vineri, 2 octombrie 2020

Fellini 2 / E la nave va

 

L'HISTOIRE

Juillet 1914 dans le port de Naples. Peu avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale, le Gloria N, un paquebot de luxe, accueille à son bord l'élite du pays - principalement constituée d'aristocrates et de représentant des arts - pour aller disperser au large de l’île d’Erimo les cendres de la grande et adulée diva Edmée Tetua. Lors du voyage, le navire croise la route d'un bateau à la dérive. Sur ce dernier ont pris des Serbes qui cherchent à trouver refuge après l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand. Ils sont accueillis à bord du paquebot. Mais un vaisseau de guerre austro-hongrois navigue dans les environs et s'avère très menaçant. Le voyage, jusqu'à présent sans histoires, va prendre un tournant tragique à mesure qu'on aborde l'île.

ANALYSE ET CRITIQUE

C'est à partir d'une simple idée exprimée en 1979 par Tonino Guerra, sur les cendres de Maria Callas dispersées en mer, que Federico Fellini met en chantier E la nave va, un film au rythme nonchalant et funèbre qui met en scène une expédition bizarre qui se veut donc une cérémonie d'hommage à une grande cantatrice disparue. Les années 80 marquent une sorte de fracture pour Fellini, qui s'inquiète profondément pour son art alors que les spectateurs italiens commencent à déserter les salles pour la télévision, et à mesure que ses proches disparaissent (à l'exemple de Nino Rota en 1979). Ses dernières œuvres sont marquées par une tonalité beaucoup plus sombre (Casanova, qui représentait de plus une expérience douloureuse sur le plan de la production, Répétition d'orchestre) et son dernier film, La Cité des femmes (1980), a été fraîchement accueilli par le public et la critique dont une partie a même vomi ses extravagances et l'a taxé abusivement de misogynie.

Comme beaucoup de ses réalisations, Et vogue le navire parle profondément de cinéma, mais ici l'évocation se fait plus triste et nostalgique. Le film débute par un prologue mettant en scène l'embarquement des passagers ; avec comme seul son le bruit d'une pellicule tournant dans un projecteur, il est filmé en noir et blanc et sépia ainsi que sur une cadence d'images accélérée comme pour rappeler le cinéma des origines, en particulier le burlesque et son pantomime. C'est progressivement, alors que la caméra s'élève sur un immense escalier, que la couleur fait son apparition. L'une des dernières séquences du film montrera un jeune passager éploré se projetant une bobine mettant en scène la diva disparue, alors qu'il a les pieds dans l'eau pendant que le paquebot coule. Entre ces deux séquences se déroule donc le film, un voyage étrange racontant la fin d'un monde avec ses personnages grotesques approchant le ridicule et enfermés dans leur art vieillissant et leurs coutumes surannées - les longues séquences, parfois artificiellement étirées, dans le restaurant sont l'occasion pour le réalisateur de nous offrir une galerie de portraits particulièrement savoureux.

Mais  Fellini restant Fellini, l'art de la caricature n'exclue jamais l'empathie pour l'être humain et c'est dans une fascination pour les arts (et les techniques du cinéma) que le Maestro nous offre une représentation factice et affichée comme telle d'un microcosme décadent saisi dans un mélange de solennité et de bonhommie qui nous les rend parfois attachant (la "pause" dans la cuisine avec le petit concerto des verres de cristal donné par les professeurs de musique constitue un petit moment naïf et enchanteur comme sait si bien ménager le cinéaste). Fellini montre avec E la nave va la déliquescence d'une société mondaine, confite de préjugés et engoncée dans son prétendu savoir. Si ces hommes et femmes de la haute sont insupportables de suffisance, de bêtise, d'égocentrisme et de mégalomanie, il provient pourtant d’eux cet art sublime qui touche à une forme de sacré. Il y a toujours chez Fellini une fascination à voir que les plus belles choses - ce qui élève, ce qui transcende l'humanité - est le fruit de l'homme et non d'un Dieu (d'où le recours régulier à la machinerie qui se cache derrière le décor, l'homme avec son imaginaire sans bornes est le vrai créateur).

Avec ce film, Fellini et son coscénariste Tonino Guerra (qui a déjà collaboré avec lui sur Amarcord) essaient de percer ce mystère qui fait que d'un océan de bêtise, de la lourdeur des corps puisse malgré tout naître la beauté. Le film est ainsi percé d'éclats magiques qui ponctuent la farce cruelle à laquelle les deux auteurs se livrent. Fellini observe l'aristocratie et le sous-prolétariat se regarder en chiens de faïence, il décrit les tentatives aussi belles que futiles de discussions entre ces deux mondes antagonistes (une cantatrice s'en allant chanter dans les soutes du paquebot, bientôt rejointe dans le même mouvement par d'autres chanteurs qui rivalisent de puissance vocale pour flatter leur ego), se demandant ce que devient l’art lorsque les artistes sont coupés du réel, lorsqu’ils s’imaginent être absous d’un quelconque engagement envers la marche du monde. La réponse semble être que l’art existe toujours mais qu’il ne s’adresse plus alors qu’au néant. Fellini pose un regard amer mais aussi plein de tendresse sur ces bouffons, si sûrs de leur légitimité à diriger le monde ou à imposer des doxa artistiques. Cette tendresse vient du fait que le Gloria N est un navire fantôme et qu'à son bord s'agite une caste qui refuse de voir qu'elle n'existe déjà plus. Ce ne sont plus que des ombres peuplant un mirage, des acteurs qui jouent une dernière fois leurs rôles, qui singent leur grandeur passée, qui se livrent à des rites dénués de sens. Fellini, du coup, ne souhaite pas les accabler et leur offre un tombeau, un film cérémonial au rythme lent et voluptueux.

Guerra et Fellini construisent le film sur une succession de saynètes et multiplient les situations ou les histoires a priori incongrues et inexplicables. Le Gloria N est divisé entre le monde du dessous, ces entrailles du navire où vit le prolétariat, et le monde du dessus où se pavane la haute société. Mais en établissant un va-et-vient constant entre ces deux mondes, en mettant sur un même plan les anecdotes futiles et les grandes allégories, en associent la beauté et la vulgarité, le grotesque et la grâce, Fellini et Guerra montrent que le trivial et le sublime n’ont pas à être séparés, cloisonnés, qu’ils coexistent au sein de l’humanité. L’art vient du corps, des tripes, du sexe et non pas d’un don divin, d’un don de sang. Dans un souci constant d'harmonie, les saynètes sont comme unifiées et rendues fluides par l'action d'un personnage sortant du lot par son énergie et son regard ironique et détaché sur ses contemporains, il s'agit du journaliste Orlando qui tient la chronique du récit et qui s'adresse aussi directement au spectateur en brisant ainsi la frontière entre la mise en scène et le sujet filmé. Orlando est interprété par l'acteur britannique Freddie Jones (Le Retour de FrankensteinSon of DraculaElephant ManFirefoxDune), comédien de second rôle truculent vu souvent à la télévision, dont la bouille sympathique offre un contrepoint à l'atmosphère crépusculaire du récit.

Fellini ira encore plus loin dans cette unification et cette dilution de l'extra-diégétique et l'intra-diégétique avec son épilogue qui voit le cinéaste nous montrer l'envers du décor (la caméra, la grue, les effets mécaniques du plateau, l'ingénieur du son) grâce à de lents travellings et panoramiques qui achèvent d'inscrire Et vogue le navire dans son mode de représentation déconnecté de toute forme de réalisme dans le seul but de nous montrer un univers désuet dont il ne reste que des souvenirs plus ou moins enjolivés. Cette approche originale traduit la puissance du cinéma selon Fellini qui aspire, sans être dupe, à mettre en forme les rêveries les plus étranges (comme la présence du rhinocéros) et à donner à ces souvenirs une coloration mystérieuse et un peu vague (d'où l'utilisation d'une palette chromatique très douce par Giuseppe Rotunno). Fellini convoque ainsi toute la machinerie impressionnante de Cinecittà (qu'il nous expose donc à la fin) pour nous livrer, dans une mise en abyme, un double testament : celui d'un monde révolu et celui de l'art chargé de le reconstituer dans un ultime rêve évanescent.

Mais parce que le cinéaste n'entend pas rester sur une note trop tragique, il nous donne à voir une dernière scène à la fois drôle et mélancolique : sans que l'on sache réellement ce que deviendront les passagers suite au naufrage, le chroniqueur finit sur une chaloupe et ne devra sa survie qu'au lait fournit par le rhinocéros couché à ses côtés dans le frêle esquif. Et si ce rhinocéros flegmatique n'était autre que Fellini lui-même qui espère encore peut-être nourrir son monde (et ses spectateurs avec lui) des fruits de son imaginaire tendre, loufoque et humaniste ? Et offrir alors une échappatoire à son film et à son cinéma si singulier ? Enfin, on ne cessera de vanter la beauté de la photographie (par Giuseppe Rotunno) et des décors (par Dante Ferretti), la mise en scène fluide et caressante de Federico Fellini (qui travaille admirablement sur les formes primitives de l’art cinématographique) qui achèvent de faire de E la nave va l’une des œuvres les plus belles et abouties du cinéaste italien.

 

Critique publiée par le 

Le dernier Fellini, souvent sous-estimé, et pourtant parfaitement fidèle à lui-même, à ses rêves, à son pessimisme rempli d’espoir, et à son esthétique.

Sur ce navire, sur cette galère-là, tout le monde décade – la terre (ou la mer) tremble sous leurs pieds et ils dansent.

Le film est très largement consacré à la musique, à l’opéra italien, Verdi, Rossini … jusqu’à ce que l’arrivée clandestine d’une colonie de réfugiés serbes envahisse le bateau, d’abord rejetés, isolés, parqués à la proue, puis acceptés par la grâce de leur musique, populaire, vivante, mélancolique et joyeuse. Musque savante contre musique vivante ? Tout en fait se résoudra dans la danse.

- Mais pour peu de temps. Car, même au bout de la mer, on entend des bruits de bottes. Les Serbes, tziganes, roms (Fellini, est aussi, comme toujours, en avance sur l’histoire même quand il l’évoque au passé) seront successivement rejetés, fraternisés puis razziés. Ce sera ici l’affaire d’un cuirassé autrichien, semblable à un gros tank en béton (à la façon du Tarkus d’Emerson, Lake and Palmer), qui prendra possession des réfugiés, puis …

Et Fellini parsème cet opéra aquatique d’une collection de trouvailles, un fatras souvent irrésistible de personnages, de lieux, d’événements, impossible à démêler, plus que confus et pourtant si construit …

… une diva hiératique, mais finalement très sensible dans la joie et la douleur, au moment de la danse collective et cathartique et à l’instant des obsèques maritimes, un comte décadent, quelque part entre Antonin Artaud et Sami Frey, amoureux inconsolable et travesti de la défunte, un poulet qu’on hypnotise, une séance de spiritisme, la salle des machines comme l’enfer sous leurs pieds (mais avec un essai de rapprochement des classes sociales, la musique toujours), deux petits vieillards égrillards, offrant un très beau concerto pour flutes (de champagne), un ténor truculent, un grand-duc poupin et obèse, une princesses aveugle mais très voyante (interprétée par Pina Bausch, qui sera la seule convive à ne pas danser …), des comploteurs d’opérette, le morse maritime tournant à la pantomime, des cendres dispersées au large d’une île italienne , l’orchestre du Titanic …

Et un journaliste embarqué dans cette galère (avec la même astuce que pour Intervista, très proche et aussi sous-estimé) : l’interview donne du poids, du réalisme à la parole des interviewés.

Et un rhinocéros.

Les Autrichiens embarquent les tziganes. Un cokctail molotov explose (ou non), les canons répondent et le monde s’écroule.

Mais il reste le spectacle – et un spectacle total, le plaisir absolu du spectacle, celui qui se construit dans un studio de cinéma, tout en excès : la musique certes, mais aussi un jeu magistral sur tous les sons (qui commence par celui de la pellicule accrochant en défilant sur le projecteur) et des décors tout en excès, en folie fellinienne. Même au cœur de la tragédie, la vision de Fellini reste toujours poétique et joyeuse.

Le prologue du film, magistral, constitue d’ailleurs la plus belle des métaphores sur l’histoire du cinéma : du noir et blanc à la couleur, puis l’arrivée de la musique, du son et des paroles.

Il est vrai que l’œuvre de Fellini est une réinvention permanente du cinéma et de son histoire. Il ne reste donc plus qu’à toute l’équipe, cadres et techniciens confondus, de faire irruption sur la scène.

Et de saluer.

Critique publiée par le 

1984. Certains disent que Fellini n'est plus le cinéaste grandiose et terrassant qu'il était auparavant. Si le film parait moins forain et grandiloquent que ses œuvres précédentes, il n'en reste pas moins une superbe symphonie, opéra de vie et de mort, ode à un humanisme immortel et invincible. Point de caricature grotesque et manichéenne de la bourgeoisie, les personnages sont plus beaux et fascinants les uns que les autres. Jamais l'Agnus Dei n'a été aussi bouleversant que dans cette tragédie dépassant les sphères du commun des mortels, d'une richesse inouïe, d'une sagesse politique dont peu de cinéastes peuvent se vanter. Jamais le classique n'a été aussi bien exploité dans nos salles. Il prend ici tout son sens. Il s'agit aussi d'un poème d'amour destiné au Cinéma, digne testament précoce rempli d'espoir d'un artiste bien trop sage pour se larmoyer devant la mort. C'est l'évolution même du 7ème Art que l'on suit : le noir et blanc, le sépia, le muet, la parole... Le générique, les caméras apparaissent. Et le cinéaste reste fidèle à lui-même, jusqu'au bout, avec une scène finale absurde et bouffonne qui nous rappelle que la flamme du cinéaste n'est pas encore éteinte, et ne s'éteindra probablement jamais.

Critique publiée par le 

En 1983, Fellini, avouons-le a perdu le plus gros de sa saveur. Son dernier opus, l'abominable Cité des femmes, n'est pas un encouragement à la complaisance, et on va dire que la vulgarité Fellinienne s'accommode mal de la vulgarité 80's, ça frise un peu l'écoeurement...

Ici, nous avons le droit à une croisière funéraire en 1914. Pour respecter les dernières volontés de la plus grande diva de l'histoire, ses anciens collègues et amis prennent place sur un paquebot pour une croisière de luxe afin de répendre les cendres de la dame à la mer... Une belle brochette de décadents, disons-le tout de suite, qui sont là pour marquer la fin d'une époque, en effet, la première mondiale montre le bout de son nez à travers un radeau de réfugiés Serbes, un ou deux casques à pointe et un croiseur austro-hongrois... Sans oublier le rhinocéros, bien sûr.

En fait, le film est une succession de scènes mal emboîtées, parfois à la limite de la comédie musicale, mais version opéra...Certaines séquences sont charmantes, comme le concert de coupes de champagne, d'autres sont exécrables, comme toutes les scènes avec Peter Cellier, et globalement, les acteurs sont un peu en roue libre... Déjà que le sujet du film n'est pas très fin, ça n'aide pas...

Nous avons un cicerone qui nous présente l'histoire, Freddie Jones, dans le rôle d'un journaliste et nous avons droit à de multiples appartés particulièrement inutiles, mais qui participent de cette ambiance en toc dans lequel baigne le film, jusqu'à l'inévitable fin intégrant la vraie équipe de tournage... Bien entendu, l'utilisation ouverte des artifices du cinéma n'apporte jamais rien au film, comme d'habitude...

Les amateurs reconnaîtront Pina Bausch dans le rôle de la princesse, moi, il m'a fallu tout mon amour des paquebots pour supporter sans ennui ce gros machin mal branlé, typique des grosses productions internationales de la Gaumont des 80's.

En fait les derniers Fellini, vous pouvez les oublier et les mettre à la poubelle, ce n'est pas très grave, à part peut-être le suivant, Ginger et Fred qui possède, derrière sa grande laideur, un charme certain.


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ROBERT SIODMAK (1904 - 1973)