joi, 1 octombrie 2020

Witness for the Prosecution- 1957/ WILDER /

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L'HISTOIRE

Le jour où il revient de l’hôpital après une attaque cardiaque, l’avocat britannique Sir Wilfrid Robarts reçoit la visite de Leonard Vole, élégant homme sans le sou soupçonné du meurtre d’Emily French, une riche veuve brutalement assassinée quelques jours plus tôt. Quand il est révélé que Vole était l’unique bénéficiaire du testament de la victime, Sir Wilfrid cherche à contacter Christine, l’épouse du prévenu, qui seule par son témoignage peut le disculper. Mais cette allemande mystérieuse, rencontrée par Vole à Berlin, loin d’étayer le fragile alibi de son mari, va se révéler être un témoin à charge contre lui.

ANALYSE ET CRITIQUE

A l’origineThe Witness for the Prosecution est une nouvelle assez brève qu’Agatha Christie écrivit en 1924 et qu’elle adapta plusieurs décennies plus tard pour la scène : la première de la pièce eut en effet lieu en octobre 1953 à Londres, avant d’être montée à Broadway dès l’année suivante. Devant le succès public, les producteurs de Hollywood ne tardèrent pas à s’y intéresser, d’abord L. B. Mayer puis Gilbert Miller, et enfin Edward Small, lequel remporta finalement le morceau avec l’aide d’Arthur Hornblow Jr, devenu producteur indépendant après avoir travaillé à la MGM ou à la Paramount (il y avait d’ailleurs produit Wilder sur The Major and the Minor). Les deux hommes confièrent tout d’abord la réalisation du projet à Sheldon Reynolds, réalisateur de télévision, mais face à l’ampleur de l’adaptation, se retournèrent très vite vers Billy Wilder, qui signa en avril 1956 un contrat à hauteur de 100.000 dollars et 5% des recettes.

Le tournage ne commença dans les studios Goldwyn qu’en Juin 1957, Wilder ayant été entre-temps très occupé par le montage de Love in the Afternoon et par l’élaboration de multiples projets dont la plupart ne virent jamais le jour (en janvier 1957, il essayait d’acheter les droits de Kennwort Opernball 13, de Carl Haensel ; en mars, il commençait à travailler sur une adaptation d’Amok, de Stephen Zweig ; en mai, on lui confiait My Sister and I, romance réunissant William Holden et Audrey Hepburn, qu’il devait tourner tout de suite après un projet intitulé The Catbird Seat, d’après Ben Hecht ; tout ceci en gardant dans un coin de la tête son adaptation des aventures de Sherlock Holmes…). Cependant, tout en filmant Love in the Afternoon à Paris, Wilder avait en août 1956 commencé à tourner quelques plans extérieurs de Witness for the Prosecution avant même que le casting ne soit établi, lors d’une escapade londonienne avec son épouse Audrey.

 
 

Concernant le casting justement, et alors que Wilder préférait Kirk Douglas, Small et Hornblow avaient dès le départ songé à confier le rôle principal du film à Tyrone Power. Souffrant de dépression, tant pour sa carrière déclinante que pour sa vie personnelle mouvementée, celui-ci refusa dans un premier temps. On envisagea alors pour incarner le couple Vole une association Ava Gardner - Jack Lemmon, mais Wilder, qui avait dès le départ (dans la nouvelle, le personnage est viennois) songé à son amie Marlene Dietrich, réussit à convaincre celle-ci fin 1956, alors que le rôle de son époux semblait sur le point d’échoir à Gene Kelly. Pour des raisons financières, Small et Hornblow se mirent alors à chercher des noms moins prestigieux, et on évoqua un jeune acteur britannique du nom de Roger Moore… Finalement, celui qui avait été leur premier choix, Tyrone Power donc, désormais emballé à l’idée de travailler avec Wilder et Dietrich, revint sur sa décision et accepta - contre un salaire faramineux de 300.000 dollars et un pourcentage sur recettes - un rôle qui s’avéra finalement être son dernier, puisqu’il mourut d’une crise cardiaque quelques mois après la fin du tournage.

Enfin, pour une somme beaucoup plus modeste de 75.000 dollars, le troisième rôle central fut confié à Charles Laughton, dont Billy Wilder était le grand ami. Ce troisième choix aura probablement orienté le travail de réécriture de Wilder et de Harry Kurnitz, qui trouvaient la trame de la pièce intéressante mais ses personnages squelettiques ; indéniablement, Laughton donne du corps au personnage de Sir Wilfrid, sensiblement différent de celui qui apparaissait dans la pièce. En effet, l’avocat pensé par Agatha Christie est solide, autoritaire et dynamique ; tandis que le Sir Wilfrid écrit par Wilder et composé par Charles Laughton nous apparaît dès la première scène comme un homme âgé, d’un grand esprit mais à la santé fragile, qui revient de l’hôpital suite à une attaque et doit impérativement éviter toute suractivité professionnelle. A l’épure de l’intrigue originale qui se consacre essentiellement sur Leonard Vole (1) et son jugement, Wilder ajoute ainsi une dramatisation propre à ce personnage de Sir Wilfrid qui met donc sa propre santé en jeu dans ce procès (2).

 
 

De plus, le film a l’excellente idée, pour renforcer cet aspect, de créer un personnage absent de la pièce, Miss Plimsoll, l’infirmière personnelle de Sir Wilfrid, qui vient souligner à la fois la fragilité physique et la vivacité de l’esprit de celui-ci, puisque leurs chamailleries continuelles offrent au film certaines de ses meilleures répliques. Le rôle est d’ailleurs de manière assez amusante confié à Elsa Lanchester, madame Laughton à la ville - pour une fois plutôt sobre - et la complicité manifeste des deux époux transparaît avec truculence à l’écran (entre autres amabilités, Sir Wilfrid glisse à son infirmière un hilarant « si vous étiez une femme, je vous battrais »). On peut d’ailleurs s’amuser à noter que l’actrice Una O’Connor, laquelle joue la servante de la victime, reprend dans le film, à 76 ans, le personnage qu’elle tenait sur les planches, dans l’un des derniers rôles d’une carrière cinématographique qui l’aura vu notamment jouer dans La Fiancée de Frankenstein de James Whale (aux côtés, donc, de la même Elsa Lanchester)...

Quoiqu’il en soit, Wilder ne tarit pas d’éloges, dans ses mémoires, sur la performance de Laughton et sur son investissement phénoménal : « Il est le meilleur acteur avec qui j’aie jamais travaillé (…). En 1958, pendant le tournage de Witness for the Prosecution, tous les soirs à six heures nous restions un moment ensemble, nous nous demandions quelle scène nous tournerons le lendemain et nous fixions le programme. Puis Laughton venait dans mon bureau. Et tout en buvant un verre, il me disait : « la scène que nous allons tourner demain me semble particulièrement importante. J’ai ce monologue. Et il m’est venu une idée. Que diriez-vous de … ». Et il commençait à me jouer la scène. C’était brillant. Lorsqu’il avait fini, je disais : « Bon d’accord, on fait comme ça. » Et après une petite interruption, Laughton reprenait : « Je pense qu’on pourrait aussi… » Et il recommençait à jouer la scène. Dans une version toute différente cette fois, mais encore plus convaincante. Et pour finir il demandait : « Ou bien est-ce qu’on fait ça ? ». Je répondais encore : « C’est très bien. On tournera comme ça demain. » Et je n’exagère rien, cela se répétait jusqu’à ce qu’il m’eût joué vingt versions d’une même scène. Et chacune était un enrichissement, ou représentait tout au moins une variante intéressante par rapport à la précédente. Jusqu’au moment où je lui disais : « Bon, maintenant c’était vraiment la meilleure solution, et c’est comme ça que nous tournerons demain. Ne l’oublie pas ! » Le lendemain matin, peu avant le début du tournage, il venait me trouver, me prenait à l’écart et me disait : « J’ai eu une idée cette nuit. J’ai encore imaginé autre chose. Je crois que ce serait plus efficace. » Il me jouait la nouvelle version. Et il avait raison, c’était encore mieux. Laughton pouvait fouiller dans son talent comme un enfant comblé dans un coffre à jouets qui déborde. »

 
 

De fait, Laughton compose un admirable Sir Wilfrid, en mêlant la rigueur et la méticulosité du brillant avocat (qui aligne soigneusement ses comprimés lors des plaidoiries adverses) à l’espièglerie du bon vivant bravant la mort avec truculence (l’avocat de la pièce acceptait de défendre Leonard Vole car il s’agissait pour lui d’un défi professionnel ; le Sir Wilfrid du film ne s’y intéresse que parce que l’entretien avec l’accusé lui permet de s’isoler pour fumer un cigare, tandis qu’il élabore lors du procès d’ingénieux stratagèmes pour s’enfiler son brandy). De son propre aveu, Laughton s’était également inspiré d’un avocat britannique du nom de Florance Guedella (l’avocat de Dietrich) qui triturait nerveusement son monocle pendant chaque entrevue ; Laughton reprit à son compte ce gimmick pour créer une technique d’interrogation propre à Sir Wilfrid servant magnifiquement le personnage.

Grâce à l’indéfectible amitié entre Laughton et Wilder (ce film fut curieusement leur seule collaboration, Laughton étant trop malade au début du tournage d’Irma la douce, dans lequel il devait incarner Moustache), l’ambiance sur le tournage fut comme souvent chez Wilder très détendue, Elsa Lanchester et Marlene Dietrich se relayant pour concocter à Laughton de nombreux petits plats, les prouesses culinaires de Dietrich faisant dire à Wilder que « les hommes ne toléraient ses jambes qu’à cause de ses talents de cuisinière. » Mais au-delà de ces anecdotes de tournage, Wilder fut frappé par la profondeur de l’investissement de Marlene Dietrich, qui se mit à jouer « comme si toute sa carrière en dépendait. » On peut comprendre que le rôle de Christine Vole ait été pour elle un défi passionnant car, assez éloigné de la Romaine de la nouvelle, il proposait à l’actrice une double orientation, d’une part en capitalisant sur la mythologie dietrichienne lors d’une séquence berlinoise (ayant nécessité 145 extras, 38 cascadeurs et un budget spécifique de 90.000 dollars) durant laquelle l’actrice livre un numéro de cabaret se terminant sur l’exhibition de ses légendaires jambes (3) ; d’autre part en lui offrant l’occasion de brouiller un peu son image de froide manipulatrice en explorant des facettes plus complexes de sa personnalité.

 
 

Dans un premier temps fidèle à cet archétype de la blonde fatale (sa première réplique - « Je ne m’évanouis jamais car je ne suis pas certaine de tomber avec grâce, et je n’utilise jamais de sels car ils me font gonfler les yeux » - la montre conforme à son image de femme calculatrice, distante, implacablement dépassionnée, rôle qu’elle avait peu ou prou déjà tenu pour Wilder dans La Scandaleuse de Berlin), le personnage de Christine se fissure ensuite, se révèle, montrant une fragilité émotionnelle dans laquelle la comédienne se révèle plus que convaincante, extrêmement émouvante. [SPOILER] Dietrich s’impliqua également énormément dans la composition d’un autre rôle essentiel à l’intrigue, en cherchant à devenir une cockney crédible et en modelant pour ce faire un faux nez avec l’aide d’Orson Welles, ou en travaillant son accent avec Charles Laughton et Noel Coward (et, clairement, le résultat est saisissant - à tel point que certains, aujourd’hui encore, peinent à croire qu’il s’agit bien d’elle - même si Billy Wilder accueillit les premiers essais de maquillage d’un élégant « on dirait George C. Scott en travesti. ») [/SPOILER]

Manifestement, l’actrice voyait ce rôle comme l’accomplissement de sa carrière, et s’attendait à un concert de louanges qui n’eut finalement pas lieu (comme lui expliqua Wilder, les gens n’aiment pas qu’on les dupe)… A tel point qu’au moment de l’annonce des nominations aux Oscars de 1958, elle commanda l’enregistrement d’une voix-off ouvrant le one-woman show qu’elle jouait à Las Vegas d’un triomphal « We are proud to present the Academy Award nominee for Witness for the Prosecution, Miss Marlene Dietrich ! »… nomination qu’elle n’obtint finalement même pas, à son grand désespoir. Billy Wilder, qui eut lui l’honneur d’une nomination comme Meilleur Réalisateur, tenta de la consoler en affirmant « qu’accorder une nomination à quelqu’un qui adapte une pièce de théâtre revient à donner aux déménageurs qui ont emmené la Pieta de Michelange du Vatican à l’Exposition Universelle de New York, un premier prix de sculpture. »

 
 

Malgré le discrédit qu’on peut accorder à un Wilder toujours prêt à trahir sa pensée pour un bon mot d’esprit, et en dépit de quelques gags visuels ou dialogues typiquement wilderiens, on peut en effet convenir du fait que ce film ne soit pas le plus personnel de toutes ses œuvres. Et si Helmuth Karasek, biographe de Wilder, affirme avec un sens de la provocation abusif que Witness for the Prosection « est l’un des meilleurs films d’Alfred Hitchcock », ce dernier avouera par ailleurs avoir reçu bon nombre de félicitations pour un film avec lequel il n’avait rien à voir (tandis que d’autre part, on félicitait Wilder pour The Paradine Case…). On peut, à la vision du film, sentir parfois Wilder bridé par son dispositif très théâtral : la première demi-heure se déroule quasi intégralement dans le bureau de Sir Wilfrid, la dernière heure presqu’exclusivement dans la salle de tribunal. De fait, il est donc indispensable de saluer l’extraordinaire travail du décorateur en chef Alexandre Trauner : puisqu’un tournage dans la salle même de l’Old Bailey était exclu (la simple prise de photos y était interdite), il entreprit de reconstruire ce lieu mythique à l’identique dans les studios Goldwyn. Composé de plus de 60 pièces amovibles, chacune contenant des panneaux mobiles permettant de disposer et de cacher des caméras, ce décor phénoménal reprenait qui plus est exactement les dimensions réelles de l’Old Bailey (13 mètres sur 17, avec un plafond de plus de huit mètres). Dans cette salle où, progressivement, les nœuds de l’intrigue se mêlent autant qu’ils se démêlent, où la tension du verdict approchant se combine à l’usure nerveuse d’un Sir Wilfrid transpirant, Wilder n’hésite pas, également, à faire intervenir le public, dont les réactions sont souvent guidées, comme un chef de chœur antique, par Miss Plimsoll. Il rend ainsi son drame juridique vivant, foisonnant et, l’incontestable qualité de sa réécriture venant valoriser l’ingénieuse trame d’Agatha Christie (4), son film demeure un divertissement très efficace, au suspense savamment distillé, l’un des meilleurs « films de prétoire » - genre sclérosant au possible - de l’histoire du cinéma. Agatha Christie reconnaîtra elle-même que Witness for the Prosecution était, d’assez loin, la meilleure adaptation cinématographique de l’une de ses œuvres. Quant à Billy Wilder, il n’évoquera par la suite que rarement un film qu’il jugeait assez impersonnel ; après plusieurs années de travail continu, il annonça à l’approche de la fin du tournage qu’il prenait quelques mois de repos, pour « raisons de santé », probablement par lassitude aussi. Ces quelques mois lui furent bénéfiques, car, en 1958, il entama l’adaptation d’un film allemand, Fanfaren der Liebe, qui allait ensuite donner Some Like It Hot. Mais ceci est une autre histoire...

(1) Dans la nouvelle, Vole rencontre la victime, Emily French, en la sauvant d’un accident de la circulation ; dans le film, il la raille gentiment lors d’un achat de chapeau avant de la retrouver au cinéma (devant un film de Jesse James, rôle que Power avait incarné dans le film homonyme de 1939). L’ « héroïsme » du personnage est donc considérablement relativisé, d’autant que la composition de Tyrone Power, non dénuée d’ambiguïté, évoque tout à fait le mélange de séduction, de manipulation, et de fausse candeur du personnage.
(2) On raconte que Laughton, ignorant s’il saurait jouer un malade du cœur, simula une attaque cardiaque dans sa propre piscine un jour qu’il recevait des amis... Le résultat fut concluant.
(3) Sans en révéler trop sur le dénouement, on peut d’ailleurs se poser la question de la véracité de cette séquence, racontée par Vole, et qui décrit une Christine quelque peu différente de celle qu’elle se révèlera finalement être.
(4) Le film sut d’ailleurs éveiller la curiosité avant même sa sortie, puisque Tyrone Power raconta lors de plusieurs interviews en cours de tournage qu’il ignorait lui-même la fin, Wilder ayant enlevé les dix dernières pages du scénario qu’il avait distribué. Un reporter de Variety, Leonard Lyons, rapporta que des gardes armés surveillaient l’entrée du studio pour maintenir le secret ; enfin, Hornblow réussit même à faire signer un document à la famille royale lui interdisant de divulguer quelque information que ce soit aux autres membres du Commonwealth !

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Laurence Olivier (1907-1989)