Tous les Russes connaissent Ivan le Terrible tue son fils, tableau rouge sang, quasi expressionniste, d’Ilia Repine, où le tsar étreint le cadavre de son fils dans un accès de folie. Ce chef-d’œuvre est désormais contrebalancé par une représentation plus «patriotique» du tsar le plus controversé de l’histoire. Une statue en bronze, haute de trois mètres, d’Ivan le Terrible (une traduction plus correcte serait «le Redoutable») est apparue sans prévenir mercredi matin en plein cœur de Moscou. Impérieux, une ride profonde barrant son front, le tsar pointe du doigt le sol, comme enjoignant de s’agenouiller à ses pieds.

La statue trône à l’entrée de la Société d’histoire militaire russe (RVIO en russe), qui est présidée par le très conservateur ministre de la Culture, Vladimir Medinsky. Davantage intéressé par «l’éducation patriotique» que par le développement des arts, le ministre de la Culture est connu pour abhorrer toute allusion à des fautes perpétrées par l’Etat russe (ou soviétique, ou impérial).

«Victime de calomnie»

L’installation de la statue intervient à peine une semaine après que le président, Vladimir Poutine, a déclaré à la surprise générale qu’Ivan le Terrible «est victime de la calomnie des ennemis de la Russie» et qu’il n’a jamais tué son fils. Selon le président russe, les catholiques sont à l’origine des ragots sur le tsar.

Les tendances révisionnistes du pouvoir russe ont refait surface depuis 2012 et se sont accentuées parallèlement aux tensions politiques avec l’Occident. Surnommé «le pays au passé imprévisible», la Russie entretient un rapport trouble avec ses despotes. Un récent sondage indique que les Russes voient dans Staline la plus grande figure historique de tous les temps.

Héros pédagogues

Avec une bonne dose de mauvaise foi, le RVIO se défend en arguant que la statue d’Ivan n’est pas un monument, mais «une œuvre d’art temporairement installée». Sa disposition sur la voie publique dit le contraire. Pour mieux saisir l’idée derrière l’installation d’Ivan le Terrible au siège du RVIO, il suffit de se rendre sur la page d’accueil de la société. La photo de Vladimir Poutine y apparaît avec une citation: «Le pays doit avoir des héros, et les gens doivent les connaître. Ils doivent être les guides dont la génération actuelle se servira pour s’éduquer et éduquer ses enfants. Ceci est très important!»

Commentant l’entreprise de réhabilitation d’Ivan le Terrible, l’éditorialiste Oleg Kashin résume: «S’il se passe quelque chose de trouble, et qu’il n’y a pas d’objection [officielle], cela signifie qu’il s’agit d’une idée de Vladimir Poutine.»

L’ancêtre de la police politique

Ivan IV le Terrible a régné cinquante ans à la fin du XVIe siècle. Il est le dernier de la dynastie des Riourikides et son règne ouvre le «temps des troubles», une des périodes les plus chaotiques de l’histoire russe. Il introduit le servage, instaure un régime de terreur, et crée l’Opritchnina, l’ancêtre de la police politique. Mais il mène aussi la guerre aux Suédois, aux Polonais et aux Tatars et étend ainsi considérablement le territoire de l’empire vers la Sibérie.

Mal aimé par beaucoup de Russes, le tsar toise fréquemment des passants renfrognés. «C’est une insulte de plus faite au peuple russe. Où sont les statues des défenseurs des droits de l’homme? Sakharov? Estemirova? Politkovskaïa? Il n’y en a que pour les tyrans, les pires meurtriers de l’histoire russe. Lénine est partout, s’indigne auprès du Temps Vladimir Pavlovsky, un Moscovite habitant tout prêt du «monument».

Mais d’autres badauds ne remarquent rien, ou approuvent. «Il a fait de notre pays l’un des plus étendus et les plus puissants au monde», se réjouit Veronika, serveuse de bar dans le quartier.

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"Ivan le Terrible" est un chef-d'oeuvre

Par Jean de Baroncelli

Publié le 06 avril 2009 à 12h41 - Mis à jour le 06 avril 2009 à 12h41 

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OUI : un chef-d'oeuvre. L'apothéose du génie cinématographique de S. M. Eisenstein. C'est en 1941 que les responsables du cinéma soviétique décidèrent de consacrer un film au tsar Ivan le Terrible.

Eisenstein, que Staline tenait en haute estime, se vit confier la réalisation du film. Il en écrivit le scénario, qui devait comprendre trois parties. Mais la guerre était là et Moscou menacé par les armées nazies. En avril 1943, Eisenstein et son équipe cherchèrent donc refuge à Alma-Ata, dans la République de Kazaquie, près des monts Oural, où s'étaient repliés les studios de Moscou et de Leningrad.

Les conditions de tournage furent extrêmement difficiles. Les cinéastes étaient obligés de travailler exclusivement la nuit, les usines d'armement utilisant le jour le courant électrique. Malgré ces difficultés, la réalisation de l'ouvrage fut menée à bien, et la première partie fut projetée, à Moscou, en janvier 1945. Chaleureusement accueilli.

Pendant toute l'année 1945, Eisenstein travailla à la seconde partie de son oeuvre.

Le réalisateur russe se trouvait à l'hôpital lorsqu'au sein du comité central du Parti communiste des critiques s'élevèrent contre la seconde partie d'Ivan le Terrible. Pour ménager le malade, ces critiques ne furent publiées que plusieurs mois plus tard. Eisenstein fit amende honorable et, au cours d'une entrevue qu'il eut avec Staline, obtint l'autorisation de tourner la troisième partie de son film.

Ivan le Terrible ne saurait désormais se concevoir que dans sa totalité. Les deux parties, en effet, s'opposent et se complètent. Tout est composé, agencé, dessiné, avec un art et une minutie sans pareils.

(7 avril 1959.)