mon cinéma à moi
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CARY GRANT
Cary Grant est incontestablement une star, de celles qui ont modelé l’image du 7ème art, lui apportant sa part de mythologie. Son charme dévastateur, son aisance, ses mimiques, une relative unité dans les rôles qui lui ont été donnés, du moins pour ce qui est de ceux passés à la postérité, tout concoure à forger une personnalité attachante, à nulle autre directement comparable. [Yves Alion – L’Avant-Scène Cinéma (612) – 2014]
Sous des dehors volontiers fantasques, mais toujours éminemment distingué, Cary Grant masquait une humanité dont quelques cinéastes particulièrement avisés surent tirer le meilleur parti. Son légendaire sourire et son extraordinaire aisance corporelle, qu’il tenait d’une solide pratique de l’acrobatie et du music-hall, l’avaient naturellement orienté vers la comédie, où il fut tout simplement éblouissant. Mais quelques œuvres plus graves, malheureusement trop rares, ont également prouvé qu’il était capable de profondeur. Quoi qu’il en soit, sa carrière fut des plus heureuses puisqu’il eut la chance de jouer sous la direction de metteurs en scène aussi talentueux que Leo McCarey et George Cukor, Howard Hawks et Alfred Hitchcock, Blake Edwards et Stanley Donen. De 1932 à 1966, sa filmographie compte un nombre vraiment impressionnant de films de qualité, dont certains sont d’authentiques chefs-d’œuvre.
Cary Grant n’avait pas seulement gagné la sympathie des spectateurs. Dans sa vie privée et dans sa vie professionnelle il faisait l’unanimité par sa gentillesse, son humour et sa modestie. En 1979, quand Marlon Brando ne put remettre à Laurence Olivier l’Oscar qui lui avait été décerné, il ne fit aucune difficulté pour le remplacer. En dépit de ses quatre mariages, son existence fut toujours caractérisée par la décence et l’équanimité. Il ne cessa enfin de se préoccuper du sort de sa mère, qui avait été internée dans une clinique psychiatrique, en Angleterre, alors qu’il avait douze ans.
L’un des atouts du comédien est sans conteste d’avoir été identifié à un genre, la comédie, qui plus est à un moment crucial de son existence. Tout comme John Wayne se confond avec le western, Gene Kelly avec la comédie musicale ou Humphrey Bogart avec le film noir, Cary Grant est le représentant zélé de cette screwball comedy qui a tant apporté au lustre hollywoodien. Si les comédiens cités se sont parfois aventurés dans des registres qui ne leur étaient pas familiers, l’exception se plaît à confirmer la règle. Le western ne sied par exemple que très mal à Cary Grant, pas plus qu’il ne s’accorde au talent d’un Bogart…
… Si notre homme est l’incontestable prince de la comédie hollywoodienne, il lui est néanmoins arrivé de glisser insensiblement dans d’autres registres, à condition que sa maladresse, que sa propension à attirer les ennuis les plus divers ne soient pas remises en cause. D’où son aisance dans l’univers d’Hitchcock, dont le talent consiste entre autre à glisser quelques traits d’humour dans un monde on ne peut plus menaçant. D’ailleurs la carrière de Grant a survécu à la fin de la screwball comedy sans qu’il ait eu besoin de forcer sa nature pour explorer d’autres rivages. Il est vrai que c’est en principe ce que l’on demande à un comédien, et Cary l’est jusqu’au bout des ongles. A y regarder de plus près, on s’aperçoit d’ailleurs que l’homme est à mille lieux de l’image qu’il s’est plu à imposer… [Yves Alion – L’Avant-Scène Cinéma (612) – 2014]
DE MARIENE DIETRICH À KATHARINE HEPBURN
De son vrai nom Archibald Alexander Leach, Cary Grant naquit le 18 janvier à Bristol, en Angleterre. Très tôt jeté sur les routes en compagnie d’acrobates et de comédiens, il fut remarqué dès 1927 par un « talent-scout » américain qui le fit venir à Broadway. Après avoir joué dans nombre de comédies musicales, il prit le pseudonyme que nous lui connaissons depuis le début des années 1930 et fut engagé par la Paramount. Très intelligent partenaire de MarIene Dietrich dans Blonde Vénus (1932) de Josef von Sternberg, ou de Mae West dans She done him wrong (Lady Lou, 1933) de Lowell Sherman, Cary Grant excellait alors en jeune premier romantique.
1935 marque un tournant dans sa carrière, quand la Paramount le prête à la RKO pour les besoins du tournage d’un film de George Cukor, Sylvia Scarlett. Le film ne sera pas un succès, mais il permettra néanmoins à Cary de rencontrer Katharine Hepburn, son alter ego féminin. Et accessoirement d’être dirigé par un très grand metteur en scène, qui parvient à lui faire perdre son côté guindé, ouvrant la voie à une fantaisie désinvolte qui fera bientôt merveille. Dès lors, si Cary alterne les tournages pour la Paramount et ceux pour d’autres studios, il ne quitte plus le haut de l’affiche, partageant la vedette avec les comédiennes les plus en vue du moment : Joan Bennett, Jean Harlow, Frances Farmer, Irene Dunne ou Carole Lombard. Mais c’est encore avec Katharine Hepburn qu’il nous éblouit. Dans Bringing up Baby (L’Impossible Monsieur Bébé) d’Howard Hawks en 1938 ou Holiday (Vacances) de George Cukor…
… À ce moment-là Cary Grant est au sommet de son art et de son talent. Il est au box-office l’égal des plus grands, qu’il s’agisse de Gary Cooper, Spencer Tracy ou Clark Gable. Sa fantaisie, son charme font des merveilles. Il fait désormais partie du paysage intime de beaucoup. A tel point qu’il n’est plus nécessaire que le comédien installe ses personnages, tant ils se nourrissent de ce que l’on sait de ceux qui les ont précédés dans d’autres films. A tel point que le public commence à confondre ce que le comédien incarne et ce qu’il est profondément, notamment dans son rapport avec les femmes. Cary Grant peut-être entretient-il la confusion, y compris vis-à-vis de lui-même. Il se marie, divorce, se remarie, rêve de devenir père, mais cela ne se fait pas. Comme s’il lui fallait se calquer sur la désinvolture des hommes à femmes qu’il incarne à l’écran. Mais nous n’irons pas plus loin, il serait ridicule de jouer les psys à la petite semaine : que les stars d’Hollywood qui ont trouvé un équilibre pérenne dans le mariage lui jettent la première pierre, elles ne sont guère nombreuses. [Yves Alion – L’Avant-Scène Cinéma (612) – 2014]
HOWARD HAWKS ET LEO MCCAREY
Élégant comme une chanson de Cole Porter et sec comme un Martini, selon l’amusante expression de l’historien britannique David Thompson, Cary Grant a très vite trouvé en Howard Hawks le cinéaste capable de faire de lui l’acteur idéal de la comédie de mœurs américaine. De Bringing up Baby (L’Impossible M. Bébé, 1938) à His girl Friday (La Dame du vendredi, 1940), de I Was a male war bride (Allez coucher ailleurs, 1949) à Monkey business (Chérie, je me sens rajeunir, 1952), Cary Grant s’est plié avec une souplesse stupéfiante à la misanthropie de Hawks, incarnant de façon désopilante de véritables concentrés de vanité masculine et de débilité intellectuelle.
Howard Hawks était toutefois trop bon cinéaste pour ne pas déceler en Cary Grant un acteur susceptible de faire autre chose que des caricatures, aussi brillantes et pénétrantes fussent-elles. C’est ainsi que Cary Grant fit montre d’une rare densité dramatique dans Only angels have wings (Seuls les anges ont des ailes, 1939), sans pour autant se départir, bien au contraire, de son expression ironique et flegmatique.
La même observation peut être faite au sujet de Leo McCarey qui, vingt ans après ce prototype de la comédie américaine qu’est The Awful truth (Cette sacrée vérité, 1937), allait retrouver Cary Grant et tourner avec lui, ainsi que Deborah Kerr, le bouleversant An Affair to remember (Elle et Lui, 1957). Comme l’a expliqué Jacques Lourcelles, le contraste entre les moments comiques et les moments d’émotion, qui constitue l’une des originalités de ce chef-d’œuvre de délicatesse humaine, a pour effet d’accentuer « le relief des personnages et la vérité de leur périple, de leur évolution morale, dominée ici par le thème de la découverte de la fidélité que fait, à sa plus grande surprise, un don Juan international ». Parmi les interprétations les plus fines et les plus nuancées de Cary Grant, il convient de mentionner enfin celle de People will talk (On murmure dans la ville, 1951), merveilleuse leçon de tolérance et de bonté réalisée par Joseph L. Mankiewicz.
RENCONTRE AVEC LE MAÎTRE
Mais il est un génie du cinéma qui a vu en Cary le comédien idéal et que nous n’avons pas encore cité : Alfred Hitchcock. Le maître du suspense dirigera notre homme à quatre reprises : Suspicion (Soupçons, 1941), Notorious (Les Enchaînés, 1946), To catch a thief (La Main au collet, 1955) et North by northwest (La Mort aux trousses, 1959). L’occasion lui est ainsi offerte d’ouvrir son registre, et sans rien perdre de son charme développer une ambiguïté nouvelle, qui culmine dans Suspicion, alors que l’on se demande s’il ne cherche pas à tuer sa femme ? Une sorte d’apothéose de la guerre des sexes telle que l’avait définie la screwball comedy d’une certaine manière. Nous ne reviendrons pas sur ces films de l’Oncle Alfred, ce sont des chefs-d’œuvre (même si To catch a thief est sans doute un cran en-dessous des trois autres), des livres entiers ne suffiraient pas à en décrire l’excellence. Mais force est de reconnaître qu’à l’égal d’un James Stewart, Cary Grant a su s’imposer comme étant l’un des comédiens-fétiches du maître. Ce n’est pas le moindre de ses mérites. [Yves Alion – L’Avant-Scène Cinéma (612) – 2014]
LE SOUS-MARIN ROSE
Sans cesser de jouer dans toutes sortes de comédies de facture inégale, Cary Grant poursuivit ainsi, mais de manière très discrète, une carrière dramatique pratiquement sans défaut. Devenu son propre producteur, Cary Grant fut loin d’être malheureux dans le choix de ses metteurs en scène. Jouant avec un entrain inaltéré les séducteurs pris aux pièges de l’amour ou surpris par les malices de l’éternel féminin, il eut d’abord la bonne idée de produire l’une des premières grandes comédies de Blake Edwards, Opération petticoat (Opération jupons, 1959). Flanqué d’un diabolique Tony Curtis, Cary Grant commandait, en pleine Seconde Guerre mondiale, un sous-marin peint en rose et dont une soupape, détruite au cours d’une attaque japonaise, était avantageusement remplacée par la gaine-culotte d’une accorte auxiliaire de l’US Navy…
Cary Grant eut enfin le flair d’accorder toute sa confiance à Stanley Donen qui, après avoir brillé dans la comédie musicale des années 1950, était en train de renouveler la comédie tout court. Si l’on peut sans grand inconvénient oublier The Grass is greener (Ailleurs l’herbe est plus verte, 1960), l’acteur et le metteur en scène firent œuvre novatrice avec Charade (1963), dont Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier ont défini l’esprit en ces termes : « Intrigues ahurissantes combinant les recettes de la comédie américaine traditionnelle et le style parodico-bondissant à la mode, filmées dans un style volontairement artificiel qui, avec ses cadrages extravagants, ses gros plans d’objets, ses incessants mouvements de caméra (subjective, aérienne, etc.), ses surimpressions et sa couleur irréelle, s’apparente à la fois à la bande dessinée, à la photo de mode et à l’avant-garde contemporaine. »
Cary Grant dit adieu au cinéma en 1966, après le tournage d’un film des plus dispensables, Walk don’t Run (Rien ne sert de courir)… Il a alors 62 ans. L’âge de songer à s’occuper un peu de lui, et de l’enfant qu’il vient (enfin) d’avoir, issu d’un énième mariage. Tout cela semble exemplaire. Pourtant Cary Grant a traversé des moments de doute d’une intensité peu commune. Plutôt que de voir un psy, il a pratiqué l’autohypnose, avouant en avoir tiré un immense profit. Il a également consommé une bonne quantité de buvards de LSD, avant que cette drogue devienne l’horizon ultime du mouvement hippy. On le voit, le comédien n’était pas vraiment dans le moule… Ce qui aurait tendance à nous le rendre d’autant plus sympathique… [Yves Alion – L’Avant-Scène Cinéma (612) – 2014]
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