joi, 1 octombrie 2020

Le classicisme hollywoodien

 










Le classicisme hollywoodien sous la direction de Jean-Loup Bourget et de Jacqueline Nacache, Presses universitaires de Rennes, 350 pages, 19 euros.


EDOUARD WAINTROP 14 SEPTEMBRE 2009 (MISE À JOUR : 28 JANVIER 2015)

 Il y eut d’abord ce titre dans le quotidien Le temps de samedi:De l’importance de l’ellipse selon Fritz Lang. L'ange des maudits

Ce n’est pas tous les jours que l’on trouve ce genre de papier dans la presse généraliste, fut elle suisse et genevoise. 

Le critique Thierry Jobin y traitait de la réédition de deux «classiques du maître allemand» en DVD: Liliom, le film que Lang réalisa en France en 1933, et L’ange des maudits, son dernier western, qu’il mit en scène en 1951.

L’article tout entier respirait quelque chose de rare chez les critiques de cinéma des quotidiens: l’amour et la défense du cinéma classique hollywoodien.

Satan meets Cela me consola d’abord d’avoir oublié de citer Satan Meets a Lady, version William Dieterlé du Faucon Maltais avec Bette Davis, dans mon dernier post, sur Dashiell Hammett. Ce que pas mal d’amis m’ont fait remarquer. Et surtout cela me donna l’envie d’ouvrir un livre que je venais de recevoir, justement intitulé Le Classicisme hollywoodien et rédigé par une pléiade de chercheurs et d’universitaires sous la direction de Jean-Loup Bourget et de Jacqueline Nacache, deux auteurs très respectables. 

Et justement Bourget (1), dans son article, D’un classicisme l’autre, Poussin, Ford, Hawks, évoque lui aussi la figure de l’ellipse.

Il compare donc Nicolas Poussin, le grand peintre du XVIIe siècle français, et le cinéma dit classique Caravage produit par Hollywood entre 1934, date de l’application rigoureuse du code Hays, et le milieu des années 50, quand cet édifice règlementaire contraignant commença à se délabrer avant de tomber en poussière.

Le triomphe de david Il écrit, à propos de la représentation de la violence dans Le triomphe de David, «grande composition narrative, disposant de plusieurs dizaines de figures sur les divers niveaux d’un décor architectural majestueux» que Nicolas Poussin y a «recours à l’ellipse et à l’indirection(2), procédés qui constitueront une des marques du classicisme hollwoodien. Faisant l’ellipse du moment dramatique où David abat Goliath ou des moments »gore« où David décapite le géant philistin ou (brandissait) sa tête dégoulinante (comme dans le tableau du Caravage, voir à droite).

»...Il serait absurde de qualifier cette esthétique de minimaliste, ajoute encore Bourget, mais elle laisse entendre que parfois «less is more». C’est le point de vue que défend Dudley Nichols (scénariste attitré de Ford -quatorze films-, mais aussi de L’impossible monsieur bébé et de La captive aux yeux clairs de Hawks) lorsqu’il explique qu’il est souvent plus efficace de montrer les conséquences de l’action... que l’action elle même; c’est le point de vue de Mamoulian (cinéaste par ailleurs à la marge du classicisme hollywoodien) lorsqu’il choisit de conclure La reine Christine par le lent travelling avant tenu sur le visage sculptural mais «inexpressif» de Greta Garbo; ce sont les ellipses visuelles ou narratives paradigmatiques qu’on trouve dans le cinéma hollywoodien, avec des stratégies d’ailleurs très diverses: l’appel à l’imagination du spectateur (les ellipses et les caches qui contribuent à la définition même du style de Young mister lincoln Lubitsch), la peur suscitée par la seule suggestion (La féline de Tourneur), le refus de l’attendrissement (la séquence de la mort de Joe dans Seuls les anges ont des ailes de Hawks...), le sentiment d’un deuil irrémédiable (l’ellipse de la mort d’Ann Rutledge, dans Young Mister Lincoln de Ford, à gauche) mais aussi le rebasculement, via le cache ostentatoire, de l’épure architecturale à l’ornement baroque (les meurtres ellipsés par une porte dans Ministry of Fear de Lang ou dans Wichita de Tourneur).«

Outre qu’il met des bornes à sa comparaison (entre le cinéma, art démocratique par excellence, et l’art pictural du XVII e siècle, avec ses publics distincts, il y a quand même un fossé), l’article de Bourget met la connaissance de la peinture, l’érudition, au service de la compréhension plus large de son objet. C’est une ouverture qui permet au lecteur de saisir, ou de réviser, quelques figures typiquement hollywoodiennes, de revenir sur quelques compositions fordiennes ou hawksiennes. Elle lui permet aussi d’expliquer que dans la peinture du XVIIe comme à Hollywood, les codifications comme les hiérarchies des genres, étaient très présentes. 

Tous les articles de ce livre n’ont pas cette capacité à nous faire toucher du doigt certaines vérités sur Hollywood, en élargissant le cadre, pourrait on dire.

Certains continuent à être marqués par un formalisme réducteur très parisien et le jargon universitaire.Le cameraman Qu’importe! L’avantage d’un tel livre est d’être pluriel. Et les textes éclairants sont les plus nombreux.

Par exemple l’article d’Emmanuel Dreux sur le burlesque, qui nous montre combien la survie de ce genre pré-classique, né dans les années 10, époque de l’artisanat et de l’esprit d’équipe, eut bien du mal à survivre dans le Hollywood classique, époque de la rationalisation de la production qu’imposèrent les studios et ses nababs. 

Dreux convoque notamment l’exemple du déclin de Buster Keaton, qui perdit beaucoup,  en acceptant de signer à la fin des années 20 un Duck soupcontrat avec la MGM. Et ne réussit à s’en sortir que pour Le Cameraman.

Ou celui, a contrario, d’une des rares exceptions, les Marx Brothers, burlesques tardifs (et véritables auteurs de leurs films même s’ils n’en étaient pas les réalisateurs) qui  dynamitaient le système de l’intérieur en imposant le chaos sur leurs tournages pour imposer leur loi. Et il cite l’interview de Leo McCarey, réalisée dans les années 60 par Serge Daney et Louis Skorecki, qui avouait combien il redoutait les quatre terribles et qu’il avait tout fait pour éviter de tourner La Soupe au canard.

Fred Mc Celui de Christian Viviani (Éléments pour une typologie de l’acteur hollywoodien à l’âge classique) nous raconte comment les acteurs hollywoodiens étaient étiquetés: stars (les icônes comme Greta Garbo, Dietrich, Gary Cooper ou Clark Gable), leading actors (Franchot Tone, Nils Asher, Fred McMurray, à gauche...), supporting actors (Walter Brennan, William Demarest, Edward Everett Horton...). Comment les uns passaient parfois d’un régime à l’autre (dans le sens de l’ascension, dans celui de la chute ou même faisaient l’aller-retour. Une question importante dans ce Hollywood classique qui privilégiait les acteurs.

Il faut encore citer l’article de Régine Hollander sur Ben Hecht (à droite), personnage passionnant. Auteur prolifiqueBen hecht de pièces pour Broadway, de romans et de scénarios hollywoodiens, il ne rêvait que d’être couronné à New York, méprisait l’industrie cinématographique. Il a Les enchaines pourtant signé plus de scénarios formidables (de Sérenade à trois de Lubitsch à Notorious de Hitchcock en passant par Kiss of Death, le Carrefour de la mort, de Hathaway ou Twentieth Century et Scarface de Hawks) que de livres ou de pièces intéressantes.

Encore que dans cette dernière catégorie, The Front page, pièce de théâtre donc, ait donné quelques très bons films dont His Girl Friday de Hawks et Spéciale première de Billy Wilder.

Regine Hollander souligne notamment que, jusque dans ses concessions et ses révoltes, notamment contre l’industrie, qui lui apporta confort et renommée, Ben Hecht apparaît »comme une vibrante figure du classicisme hollywoodien, de ses paradoxes et de ses illusions.«

Tout aussi passionnant, l’article de Ginette Vincendeau sur les acteurs européens dans le cinéma classique hollywoodien. 

On le sait, et Vincendeau nous le rappelle, ils furent nombreux à quitter le vieux continent pour débarquer sur les bords du Pacifique (900 acteurs, nous dit elle) avec des fortunes diverses.

Elle commence d’ailleurs par faire une typologie de ces immigrations.

Certains débarquèrent à Hollywood pour des raisons sociales, d’autres pour des raisons culturelles et enfin les derniers pour des raisons politiques (avant tout les acteurs allemands...).

Elle continue en évoquant les réussites (Garbo, Dietrich, Chaplin, Chevalier, Boyer...) et les échecs (Mosjoukine, Gabin, Delon, Mastroianni) de ces immigrés. Et en exposant certaines raisons.

Curtiz Et elle finit son papier en évoquant Casablanca de Michael Curtiz, qui constitue l’exemple par excellence du film d’immigrés.

Elle cite la légende selon laquelle, dans la distribution »seuls Bogart et Dooley Wilson (qui interprête le pianiste Sam) sont américains«. Pour au moins la nuancer. Car s’il est vrai que »Casablanca est une tour de Babel en miniature« et que parmi les acteurs on dénombre une vingtaine de nationalités européennes, auxquels il convient d’ajouter dans des rôles très mineurs des interprètes venus du Mexique, d’Inde, d’Algérie, de Poto Rico et de Chine, il y a lieu de se souvenir que »malgré cette diversité, la catégorie la plus représentée est, de loin, celle des Américains (21 contre 9 de l’ex-Autriche-Hongrie, 7 Britanniques et 7 Allemands).«

Et elle ajoute que dans Casablanca, »le melting pot maintient une hiérarchie avec au sommet, les Américains de souche blanche et les nouvelles recrues venues du monde nordique et germanique. Des acteurs comme Claude Rains, Ingrid Bergman, Paul Henreid contribuent à ce que Diane Negra appelle Off-white Hollywood (Hollywood blanc cassé), pour reprendre le titre de son excellent livre -blanc cassé mais blanc tout de même.«

Elle finit par souligner l’exclusion d’acteurs arabes comme auparavant elle avait remarqué comment il y  avait eu une certaine »aryanisation« de l’écran, ce qui n’était pas banal dans un film qui se passait à Casablanca au Maroc et qui se voulait (et était effectivement ) anti-nazi (3). Fritz

Malgré son titre obscur (Schéma actanciel du cinéaste européen migrant à Hollywood: le cas Fritz Lang), je me suis régalé également à la lecture du texte d’Anne Demoulin. Bien plus clair que son titre, il évoque donc l’émigration de Lang, ses causes, ses problèmes d’adaptation, son regard sur Hollywood et la façon dont il a joué avec les contraintes pour réussir en définitive une œuvre qui fut aussi formidable  (sinon meilleure) en Californie qu’à Berlin. 

S’appuyant sur des textes d’Alfred Eibel, de Patrick McGilligan, de Bernard Eisenschitz, le travail de Gérard Fritz lang Leblanc et Brigitte Devismes, un texte de Nick Smedley et d’autres sources, Anne Demoulin décrit l’adaptation aboutie, même si elle ne fut pas exempte de conflits, de cette star du cinéma allemand. La stratégie de réécriture (limitée mais décisive) des scripts qu’a adoptée aux États-Unis le réalisateur de M le maudit qui devint celui de The Big Heat (Règlements de compte), de The House By The River (Au fil de l’eau), de Fury, Man Hunt (Chasse à l’homme) et autres Ministry of Fear (Espions sur la Tamise).

Elle souligne que plus tard, »profondément attaché aux pratiques hollywoodiennes, (il) vantera ainsi en Europe les mérites de la preview et des département de casting. Lang adhère également à l’idée hollywoodienne qu’un film est fait pour être vu par le public et qu’il doit être conçu en fonction de ce dernier«.

N.T. Binh, lui, se sert de Bob Fosse, qui avant de devenir un cinéaste fut un danseur, un acteur (deuxième à droite sur la photo de gauche) et un BETTY GARRETT, BOB FOSSE, JANET LEIGH & TOMMY RALL chorégraphe (pour George Sidney, Richard Quine, Stanley Donen...) pour revisiter la comédie musicale, de sa grande période à sa tentative de »revival«, justement par Bob Fosse. Avec des tas d’anecdotes et de détails révélateurs.

En guise de postface, Jacqueline Nacache, revient sur le concept même de classicisme hollywoodien et ses remises en question par certains.

Elle revient aussi sur l’attitude que la critique française adopta au cours des âges face à l’industrie américaine et à ses productions, évoquant les années vingt et trente, mais aussi le rôle des revues, Les Cahiers du cinéma des années 50, Positif. Manque Présence du cinéma, dont l’influence dans ce domaine dépassa nettement l’importance de ses ventes...

Elle se félicite du développement des études universitaires sur le sujet tant aux États-Unis qu’en France. Se félicitant »de l’entrée du cinéma dans le champ des savoirs académiques«, de la recherche universitaire, qui a permis un peu plus de recul, le passage »de la philia à l’epistémé.«

Elle pose la question de l’importance respective du système hollywoodien (et de son génie, selon les mots d’André Bazin et de Thomas Schatz) et des hommes qui l’habitent.

On est loin aujourd’hui de l’époque de la stricte politique des auteurs. Il est aujourd’hui possible d’ouvrir de nombreuses autres pistes de travail...

Et signe un article passionnant qui prouve que pour bien écrire sur le sujet, il faut être capable de faire des allers et retours entre les films et les États-Unis même. Connaître donc bien ce pays, sa culture:

»De fait si l’on cherche une continuité en France de la recherche scientifique américaine la plus nourrie de «classical Hollywood cinema», on la trouve surtout chez les spécialistes d’études anglophones travaillant sur le cinéma, et qui ont vocation à intégrer des travaux liés à la culture et à l’histoire américaine...«

Tant il est vrai que, comme Jacqueline Nacache l’écrit cette fois dans sa préface, »le goût de la beauté épuise vite ses arguments, tandis que des analyses informées par des points de vue historiques et/ ou théoriques forts déploient la puissance herméneutique de l’œuvre.«

Ce sont les textes de ce livre qui ont le plus les pieds sur le sol culturel et historique américain qui me sont apparus comme les plus intéressants. Ceux qui m’ont fait mieux comprendre certaines vérités sur Hollywood.

1) Jean Loup Bourget est l’auteur, entre autres, d’un excellent livre sur Lubitsch, Lubitsch, ou, La satire romanesque, d’un livre sur le mélodrame hollywoodien, d’un véritable précis intitulé Hollywood, la norme et la marge, et va bientôt publier un livre sur Fritz Lang.

2) Il me semble que ce mot est un anglicisme qui signifie «détour».

3)Mais étrangement elle oublie d’évoquer (de citer même) le cas de Peter Lorre, né Löwenstein, acteur Casablanca juif hongrois qui, dans ce film, comme dans beaucoup d’autres, jouait les personnages veules, traîtres de tragédie ou de comédie. Conforme à certains clichés antisémites (et cela même si son personnage dans Casablanca s’appelle Ugarte et n’est donc pas juif a priori).

Il faut se rappeler que même si Casablanca est un film Warner réalisé par Michael Curtiz écrit par Julius et Philip Epstein et Howard Koch, que des juifs donc, il a été produit dans un pays (les États-Unis) où, en 1942, l’antisémitisme était très puissant. Dans son livre L’holocauste dans l’histoire, le professeur Michael Marrus  écrit qu’à cette époque, »les sondages d’opinion révèlent, tout au long de la guerre, une haine des juifs évidente. D’ailleurs l’antisémitisme n’a jamais été aussi fort qu’au cours de la Seconde guerre mondiale... En juin 1944, alors que la France était sur le point d’être libérée, 44 pour cent des Américains percevaient encore les Juifs comme une menace, alors que 6 pour cent le pensaient des Japonais. «

Et ceci alors que ces derniers passaient auprès des Américains comme les ennemis plus que Allemands.

Le classicisme hollywoodien sous la direction de Jean-Loup Bourget et de Jacqueline Nacache, Presses universitaires de Rennes, 350 pages, 19 euros.

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http://cinoque.blogs.liberation.fr/2009/09/14/le-classicisme-hollywoodien/

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