2

Film de procès, certes, mais la mise en scène d'un Preminger toujours inventif et le jeu absolument parfait des acteurs font de cette oeuvre un petit plaisir de tous les instants. James Stewart tient indéniablement un de ses plus beaux rôles, jouant un avocat tout en ironie et en persuasion. Il a face à lui un double vicieux de Sarkozy en la personne de l'excellent Georges C. Scott qui endosse le rôle de procureur général en suivant pas à pas et en tentant de déjouer toutes les finesses de cet avocat plein de subtilité. Au rang des accusés, le teigneux Ben Gazzara qui sourit quand il se brûle et pose un regard hautain sur les débats qui le concernent pourtant directement, et à ses côtés la lolitesque Lee Remick (Laura) absolument sublime dans ce rôle de jeune femme séduisante, victime d'un viol qui n'a pas vraiment l'air de lui laisser énormément de traumatismes...

2

James Stewart, lorsqu'il hérite de ce cas, semblait s'être mis volontairement dans une sorte de semi-retraite, plus occupé à aller à la pêche en rivière qu'à tenter de remédier à ses petits problèmes financiers à la fin de chaque mois; sans trop savoir vraiment pourquoi, il se retrouve avec ce cas sur les bras, cas dans lequel il s'investit totalement : il s'agit en deux mots d'un type de l'armée qui, sous le coup de la colère - qu'on imagine volontiers noire vu la tronche de Ben Gazzara - a assassiné le violeur de sa femme - une jeune femme définitivement olé olé vu le gringue qu'elle sert à un James amusé mais qui sait garder la tête froide. James décide de plaider non coupable en invoquant le fait que son client a agi sous le coup d'une pulsion incontrôlable... Y'a t-il vraiment eu viol, notre Ben avait-il vraiment perdu toute sa tête au moment des faits ?... Puisqu'il semble bien difficile de tirer ces éléments au clair, le procès va se résumer au face à face entre deux hommes (l'avocat et le procureur sous l'oeil bienveillant d'un juge qui a des kilomètres de vol), toujours à l'affut pour tirer toute la substance d'un client, pour impressionner le jury, pour se gagner le public. Et c'est un régal vu l'entière conviction d'un James Stewart au top de sa forme, toujours prêt à essayer de contourner toute les malignités de ce procureur de renom. Les interrogatoires sont de véritable ballets de gestes, de bons mots glissés, d'exaspération et de colère plus ou moins feinte. La caméra de Preminger virevolte tout autour de ses deux professionnels de droit qui savent toujours comment capter l'attention, qui contrôlent parfaitement chacune de leurs postures (la magnifique séquence lorsque le procureur se glisse entre Laura qu'il interroge et James, pour que ce dernier ne puisse faire de signe à celle-là un peu perdue... - magistral placement de la caméra une nouvelle fois), qui se donnent littéralement en spectacle (petit coup de gueule du James, notamment, lors d'une question subtile, pour donner le temps à un témoin de peser sa réponse) et qui assument pleinement le côté "spectaculaire" de la chose (l'épisode du chien utilisé pour donner une once d'humanité à une Laura dont la frivolité ne peut faire aucun doute...). Le scénar est un absolu chef-d'oeuvre d'écriture, chaque mot semblant toujours tomber parfaitement à sa place, chaque mot étant d'ailleurs parfaitement réfléchi, lors des interrogatoires, pour tenter de faire pencher de son côté la balance de la justice - à l'image du mini débat que provoque l'utilisation du mot "culotte" (panties) dans les débats : l'humour douteux, au départ de la situation, finissant toujours par laisser la place à des joutes oratoires où chaque remarque devient lourde de sens - malgré le sérieux de l'issue, une subtile touche d'ironie et donc d'humanité imprègne cette "mise en scène" judiciaire.

26

La musique de Duke Ellington qui accompagne cette oeuvre convient parfaitement à l'attitude swinguante du James, toujours imprévisible, toujours capable de surfer sur les improvisations du procureur, une musique pleine de légèreté, en apparence, mais capable de s'élever au rang de l'art - convenant ainsi particulièrement à l'art de la persuasion du James. Bien que l'essentiel du film se joue entre les quatre murs du tribunal, jamais l'ennui ne vient planer sur la longueur des débats tant l'on guette, tel l'avocat et le procureur, la moindre brèche dans laquelle l'un de ces deux-là sera capable de s'immiscer pour retourner le débat - tel un lutteur  son adversaire - à son avantage. Bref, que du plaisir, et un nouveau jalon de grande qualité dans la carrière impressionnante de l'Otto et du James. 

Commentaires sur Autopsie d'un Meurtre (Anatomy of a Murder) (1959) d'Otto Preminger

Revu cette nuit "Good night and good luck" de George Clooney, film où il y a pas mal d'images d'archives.

Dans une séquence de ces archives... Gasp ! Qui vois-je ? Qui reconnais-je ? !

Une tronche dont les prolongements m'avaient totalement échappés lors de ma 1ère vision :

Ce juge qui prend vertement à partie Joseph Mc Carthy lors du procès qui va sceller la fin du sinistre sénateur du Wisconsin et celle de son âme damnée, le non moins funeste Roy Cohn.... Eh bien, ce juge qui monte au créneau, c'est le juge qui joue le juge dans "Autopsie d'un meurtre" ! Jpseph N. Welch.

Je savais que l'homme n'était pas un acteur professionnel , bien qu'assez génial et éminemment sympathique dans le film de Preminger, mais je n'imaginais pas, un jour, le voir dans le véritable exercice de ses fonctions !

(Au cinéma comme dans la vie, il dodeline du chef, façon chien sur la plage arrière d'une 403)

Sacré Otto. On comprend qu'il l'ait choisi.

A toutes fins utiles, l'archive se situe à environ 15 / 20 minutes de la fin du film de Clooney.

Posté par Mitch archéo, mercredi 24 juin 2020 | Recommander Recommander | Répondre

Il tient la route, ce film de Clooney ? Je l'avais trouvé bien trop BCBG, avec tous ces acteurs qui prennent des poses avantageuses...

Posté par Cecil Faux, mercredi 24 juin 2020 | Recommander Recommander | Répondre


Tu est bien sévère. Mais le noir et blanc moderne donne toujours, ou très souvent, un aspect esthétisant et/ou superficiel.

Il m'a semblé que ce n'était pas le cas ici. D'abord parce que c'est visiblement tourné au téléobjectif et que la caméra est rarement stable, jamais en effet "jolie photo".

Pour le reste, ce n'est pas si mal. Cette période est tellement compliquée que le scénario a le mérite de réussir à rester limpide avec ces personnages que tout le monde a oublié.

En fait, la bonne idée , c'est le choix de ce décor très confiné (!) qui est quasi constant (il n'y a pas d'extérieurs) et qui illustre (ou fait écho à) l'enfermement parano de ce pays. On croirait sa représentation mentale (les parois, les vitres, les écrans, les scènes d'ascenseurs, le compartimentage de l'espace).

L'autre bonne idée, c'est de ne pas avoir pris d'acteur pour jouer Mc Carthy. Les archives se suffisent. Et, surtout, leur insertion est hyper bien découpée, insérée, montée.

Du coup, pas de décalage "in" et "off", Pas de sensation "sortie de route" qu'on ressent habituellement quand des archives s'invitent soudain dans un film.

Et vu que le sujet, c'est comment essayer de faire honnêtement son job de journaliste télé, ça tombe pile poil que tout cela passe, et se passe, par écrans interposés, réverbération, faux split-screens.

Bref, j'ai préféré la revoyure à la découverte.

Posté par Mitcho Rosso, jeudi 25 juin 2020 |

================================