HISTOIRE DU CINÉMA
HOLLYWOOD ET LE CINÉMA D’ÉVASION
La dépression apporta la misère et le chômage. Pour faire oublier au public américain la triste réalité quotidienne, Hollywood lui proposa du rêve qu’il pouvait acheter pour quelques cents. Au cours des années qui suivirent la crise de 1929, les magnats de Hollywood n’eurent guère à faire d’efforts d’imagination pour dérider un public totalement abattu.
La confiance dans le capitalisme américain avait été fortement ébranlée par l’effondrement de Wall Street ; les innombrables faillites qui succédèrent entraînèrent le chômage pour des millions de personnes. A cette époque, on entendait partout cette petite phrase : « Dis donc, tu n’aurais pas quelques cents ? » Dans une telle conjoncture, tout le monde, et particulièrement ceux qui étaient les plus touchés par la crise, ne cherchaient qu’à s’évader, même fugitivement, de la réalité quotidienne.
LA COMÉDIE MUSICALE
Si le parlant profita à tous les genres cinématographiques, il en créa un nouveau : la comédie musicale, qui répondait particulièrement bien au besoin d’évasion des spectateurs. Plus que jamais, Hollywood allait mériter son surnom d’usine à rêves.
Un des plus grands créateurs de musicale fut Busby Berkeley. Pour ce réalisateur bouillonnant d’imagination, rien n’était trop fastueux ni trop extravagant quand il s’agissait d’exalter la beauté féminine. Dès ses premiers musicals, 42nd Street (42e Rue) et Footlight Parade deux films tournés en 1933 -, il déploya tous les fastes de ses grandes compositions chorégraphiques, répondant par la même à l’attente du public qui ne souhaitait rien d’autre que d’être émerveillé.
La comédie de Berkeley la plus révélatrice de cette époque fut sans aucun doute Gold Diggers of 1933 (Chercheuses d’or 1933). Dans cette histoire de salle de spectacle menacée de fermeture par une banque, on y entendait un numéro intitulé « Remember My Forgotten Man » qui résumait à lui seul la destinée des jeunes Américains, depuis leur combat dans les tranchées françaises jusqu’aux longues et pitoyables queues qu’ils constituaient à présent devant les soupes populaires et les bureaux d’embauche.
A la RKO, la comédie était traitée de manière sensiblement différente : au lieu des grandioses compositions nécessitant d’innombrables figurants, cette maison de production avait misé sur un couple de danseurs, et ce duo, qui réunissait Fred Astaire et Gingers Rogers, suffisait largement à occuper l’écran. Les titres mêmes de leurs films étaient autant d’invitation au rêve et à l’évasion : Flying Down Rio (Carioca, 1933),The Gay Divorcee (La Joyeuse Divorcée, 1934),Top Hat (Le Danseur du dessus, 1935), Shall We Dance (L’Entreprenant M. Petroff, 1937), Carefree (Amanda, 1938). La perfection de leurs numéros, l’élégance de la photographie, la qualité musicale des chansons et le brio des dialogues ne pouvaient que susciter l’enthousiasme du public qui se pressait nombreux à chaque nouveau film du couple.
LES FILMS D’ÉPOUVANTE
Il existait aussi d’autres voies cinématographiques pour échapper à la réalité : celles de la peur et de l’épouvante. Ce genre avait déjà été exploité du temps du muet : le parlant allait lui donner un essor considérable. Le pouvoir de l’image était renforcé par une utilisation très judicieuse de la bande son qui se peuplait de grincements sinistres et de hurlements de terreur.
Au début des années 1930, l’Universal se spécialisa dans cette production. Les monstrueuses créatures qu’elle lança à l’assaut des écrans avec Dracula (1931), Frankenstein (1931) et The Mummy (La Momie, 1932) saccageant la beauté et le bonheur n’étaient pas loin de symboliser la peur et le désespoir qui avaient saisi toute une nation.
Dans ce flot de films d’épouvante, Freaks. produit par la MGM et dirigé par Tod Browning fut le seul film du genre à s’attirer les foudres de la censure. Profondément anticonformiste pour l’époque, Freaks montrait une communauté d’êtres physiquement monstrueux vivant dans le milieu du cirque. A sa manière, ce monde à part constituait presque un modèle de civilisation tant sa morale était plus élevée que celle du monde « normal ».
King Kong, autre grand film d’épouvante de cette époque, symbolisa lui aussi cette même aspiration à un monde nouveau, débarrassé de la corruption qui avait fait tant de torts à l’Amérique. Face aux chasseurs, photographes, cinéastes et journalistes qui abusent de leur pouvoir, le grand singe Kong représentait l’irruption de la nature dans ce qu’elle a de plus pur et de plus sauvage. Son action purificatrice s’apparente presque à celle de l’ange exterminateur. Le public le comprit si bien qu’il accorda toute sa sympathie à King Kong.
LES COMIQUES
Autre puissant antidote au désenchantement : le rire; les années 1930 allaient être la grande décennie des comiques. Laurel et Hardy, qui travaillaient déjà en duo du temps du muet, surent admirablement passer le cap du parlant. Leur voix devinrent aussi célèbres que leur physique, surtout celle de Hardy qui adopta, en le forçant, l’accent traînant du Sud. Aucun comique, pas même Chaplin, n’utilisa le parlant d’une façon aussi brillante et subtile.
Après avoir tourné plus d’une cinquantaine de films, les deux compères se lancèrent dans. le long métrage. Parmi les titres les plus célèbres de leur collaboration, il convient de citer Fra Diavolo (1933), Bonnie Scotland (Bons pour le service, 1935), Our Relations (C’est donc ton frère, 1936), Way Out West (Laurel et Hardy au Far West, 1937), Swiss Miss (Les Montagnards sont là, 1938), Blockheads (Têtes de pioches, 1938), A Champ at Oxford (Les As d’Oxford, 1940). Leur formule était simple : toujours prêts à aider les autres, ils se lançaient dans toutes sortes d’entreprises. Mais à vouloir trop bien faire, ils n’arrivaient qu’à engendrer la confusion générale. Le catastrophisme extrême de leurs gags atteignait au surréel et, à travers Laurel et Hardy, les spectateurs pouvaient s’adonner, sans vergogne, à leurs pulsions destructrices.
Le même phénomène joua avec W.C. Fields, un autre grand comique qui se réalisa pleinement avec le parlant. Avec sa trogne de fêtard, cet iconoclaste qui faisait fi de toutes autorités et de toutes conventions sociales – il faut l’avoir vu démolir pendant une journée entière, et avec jubilation, un nombre impressionnant de voitures dans If I Had a Million (Si j’avais un million, 1932) – était le héros des opprimés, bien qu’il apparût à l’écran comme le type le plus misanthrope.
Ce joyeux anarchisme décapant se retrouvait aussi dans les films des frères Marx qui entraînaient le public dans un monde irréel où tout était possible. Qui n’aurait souhaité se conduire comme Groucho face à l’indestructible Margaret Dumont ? Pianoter avec la désinvolture de Chico ou enfourcher la bicyclette de Harpo pour poursuivre comme lui, au clair de lune, de jeunes beautés effarouchées ?
LA RÉALITÉ SOCIALE
Outre les grands films d’évasion plus traditionnels ou les aventures exotico-sentimentales de Marlene Dietrich et de Greta Garbo, Hollywood fit aussi quelques tentatives audacieuses pour traiter de thèmes moins frivoles. Les frères Warner eurent le mérite d’aborder les premiers la triste réalité de la crise grâce notamment à deux de leurs réalisateurs, Mervyn LeRoy et William Wellman.
Il est symptomatique de voir à quel point la situation sociale des personnages de I Am a Fugitive from a Chain Gang (Je suis un évadé, 1932), de Heroes for Sale (Héros à vendre, 1933) et de Wild Boys of the Road (1933) est directement conditionnée par la crise économique. I Am a Fugitive from a Chain Gang et Heroes for Sale mettent en scène deux anciens combattants qui, au retour du front, se heurtent à la dure réalité du chômage et se trouvent pris dans un engrenage qui les conduit au délit.
I Am a Fugitive from a Chain Gang dénonçait autant le monde carcéral que la société, tenue pour responsable de la déchéance des mal lotis. Heroes for Sale plus confus, partagé entre l’anticapitalisme et l’anticommunisme, était moins convaincant ; Richard Barthelmess y incarnait l’individualiste Tom Holmes, un des nombreux déclassés de l’après-guerre, frustré par la crise économique. Malgré ses défauts, le film présentait quelques images inoubliables sur les longues files d’attente devant les guichets de secours aux chômeurs.
Le film suivant de Wellman, Wild Boys of the Road, s’inspirait du film soviétique, Le Chemin de la vie (1931) de Nikolaï Ekk, dans lequel on voyait une bande de jeunes garçons que la guerre civile avait jetés sans ressources, sur les routes. Le film de Wellman traitait du même thème mais dans le contexte de la crise américaine ; il se présentait comme «l’histoire d’un demi-million de jeunes Américains, oubliés, maltraités et en marche vers l’enfer ».
Fin 1933, la crise était en voie de résorption ; l’élection de Roosevelt allait permettre l’application de la politique du New Deal. L’industrie cinématographique ressentit très vite ces changements comme en témoignent les résultats positifs du box-office. Et Hollywood qui avait su rire, chanter et danser pendant la crise – sans perdre totalement de vue la réalité – se mit au service de la nouvelle donne.
LES SUCCÈS DU BOX-OFFICE
Grâce aux recettes exceptionnelles de certaines de ses productions, Hollywood parvint à surmonter la crise des années 1930. Le « studio system » hollywoodien se basait essentiellement sur le contrôle des coûts et des profits ; il avait donc tendance à décourager les productions qui s’écartaient trop du budget établi. Mais cette prudence et cette circonspection ne purent empêcher l’industrie cinématographique américaine de connaître, dans la première décennie du parlant, bien des surprises : des mauvaises mais aussi de très heureuses. La découverte du parlant vint en tous cas à point nommé : c’est grâce à elle si le cinéma parvint à surmonter la crise de 1929. Cette année-là, en effet, toutes les majors réussirent à obtenir, avec un film au moins, un gros succès au box-office dépassant deux millions de dollars : ce fut le cas de Gold Diggers of Broadway de la Warner, de Rio Rita de la RKO, de The Broadway Melody de la MGM et de Sunnv Side Up de la Fox.
On assista cependant à une chute en 1932. Tous les studios éprouvaient de sérieuses difficultés : la Warner, de 16 millions de recettes en 1929, enregistra un déficit de 14 millions, bien que la série de comédies musicales de Busby Berkeley, lancée par 42nd Street (1933), eût obtenu un grand succès. Sa situation n’était pourtant pas aussi difficile que celle de la Paramount qui, pendant la même période (de 18 millions de recettes en 1930 à 16 millions de pertes en 1932), fut obligée de se placer sous la tutelle d’un syndic de faillite. Si elle réussit à éviter la débâcle, elle le doit à la prodigieuse « présence » de Mae West dont les films, She Done Him Wrong (Lady Lou, 1933) et l’m no Angel (Je ne suis pas un ange, 1933), rapportèrent 5 millions de dollars dès la première année de leur exploitation.
1931 et 1932 furent deux années de crise pour la Fox ; elle obtint de nouveau un bilan positif en 1933 grâce à State Fair (La Foire aux illusions), un film se situant dans le milieu rural, interprété par Will Rogers, et grâce à Cavalcade, d’après une œuvre théâtrale de Noel Coward.
Après sa fusion avec la 20th Century, la Fox assura ses positions avec plus de 7,5 millions de dollars annuels de recettes entre 1936 et 1938 ; la portée de cette opération profitable fut en outre amplifiée par la découverte de Sonja Henie, protagoniste d’une série de films de patinage sur glace, et de Tyrone Power, qui joua avec Alice Faye dans deux films en costumes, In Old Chicago (L’Incendie de Chicago, 1936) et Alexander’s Ragtime Band (La Folle Parade, 1938), dirigés par Henry King.
Les choses allaient un peu mieux à la MGM. Ses studios, avec raison, se proclamaient le refuge des stars de Hollywood – Grand Hôtel (1932) en apporta la preuve – mais ce fut surtout l’ancien et bien oublié duo Marie Dressler-Wallace Beery qui permit à la MGM d’enregistrer un chiffre record avec Min and Bill (1931), un film qui valut l’Oscar à Marie Dressler et qui fut aussitôt suivi du The Champ (Champion, 1931), interprété par Wallace Beery (lauréat, lui aussi, de l’Oscar), et de Emma (Mes petits, 1932), des films qui rapportèrent plus de 1,5 million de dollars. D’autres grandes réussites commerciales, comme Saratoga (1937) avec Jean Harlow, firent de la MGM la plus solide compagnie.
Il faut également mentionner des sociétés de moyenne importance et des producteurs indépendants qui remportèrent des succès considérables : l’Universal avec All Quiet on the Western Front (A l’ouest rien de nouveau, 1930), l’United Artists avec City Lights (Les Lumières de la ville, 1931) et le producteur indépendant Walter Wanger avec The Trail of the Lonesome Pine (La Fille du bois maudit (, 1936).
Le plus connu des producteurs indépendants, Sam Goldwyn, obtint des bénéfices énormes tout au long des années 1930 avec Whoopee (1930), un musical interprété par Eddie Cantor, et avec deux réalisations des plus ambitieuses, Dodsworth (1936) et Dead End (Rue sans issue, 1937), de William Wyler, lequel dirigea ensuite deux autres grands triomphes de Goldwyn, Wuthering Heights (Les Hauts de Hurlevent, 1939) et The Best Years of Our Lives (Les Plus Belles Années de notre vie, 1946).
Les recettes de la Columbia augmentèrent de manière régulière ; elles passèrent de 11 millions en 1932 (année de crise pour tous les autres studios) à 20 millions en 1939. Ce succès est, en grande partie, à porter à l’actif de deux films de Frank Capra, It Happened One Night (New York-Miami, 1934) et Lost Horizon (Horizons perdus, 1937).
A la fin de la décennie, deux producteurs indépendants misèrent tout sur le cinéma en couleurs : Wall Disney sc consacra à son premier long métrage d’animation, Snow White and the Seven Dwarfs (Blanche-Neige el les sept nains, 1938), qui rapporta quelque 8 millions de dollars ; David O. Selznick présenta Gone With the Wind (Autant en emporte le vent, 1939), un film qui dépassa largement les recettes de Blanche-Neige, et qui allait être pendant longtemps le plus grand succès commercial de l’histoire du cinéma.
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