du nom de Paparazzo (joué par Walter Santesso). C'est de ce nom que dérivera par la suite le mot paparazzi, pluriel de paparazzo en italien28. Le personnage du jeune photographe avait entre autres été inspiré de Tazio Secchiaroli (1925-1998), un des plus grands photographes italiens du xxe siècle29,2.
Il existe diverses théories sur l'origine exacte du prénom Paparazzo. Selon la première, véhiculée par Robert Hendrickson dans son livre Word and Phrase (Mot et Phrase en français), le réalisateur Federico Fellini se serait inspiré d'un mot provenant d'un dialecte italien, et signifiant un bruit désagréable comme le vol d'un moustique. Cette étymologie a été proposée en interprétation à une phrase dite par Fellini lors d'une interview avec le magazine Time : « Paparazzo ... suggests to me a buzzing insect, hovering, darting, stinging » (c'est-à-dire Paparazzo me fait penser à un insecte bourdonnant, survolant, dardant, piquant)28.
Selon une seconde explication, qui n'est pas incompatible, et qui a été soutenue par la femme de Federico Fellini, Giulietta Masina, dans une entrevue donnée à l'hebdomadaire Oggi après la sortie du film, c'est elle-même qui lui aurait suggéré ce nom, composé à partir de « pappataci » (« petits moustiques ») et « ragazzi » (« jeunes hommes »)29.
La dernière théorie existante, et également une des plus diffusées, est due à Ennio Flaiano, l'un des scénaristes du film. Créateur du personnage de Paparazzo, il explique qu'il en a trouvé le nom dans un livre de voyages écrit en 1901 par le romancier britannique George Gissing (1857-1903) : By the Ionian Sea. Dans cet ouvrage, narrant le voyage de l'auteur en Italie du Sud sur la côte de la mer Ionienne, et traduit en italien par Margherita Guidacci sous le titre de Sulla riva dello Jonio, apparait un personnage appelé Coriolano Paparazzo qui est propriétaire de l'Auberge Concordia dans la ville de Catanzaro. Cette version est aujourd'hui soutenue par de nombreux professeurs et étudiants en littérature, à la suite de la parution en 2000 de A Sweet and Glorious Land: Revisiting the Ionian Sea, écrit par John Keahey et Pierre Coustillas1,30. Coriolano Paparazzo est né à Catanzaro le de Fabio Paparazzo et Costanza Rocca sous le nom de Coriolano Stefano Achille Paparazzo. Il décède le , à peine deux ans après avoir rencontré Gissing31.
Sylvia
Sylvia est le prototype de la star dont la presse à scandales relate les moindres faits et gestes.
Lorsque, pendant la conférence de presse, on lui demande dans quelle tenue elle dort, c'est une allusion directe à Marilyn Monroe qui, à la même question, avait répondu « juste quelques gouttes de No 5 »32, ce qui signifiait en fait qu'elle dormait nue.
Les disputes entre Sylvia et Robert, son compagnon, sont une allusion aux disputes entre Anita Ekberg elle-même et son mari Anthony Steel, dévoilées par la presse. L'actrice avait demandé que le personnage s'appelle Sylvia et non Anita, justement pour que le film n'apparaisse pas comme une satire de sa vie privée4.
Lorsqu'elle est habillée en cardinal, c'est une allusion à Ava Gardner25.
Le père de Marcello
Le père de Federico Fellini, Urbano, meurt en 1956. Fellini, qui s'est éloigné de son père à cause de sa récente gloire internationale, va consacrer un épisode teinté de culpabilité à la figure du père3.
Fellini avait écrit en 1957 avec Tullio Pinelli un projet de film, Voyage avec Anita, dérivé de son expérience personnelle : son père s'étant un jour trouvé mal, il s'était rendu à son chevet en urgence ; le médecin l'ayant rassuré, il est alors parti manger, et c'est au restaurant qu'on lui apprit la mort de son père33.
Voyage avec Anita aurait dû raconter le parcours de Guido (rôle prévu pour Gregory Peck), et de son amante Anita (jouée par Sophia Loren) vers le chevet de mort du père de Guido. Finalement, ce film sera réalisé par Mario Monicelli, avec Giancarlo Giannini dans le rôle de Guido, et Goldie Hawn dans celui d'Anita ; il sortit en 1979.
Choix des acteurs et actrices
Afin de garantir par sa seule présence le succès sur le marché international, Dino De Laurentiis veut dans le premier rôle un acteur célèbre américain ou français, comme Paul Newman ou Gérard Philipe. Au contraire, Fellini porte son choix sur un acteur italien2, Marcello Mastroianni, encore inconnu dans le monde du cinéma, et fait remplacer « Moraldo » par « Marcello » comme nom du personnage principal18. La rupture entre De Laurentiis et Fellini a porté essentiellement sur ce choix de Marcello Mastroianni, que De Laurentiis ne considérait pas comme adapté pour le rôle2.
Les divers changements de calendrier provoquent le désistement de divers acteurs retenus, en particulier des Américains, sur lesquels Fellini comptait beaucoup. Parmi ceux-ci figure Maurice Chevalier, qui devait incarner le père de Marcello Rubini, joué finalement par Annibale Ninchi, que Mastroianni considèra plus crédible dans le rôle de son père dans le film2, et qui ressemblait à Urbano Fellini, le père du réalisateur4.
Le personnage de Steiner est confié à Alain Cuny, retenu parmi une cinquantaine d'acteurs potentiels. Fellini se rend d'abord à Milan pour proposer le rôle à l'écrivain Elio Vittorini, mais celui-ci refuse4. Henry Fonda, pressenti, abandonne, mettant en difficulté Fellini, qui le considère comme le mieux taillé pour ce rôle. Le réalisateur pense également à Peter Ustinov. Le choix final se fait finalement entre Alain Cuny et Enrico Maria Salerno. C'est Pier Paolo Pasolini, invité à une projection privée, qui arbitre en faveur d'Alain Cuny, le comparant à une « cathédrale gothique »4.
La distribution devait également faire appel à Luise Rainer dans le rôle de l'écrivaine Dolorès, mais l'épisode a été coupé à la fois pour des raisons de scénario, et à cause des rapports difficiles entre Fellini et l'actrice. Luise Rainer n'était pas d'accord avec le cadre de vie du personnage proposé par Fellini, et le désaccord a empiré lorsque surgirent des difficultés liées au contrat de l'actrice2.
De nombreux essais sont également faits pour le rôle d'Emma, la compagne délaissée de Marcello. La napolitaine Angela Luce est pressentie, car, selon Tullio Kezich, le réalisateur veut donner « un poids vulgaire et charnel explicite », mais le choix de Fellini se porte finalement sur l'actrice française Yvonne Furneaux, contre l'avis de nombreux collaborateurs2.
Fellini ne réussit pas à engager Silvana Mangano ni Edwige Feuillère dans le rôle de Maddalena, la bourgeoise perverse, ni Greer Garson dans le rôle de Nadia, qui fait le strip-tease34.
La chanteuse et modèle Nico (Christa Päffgen)11 et un tout jeune Adriano Celentano font une de leurs premières apparitions au cinéma dans ce film, ainsi que l'actrice et chanteuse Liana Orfei, qui ne sera toutefois pas créditée au générique.
Décors
La majeure partie des scènes est tournée en studio11. Environ 80 décors sont mis en place2. Dans certains cas, la reproduction des lieux a une précision quasiment photographique, comme dans le cas de la via Veneto, reconstruite dans le théâtre 5 de Cinecittà35, ou l'intérieur de la coupole de la basilique Saint-Pierre.
Via Veneto
La via Veneto, une des plus célèbres artères de Rome, s'est affirmée dès l'entre-deux-guerres comme le cœur mondain et intellectuel de Rome4. Elle devient, devant la caméra de Fellini, un personnage à part entière de La dolce vita servant de liant aux différents tableaux. C'est là que les personnages se croisent et que les soirées débutent. « Je sais naturellement que, depuis La dolce vita, on lie obstinément mon nom à la via Veneto, à la vie plus ou moins mondaine qui s'y déroule la nuit. […] J'ai inventé dans mon film une via Veneto qui n'existe pas du tout, je l'ai élargie et modifiée, avec une liberté poétique jusqu'à ce qu'elle prenne la dimension d'une fresque allégorique. Il est un fait que la via Veneto s'est transformée après La dolce vita, qu'elle a accompli des efforts considérables pour devenir telle que je l'ai représentée dans mon film. »36.
Fellini voulait tourner sur les lieux réels, mais les contraintes imposées par la police, et les difficultés créées par les passants, l'ont obligé à la reconstruire en studio : « L'architecte Piero Gherardi commença à tout mesurer et me construisit un bon morceau de via Veneto dans le studio 5 de Cinecittà. La rue construite correspondait dans les moindres détails, à une exception près : elle n'était pas en pente. »10.
Appartements de la prostituée et d'Emma
L'extérieur de l'appartement de la prostituée est tourné à Tor de' Schiavi dans le quartier Centocelle, tandis que l'intérieur, inondé, est filmé dans la piscine de Cinecittà2.
L'appartement d'Emma, la compagne de Marcello, est créé dans un souterrain des bâtiments prévus pour l'Exposition Universelle de Rome de 1942, qui n'a pas eu lieu à cause de la guerre2.
Épisodes avec Sylvia
Marcello accueille la star à l'aéroport de Ciampino, qui est à l'époque le plus important aéroport de Rome. Il l'accompagne ensuite dans une ascension au pas de course dans la coupole de la basilique Saint-Pierre, reconstruite en studio.
Sylvia danse dans un night-club à ciel ouvert construit aux thermes de Caracalla37.
La scène où les personnages incarnés par Anita Ekberg et Marcello Mastroianni se retrouvent un soir dans le bassin de la fontaine de Trevi avec de l'eau jusqu'à mi-cuisses est devenue une scène culte du cinéma38.
Rencontres avec Steiner
La maison de Steiner se trouve dans le quartier de l'Exposition Universelle, comme en témoigne une vue d'ensemble depuis son séjour, où l'on voit le « champignon » caractéristique (un château d'eau doublé d'un restaurant panoramique).
Pour des raisons pratiques, les extérieurs sont tournés sur la place, devant la basilique San Giovanni Bosco, proche des studios de Cinecittà. Les bâtiments, à peine terminés à l'époque des prises de vue, sont conçus dans le style du rationalisme, comme également le quartier de l'Exposition Universelle.
L'église où Marcello et Steiner discutent avant que ce dernier n'interprète à l'orgue la célèbre Toccata et fugue en ré mineur de Jean-Sébastien Bach est Notre-Dame du Très Saint Sacrement et Saints martyrs canadiens39.
Maison de Maddalena, faux miracle, cabaret
Le cabaret où Marcello emmène son père est installé aux thermes d'Acque Albule des bains de Tivoli. La piscine privée de Maddalena correspond en fait à l'extérieur de ces thermes. Le terrain plat où la scène de la foule du faux miracle est tournée se trouve à deux pas de ces thermes4.
Château des nobles
La séquence de la fête dans la famille noble a été tournée au palais Giustiniani Odescalchi de Bassano Romano, qui s'appelait à l'époque Bassano di Sutri, dans la province de Viterbe.
Après la fête, les invités explorent une maison abandonnée proche du palais : il s'agit de La Rocca, un ancien pavillon de chasse40.
Plage et villa voisine
La plage de la scène du restaurant avec Paola, puis de la scène finale, où des pêcheurs ramènent un monstre marin dans leurs filets, et où Marcello dit au revoir à Paola, est en fait Passoscuro41, près de Fregene, une petite station à 30 kilomètres au nord de Rome. Des pins ont été plantés sur la plage spécialement pour les prises de vues2.
Après avoir visité une vingtaine de maisons à Fregene pour y tourner la fête finale, Fellini décide de faire construire ce décor à partir de rien par Piero Gherardi. Celui-ci s'inspire d'une maison populaire qu'il a vue auparavant à Bagni di Tivoli2. L'extérieur de la scène de la fête est tourné dans la pinède de Fregene.
Costumes
Piero Gherardi donne un aspect unique au film non seulement par ses décors, mais aussi par ses costumes. Ce sont ces derniers qui lui valent un Oscar en 1962.
Marcello Mastroianni exprime sa masculinité nonchalante dès la première scène ; on le reconnaît immédiatement comme un « latin lover ». Il porte des costumes étroits, des smokings ajustés, des cravates fines ou des nœuds papillon. Il revêt des lunettes de soleil de nuit comme de jour. Dans la scène finale, il apparaît dans un costume blanc avec une chemise noire, comme si cette tenue aux couleurs inversées révélait sa fragilité42.
Anouk Aimée, dans le rôle de Maddalena, est aussi élégante que dépravée. Elle porte de petites robes noires. Elle aussi se cache derrière des lunettes noires même la nuit, qui inspirent plus tard Tom Ford lorsqu'il crée ses lunettes de soleil retro et les nomme « Anouk »42.
La robe d'Anita Ekberg dans la scène de la fontaine défie la gravité42. Elle la porte avec une étole de vison blanche. Quant à la robe qui imite la tenue d'un prêtre, elle avait été créée par les sœurs Fontana pour Ava Gardner43 en 1956.
Musique
On a dit et répété que le cinéma de Fellini est inséparable de la musique de Nino Rota, et de fait, les deux hommes sont plus qu'amis, presque frères. Pour donner une ambiance, et faire ressentir le contexte, la musique est jouée en playback sur le décor. Dans le cas de La dolce vita, dans l'esprit de Fellini, tous les morceaux joués sur le plateau sont destinés à finir dans la bande son du film44. Le thème principal du film alterne différents motifs musicaux. Nino Rota y cite Les Pins de Rome d'Ottorino Respighi45.
Alain Cuny joue à l'orgue la Toccata et fugue en ré mineur de Bach.
Au night club avec le père de Marcello, Polidor nous offre une de ces scènes poétiques de clown dont Fellini était friand. Il joue à la trompette une valse lente de Nino Rota, Parlami di me, restée célèbre (au début, Fellini avait prévu Charmaine, dont la version par Mantovani était célèbre en Italie).
Adriano Celentano chante aux thermes de Caracalla Ready Teddy, rock rendu célèbre en 1956 par Little Richard. Autre air extrêmement connu à l'époque, Patricia du « roi du mambo » Pérez Prado s'entend à deux reprises : dans le restaurant au bord de la plage et lors de la scène du strip-tease.
Fellini renonce à utiliser Mackie Messer de Kurt Weil, pressenti pour figurer dans la bande originale du film44, les droits étant trop élevés.
Tournage
Clemente Fracassi est directeur de production. Tullio Kezich rapporte qu'il a du mal à suivre les constants changements imposés par Fellini4.
Otello Martelli est à la photographie. Le film est tourné en Totalscope, une variante italienne du CinemaScope, avec un ratio de 1,25 pour 1, en noir et blanc.
Les prises de vue débutent à Cinecittà le à 11 h 35 avec l'aide réalisateur Gianfranco Mingozzi à la régie. La scène est celle où Anita Ekberg monte les marches étroites à l'intérieur de la coupole de Saint-Pierre, reconstruite sur le plateau 14 de Cinecittà2.
Les acteurs jouent chacun dans leur langue maternelle2.
La scène célèbre de la fontaine de Trevi est tournée un soir de mars4,46,N 6. Anita Ekberg n'a pas de problème à rester dans l'eau pendant des heures ; en revanche, Marcello Mastroianni, en accord avec Fellini, avant de tourner pour supporter le froid, enfile une combinaison de plongée sous les vêtements et boit une bouteille de vodka 11. Le tournage de cette scène dure une dizaine de jours et est suivi à la fois par les badauds et la presse, ce qui fait dire à Julien Neutres que Fellini invente le « teasing » en créant un véritable évènement autour de son film14.
Un autre moment délicat pour la santé des acteurs est celui du tournage de la scène du faux miracle : des centaines de figurants sont copieusement arrosés à la lance à incendie afin de simuler une pluie battante4.
Les prises de vues se terminent en . En six mois, ce sont 92 000 mètres de pellicule qui sont filmés.
Post-production
Leo Catozzo commence le montage à la mi-septembre, avec l'aide d'Angelo Rizzoli. Ce monteur expérimenté a déjà monté La strada et Les Nuits de Cabiria pour FelliniN 7. En même temps, les voix de tous les comédiens sont doublées et Nino Rota compose la musique originale4. Giuseppe Amato essaye d'interférer pour couper les scènes les plus sujettes à controverse par peur des conséquences47.
Après le montage, il ne reste que 5 000 mètres de pellicule, soit quatre heures de film, réduites à trois avec des coupes19,N 2. Par cette durée exceptionnelle, le film s'apparente aux entreprises les plus démesurées du cinéma et constitue un grand tableau descriptif, là où Fellini n'avait voulu composer qu'une série d'anecdotes4.
Accueil
Le scandale
Lors de la première projection du film au Capitol de Milan le , le public trouve le film trop long, peu amusant, et surtout immoral. Lors de l'« orgie » finale, les gens quittent la salle en protestant à haute voix4. À la fin, le film est sifflé malgré quelques applaudissements. Quand il descend les marches du balcon, Fellini reçoit un crachat. Marcello Mastroianni est insulté : « lâche, clochard, communiste ! ». Le lendemain, la foule s'amasse devant le cinéma et en brise les portes de verre pour voir le film avant qu'il ne soit interdit par la censure. Le phénomène s'étend aux autres villes et le film fait des records d'entrée à Rome et à Milan4,48.
Des critiques très dures fusent de tous les bords politiques. Dans Il Secolo d'Italia, les fascistes titrent « Sifflets mérités à Milan ! Honte ! »4. Le , le parlement italien juge utile de se réunir pour discuter de la valeur morale de l'œuvre. Le Centre catholique du cinéma interdit à tout catholique d'aller le voir, l'Action catholique romaine et L'Osservatore Romano demandent à ce qu'il soit renvoyé devant la censure. Ce journal officiel du Vatican publie une série d'articles non signés sous le titre La sconcia vita (« La vie répugnante ») ; cette tribune est plus tard attribuée au futur président de la République italienne, Oscar Luigi Scalfaro, qui ne dément pasN 8. Des pères jésuites de San Fedele qui n'ont pas montré d'hostilité pour le film sont réprimandés, interdits d'antenne, de parler de cinéma ou mutés. Le film est défendu par le parti socialiste et le parti communiste. Pendant les mois qui suivent, le débat envahit la presse4,49.
Alors que les catholiques voient dans La dolce vita un film décadent, certains intellectuels de gauche y ont vu une manifestation profonde du catholicisme italien et de sa morale. Aussi bien Pier Paolo Pasolini, dans sa critique du film publiée dans Filmcritica, qu'Italo Calvino dans Cinema Nuovo écrivent que La dolce vita est un film idéologique catholique. Pasolini dit que La dolce vita est « le plus élevé et le plus absolu modèle du catholicisme » des dernières années. Calvino juge que l'épisode du suicide de Steiner « montre à quels résultats de non-vérité peut amener une construction à froid de film à ossature idéologique »50. Pasolini loue en même temps un contenu culturel de grande importance : « C'est une œuvre qui compte dans notre culture, qui marque une date, et en tant que telle elle est fondamentale »51.
Réception critique en France
La critique française est plus modérée :
« Le témoignage est là, sur un monde pourri. Fellini, en pleine possession de son génie, nous flanque par la vue cette œuvre qui est considérable. La Comédie humaine aussi a ses longueurs, cela n’empêche nullement Balzac d’être un génie. Fellini est un de nos monstres sacrés, sans doute le plus grand, le plus important du cinéma. La dolce vita est un monument. On peut n’en pas aimer toutes les perspectives, on peut chicaner des détails, on ne peut en nier la force, ni l’utilité. »
— Michel Duran, Le Canard enchaîné, 18 mai 1960
« Une somme : la galerie de portraits, comme la suite de séquences, apparemment sans rapport, font plus d’une fois songer à Balzac (…). Mais beaucoup plus qu’une peinture de la société son film est une quête au sens philosophique du terme, un constant interrogatoire. »
— Henry Chapier, Combat, 12 mai 1960
« Les héros ne sont plus les êtres plats et simplets du fait divers brutal, ils fascinent et repoussent, irritent et émeuvent à travers le regard que Fellini jette sur eux. C’est le regard de l’archange punisseur : plein de colère mais plein de piété. La dolce vita, c’est le sermon que ferait à ses pêcheurs un prédicateur qui aurait préféré la caméra à l’éloquence. »
— France Roche, France-Soir, 12 mai 1960
« Ce qui manque à La dolce vita c’est la structure d’un chef-d’œuvre. Le film n’est pas construit, il n’est qu’une addition séduisante de plus ou moins grands moments de cinéma (…). Au vent de la critique, La dolce vita se démantèle, s’éparpille, il ne reste qu’une suite d’actualités plus ou moins extraordinaires qu’aucun élément fort ne lie et ne conduit à une signification générale… ce qui est pourtant le but avoué du film. »
— Jacques Doniol-Valcroze, France Observateur, 19 mai 1960
« Pour moi, cette « Douceur de vivre » évoque d’abord L'Âge d'or. J’ai été bien heureux que le Festival m’ait valu la présence de Luis Buñuel et que cet ami très cher m’ait permis de vérifier mon propre jugement. Il est allé pendant deux jours répétant ses louanges et s’étonnant de ne pas trouver à La dolce vita plus d’admirateurs. Buñuel disait en substance qu’on suscite mieux la pureté en montrant les monstres (qui vous dégoûtent) que la pureté (qui peut écœurer). »
— Georges Sadoul, Les Lettres françaises, 14 mai 1960
Succès commercial
Après quinze jours de projection, les recettes du film couvrent déjà les frais du producteur. Celles-ci atteignent le milliard de lires après trois ou quatre semaines de programmation, dépassant le milliard et demi après deux mois19. À la fin de la saison cinématographique 1959-1960, ce sont les meilleures rentrées de l'année en Italie.
Non seulement le film obtient la Palme d'or au festival de Cannes, mais il fait aussi une belle carrière commerciale en France, avec près de trois millions d'entrées10. IMDb rapporte une recette aux États-Unis de 19 millions de dollars, plus 8 millions de droits tirés de la location52.
Distinctions
Récompenses
- Festival de Cannes 1960 : Palme d'or
- Prix David di Donatello 1960 : Meilleur réalisateur pour Federico Fellini
- Meilleur acteur principal pour Marcello Mastroianni
- Meilleur sujet pour Federico Fellini, Tullio Pinelli et Ennio Flaiano
- Meilleurs décors et meilleure scénographie pour Piero Gherardi
- Oscars 1962 : Meilleure création de costumes dans un film en noir et blanc pour Piero Gherardi
- NYFCC Awards 1961 : Meilleur film étranger
Nominations
- BAFTA Awards 1961 : Meilleur film - toutes provenances
- Meilleur réalisateur pour Federico Fellini
- Meilleur scénario original pour Federico Fellini, Tullio Pinelli, Ennio Flaiano et Brunello Rondi
- Meilleure direction artistique dans un film en noir et blanc pour Piero Gherardi
- Grammy Awards 1962 : Meilleur album de musique composée pour le cinéma ou la télévision pour Nino Rota
Analyse
La dolce vita a fait couler beaucoup d'encre et suscité de très nombreuses analyses, parfois morales, esthétiques, sociologiques, psychologiques et philosophiques.
Pour J. M. G. Le Clézio en 1971, La dolce vita est avant tout la peinture de la « décadence » de la société occidentale : « Corrompue, débauchée, ivre, grimaçante, la société que nous fait voir Fellini est en complète décadence. Mais elle ne l'est pas inconsciemment : Fellini est le plus impitoyable témoin du pourrissement du monde occidental. »53.
Pour Peter Bondanella, Fellini ne s'arrête pas à la dénonciation de la décadence et de la corruption, il est plus intéressé par le potentiel de renaissance que cette situation apporte à l'artiste. Cédant la parole à Fellini : « Je trouve que la décadence est indispensable à la renaissance... Je suis donc heureux de vivre à une époque où tout chavire. C'est une époque merveilleuse, précisément parce que de nombreux idéologies, concepts et conventions sont renversés... Je ne le vois pas comme un signe de la mort de la civilisation, mais au contraire comme un signe de vie. »1.
Pour Tullio Kezich, il n'y a pas de jugement moral ni de dénonciation politique dans La dolce vita. Les personnages ne sont ni bons ni mauvais, ainsi derrière l'horrible faux miracle il y a une authentique tension spirituelle, derrière l'aspect de statues de cire des nobles il y a une aura de dignité. La dolce vita est ambigüe parce qu'il y a la conscience que tout jugement humain est fortuit ou réversible4. Pour Jean Gili aussi, « le cinéaste ne joue pas les moralistes, il s'aventure dans des territoires inconnus, là où les monstres sont assoupis »10. Fellini lui-même se voit plus comme un « complice » de ses personnages que comme un « juge »14.
Pour Tony McKibbin, le film parle de la confrontation de la perte des valeurs au besoin de l'amour. L'amour est ici à la fois l'amour charnel, le sentiment amoureux, l'amour filial, l'amour pour ses enfants. La « douce vie » serait en fait une « douce nausée ». Fellini dit, faisant allusion à un prêtre qui a vu le film : « Il y a un prêtre qui a trouvé une assez bonne définition de La dolce vita. Il a dit : C'est quand le silence de Dieu tombe sur les gens. »54.
wiki fr.
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L'HISTOIRE
Marcello, journaliste autant que paparazzi (terme par ailleurs inventé depuis la sortie du film, du nom d’un des journaliste appelé Paparazzo), est à l’affût de ragots pour sa revue. Ses virées dans Rome vont l’amener à découvrir les recoins de la faune de la capitale Italienne.
ANALYSE ET CRITIQUE
Comme l'a dit Michel Ciment, Federico Fellini est un cinéaste quasi-religieux. Les Nuits de Cabiria et surtout Il Bidone témoignaient à la fois de son goût pour la satire et sa fascination vis-à-vis de la religion. A ce propos, il est amusant de noter à quel point Fellini pose le décor et les enjeux du film dès l’ouverture de celui-ci : on y voit une statue représentant le Christ, rattachée à un hélicoptère, volant au dessus et s’éloignant progressivement de la capitale Italienne. La Dolce Vita est à l’image de cette statue : Fellini va d’emblée se distancer de tout ce qui fondait son cinéma jusqu’alors en remettant en cause et la société dans laquelle il vit et sa manière d’appréhender le cinéma.
Le cinéma de Fellini n’a jamais rien raconté, ou si peu. La Dolce Vita, un de ses films les plus célèbres avec 8 1/2, ne déroge pas à la règle. Fellini nous offre d’emblée de suivre les facéties et extravagances du personnage principal de son film. En effet, Marcello, incarné avec toujours autant d’intériorité et de minimalisme par Marcello Mastroianni, se déplace dans l’espace comme le spectateur qui découvre le film. Ceci est d’autant plus frappant que son métier de journalisme lui impose d’être constamment aux aguets, à l’affût du moindre détail croustillant.
Le film, tout comme Roma par exemple, n’offre point de rattachement possible au spectateur, point de personnages sur lequel ce dernier pourrait s’identifier tant Fellini aime nous mener par le bout du nez dans son labyrinthe cinématographique. Le film peut donc logiquement être considéré comme une espèce de voyage dans le Rome actuel, voyage ponctué selon les moments du film par la musique (visible à l’écran par l’entremise de musiciens jouant de leurs instruments), qu’elle soit rock, Jazz ou bien de Chambre.
C’est à n’en point douter le sentiment d’égarement que ressent le spectateur à la vision du film qui est à l’origine du scandale qu’il a provoqué. Si certains ont clamé à l’époque que La Dolce Vita était un film sur la débauche, nul doute que les détracteurs du film se sont sentis gênés par la maîtrise de Fellini, et ce peut-être de façon inconsciente. Mais cette forme très éclatée ne fait en fait que refléter un fond et un propos en totale adéquation avec la mise en scène. Comment ne pas voir en La Dolce Vita une dénonciation du fascisme, du figement de la société Italienne de l’époque? : La Dolce Vita appartient à la catégorie de film qui tentent de nous prendre par la main pour nous emmener sur des terrains inconnus; au risque de laisser nombres de spectateurs sur le bord de la route. Film audacieux, cette qualité peut se révéler être par instants un défaut : car oui, La Dolce Vita, tantôt fascine, intrigue, ennuie.
Ces imperfections laissent supposer que le film est à considérer comme une œuvre transitoire, de celle où l’artiste se cherche afin de conquérir de nouvelles terres d’inspirations et de créations. De création, il en sera effectivement question dans son film suivant, considéré comme son plus grand, 8 ½. // https://www.dvdclassik.com/critique/la-dolce-vita-fellini
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La dolce vita
Une statue du Christ est transportée par hélicoptère au-dessus de Rome de l'Appia Antica au Vatican. Marcello est chroniqueur mondain dans un journal spécialisé dans les indiscrétions et fréquente la faune romaine en quête d'échos croustillants. Au cours d'une tournée de routine, il rencontre son amie Maddalena, une riche héritière désoeuvrée. Ils quittent ensemble le cabaret et traînent dans Rome où ils rencontrent une prostituée qu'ils raccompagnent en banlieue et se font prêter sa chambre pour y faire l'amour.
Le lendemain matin, Marcello trouve Emma, sa compagne régulière, inanimée auprès d'un tube vide de comprimés. Il la conduit à l'hôpital. Elle en réchappe.
A l'aérodrome de Rome, arrivée triomphale de Sylvia, grande star hollywodienne d'origine suédoise. Marcello, à la fois envoûté et calculateur, manœuvre pour se trouver le plus souvent possible seul avec la star. Il la suit dans sa visite du Vatican où elle est déguisée en prêtre, lors de son interview par les journalistes, à la fête dans les ruines, puis se promène la nuit jusqu'aux fontaines de Trevi.
Marcello se rend chez Steiner qui fut son maître lorsqu'il avait des ambitions littéraires et dont il supporte mal les reproches muets maintenant qu'il s'est fourvoyé dans le journalisme à scandale.
Le travail de Marcello l'appelle hors de Rome, sur les lieux d'un prétendu miracle : deux enfants, manipulés par une famille peu scrupuleuse, attirent les foules en simulant des apparitions de la Vierge. Après la montée de la ferveur, la nuit sous l'orage, le jour se lève sur l'escroquerie, la mort d'un handicapé et la détresse des croyants trompés.
Marcello et Emma sont invités à une soirée chez Steiner. Triée sur le volet, la compagnie rivalise d'intelligence pour le seul plaisir de la joute intellectuelle. À Marcello qui lui demande conseil, Steiner révèle ses propres doutes et sa crainte du chaos tenu en respect par une fragile sérénité.
Retiré dans un petit restaurant de la plage du littoral romain, L'arcobaleno, Marcello essaye de reprendre l'écriture. Il est distrait par le va-et-vient de la serveuse, une jeune fille qui incarne l'innocence et la pureté.
De retour à Rome, Marcello retrouve son père, de passage en ville. Celui-ci entraîne Marcello sur les traces de sa jeunesse, dans un cabaret qu'il a jadis fréquenté. Ils en sortent aux petites heures, le père de Marcello au bras de Fanny, une danseuse qu'ils raccompagnent chez elle. L'aube se lève sur un malaise cardiaque qui rappelle le vieil homme à la réalité.
Entraîné par Nico, une jeune femme qu'il a connue lorsqu'elle était mannequin, Marcello se joint à un groupe d'aristocrates oisifs qui investissent un château de la campagne romaine pour une fête décadente. Marcello croit y avoir retrouvé Maddalena. Après une fin de partie dans un pavillon délabré, l'aube trouve les invités défaits et fatigués.
Sur une route de nuit, Marcello et Emma se disputent dans une voiture arrêtée. Il la chasse. À l'aube, il revient la chercher.
Son travail amène Marcello à être informé le premier du suicide de Steiner. Il se rend chez lui et examine la scène avec la police : Steiner s'est donné la mort après avoir tué ses deux enfants.
Marcello et un groupe de noctambules investissent une villa du bord de mer pour y terminer la soirée chez une jeune femme fête son divorce. Interpellé par des invités sur ses ambitions littéraires passées, Marcello revendique le choix de la déchéance. Chassés de la villa à l'aube, les noctambules se retrouvent sur la plage, où les pêcheurs hissent un filet où agonise un monstre marin. Après avoir contemplé longuement l'œil glauque du monstre, Marcello entend une voix l'appeler. C'est la jeune fille du restaurant Arcobaleno qui l'interpelle. Séparé d'elle par la marée qui monte, Marcellone la reconnait pas et lui tourne le dos pour rejoindre le groupe des noctambules. Le film se termine sur un gros plan du visage de la jeune fille.
Sur les traces d'un chroniqueur de journal à grand tirage, Fellini met en scène un hallucinant enfer social. S'intéressant à un milieu social aisé, voir aristocratique, et utilisant un format scope et des acteurs célèbres, le film n'a, a priori, que peu de rapport avec le néoréalisme ("Le néoréalisme est-il vivant ou mort ?" est d'ailleurs la seule question à laquelle Sylvia refuse de répondre dans la séquence d'interview). Il correspond toutefois à la redéfinition du terme donné par Bazin en 1957:
Le néoréalisme c'est la primauté donnée à la représentation de la réalité sur les structures dramatiques. La réalité n'est pas corrigée en fonction de la psychologie et des exigences du drame, elle est toujours proposée comme une découverte singulière, une révélation quasi documentaire conservant son poids de pittoresque et de détails. L'art du metteur en scène réside alors dans son adresse à faire surgir le sens de cet événement, du moins celui qu'il lui prête, sans pour autant effacer ses ambiguïtés.
Or Bazin a repéré chez Fellini la volonté de s'écarter de la morale petite-bourgeoise, qui tend toujours à juger les personnages, pour suivre son inspiration franciscaine qui le conduit à faire, de manière beaucoup plus radicale, de l'ange la mesure ultime de l'être. L'enjeu de La dolce vita est rien moins que de voir comment l'homme quotidien et contemporain s'arrange avec le spirituel.
Fellini a ainsi accumulé différentes incarnations du spirituel dans un monde apparemment trivial. Il étudie alors comment son personnage principal, Marcello, réagit aux signes de la grâce.
Le suivie de la statue du Christ en hélicoptère survolant l'EUR, ce quartier rectiligne, monumental, "buzzatien", un héritage du fascisme situé au sud de Rome, n'est l'objet d'aucune révélation et n'est qu'une occasion de demander leur numéro de téléphone aux jeunes femmes prenant le soleil sur les terrasses des immeubles. Dans une interview recueillie par le cinéaste Luciano Ulmer pour la RAI, Fellini dit sa fascination pour ce quartier où a aussi été tourné l'épisode du Bocacce 70 : "Il y a quelque chose de métaphysique dans ce quartier, explique Federico, quelque chose de Chirico, mais aussi une légèreté, comme habiter dans un tableau ! C'est un espace de liberté. Au fond c'est comme un studio de cinéma."
L'amour ne peut se faire que chez une prostituée ou devient une caricature d'égoïsme. Sylvia peut bien se baigner sous le patronage protecteur de Neptune dans les fontaines de Trevi, celles-ci cessent de fonctionner dès que Marcello veut l'idéaliser comme une déesse. La soirée factice que le danseur-gigolo à l'allure dionysiaque essaie de dynamiter ne fait qu'écarter Marcello de Sylvia.
La religion se transforme en foire aux miracles. Les espoirs déçus de chacun se terminant par des reliques sauvages et dérisoires arrachées à un arbuste et la mort d'un handicapé.
Le charme de chacune des longues séquences du film réside ainsi dans la posture distinguée et élégante du héros qui ne peut que se refuser à des engagements terrestres qui l'attirent mais dont il perçoit l'insuffisance. Le monstre marin, pêché par les hommes, est le symbole trop évident de la corruption et de la monstruosité terrestre. Le signe de la grâce, Marcello aurait pu le trouver avec la jeune fille au visage d'ange ombrien qui lui avait conseillé la joie simple et l'écriture, mais dans la dernière séquence, il ne la reconnaît pas. Elle ne peut qu'adresser au spectateur un dernier sourire avant que le film ne se termine.
Au final pourtant la recherche de Marcello vaut mieux que le retrait du monde dans lequel s'est enfermé Steiner, l'intellectuel. Celui-ci, athée, autodidacte, cultivé, riche d'amitié et d'amour ne vit que dans le monde clos de l'église et de son appartement. Les rayons de lumière qui éclairent l'extérieur de son appartement sont d'ailleurs sans doute les signes d'un univers carcéral, motif qui sera repris plus tard par Fellini dans Ginger et Fred .
Jean-Luc Lacuve le 20/03/2002
Le scandale de la Dolce vita
Le festival de Cannes 1960 fait se rencontrer La dolce vita et L'Avventura de Michelangelo Antonioni. Ils figureront tous les deux au palmarès mais c'est La dolce vita de Fellini qui remporte la palme d'or. Le film cause un énorme scandale en Italie, dans les milieux ecclésiastiques et mondains, et remporte un énorme succès commercial qui repose sur un malentendu : les scènes érotiques.
Les religieux ont été scandalisés par le faux miracle et qualifient la fête finale d'orgie. La scène d'ouverture aurait causé l'interdiction du film en Espagne pour propos blasphématoire. Mais des archevêques montent aussi en chair pour dire qu'il faut voir ce film car il dénonce les travers de la société contemporaine.
Pour Fellini, le néoréalisme avait représenté le peuple avec un réalisme très crû. Cela avait été accepté car le peuple est indiffèrent à ce qu'on le représente d'une manière ou d'une autre. Le scandale est créé par la bourgeoisie qui n'aime pas être critiquée. Car Fellini décrit un monde, une société, dont les bases s'effritent, une série de personnages qui acceptent sans sourciller, s'en plus s'en étonner, le péché. C'est cette acceptation du péché qui est généralisée aujourd'hui jusque dans les familles bourgeoises les plus conformistes que décrit Fellini. C'est l'histoire d'un édifice qui est en passe de s'écrouler parce que les fondations ont cédé. Mais Fellini le souligne, ce n'est pas un procès exposé par un juge mais par un complice. Cette tendresse, cette sympathie, dit-il, c'est la qualité majeure du film.
Les aristocrates sont décrits comme désœuvrés. Or, la grande bourgeoisie qui adore les aristocrates s'est sentie offensée. A Milan, le soir de la première, Fellini est sifflé. On lui crache à la figure. Mais le film remporte immédiatement un énorme succès qui divisera longtemps l'Italie.
Paparazzo et hélicoptères
La scène d'ouverture est la condensation de deux sources où l'hélicoptère joue un grand rôle. L'hélicoptère est un symbole de la reconstruction et objet de fierté nationale car le premier vol d'hélicoptère a lieu en Italie. Il est donc très présent dans les illustrations des journaux.
En septembre 1958, alors qu'il rédige son scénario, Fellini doit avoir vu le supplément du Corriere della serra sur lequel figure un hélicoptère au recto et une statue marine du christ au verso. Combiné à son souvenir de la façon dont l'église catholique a célèbré, à sa façon, le premier mai des ouvriers en 1956 (un hélicoptère transportant une statue à Milan puis à Rome), cela a immanquablement amené Fellini à imaginer sa séquence d'ouverture.
En septembre 1958, un photographe, Pierre Luigi se promène aussi avec Anita Ekberg dans Rome. Elle se coupe le pied et va se rincer dans la fontaine. Pierre Luigi réalise alors une série de photos de la star en robe blanche qu'il publie dans le Tempo. Fellini reconnaît avoir reconstruit sa scène d'après la série de photos.
Si Fellini emprunte à la réalité, il lui rend aussi. Il a ainsi inventé le terme Paparazzo qui devient un nom commun. C'est la condensation probable des mots moustique et garçon pour designer un garçon déclenchant le moustique du flash, volant, attrapant les photos à la volée.
Source : Sam Stourdzé, Fellini au travail, supplément du DVD, Fellini au travail, édité en novembre 2009 par Carlotta-Films.
https://www.cineclubdecaen.com/materiel/ctfilms.htm
Capul Sibilei tiburtine
(Perugino, Atotputernicul insotit de profeti si sibile, Collegio del Cambio, Perugia 1500)
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