ERNST LUBITSCH
Ernst Lubitsch est un réalisateur américain d'origine allemande, également acteur au début de sa carrière, né le 29 janvier 1892 à Berlin, émigré aux États-Unis en 1922, et mort le 30 novembre 1947 à Bel Air (Los Angeles).
HEAVEN CAN WAIT (Le Ciel peut attendre) – Ernst Lubitsch (1943)
Henry Van Cleve vient de mourir, une infirmière au visage d’ange à son chevet. Son existence fut dévolue au plaisir : il se présente donc spontanément devant le diable. Mais on n’obtient pas sa place en enfer aussi facilement. Pour que Lucifer puisse juger, Henry lui raconte sa vie, dont la plus grande qualité fut, sans conteste, sa merveilleuse épouse, Martha. A travers ce portrait d’un Casanova infantile et attachant, Lubitsch brode une apologie de la félicité conjugale. Il traite de l’amour, du deuil, de la trahison, du plaisir et de la mort avec la pudeur de ceux qui connaissent la fragilité du bonheur. Cette comédie où le cynisme côtoie la pureté et où la mélancolie flirte avec la légèreté gamine est riche en enseignements lubitschiens : il faut beaucoup de scarabées pour séduire les filles, ne jamais laisser passer une femme qui éternue, toujours avoir un grand-père indigne chez soi, et, surtout, faire confiance à l’amour et à la beauté en Technicolor de Gene Tierney. Le ciel peut attendre n’est pas du champagne : c’est un alcool doux et profond. Avec ce film testament, Lubitsch gagna à coup sûr son billet pour le paradis. [Guillemette Odicino – Télérama]
Après l’insuccès de To be or not to be, Ernst Lubitsch entre à la Twentieth Century-Fox et y signe un contrat qui sera le dernier. Il a cinquante ans et sa santé ne va pas tarder à se détériorer ; il reste inactif pendant quelques mois, puis tourne sa contribution à la série Why we fight intitulée Know your enemy Germany, qui est cependant refusée pour sa lourdeur. Carringer et Sabath avancent l’idée que Lubitsch fut blessé par ce rejet ; pour cet émigré allemand, la participation à l’effort de guerre hollywoodien était sans doute d’autant plus importante. Il se remet cependant à la préparation d’un nouveau film, Heaven can wait (Le Ciel peut attendre), qu’il écrit avec Raphaelson. « Une joyeuse expérience, raconte celui-ci. Joyeuse parce que nous étions tous deux dans nos années les plus productives… Joyeuse parce que, enfin séparé de Vivian Gaye après plusieurs années d’un mariage agité, et resté en compagnie d’une petite fille de quatre ans qu’il adorait, il était tout à fait en forme. Joyeuse parce que nous écrivions Heaven can wait dans sa maison de Bel-Air, somptueusement installés, et que j’abandonnais souvent ma pipe pour un de ses cigares Upmann spéciaux. Joyeuse parce que nous avions conjugué nos talents respectifs dans ce script et qu’il nous semblait sans défaut. »
Peut-être ce bonheur de l’écriture n’est-il pas étranger à la subtile sérénité qui se dégage du film. Mais n’anticipons pas. Heaven can wait est, extérieurement, assez différent du reste de l’œuvre lubitschienne. Bien qu’inspiré une fois de plus d’une pièce hongroise, le film se déroule entièrement aux États-Unis (New York et, passagèrement, le Kansas) ; si le Ciel peut attendre, nous ne sommes pas non plus au Paradis, et il n’est plus question ici d’aristocrates européens pleins de morgue, mais de bourgeois aisés au cœur simple, une espèce typiquement américaine. [Jacqueline Nacache – Lubitsch – Ed. Edilig (1987]
L’époque, au début de Heaven, est celle des « Gay Nineties » ; les films à costumes situés à la fin du XIXe siècle américain sont une spécialité de la Fox. Le nombre très limité d’extérieurs reconstitués – une rue, un parc, un magasin – fait que ce New York prend en fait des allures très provinciales : on pense plutôt au St. Louis que Minnelli peindra à grands frais l’année suivante dans son merveilleux Meet me in St. Louis (Le chant du Missouri). Dans Heaven on se contente de suggérer la période par quelques charmants clichés, comme la désuète chanson « By the Light of the Silvery Moon», les décors rococo fin de siècle et les costumes. Un cadre auquel convient à merveille le lumineux Technicolor utilisé pour la première fois par Lubitsch ; peu réaliste certes mais tellement beau, entre autres pour capter le regard bleu de Gene Tierney, il contribue aujourd’hui, bien involontairement, à rehausser encore la douceur nostalgique du film.
Mais Heaven can wait dure le temps d’une vie – soixante-dix ans d’une existence aimablement vouée à l’amour et au plaisir, celle de Henry Van Cleeve (Don Ameche), qui estime pour cela mériter la damnation éternelle. C’est pourquoi, au jour de sa mort, il se présente devant un Lucifer étonnamment courtois et débonnaire, et qui reçoit les candidats dans un bureau dont les plafonds élevés rappellent les immenses décors de Lady Windermere’s Fan. Pourtant, qu’on ne s’y trompe pas : l’Enfer est impitoyable pour les grands péchés, comme l’exaspérante vanité d’Edna Craig (Florence Bates), incapable de voir sa propre déchéance. Il faut donc que les « crimes » de Henry soient à la hauteur du sort qu’il se réserve ; c’est pourquoi il entreprend de raconter sa vie au Malin, d’anniversaire en anniversaire…
Qu’un film s’étende sur une si longue période est tout à fait nouveau chez Lubitsch : même les plus amples œuvres allemandes ne couvraient pas toute une vie. Et, sauf erreur, le seul flashback qu’il ait jamais employé est celui, savamment perverti, qui compose la longue ouverture de To be or not to be.
Ici, toute la narration est en flash-back. Cette structure s’explique historiquement ; les années 1940 sont riches de ce que Leland A. Poague appelle « le cinéma du souvenir », citant des films tels que Citizen Kane et The Magnificent Ambersons (La Splendeur des Amberson, Welles), How Green was my Valley (Qu’elle était verte ma vallée, Ford), It’s a Wonderful Life (La Vie est belle, Capra). Une autre explication, plus personnelle et très tentante, a souvent été avancée : parvenu très loin, dans une longue et riche carrière, Lubitsch se retourne sur sa vie comme Henry sur la sienne, avec tendresse et sans regret. On a parlé de testament, et comme il est vrai qu’elle en a la noblesse, cette œuvre idéalement harmonieuse, où les hommes sont jugés avec juste assez d’ironie et beaucoup de sagesse, où même le rire se transforme en un sourire diffus qui survit aux plus intenses moments d’émotion… « Avant d’avoir achevé ce film, j’ai rencontré de plusieurs côtés une grande opposition, parce qu’il ne transmettait aucun message et n’avait aucun but. » Aucun but… Une fois de plus, les propos du cinéaste sont à considérer avec toutes les précautions qui s’imposent. Et Lubitsch était très certainement conscient qu’il n’était pas de but plus important que le film en lui-même, son équilibre, sa perfection, et la discrète façon dont il exprime une vision du monde.
En effet, malgré l’apparente simplicité de l’œuvre, tout Lubitsch est dans Heaven can wait – c’est pourquoi il est essentiel qu’il l’ait écrit avec un complice d’aussi longue date que Raphaelson. Et tout Lubitsch, c’est d’une part cette extraordinaire gamme de tons dont il se sert en virtuose de l’atmosphère ; c’est d’autre part cet hommage au mouvement perpétuel de la vie et du bonheur, qui nous vaut ici un récit à l’ampleur majestueuse, émaillé d’une foule de portraits où même la satire si chère à l’auteur se teinte de bienveillance.
Ainsi, celui que nous avons toujours connu mêlant comique et tragique achève de devenir un maître absolu de la nuance. Non seulement Heaven couvre tous les registres, du burlesque à l’émotion la plus pure, mais Lubitsch est capable de passer de l’un à l’autre à l’intérieur d’une même scène, sans aucune solution de continuité, tel un illusionniste. Prenons ce sommet absolu de la farce qu’est le petit déjeuner des Strabel, interprétés par une imposante Marjorie Main et un Eugene Pallette qui n’est pas sans ressemblance avec « le roi des huîtres », à ceci près que Mr. Strabel est, lui, le roi des viandes emballées. Au fait, comment un couple aussi monstrueux a-t-il pu donner naissance à l’angélique Martha/Gene Tierney ? Passons. Tandis que Mr. et Mrs. Strabel déjeunent en se disputant, par domestique interposé, la page humoristique de leur journal dominical, Albert Van Cleeve, cousin modèle d’Henry, arrive et annonce que Martha est de retour. La surprise des parents est déjà un tout petit glissement vers l’émotion. Chacun se lève, quitte son bout de table et ils viennent encadrer Albert ; le premier pas est fait. Albert s’éloigne pour aller chercher Martha, et le couple se rapproche. C’est côte à côte qu’ils avancent vers la porte. Le père, la mère, Albert et le valet Jasper sont réunis dans le même plan. Puis Albert et Jasper quittent le champ. Parents et fille y restent seuls, cadrés aux trois quarts. Des généralités on passe aux propos plus personnels. La caméra se rapproche, pour un plan à la taille, qui surprend les visages devenus plus tendus. Un gros plan sur Martha (« Je vous en prie, Père, je ne veux pas entendre un seul mot désagréable sur les dix dernières années… »), On revient au plan précédent, et la mère prend Martha dans ses bras. On est désormais au comble de l’émotion, tempérée cependant par le plan suivant où Mr. Strabel se mouche bruyamment avant de soulever les valises de Martha et de suivre les deux femmes dans l’escalier. Ce qui n’était, quelques minutes auparavant, qu’un couple d’étrangers se haïssant, est devenu par la grâce de la mise en scène une famille aimante dont la réunion nous bouleverse.
Cette scène particulièrement remarquable n’est qu’un exemple de la façon dont, tout au long du film et tandis que l’atmosphère générale dérive vers la mélancolie, chaque épisode miroite de mille éclats différents. Or c’est cette souplesse de ton qui donne à Heaven can wait le chatoiement de la vie même, mais de la vie selon Lubitsch, c’est-à-dire mélodieuse et épurée de tout ce qui n’est pas, de près ou de loin, lié au bonheur. C’est pourquoi les grandes douleurs nous sont épargnées ; les grands-parents, les parents disparaissent, mais sans bruit, à peine évoqués par une phrase nostalgique à chaque anniversaire. La mort dans Heaven n’est qu’une sortie de champ ; n’oublions pas que nous sommes au cinéma…
C’est la vie qui compte ; et cette vie, Lubitsch l’approche par touches légères – autant de personnages qui surviennent, font trois petits tours et puis s’en vont. Mais chacun est évoqué avec autant de précision, si bref que soit son rôle : de la « Mademoiselle » délurée au patient serviteur des Strabel, les plus humbles ont une âme. L’attention que depuis si longtemps Lubitsch porte aux seconds rôles, et qui s’affine toujours davantage depuis Ninotchka, est devenue ici une étonnante sollicitude. Il y en a de mieux traités que d’autres, certes ; Charles Coburn est splendide dans le rôle du grand-père facétieux, visiblement chéri des auteurs, mais même le cousin Albert (Allyn Ioslyn), avec toute sa sotte raideur, a droit lui aussi à sa part de nuance et d’humanité, et sa seconde proposition de mariage à Martha est très émouvante.
La vie, c’est aussi cette aventure que Don Ameche raconte à Lucifer, et dont il est incapable d’apprécier le cours parce qu’il ne l’a saisie, lui mortel, que comme une discontinuité : chaque menu péché de l’instant aveugle Henry sur la véritable pureté qu’il conserve, comme tous les « anges » lubitschiens, envers et contre tous les manquements à la morale.
Mais il y a si peu d’immanence dans l’univers de Lubitsch que le Diable tient à l’occasion le rôle du Bon Dieu et c’est lui qui, obligeant Henry à raconter sa vie, la transforme en destin. Et celui-ci n’est pas pour Lubitsch un parcours mystérieusement tourmenté, hanté de mille secrets ; il n’y a aucun « rosebud » à trouver pour comprendre la vie d’Henry Van Cleeve. Il n’y a qu’à l’écouter, lui qui raconte l’histoire du bonheur sans même s’en apercevoir et croit devoir être châtié pour cela. Epicurien sans le savoir, il a appliqué la douce philosophie du carpe diem, mais à cueillir chaque jour, il n’a pas vu le sens d’une existence vouée au bonheur des siens et de ceux qu’il aimait.
Henry Van Cleeve se croit condamné pour ses défauts humains : vanité, inconséquence, mensonge… alors que, selon la morale de Lubitsch, ce sont ces défauts même qui font qu’on lui pardonne. Jamais Lubitsch n’a mieux exprimé son idéal qu’à travers cet homme sans autre ambition que celle de jouer au mieux son rôle d’homme, forces et faiblesses comprises. Et c’est cette certitude du cinéaste qui nous vaut les plus beaux moments du film, comme cette valse qui conclut vingt-cinq ans d’un mariage heureux. Entre l’épidémie de fox-trot de La princesse aux huîtres et la dernière valse d’Henry et de Martha, il y a l’accomplissement d’une carrière, et surtout le mûrissement de toute une vie.
Public et critiques se retrouvèrent pour acclamer Heaven can wait, ce qui dut être d’un grand réconfort pour Lubitsch après l’accueil réservé à To be or not to be, Il se met aussitôt à la préparation d’un nouveau film au contexte résolument contemporain (provisoirement intitulé All-out Arlene), puisqu’il s’agit d’une satire sur les troupes féminines de l’armée – Women Army Corps – au sujet desquelles il va récolter des renseignements à Washington afin d’écrire le scénario avec un couple d’auteurs, Phoebe et Henry Ephron. [Jacqueline Nacache – Lubitsch – Ed. Edilig (1987]
LES EXTRAITS
Le 1er septembre 1943, une violente crise cardiaque suspend toutes les activités du cinéaste… Il s’est écroulé sur le sol au cours d’une réception chez l’actrice Sonja Henie et est immédiatement transporté à l’hôpital, pratiquement mourant. Sa situation semble si précaire que Steffie Trondie, sa dévouée secrétaire, prie Samson Raphaelson d’écrire rapidement un témoignage destiné à être publié. Ce texte, nous le connaissons. C’est celui qui fut effectivement publié à la mort d’Ernst Lubitsch… quatre ans plus tard. Entre-temps, Lubitsch avait même envisagé de réviser avec Raphaelson l’éloge funèbre en question ; puis, après avoir discuté chaque phrase comme il devait en avoir l’habitude pour un scénario, il pria son ami de ne pas changer un mot à cet hommage. Raphaelson promit, et tint sa promesse.
Au début de l’année 1944, Lubitsch reprend son travail à la Fox. Un premier projet lui tient à cœur : revenir devant les caméras pour interpréter son premier rôle depuis l’Allemagne, celui de Jacobowsky dans l’adaptation d’un succès de Broadway, « Jacobowsky and the Colonel » de Franz Werfel. Il est dommage pour Lubitsch, et pour nous donc, que la Columbia ait acquis les droits de la pièce en prenant la Fox de vitesse ! Il est permis de penser que le film eût été meilleur que celui qui fut finalement tourné en 1958 par Peter Glenville sous le titre Me and the Colonel (Le colonel et moi), avec Danny Kaye dans le rôle brigué par Lubitsch.
Avant de revenir à la réalisation, Lubitsch, conformément à son contrat, produit deux films. Le premier s’inspire à nouveau de la pièce « The Czarina », qui avait été en 1924 la source de Forbidden Paradise: il s’intitule A Royal Scandal (Scandale à la cour), et Tallulah Bankhead y reprend le rôle de Pola Negri. Mais le script est nettement « historicisé », contrairement à celui, très fantaisiste, de Forbidden Paradise – une des raisons peut-être pour lesquelles le remake est beaucoup moins riche que l’original.
C’est Otto Preminger qui est chargé de réaliser le film ; écoutons-le en parler. « A Royal ScandaI avait été en fait préparé pour Ernst Lubitsch, que j’aimais et que j’admirais énormément, et qui était déjà malade à cette époque (…). Ce fut moi qu’il choisit, entre toutes les personnes disponibles. C’était un honneur, puisqu’il était considéré comme un des très grands. Je dirigeai le film d’après un scénario écrit par lui. Quelqu’un suggéra que j’étais brave, dans la mesure où tout le monde parlait de la fameuse « Lubitsch touch »… (…) Je dirigeai le film à ma façon, et s’il y a des gens pour penser que Lubitsch aurait fait mieux, c’est leur opinion. (…) Le film ne fut jamais un très grand succès, et en voici la raison. C’était le type de comédie audacieuse dans laquelle Lubitsch était si excellent, prenant les situations et les manipulant dans tous les sens. Il pouvait faire rire de tout, mais le faisait aux dépens du personnage. Il ne s’en souciait jamais, alors qu’après tout il s’agissait de l’impératrice de Russie, et qu’elle ne se conduisait pas toujours comme telle. On riait, bien sûr, mais j’ai découvert et appris par la suite que le public n’accepte pas ce genre de choses. Il préfère que la cohérence du personnage soit respectée, même s’il rit un peu moins. »
Comment un admirateur déclaré de Lubitsch peut-il tenir de tels propos – surtout après des films tels que The Shop around the Corner, To be or not to be, Heaven can wait, où les personnages n’ont jamais autant été travaillés, et avec plus d’humanité ? Cela laisse rêveur. Et l’on ne sait trop si Preminger a voulu ainsi se dédouaner d’un semi-échec, ou rejeter définitivement la paternité d’un film que ne servaient ni sa propre mise en scène, ni le travail de Lubitsch sur le scénario, visiblement moins intense et passionne que pour ses propres œuvres.
Le second film produit par Lubitsch en cette année 1945 fut signé par un autre disciple fameux : Joseph L. Mankiewicz, dont c’était la première réalisation. Dragonwyck (Le château du dragon) était tiré d’un roman populaire d’Anya Seton. « Un texte ordinaire imitant le roman gothique avec une pointe de mélodrame », ainsi le décrit lui-même Mankiewicz, qui avait déjà refusé le projet au tout début de son séjour à la Fox. Toutefois, lorsque Zanuck charge Lubitsch de produire ce Dragonwyck si différent de tout ce qu’il a pu faire jusque-là, Mankiewicz renonce à comprendre et change d’avis. « Qu’est-ce qui attirait Lubitsch dans ce film ? Je ne le saurai jamais… L’occasion m’était donnée de mettre en scène mon premier film avec Lubitsch comme producteur. Et j’aurais mis en scène n’importe quoi, même l’annuaire du téléphone, avec Lubitsch comme producteur, et j’aurais même écrit l’annuaire du téléphone s’il me l’avait demandé. Aussi écrivis-je le scénario, essayant d’y mettre autant que possible des choses qui pouvaient m’intéresser sur ces gens que je ne connaissais pas réellement. »
La rumeur rapporte pourtant que les relations des deux hommes furent orageuses sur le tournage, du fait de l’inexpérience de l’un et de l’autorité de l’autre. Mankiewicz a remis les choses au point : « Ma dispute avec Lubitsch, c’était celle d’un élève avec son maître… Il n’y eut jamais rien entre Ernst et moi, sinon un extraordinaire respect de ma part, et de la sienne. Il m’a toujours remis à ma place quand je le méritais. » Le réalisateur n’en a pas moins réussi à mettre beaucoup de lui-même dans ce premier film voué, a priori, à une certaine impersonnalité. Il semble impossible, en revanche, d’y trouver la moindre trace visible de Lubitsch, dont le rôle dut se borner à surveiller de près le travail d’un metteur en scène débutant, et cette discrétion même confirme le « respect mutuel » que mentionne Mankiewicz.
On peut cependant imaginer que Lubitsch producteur, et donc « privé » de réalisation en raison de son état de santé, devait être particulièrement exigeant et présent sur le plateau. « Produire un film sans le créer était frustrant », déclarera-t-il lors de son retour à la mise en scène pour Cluny Brown (La Folle ingénue). « A présent je me sens comme un danseur qui s’est cassé une jambe et peut, soudain, danser de nouveau. » [Jacqueline Nacache – Lubitsch – Ed. Edilig (1987]
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