Sorti en août 1946, Les Enchaînés (Notorious) fut le plus gros succès d'Alfred Hitchcock aux Etats-Unis. David Thompson livre une analyse historique et esthétique de ce film d'espionnage sur la traque d'anciens nazis. Il s'appuie pour cela sur de nombreux témoignages de réalisateurs et d'historiens du cinéma pour le resituer dans son époque et dans la carrière du cinéaste. Images d'archive et extraits du film illustrent ce documentaire.
En mai 1945, Hitchcock participe au montage d'un documentaire sur la libération des camps, une expérience qui le marque profondément. Au Royaume-Uni, il a déjà réalisé quatre films contre le nazisme ; Notorious, l'un des plus sombre de sa filmographie, est le troisième tourné à Hollywood sur le sujet. Les intervenants racontent sa fabrication, décryptent sa construction et des éléments constitutifs (l'importance de la figure de la mère et le traitement des objets comme signes, par exemple). La scène "de la clé" ou celle du baiser entre Cary Grant et Ingrid Bergman sont emblématiques de la mise en place du suspens. Selon François Truffaut, ce qui intéresse Hitchcock c'est de "filmer les dilemmes moraux". S'il n'obtint aucune récompense au 1er festival de Cannes et si, à sa sortie en France en 1948, la critique n'y vit qu'un divertissement, Notorious est aujourd'hui considéré comme un classique de la transition entre la Seconde Guerre mondiale et la Guerre froide.
NOTORIOUS (Les Enchaînés) – Alfred Hitchcock (1946) avec Cary Grant, Ingrid Bergman
Il est des sujets qui donnent des ailes à Hitchcock. L’amour en fait partie. Le film sorti en 1946, sur lequel le réalisateur avait commencé à travailler avec son scénariste Ben Hecht avant même la fin de la guerre, transcende les genres cinématographiques et atteint au chef-d’œuvre absolu. Plus encore qu’avec le scénario, c’est derrière la caméra qu’Hitchcock donna la mesure de son talent, façonnant Notorious au gré du tournage avec une maîtrise vérifiée à chaque instant.
NOTORIOUS (Les Enchaînés) – Alfred Hitchcock (1946) avec Ingrid Bergman, Claude Rains, Leopoldine Konstantin
AMOUR CONTRE POISON
Pour racheter le passé de son père, Alicia accepte d’infiltrer un groupe d’espions nazis… Mais la vie d’agent double comporte des risques. Découverte, Alicia est empoisonnée. Un seul antidote : l’amour.
NOTORIOUS (Les Enchaînés) – Alfred Hitchcock (1946) avec Cary Grant, Ingrid Bergman
C’est en pleine guerre que naquit le projet de Notorious. En août 1944, la chef du département littéraire de David Selznick informait son patron «[Hitchcock] paraît vraiment désireux de tourner une histoire où la confiance aurait une place très importante et où Ingrid Bergman, à laquelle il tient beaucoup, pourrait jouer le rôle d’une femme méticuleusement formée pour accomplir une mission de confiance exceptionnelle, au point d’épouser un homme qu’elle n’aime pas. » Avant même que son producteur ait eu le temps de réagir, Hitchcock partait pour Londres. Il en revint avec un synopsis complet de Notorious. Restait à décider Selznick. Ce ne fut pas difficile. Alors que Spellbound (La Maison du docteur Edwardes) prenait sa forme définitive, Selznick put se convaincre que ce serait un succès (la sortie du film allait bientôt lui donner raison), et – on ne change pas une équipe qui gagne ! – il fut enchanté de relancer le trio Alfred Hitchcock, Ingrid Bergman, Ben Hecht (le scénariste) sur un nouveau projet.
NOTORIOUS (Les Enchaînés) – Alfred Hitchcock (1946) avec Cary Grant, Ingrid Bergman, Claude Rains
Trois semaines durant, enfermés, Hecht et Hitchcock travaillèrent sur les principales scènes du film, que le réalisateur récrivait la nuit… Le scénario prenait forme, l’histoire s’étoffait et de nouveaux éléments venaient s’y greffer. Ainsi, l’uranium fit son apparition et le profil des méchants se précisa. Hitchcock eut beau expliquer à Selznick que l’uranium n’était qu’un MacGuffin, le producteur n’aimait guère l’idée. Il avait reçu une lettre du F.B.I. l’informant de la volonté des services secrets américains d’avoir un droit de regard sur le scénario. Pour cette raison, et parce qu’il était occupé – voire préoccupé – par la production de Duel in the Sun (Duel au soleil) de King Vidor ; Selznick choisit de se débarrasser de son trio gagnant. Il vendit, en tant que « package» dira Hitchcock, le réalisateur, son scénariste et son actrice à la R.K.O. pour la somme de 800 000 dollars, plus 50 % des bénéfices.
NOTORIOUS (Les Enchaînés) – Alfred Hitchcock (1946) avec Cary Grant, Ingrid Bergman
L’ÉPURE ET LA RIME
Le tournage commença en octobre 1945. Il dura jusqu’à la mi-janvier 1946, et des prises supplémentaires furent nécessaires, en janvier d’abord, puis en avril. De fait, malgré le temps consacré au scénario, Hitchcock avoua avoir « fini le découpage technique presque au fil de la production ». Le film y gagna. Le réalisateur mit tout son talent au service d’un découpage technique d’une grande cohérence et d’une grande fluidité, faisant preuve d’une incroyable capacité d’adaptation et de réaction durant le tournage. Le résultat selon Truffaut est que le film atteint « le comble de la stylisation et le comble de la simplicité. » La simplicité, c’est bien ce à quoi Hitchcock s’attacha durant ces journées de tournage, et plus encore lors des prises de vues supplémentaires, en janvier et en avril. Au fur et à mesure que la production avançait, il élimina le superflu et renforça ainsi la cohérence de l’ensemble. Comme l’a remarqué Bill Krohn, plus que jamais, sur le tournage de Notorious, Alfred Hitchcock « écrit avec la caméra ».
NOTORIOUS (Les Enchaînés) – Alfred Hitchcock (1946) avec Cary Grant, Ingrid Bergman, Claude Rains, Louis Calhern
La comparaison du scénario original et du film fini en témoigne. De nombreuses scènes écrites s’avérèrent inutiles après qu’Hitchcock eut filmé tel ou tel plan. Ainsi, Prescott devait apparaître dans plusieurs séquences où il aurait témoigné de sa compréhension des sentiments et de la position de Devlin vis-à-vis d’Alicia. Le simple fait d’introduire le regard de l’agent sur la bouteille de champagne oubliée par Devlin, lorsqu’il apprend la teneur de la mission, nous fait comprendre que Prescott est au courant de ce qui se trame entre les deux personnages. Dès lors, toute scène supplémentaire semblait inutile. De la même manière, le regard de Devlin sur Alicia qui se penche vers le hublot de l’avion arrivant à Rio en dit plus que n’Importe quel dialogue. La relation entre les deux amants fut aussi réduite à l’essentiel.
NOTORIOUS (Les Enchaînés) – Alfred Hitchcock (1946) avec Claude Rains, Leopoldine Konstantin
C’est également au cours du tournage que la structure en écho du film, faite de multiples correspondances, trouva sa forme parfaite. Notorious regorge de rimes visuelles ou symboliques. La sortie d’Alicia du tribunal où son père a été condamné est en parfaite symétrie avec sa sortie finale de la demeure de Sebastian. La gueule de bois d’Alicia à Miami annonce son empoisonnement. Le baiser-travelling à l’hôtel rime avec l’étreinte finale, quand Devlin sort Alicia de chez les Sebastian. Le champagne oublié par Devlin préfigure celui de la réception… Mais Hitchcock fit également rimer certains détails. Ainsi, ce n’est qu’après avoir tourné le panoramique sur la bouteille de champagne oubliée par Devlin et le regard compréhensif de Prescott que le réalisateur effectua deux prises supplémentaires qui introduisirent de nouvelles rimes visuelles : le plan où Devlin regarde Alicia dans l’avion et celui où Prescott observe Devlin alors qu’Alicia se prépare pour sa première visite chez les Sebastian .
NOTORIOUS (Les Enchaînés) – Alfred Hitchcock (1946) avec Cary Grant, Ingrid Bergman, Claude Rains, Leopoldine Konstantin
QUI EST MON AMOUR ?
Who is My Love ? Qui est mon amour ? Tel est le titre auquel Hitchcock avait d’abord pensé en réfléchissant au projet de ce qui allait devenir Notorious. Et, des années plus tard, le réalisateur confirmera son sentiment premier : « Le film tout entier fut conçu comme une histoire d’amour. » L’art d’Hitchcock réside dans sa capacité à fusionner les deux thèmes, celui de l’amour et celui de l’espionnage. L’histoire d’amour et le récit d’espionnage évoluent non seulement parallèlement, mais ils s’alimentent et se renforcent l’un l’autre. Le suspense amoureux rythme l’intrigue politique, et vice-versa. Ainsi, chaque avancée plus avant dans la sordide entreprise nazie est le résultat d’un défi amoureux. Alicia accepte sa mission en espérant que Devlin s’y opposera ; elle a le même espoir quand Alex fait sa demande en mariage. Le comportement de Devlin est identique. C’est toujours dans l’espoir qu’elle refusera (et qu’elle refusera par amour pour lui) qu’il feint l’indifférence. De la même manière, c’est l’amour qui détermine le comportement des deux personnages. Il faut voir le visage illuminé d’Alicia après qu’elle soit tombée amoureuse, et avant même le premier baiser. À son arrivée à Rio, elle abandonne son cynisme du début, devient enjouée et oublie même de boire.
NOTORIOUS (Les Enchaînés) – Alfred Hitchcock (1946) avec Cary Grant, Ingrid Bergman
Seul le poids du passé s’oppose à l’épanouissement de cet amour. La réputation d’Alicia alimente les remarques des agents américains. Devlin lui-même croit un moment qu’Alicia a repris ses habitudes de séductrice alcoolique. Et c’est bien son passé (en tant que fille de nazi) qui permet à Alicia d’infiltrer la demeure des Sebastian et d’approcher les secrets du groupuscule allemand. Tout le poids de ce passé semble même décourager l’intéressée. Notorious rejoint ainsi le grand thème hitchcockien du passé venant hanter le présent développé dans des films comme Rebecca, Spellbound, ou Vertigo (Sueurs froides).
NOTORIOUS (Les Enchaînés) – Alfred Hitchcock (1946) avec Ingrid Bergman, Claude Rains, Leopoldine Konstantin
L’amour de Sebastian pour Alicia est plus franc et direct que celui de Devlin. Il est aussi plus complexe. Comme souvent chez Hitchcock (que l’on pense au Bruno Anthony de Strangers on a Train (L’Inconnu du Nord-Express) ou à Norman Bates dans Psychose), la sexualité d’Alex est très fortement déterminée par son rapport à sa mère. La jalousie de Mrs Sebastian vis-à-vis des femmes qu’il convoite le marque d’une manière évidente. Et c’est vers sa mère qu’Alex se tourne lorsqu’il dévoile le double jeu de sa femme. Son image apparaît alors dédoublée par un miroir comme s’il était à la fois le fils et le mari. Un portrait de lui repose sur un guéridon de la chambre maternelle à la place qu’occuperait habituellement la photo du mari. Cette mère prend d’ailleurs des allures tout à fait masculines lorsque, réveillée par son fils qui vient lui demander conseil, elle allume virilement une cigarette. De cette situation découlent les tendances homosexuelles de Sebastian (qui annoncent celles de Bruno Anthony). À deux reprises dans le film, Alex fait remarquer que Devlin est très séduisant. Pour séduire Alexander ; Alicia se transforme en homme : elle est vêtue en amazone. Et lorsqu’il découvre le véritable rôle d’Alicia, Alex annonce à sa mère : « Je suis marié à un agent américain », exactement comme s’il s’agissait d’un homme.
« [Claude Rains et Ingrid Bergman] : C’était un bon couple, mais, dans les plans rapprochés, la différence de taille était si forte que, si on voulait les avoir tous les deux dans le cadre, il fallait monter Claude Rains sur des cales. A un certain moment, on les voyait tous deux arriver de loin, et comme ils se rapprochaient de nous à la faveur d’un panoramique, il était impossible de faire monter Claude Rains brusquement sur une cale ; il a donc fallu construire un espèce de faux plancher qui s’élevait progressivement ! » Alfred Hitchcock
NOTORIOUS (Les Enchaînés) – Alfred Hitchcock (1946) avec Cary Grant, Ingrid Bergman
BLANCHE NEIGE ET LES SEPT NAZIS
Alicia est la Belle au bois dormant que le baiser de Devlin va réveiller, rompant la malédiction dont elle est victime. Cette malédiction, c’est celle de Sebastian et de ses relations nazies. On a très justement comparé ce personnage à Hadès emmenant Perséphone au royaume de l’Enfer. C’est bien en enfer qu’Alicia pénètre lorsqu’elle se rend pour la première fois chez les Sebastian. Hitchcock nous le montre en donnant à chacune des présentations (la mère, puis les convives) une allure hautement inquiétante. Et ce n’est pas un hasard si, lors de cette visite, Alicia est vêtue entièrement de blanc. Cette fois, Blanche Neige sera empoisonnée par une tasse de café. Dans cet antre infernal, le Diable, le Mal absolu, ce n’est pas Alexander, mais sa mère. Alexander, comme beaucoup de méchants hitchcockiens (Phillip Vandamm dans North by Northwest (La Mort aux trousses) en est l’exemple le plus caractéristique) n’est pas antipathique. Il est attentionné, élégant, aime réellement sa femme, et semble réprouver quelque peu les méthodes expéditives de ses collègues nazis qui n’hésitent pas à liquider l’un des leurs dès lors qu’il représente une menace. Mrs Sebastian, au contraire, incarne réellement tout le mal. Sa froideur et sa droiture sont inquiétantes dès sa première apparition. C’est elle qui suggère d’empoisonner Alicia. Bien que discrète, elle règne sur ces lieux maléfiques. Dans cet univers, le parcours d’Alicia prend une forme très symbolique. Au point que Bill Krohn a pu écrire à son sujet : « Sa dégradation morale et sexuelle tient lieu d’une forme de crucifixion particulièrement féminine. »
NOTORIOUS (Les Enchaînés) – Alfred Hitchcock (1946) avec Cary Grant, Ingrid Bergman
Bien que la référence à l’enfer soit une allégorie, et bien qu’Hitchcock ait affirmé que Notorious était, avant tout, une histoire d’amour, l’élément politique est très présent. L’engagement d’Hitchcock n’était pas nouveau. Le réalisateur avait ostensiblement affiché ses positions interventionnistes et anti-fascistes dans des films comme The Lady Vanishes (Une Femme disparaît) ou Saboteur (La Cinquième colonne). En juin 1945, il s’était rendu en Angleterre pour effectuer le montage d’images de la libération de camps de concentration filmées par les alliés (le film, Memory of The Camps, fut enterré par le gouvernement britannique et ne sortit qu’en 1984…). Son scénariste, Ben Hecht, ne cachait pas non plus sa volonté de rappeler ce qu’était réellement la terreur nazie. Le film en porte la trace. Il s’ouvre sur une référence temporelle très précise : Miami, Floride, 15 h 20, le 24 avril 1946. Et les références au nazisme ne le sont pas moins. L’ultime espoir hitlérien résidait dans l’élaboration d’une arme fatale – d’où l’uranium. Les nazis de Notorious sont eux-mêmes décrits avec réalisme. Le père d’Alicia se tue avec une capsule de poison, comme la plupart des dignitaires nazis ; et l’action du film se déroule en Amérique du Sud, terre d’asile pour les anciens dirigeants du Troisième Reich. Alexander Sebastian et ses acolytes travaillent pour I.G. Farben, firme allemande de produits chimiques, tristement célèbre pour avoir fourni à Hitler le Zyklon-B qui servit dans les chambres à gaz. Conte de fées, œuvre politique, drame amoureux, comédie, film d’espionnage… La lecture du film est multiple ; elle s’échelonne sur plusieurs épaisseurs qui, réunies, forment un ensemble remarquablement structuré et cohérent. N’est-ce pas le propre des chefs-d’œuvre ?
DISTRIBUTION
Pour jouer Devlin, Hitchcock tenait tant à Archibald Leach, plus connu sous le nom de Cary Grant (1904-1986), qu’il n’hésita pas à repousser le tournage jusqu’à ce que son acteur fétiche se libère de ses obligations, au grand dam de Selznick. L’actrice, elle, faisait l’unanimité. N’était-ce pas Selznick lui-même qui avait remarqué Ingrid Bergman (1917-1982) dans Intermezzo (Molander, 1936), avant de la faire venir aux États-Unis ? Outre Notorious, elle fut l’actrice principale de deux autres films d’Hitchcock : Spellbound (1945) et Under Capricorn (Les Amants du Capricorne, 1949). Habitué aux rôles de méchants, Claude Rains (1889-1967) fit d’Alexander Sebastian un parfait personnage hitchcockien, mêlant le charme et la sensibilité à la plus grande infamie. Quant à Louis Calhern (1895-1956), qui avait débuté dès 1921, il était rompu aux comédies, pour avoir joué notamment auprès des Marx Brothers. Le casting allemand était également de qualité. Leopoldine Konstantin (1886-1965), après une belle carrière allemande, tournait pour la première et dernière fois aux États-Unis. Reinhold Schünzel (1886-1954) était connu pour avoir joué sous la direction de Pabst dans L’Opéra de quat’sous (1931). Quant à Ivan Triesault (1898-1980), il mêlait la danse et le mime à ses talents d’acteur.
NOTORIOUS (Les Enchaînés) – Alfred Hitchcock (1946) avec Cary Grant, Ingrid Bergman, Claude Rains, Leopoldine Konstantin
ANALYSE DU FILM
Prise de contact : Miami, Floride, 15 h 20, le 24 avril 1946. Au tribunal, John Huberman est reconnu coupable de trahison envers les États-Unis. Sa fille Alicia sort impassible sous les flashs des journalistes. Un homme demande qu’on la suive. Chez elle, Alicia donne une soirée. Un inconnu l’intrigue. Elle chasse ses invités et se retrouve seule avec lui. Manifestement ivre, elle propose, en pleine nuit, d’aller pique-niquer… Cooptation : Alicia conduit comme elle peut son invité surprise sur une route de Floride. A ses côtés, Devlin reste serein. Un motard arrête la voiture, mais se retire quand Devlin présente sa carte. Alicia comprend qu’il est policier. Il la reconduit. Au matin, il annonce qu’il travaille pour les renseignements américains et cherche à lui confier une mission secrète au Brésil, où sont réfugiés des amis de son père. Alicia finit par accepter
L’envol : Dans l’avion qui les emmène à Rio-de-Janeiro, Alicia apprend que son père s’est suicidé en prison. À Rio, Devlin et Alicia attendent de connaître le contenu de leur mission, pendant que le supérieur de Devlin, Paul Prescott, négocie avec les autorités brésiliennes. Devlin, qui reste distant et quelque peu méprisant avec Alicia, finit par succomber à celle dont il est chargé de superviser la mission. Ils s’embrassent… Dîner aux chandelles : Alors qu’il se prépare à passer une soirée avec Alicia, Devlin est appelé auprès de Prescott. Son supérieur lui apprend la teneur de la mission : Alicia est chargée de séduire un ancien ami de son père, Alexander Sebastian, qui dirige des opérations secrètes d’anciens nazis et qui a été amoureux d’elle par le passé. Retrouvant sa froideur initiale, Devlin annonce le programme à Alicia. Elle doit infiltrer la maison des Sebastian pour surveiller ce qui s’y trame. Avant d’être consommé, le dîner est aussi froid que l’est devenu le couple. Mata Hari : Devlin mène Alicia faire du cheval. C’est là qu’elle doit renouer contact avec Sebastian. Le stratagème fonctionne : Sebastian reconnaît Alicia et la convie à dîner. Au restaurant, la jeune femme joue la carte de la séduction et feint de partager les opinions nazies de son père. Sebastian affirme qu’il a gardé les mêmes sentiments pour elle depuis leur dernière rencontre. Alicia découvre que Prescott, qui dîne dans la même salle qu’eux, est connu de Sebastian comme espion américain.
Bévue mortelle : Alicia est conviée à dîner chez Alexander Sebastian. Elle y rencontre sa mère, puis ses amis, tous réfugiés allemands. Soucieuse de mener à bien sa mission, elle est très attentive à chaque détail de la soirée. Lors du dîner, un convive, Emil Hupka, semble s’inquiéter à la vue de bouteilles de vin. Après le repas, les hommes discutent de la « faute» d’Hupka. Il est décidé qu’il faut « s’occuper» de lui. Eric Mathis se propose de le conduire sur une petite route sinueuse… pour s’en débarrasser. Demande en mariage : Alicia, Sebastian et sa mère se rendent au champ de courses. Alicia y retrouve Devlin, et lui narre les événements de la soirée, dont l’incident des bouteilles de vin. Elle annonce également avoir conquis Sebastian. Devlin réagit brutalement. Alexander retrouve Alicia, se montre jaloux de Devlin et lui demande des preuves de son amour… Alicia retrouve Prescott, Devlin et leurs collègues brésiliens pour leur annoncer qu’Alexander la demande en mariage. Bien que manifestement agacé, Devlin ne s’y oppose pas. De son côté, Alexander doit composer avec la jalousie de sa mère.
Maîtresse de maison : Après le mariage, Alicia s’installe chez les Sebastian. En bonne maîtresse de maison, elle visite chaque parcelle de la demeure, dans le but évident de poursuivre sa mission. Malgré l’opposition maternelle, elle obtient toutes les clés de la maison, exceptée celle du cellier. Elle rend compte de ses découvertes à Devlin, qui l’engage à se procurer la clé du cellier et à organiser une soirée où invité, il pourra s’y introduire. Lors de la préparation de la soirée. Alicia parvient à subtiliser la clé du trousseau de son mari. Le champagne coule à flot : À la réception des Sebastian, Alicia parvient à donner les clés à Devlin. L’investigation doit être rapide. Si le champagne venait à manquer, Sebastian se rendrait compte de l’absence de la clé du cellier sur son trousseau. Alicia mène Devlin à la cave. Là, en cassant une bouteille, ils découvrent qu’elle contient un sable étrange, qui s’avérera être de l’uranium. Sebastian arrivant, Devlin embrasse Alicia pour cacher leur véritable but, puis affirme avoir forcé la volonté de la jeune femme. Le soir, Alexander découvre qu’il manque une clé à son trousseau.
Qui est pris qui croyait prendre : Au matin, la clé est de nouveau à sa place sur le trousseau. Alexander Sebastian se rend dans le cellier et découvre bientôt la bouteille cassée. Il se rend compte qu’il a épousé une espionne américaine et fait part de sa découverte à sa mère… Puisque les amis de Sebastian ne doivent rien savoir de tout cela, sans quoi Alexander le paierait de sa vie, sa mère et lui décident de se débarrasser d’Alicia en feignant une longue maladie qu’ils provoqueront en l’empoisonnant progressivement. Poison lent : Alicia apprend de Prescott que Devlin a demandé à être muté en Espagne. Lorsqu’elle le rencontre, il n’en dit rien. Elle est visiblement malade, mais Devlin croit à une gueule de bois, convaincu qu’elle a repris ses habitudes de débauchée. Il s’agit en fait de l’effet du poison que lui administre Sebastian dans son café. Alicia finit par comprendre, mais elle n’a plus la force de réagir. Elle doit être alitée. Sebastian prend soin d’ôter le téléphone de sa chambre. Sans nouvelles d’Alicia depuis plusieurs jours. Devlin décide de se rendre chez les Sebastian.
La scène de l’empoisonnement : Dans le calvaire qu’endure Alicia Huberman chez les Sebastian, la scène de l’empoisonnement est sans doute la plus forte. Comme la plupart des séquences du film, elle fut d’abord envisagée d’un point de vue extérieur, objectif, avant d’être recentrée sur le personnage d’Alicia en renforçant le point de vue subjectif. Hitchcock voulait nous plonger dans les souffrances de la jeune femme. Il y parvint en maniant magistralement tous les outils à sa disposition : jeu des acteurs, mouvements de caméra, montage, bruitage… On peut noter que le réalisateur avait tenté d’obtenir un effet qu’il décrivit ainsi : « La porte semble d’abord normale, puis elle s’éloigne de la caméra, hors d’atteinte d’Alicia. » Cette image venait d’une expérience personnelle qu’il avait vécu après une consommation excessive d’alcool… Hitchcock ne parvint pas au résultat qu’il escomptait. Ce n’est qu’en tournant Sueurs froides, quelques années plus tard, qu’il l’obtiendra, lors de la fameuse scène dans le clocher.
L’amour triomphe : Chez les Sebastian, Devlin apprend qu’Alicia est malade. Il parvient à rejoindre sa chambre et la retrouve, très mal en point. Elle lui annonce être victime d’empoisonnement et, alors qu’elle s’étonne qu’il ne soit pas en Espagne, il lui avoue son amour pour elle. Devlin porte Alicia jusqu’à sa voiture, devant Sebastian rendu impuissant par la présence de ses amis. Au dernier moment, Devlin empêche Sebastian de monter dans la voiture, le livrant à ses bourreaux qui comprennent enfin. La porte de la demeure se referme sur Alexander.
LE PLUS LONG BAISER…
Le baiser d’Alicia et Devlin fut longtemps considéré comme « le plus long baiser de l’histoire du cinéma ». Pourtant, le Code de production imposait qu’un baiser ne dure pas plus de trois secondes ! De fait, Hitchcock sut composer avec la censure : Devlin et Alicia ne s’embrassent jamais plus longtemps. C’est le nombre de baisers qui valut à la scène ce compliment. L’idée originale prévoyait une coupe entre les baisers du balcon et ceux du téléphone. Hitchcock choisit finalement de filmer la scène en un seul plan séquence. Les dialogues, qui furent en grande partie improvisés par Bergman et Grant, avec leurs doubles sens, ajoutent à l’érotisme de la séquence. Cela ne plut pas à tout le monde. Lors d’une projection-test où les spectateurs notaient chaque scène en fonction de leur satisfaction, le film obtint de très bonnes notes. Une seule scène fut mal jugée : celle du baiser…
EFFETS SPÉCIAUX : PETIT GLOSSAIRE DES MOUVEMENTS DE CAMÉRA
Fondamentalement, le cinéma se distingue de la photographie par le mouvement et sa représentation. Pourtant ce qui apparaît aujourd’hui comme une évidence ne le fut pas toujours. Au tout début du cinéma, la caméra était immobile: le mouvement provenait uniquement de la scène filmée. Les personnages, les éléments (nuages, vagues…) ou les objets (un train, une voiture) constituaient le seul moteur du mouvement dans un film. L’apparition de déplacements « naturels » de caméra fut la première évolution. Pour suivre un personnage, l’appareil de prise de vues était placé sur un bateau, un train, une voiture, créant ainsi un mouvement propre à la caméra.
ON SET – NOTORIOUS – Alfred Hitchcock (1946)
Avec le temps, le mouvement de la caméra acquit une réelle autonomie, en grande partie grâce aux progrès techniques. L’impact fut énorme : les mouvements de caméra s’intégrèrent pleinement au langage cinématographique et permirent l’épanouissement complet d’un art. Dès 1916, Billy Bitzer effectuait un remarquable mouvement de caméra, précurseur de l’utilisation d’une grue, pour Intolérance, de David Griffith. Pourtant, il faudra encore attendre des années avant que les possibilités techniques rendent de tels effets possibles sans avoir recours à des moyens trop onéreux ou scabreux. En 1945, pour réaliser le fameux travelling des Enchaînés, Alfred Hitchcock dut faire construire l’appareil nécessaire pour réaliser son plan. On distingue cinq méthodes de tournage principales : le plan fixe, le panoramique, le travelling, la grue et la caméra sur l’épaule. L’absence de mouvement, le plan fixe, utilise en général une caméra installée sur un pied, dont la taille peut varier.
ON SET – NOTORIOUS – Alfred Hitchcock (1946)
On emploie un « pied de campagne », c’est-à-dire un pied télescopique à trois branches, directement hérité de celui des photographes. Pour certains plans (une contre-plongée vue du sol, par exemple), le pied est proscrit. On utilise alors un socle spécial, une base, beaucoup plus petite. Le panoramique est une simple rotation de la caméra. Le terme désigne aussi bien le mouvement de la caméra que l’effet visuel obtenu avec ce mouvement. Il peut être horizontal, vertical ou oblique. Une caméra professionnelle comporte deux axes de rotation, horizontal et vertical. Le panoramique horizontal s’obtient par rotation autour de l’axe vertical, le panoramique vertical autour de l’axe horizontal et le panoramique oblique par la combinaison des deux mouvements.
ON SET – NOTORIOUS – Alfred Hitchcock (1946)
Le travelling désigne le déplacement de la caméra elle-même. On distingue trois types de travelling. Le premier consiste à donner le point de vue d’un personnage (la route qui défile quand le personnage conduit, par exemple). La caméra est alors simplement installée dans le moyen de locomotion avec l’acteur. Un autre type de travelling consiste à suivre un personnage en mouvement. Pour cela, la caméra est généralement placée sur un chariot de travelling ou une voiture-travelling. Enfin, le dernier groupe de travellings est purement narratif et nécessite des moyens fort divers selon la situation. Au réalisateur de déterminer celui qui convient le mieux. La grue ouvre la troisième dimension et permet le mouvement vertical, alors que le chariot de travelling ou la voiture-travelling n’autorisent généralement qu’un mouvement selon un plan horizontal. Enfin, la caméra sur l’épaule fut d’abord utilisée pour le reportage. Certains réalisateurs l’intégrèrent à leur propre langage à cause des possibilités qu’offre une telle mobilité.
ARRÊT SUR IMAGE
LES PRÉMICES DU FILM
L’idée de Notorious venait d’une nouvelle de John Taintor Foote, The Song of the Dragon (La Chanson des flammes), parue en 1921 dans le Saturday Evening Post, que David Selznick, le producteur d’Hitchcock lui avait mis entre les mains. On peut pourtant parler d’un scénario original tant le texte de Foote ne fut qu’un prétexte. La qualité de l’œuvre doit tout au travail du réalisateur et de son scénariste, Ben Hecht (1894-1964), dont Hitchcock connaissait le talent depuis leur collaboration sur Spelbound. Les deux hommes s’inspirèrent aussi de la vie des grandes espionnes telles Mata Hari (1876-1917) ou Marthe Richard (1889-1980), ancienne prostituée ou service de la Fronce durant la Gronde Guerre, qui fera compagne en 1946 contre les maisons closes, fermées par une loi qui porte son nom.
Miami 1946. Par l’intermédiaire de l’agent Devlin, le FBI entre en contact avec Alicia Huberman, jeune femme à la vie dissolue dont le père vient d’être condamné pour espionnage au profit des Nazis. Devlin vient à bout des réticences d’Alicia en lui faisant écouter un enregistrement où elle s’oppose avec mépris aux agissements de son père. Elle sera utilisée comme agent d’infiltration au Brésil, véritable nid de guêpes pour Nazis défaits. Le couple s’envole pour Rio sans connaître la nature précise de leur mission. Alicia, qui s’est éprise de son agent de liaison, cesse de boire. Mais Devlin, bien que partageant malgré lui des sentiments identiques, reste circonspect quant à la sincérité des sentiments de cette jeune femme et à la solidité de ses nouvelles résolutions. Le capitaine Prescott dévoile enfin les tenants de la mission confiée à Alicia : elle doit renouer contact avec un vieil ami de son père, Alex Sebastian, sympathisant notoire de la cause nazie amoureux d’elle depuis des années, et user de son charme auprès de lui pour infiltrer l’organisation. Par fierté, ni Devlin ni Alicia ne s’opposent à cet objectif...
ANALYSE ET CRITIQUE
Romance et espionnage. En n’y regardant pas d'un peu plus près, on risque de ne voir dans ce Notorious qu’un succédané hollywoodien des œuvres anglaises qui établirent la réputation de Hitchcock dans les années trente et qui conduisirent Selznick à l’attirer vers La Mecque du cinéma. Pourtant, Les Enchaînés n’est pas un Correspondant 17 ou une Cinquième colonne de plus dans la filmographie de celui qui reste aux yeux du grand public comme le maître du suspense. Truffaut le considérait tout simplement comme le meilleur des films américains des années quarante en noir et blanc, et si le maître avouait quant à lui une tendresse particulière pour Shadow of a Doubt, il est clair qu’il s’agit d’un titre moins représentatif dans sa filmographie. On peut être en droit de penser que si Hitchcock négligeait volontiers ce titre, c’est qu’il fut longtemps porté par Selznick, avec tout ce que cela sous-tend en termes de contraintes et de limites dans l’expression d’un tempérament aussi créatif que le sien.
Officiellement en effet, Les Enchaînés est une distribution RKO, et ce même si le carton initial du générique précise qu’il s’agit d’une release Selznick International. Aujourd’hui le film constitue donc la première production Alfred Hitchcock, mais Selznick consacra beaucoup de temps et d’argent à la pré-production et à la constitution du scénario de Notorious. C’est Hitchcock qui en eut l’idée de base à l’automne 1944 : bâtir une histoire autour d’un abus de confiance. "Une femme vendue à l’esclavage sexuel pour motifs politiques" serait la victime de cet abus de confiance. Soucieux de renforcer ses accords avec Hitchcock sur du long terme - il échouera, les deux hommes ne collaboreront plus que sur le titre suivant, le décevant Procès Paradine - Selznick lui garantit un traitement royal comme scénariste et réalisateur. Hitch est payé à la semaine, comme le sera Ben Hecht, à nouveau associé au projet après Spellbound. On ne compte plus les différents états du scénario qui seront élaborés en 1945 (Clifford Odets, non crédité, ayant aussi apporté sa pierre à l’édifice) ; ce qui est sûr c’est que ce long processus de création grève lourdement les finances de Selznick, par ailleurs engagé dans sa folie Duel au soleil. David O. Selznick, qui avait jusqu’alors supervisé de très près les travaux, doit se résoudre à abandonner son bébé pour dégager du cash : un deal est passé avec la RKO, qui rachète le package pour 800 000 dollars et contre la garantie de partager équitablement les éventuels bénéfices.
On peut reprocher beaucoup de choses au producteur démiurge, et particulièrement sa propension à vampiriser les auteurs qu’il finançait, mais dans le cas de Hitchcock, il lui aura sans doute aussi apporté ce qui lui faisait défaut, à savoir l’enrichissement psychologique de personnages souvent réduits jusque-là à de simples marionnettes un peu schématiques. Ayant bénéficié de l’instinct de son producteur au stade de la confection du script, et dégagé de sa mainmise sur la réalisation et le montage proprement dits, Alfred Hitchcock livre alors une œuvre séminale et matricielle pour la suite de sa filmographie, en quelques mots le film de la maturité accomplie.
A partir des Enchaînés, Hitchcock abandonne peu à peu le principe du fameux McGuffin, ce ressort du mystère qui alimentait à lui seul le suspense de l’œuvre. Qu’en est-il du McGuffin dans le film qui nous intéresse ? Il réside dans l’utilisation d’uranium dissimulé dans des bouteilles de Bordeaux. Point de spoiler ici. Le McGuffin en lui-même ne génère pas le suspense, il n’a aucune importance propre et l’uranium aurait pu être remplacé par n’importe quel autre argument. Tel quel, il aura servi de teaser publicitaire, en permettant de présenter Les Enchaînés comme le premier film basé sur la terreur naissante de la bombe atomique : ne pas oublier que Maître Hitch est aussi un showman d’exception. Les personnages ne sont pas directement mis en danger au regard de ce nœud du mystère proprement dit, mais plus par les ruses qu'ils doivent déployer pour le mettre à jour : subtiliser les clés qui constituent le sésame de l’accès à la cave, justifier leur réunion au risque de révéler leur vrai nature.
La tension qui alimente le récit est déplacée ailleurs, peut-être moins d’ailleurs dans la mise en perspective des dangers encourus par l’agent d’infiltration Alicia Huberman que dans la description de l’acrimonie des sentiments réprouvés par chacun des deux principaux protagonistes. Entendons-nous bien, la panoplie des effets de mise en scène déployés par Hitchcock est tout simplement extraordinaire d’ingéniosité et de virtuosité. Qu’il s’agisse de ce mouvement à la grue venant zoomer sur le trousseau de clés posé sur une commode, enchaîné à un travelling latéral de Claude Rains venant saisir et baiser les deux mains de Bergman refermées sur l’objet du délit, ou des plans de tasses de café en amorce du cadre signifiant par la litote l’empoisonnement progressif de la belle Suédoise, on ne compte plus ces tours de force témoignant d’un art de la suggestion qui confine au génie visuel le plus pur. Simplement ils ne sont que l’aboutissement des recherches stylistiques élaborées par Hitchcock sur Soupçons ou La Maison du docteur Edwardes par exemple (le verre de lait, le cadrage des mains de Gregory Peck refermées sur un rasoir menaçant, etc.) et qui constituaient déjà une marque de fabrique personnelle et indélébile. Non, ce qui soutient véritablement l’intérêt et le suspense inhérent à l’intrigue, c’est bien la mise en valeur de ce jeu de séduction et de persuasion cruel auquel se livre le couple formé par Ingrid Bergman et Cary Grant, qui comptent probablement parmi les personnages les plus ostensiblement masochistes de la grande galerie des névrosés en tous genres brossés par Hitchcock : le Maxime de Winter de Rebecca, la Lina de Suspicion, le couple Scottie/Madeleine de Vertigo.
Schématiquement, Notorious est orchestré en trois actes articulés autour d’autant de morceaux de bravoure et qui tous renvoient à la relation nouée entre Devlin et Alicia : la longue introduction à l’intrigue criminelle proprement dite, qui culmine lors du célèbre plan-séquence du baiser (en fait une longue succession d’étreintes et d’effleurements sensuels magnifiés en plans rapprochés par des mouvements de caméra caressants et moelleux) qui tend à célébrer l’attirance sensuelle qu’éprouvent l’un pour l’autre les deux héros, pourtant incapables, comme tous les personnages de mélodrame dignes de ce nom, de croire - avant tout par manque de confiance personnelle - en la sincérité des sentiments de leur partenaire ; la mise à l’épreuve de la résistance sentimentale de l’un et de l’autre, caractérisée par une volonté de mise en danger irraisonnée chez Alicia et par une acceptance muette et pathétique des compromissions de cœur auxquelles accepte de se livrer sa bien-aimée de la part de Devlin, la situation trouvant son point d’exergue dans la séquence de la réception faisant suite au mariage ; arrivé à ce point de non-retour, il faut bien que l’un des amants baisse pavillon et fasse enfin taire sa fierté déplacée. Ce sera Devlin, sorte de négatif du héros de film noir, se défaisant de sa défiance paroxystique à l’encontre de la gent féminine, pour enfin porter secours à une Alicia dépourvue de plus d’arguments dans la défense de la sincérité de son amour et acceptant avec résignation son sort funeste.
Cette œuvre d’une rare sensualité, est aussi un manifeste du pouvoir de subjectivité de la mise en scène et du montage hitchcockiens. Ici, le choix des cadrages témoigne d’une véritable grammaire cinématographique, propre à son auteur mais néanmoins universelle en ce sens qu’immédiatement appréhendée par le spectateur. Ainsi de l’usage du très gros plan, réservé aux scènes à deux les plus intimes, ces scènes d’abandon sensuel entre les amants, les plans moyens renvoyant à une fêlure, une distance introduite entre les deux protagonistes, comme en atteste la composition des plans choisis par le maître avant et après la prise de connaissance de la mission d’Alicia par le couple. Là, le déterminisme du montage recentre le point de vue du spectateur sur celui d’Alicia, comprenant interloquée qu’Alex et sa mère ont percé à jour sa duplicité et qu’ils cherchent à l’éliminer : usage d’inserts en zoom sur Ingrid Bergman venant briser le rythme naturel de plans d’ensemble des acteurs prenant le café au salon, et tendant à l’isoler de ses partenaires en renforçant son désarroi. Nous pourrions multiplier les exemples à l’infini mais contentons-nous de souligner le recours étrange à l’illustration musicale. Le thème de Roy Webb est utilisé avec une parcimonie extrême qui ajoute à la singularité de l’œuvre. Ainsi, contrairement aux conventions habituelles, Hitchcock refuse de recourir à la musique pour souligner les premiers grands élans romantiques du film, comme s’il souhaitait ainsi en souligner le caractère fragile et éphémère. Les murmures que se livre à l’oreille le couple enlacé sont bercés par les rumeurs de la ville, obsédantes, étouffées et lointaines, et ce ne sera que lors du grand final que l’amour du couple sera sublimé par les accords échevelés d’un grand thème romantique. Une preuve de plus que sous son apparence de facture classique, ce mélodrame d’espionnage est bien l’une des œuvres les plus originales et les plus novatrices du maître du suspense, un véritable grand film malade.
Est-il bien nécessaire de vanter encore les mérites d’un casting proprement miraculeux ? Dans l’un de ces rôles de femmes frustrées et fragilisées par excès de romantisme qui établirent son aura mythique, du Gaslight de Cukor jusqu’à La Peur de Rossellini, Ingrid Bergman se révèle sans surprise une fois de plus littéralement irremplaçable. Il faut par contre saluer le courage et la remise en cause de Cary Grant, très loin de la fantaisie naturelle qu’il afficha le plus souvent, assumant superbement un personnage longtemps effacé, entre perplexité et rigorisme, et dont la côte de sympathie pâlirait presque au regard des élans de naïveté romantique affichés par le méchant de l’histoire, l’incomparable Claude Rains dans un rôle synthétique de toute sa carrière. Alex Sebastian, encombré d’une mère possessive, préfigure bien des héros hitchcockiens à venir, qu’ils soient négatifs comme le Bruno Anthony de Strangers on a Train ou positifs et peu lunaires comme le George Kaplan de North by Northwest, et Hitchcock semble avoir projeté beaucoup de lui-même dans ce personnage. Si en vertu du principe qu’un grand thriller nécessite un méchant de haut vol, il est clair qu’on tient avec Notorious un très grand film.
Les Enchaînés (Notorious) (1946) d’Alfred Hitchcock met en scène un paradoxe : un « méchant » qui ne manque jamais de dire à une femme qu’il l’aime et qui se meurt d’amour pour elle ; un « gentil » qui aime cette même femme mais qui éprouve les pires difficultés à le lui dire et lui fait même jouer un jeu cruel où elle risque sa vie. C’est un film où Hitchcock se plait à tordre les images archétypales du gentil et du méchant, telles que les contes d’enfant les représentent, un de ces films qui témoignent de sa fascination pour les personnages ambigus et les figures du mal, qui suit d’ailleurs de près deux autres films approfondissant davantage encore ce même motif, Soupçons (1941) et son mari étrangement menaçant et L’Ombre d’un doute (1943) et son oncle tueur en série étrangement charismatique.
Au début du film, Alicia Huberman (Ingrid Bergman), dont le père nazi vient d’être condamné à vingt ans de prison pour espionnage, et qui noie son désarroi dans les fêtes et l’alcool, est approchée par Devlin (Cary Grant), un agent de la CIA. Celui-ci lui propose de travailler pour le gouvernement américain en infiltrant un groupe de nazis amis de son père et réfugiés au Brésil. Alicia accepte, peut-être parce qu’elle aime son nouveau pays, les Etats-Unis, plus sûrement parce qu’elle est lasse de vivre. Peu après son arrivée à Rio, elle apprend le but véritable de sa mission : séduire un homme de ce groupe, Sebastian (Claude Rains), qui la connait et l’aime depuis toujours. Or, elle est entretemps tombée amoureuse de Devlin. Ce pitch de film d’espionnage n’est pour Hitchcock qu’un prétexte à la constitution d’un trio de personnages : au sommet du triangle, Alicia, la femme-objet qui croit accéder aux désirs de Devlin en acceptant de séduire puis épouser Sebastian ; c’est l’héroïne du film. A la base, sur la gauche, Devlin, l’homme qui fait battre son coeur, en qui elle a placé ses espoirs de renaissance, et qui pourtant résiste par devoir à l’attrait qu’elle exerce sur lui : certes l’idée de demander à Alicia de séduire Sebastian n’est pas la sienne (c’est celle de son supérieur, Prescott), mais il va néanmoins lui faire cette proposition et la mettre dans une situation impossible. A la base, cette fois sur la droite, Sebastian, le nazi fou amoureux d’Alicia, qui n’a d’yeux que pour elle et brave son dragon de mère en l’épousant. Devlin et Sebastian ont tous deux le regard tourné vers elle (comme nous, car Ingrid Bergman est merveilleuse dans ce film) mais leurs actions ne concordent guère avec les rôles que la situation de départ leur a dévolus, si bien que Les Enchaînés est un film où l’on est en droit de ressentir un peu de sympathie pour celui que les mots nous désignent comme un nazi (mais que les images nous montrent comme un homme qui souffre d’aimer une femme sans recevoir son amour en retour) et un peu d’anthipathie pour celui que les mêmes mots nous désignent comme un agent de l’empire du bien (mais que les images nous désignent comme une figure parfois cruelle). Il faut s’appeler Alfred Hitchcock pour être capable de nous faire ressentir de la compassion pour un personnage de nazi au sortir de la seconde guerre mondiale, autre paradoxe d’un film que Ben Hecht (un des grands scénaristes de l’âge d’or d’hollywood) avait écrit en entendant dénoncer les agissements de la firme allemande I.G. Farben à laquelle les amis du père d’Alicia appartenaient dans le scénario original.
Ce décalage entre mots et images est typique de l’art d’Hitchcock chez lequel ce sont les images qui racontent les histoires et non les dialogues – il écrivait avec sa caméra. Les scènes introductives du personnage de Devlin sont à cet égard révélatrices. Nous ne voyons d’abord que la nuque muette de Cary Grant, bloc sombre au premier plan du cadre, angle aveugle où les yeux sont cachés et qui reflète l’aveuglement premier de Devlin, lui qui ne voit d’abord Alicia que comme une alcoolique, à l’image de sa réputation (d’où ce titre original américain : « Notorious »), propre à devenir un instrument de la CIA. Le lendemain matin, Hitchcock poursuit cette entreprise de démythification de la figure du preux chevalier : quand Alicia voit de nouveau Devlin, Hitchcock le filme cette fois en caméra subjective avec un cadrage oblique, un Dutch angle, d’abord de l’ordre de 45°, si bien que la silhouette de Devlin est penchée sur le côté, et puis de 180°, la silhouette de Devlin étant cette fois complètement renversée. Hitchcock nous annonce la couleur : Devlin ne possède pas la droiture et la noblesse d’esprit du preux chevalier – sauf à penser que sa loyauté vis-à-vis des directives de la CIA relève de la droiture morale, ce qu’elle n’est pas. Sa rectitude physique est un leurre et de même que son esprit se plie aux demandes de son métier, il va demander à Alicia de plier sa noblesse d’esprit naturelle, de se pencher elle aussi en acceptant de travailler avec lui.
Au contraire, voyons comment Hitchcock filme pour la première fois le personnage de Sebastian : il est à cheval, la monture d’Alicia s’emballe, il part au galop pour lui éviter un accident de cheval : n’est-ce pas là l’attitude d’un preux chevalier, au sens propre comme au sens figuré, celle qu’on aurait attendu de Devlin ? La scène suivante le confirme : Sebastian est tout sourire au restaurant et Hitchcock filme son visage en gros plan (privilège rarement accordé à Devlin jusqu’ici), qu’il montre sillonné de rides, des rides de fatigue, des rides d’amoureux, des rides chaleureuses, celles du visage de Claude Rains, admirable d’humanité dans ce rôle. Les nazis qu’Alicia rencontre sont eux aussi filmés en gros plan, visages marqués certes, mais souriant et soucieux de bien accueillir Alicia dans leur rang (cependant Hitchcock montrera bien vite leur vrai visage dans la scène suivante, levant le voile des apparences), alors que Prescott, le supérieur de Grant joué par Louis Calhern, ne se départ jamais d’un flegme qui trahit l’indifférence (apparente peut-être) avec laquelle il envoie Alicia au feu, lui faisant courir mille risques sans que cela lui fasse perdre l’appétit, devinant l’attirance de Devlin pour Alicia (voir ce gros plan sur la bouteille de champagne oubliée que Calhern regarde soucieux), mais se gardant bien de l’évoquer ouvertement avec son agent de peur de compromettre sa mission (en réalité, une scène de cet ordre a été coupée au montage pour des raisons de censure – elle rendait le personnage plus sympathique).
C’est la deuxième partie du film qui récèle ses plus beaux moments, durant lesquels le visage frémissant d’Ingrid Bergman, d’une pureté de sainte, devient pour tous le centre du film et du monde. Alicia a accepté d’épouser Sebastian par amour pour Devlin, pour se conformer à l’image d’elle que ses yeux opaques lui ont renvoyé, immense sacrifice qui n’a pourtant pas l’heur de lui plaire. Au cours d’une soirée donnée par Sebastian, Alicia et Devlin découvrent que les bouteilles de vin de la cave contiennent de l’uranium enrichi (prélude, on l’imagine, à la construction d’une bombe nucléaire, mais comme d’habitude avec Hitchcock, le MacGuffin n’a pas d’importance). Dans le même mouvement, s’apercevant que la clé de la cave lui a été dérobée, Sebastian, qui ne se doutait jusqu’ici de rien, réalise qu’Alicia est une espionne et qu’il a été joué. Alors, il va demander conseil à sa mère. Ah, la mère de Sebastian. C’est le seul rôle joué par l’actrice autrichienne Leopoldine Konstantin dans un film américain et pourtant elle est parvenue à marquer son passage à Hollywood par cette seule apparition, qui est inoubliable. Dès le départ, Hitchcock la filme comme un dragon : une attente, et puis le visage qui vient du fond du cadre (comme du fond d’une antre) barrer le premier plan. Un visage qui impressionne : fermé, avec un air faux et de petits yeux méchants. Il est patent qu’elle aime son fils malgré sa faiblesse, et qu’elle a toujours fait tout ce qu’il fallait pour le garder auprès d’elle. Leur relation quasi-fusionnelle (où la mère commande le fils soixantenaire, l’inversion des rôles continue) préfigure peut-être, sans la folie, celle de Norman Bates et de sa mère dans Psychose quoiqu’elle joue plutôt dans l’appartement de Sebastian le rôle de gardien du temple et des clés de la gouvernante de Rebecca. Cette mère-dragon à qui est révélée la trahison d’Alicia met sur pied un plan diabolique : ils vont empoisonner peu à peu Alicia à son insu.
C’est le départ de nouvelles expérimentations formelles du réalisateur, Hitchcock ayant cette fois recours à des distorsions d’images : quand Alicia s’évanouit à la suite de son empoisonnement, sa vision brouillée lui fait entrapercevoir Sebastian et sa mère sous la forme de deux silhouettes distordues, comme deux fantômes, comme si elle avait quitté la réalité et ses confortables (mais trompeuses) apparences pour entrer dans un monde gothique où tout est distordu, où il faut se défier de tout, le monde de sa mort à venir. Hitchcock utilise aussi des accessoires de grande taille pour signifier l’importance de la tasse de café contenant le poison. Dès lors, le visage de Bergman se fait peu à peu plus pâle, plus hâve, se pare de cernes profondes, marquant son appartenance progressive au monde des spectres et de la mort. Comme elle est émouvante dans ce rôle ! Hitchcock multiplie les gros plans pour filmer ce visage sous tous les angles, produisant ces dilations du temps que Rohmer observait dans sa critique du film en 1948. Dans un dernier retournement, Devlin viendra sauver la femme qu’il aime, passant outre ses propres réticences, trouvant la clé de son âme (clé métaphorique annoncée par la clé de la cave), comprenant enfin que la vraie Alicia (pas celle « notorious » du monde des apparences, monde dans lequel il l’a connu), vaut mille fois qu’il coure le risque de l’aimer, devenant enfin le preux chevalier qu’Alicia attendait, lui disant enfin « I love you« , mots magiques qui la maintiendront en vie, comme dans un conte, telle Blanche-Neige empoisonnée réveillée par son prince charmant. Hitchcock ne filme plus alors la nuque de Devlin, mais bien son visage tourné vers celui d’Alicia, et il le filme alors enfin en gros plan. La dernière scène où ils descendent l’escalier sous le regard angoissé de Rains et de sa mère, Hitchcock alternant les gros plans dans un splendide crescendo assuré par l’intermédiaire du découpage, est une des plus belles du film. Beau thème néo-romantique du compositeur Roy Webb.
Strum
PS : Une curiosité : c’est le dernier film du directeur de la photographique Ted Tezzlaff qui arrêta sa carrière à Hollywood après ce sommet à l’âge de 43 ans. D’après le Hitchcock-Truffaut, il eut quelques mots avec Hitch sur le tournage.
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Les Enchaînés
Le suspense de la tasse de café
Comment maintenir le suspense autour d’un objet ? Une séquence permet de mettre en évidence les principes du suspense hitchcockien. Elle est en outre tout à fait représentative de cet art du détail et du gros plan dans lequel Hitchcock est passé maître : il construit le suspense à partir d’un élément en soi dérisoire – une tasse de café – qui prend ici une place essentielle, tant par l’espace qu’elle remplit (gros plan) que par son rôle véritable (cette tasse devient l’arme du crime).
[1a]
D.R.
Plan 1 : la mise en place des éléments du suspense
La séquence commence par un plan d’ensemble du salon ; il est construit selon une disposition triangulaire [1a] : Alicia, malade, vêtue de noir fait face à ceux que le spectateur sait être ses meurtriers : Sebastian et sa mère. Au milieu de ce triangle, on peut déjà voir « l’arme du crime » : la cafetière contenant le poison. Le Dr. Anderson, unique innocent de cette scène, est seul debout : il conseille à Alicia de se rendre à l’hôpital.
La caméra suit d’abord le mouvement amorcé par le Dr. Anderson, avant de suivre celui de la mère qui sert une tasse de café : ce déplacement s’accompagne d’un zoom sur la tasse de café servie et portée par la mère jusqu’à un guéridon à côté d’Alicia [1b]. Ce rétrécissement du champ et ce gros plan sur la tasse de café concentrent la situation, délimitent le suspense et définissent l’enjeu de la scène : le spectateur sait que le café est empoisonné. Le mouvement de caméra s’achève sur un gros plan d’Alicia : l’enjeu de la scène est d’autant plus fort que le personnage ignore visiblement le risque encouru. Ce premier plan pose donc tous les éléments du suspense : arme du crime et position de chacun (victime ignorante, meurtriers, innocent). La question est claire : Alicia va-t-elle réaliser le danger qui la menace ?
Plans 2 à 8 : la menace et l’information
La répétition du même plan [3 = 5 = 7] place ce passage sous le signe de la menace : on y voit Alicia et le Dr. Anderson discuter innocemment à l’arrière-plan, tandis qu’au premier plan apparaît la tasse de café qui semble énorme et disproportionnée : cette disproportion dans la taille correspond à sa fonction véritable dans la situation et le suspense. Les dialogues constituent une sorte de faux contrepoint ironique : on évoque « innocemment » la maladie d’Alicia, alors même qu’elle risque, sans le savoir, de boire le poison qui est à la source de cette maladie. Ce passage lance en outre la conversation, qui va s’avérer essentielle, sur le voyage du Dr. Anderson dans la chaîne montagneuse des Aymores. Cette conversation inquiète Sebastian qui coupe autoritairement le Dr. Anderson : à cette coupure dans la conversation correspond la coupe entre les plans 7 et 8.
Plans 9 à 15 : l’innocence piégée, un drame en sourdine
Le découpage explicite et renforce le drame. Alicia saisit d’abord sa tasse de café sur le guéridon [9] (plan moyen). Le petit sourire sadique de Sebastian [10] indique son contentement. Alicia boit ensuite son café : le gros plan [11] souligne l’importance de cet acte. Le plan 12 sur la mère qui la regarde boire accentue cette importance.
Reprise du plan moyen [13 = 9] : on voit Alicia reposer la tasse de café. Un drame s’est passé entre ces deux plans moyens identiques, sans qu’Alicia et le Dr. Anderson se soient rendu compte de quoi que ce soit. Au cours de ce même plan, le Dr. Anderson livre une information capitale (le lieu précis où il se rend). Encore une fois Sebastian coupe brutalement le Dr. Anderson (coupe entre les plans 13 et 14).
Le gros plan d’Alicia [15 = 11] traduit sa surprise devant cette réaction étrange de son mari, et annonce sa prise de conscience.
Plans 16 à 19 : l’erreur
Avec le plan suivant, on retrouve le plan moyen précédent [16 = 13 = 9], pour une action similaire : cette fois-ci, c’est Anderson qui saisit une tasse de café sur le guéridon. Le gros plan suivant [17] sur la tasse de café insiste sur ce geste qui s’avère être une erreur : il prend la tasse d’Alicia.
Dans le plan général suivant [18], on assiste encore à une réaction étrange et disproportionnée de Sebastian, cette fois-ci redoublée par celle de sa mère.
Reprise du gros plan d’Alicia [19 = 15] : Alicia est surprise par cette réaction étrange.
Plans 20 à 28 : la prise de conscience
C’est par un angle nouveau que s’ouvre cette partie : un plan général en plongée [20] nous montre Alicia assise dans son fauteuil, tandis que le Dr. Anderson repose la tasse à côté d’elle. Le surgissement de cet angle nouveau et l’aspect très dramatique du cadrage en plongée marquent la soudaine prise de conscience, par Alicia, du drame qu’elle est en train de vivre.
Le plan suivant revient en effet au gros plan qui précédait [21 = 19 = 15] : Alicia tourne lentement son regard, jusque-là dirigé vers Sebastian, vers la droite. Une musique dramatique accompagne ce mouvement. Le gros plan suivant [22] révèle ce qu’elle regarde : la tasse de café. On revient au gros plan d’Alicia [23 = 21 =19 = 15] : son regard repart de la tasse de café et entame un mouvement vers la gauche qui s’arrête devant elle. On découvre son point de vue [24] : le zoom avant sur la mère dramatise le regard d’Alicia. On comprend par ce zoom qu’elle a soudain percé à jour les intentions de la mère.
Les plans 25 et 26 reproduisent le même schéma : le regard d’Alicia [25 = 23 = 21 =19 = 15] continue son mouvement vers la gauche pour se tourner vers Sebastian. Le zoom avant sur Sebastian [26] révèle la soudaine prise de conscience par Alicia de la réalité de la situation : son mari (comme sa belle-mère) est en train de l’empoisonner. De manière générale, le mouvement circulaire du regard d’Alicia donne une impression de piège (elle est encerclée), tandis que les effets de zoom, accompagnés et renforcés par la musique, dramatisent un peu plus la situation et la compréhension du danger. On peut remarquer que le personnage du Dr. Anderson disparaît ici de l’image (c’est le seul personnage qui demeure ignorant du drame qui se joue). Mais il reste présent, comme en arrière-plan, sur la bande-son. Lui aussi est, à sa manière, une pièce du piège qui se referme autour d’Alicia : on l’entend en effet accepter l’idée selon laquelle Alicia n’aurait pas besoin d’aller à l’hôpital.
Le plan suivant [27 = 25] accentue cette sensation de piège : Alicia jette son visage vers l’arrière, comme acculée : elle se sent mal, voudrait crier, pleurer, mais ne le peut pas.
Un dernier plan [28 = 20] achève cette prise de conscience : on retrouve en effet l’angle 20 (en plongée) qui l’a ouverte. Alicia se lève péniblement, tandis que la caméra se rapproche de son visage jusqu’au gros plan : le spectateur est encore une fois comme guidé vers le lieu du drame : ici, l’esprit d’Alicia. Parallèlement, la musique, dorénavant au premier plan sur la bande-son, se suspend en un son strident.
Je ne pouvais pas ne pas vous parler de la reprise des "Enchaînés" à la Filmothèque du Quartier Latin, un de mes films préférés dont je vous ai déjà parlé à maintes reprises et dont vous pouvez retrouver ma critique ci-dessous. Cliquez ici pour connaître les horaires des projections.
Dans son livre d'entretiens avec Alfred Hitchcock, François Truffaut disait que « Les Enchaînés » était son film d'Hitchcock en noir et blanc préféré notamment parce qu'il s'agissait selon lui de « la quintessence d'Hitchcock » pour sa « pureté magnifique » et son « modèle de construction de scénario. » Même si « Sueurs froides », « Les Oiseaux », « Fenêtre sur cour », « Psychose », « La mort aux trousses » sont plus fréquemment cités « Les Enchaînés » reste pour moi un film exemplaire à bien des égards et un de mes films préférés.
A Miami, en 1946, Alicia (Ingrid Bergman), fille d'un espion nazie qui vient d'être condamné, mène une vie dissolue et noie son désarroi dans l'alcool. Devlin (Cary Grant) qui travaille pour le gouvernement américain lui propose de travailler pour les Etats-Unis. Il la pousse à séduire puis épouser Alexander Sebastian (Claude Rains) qui, à Rio de Janeiro, appartient à un groupe très actif d'anciens nazis... mais Alicia et Devlin sont loin d'être indifférents l'un à l'autre...
C'est d'abord David O.Selznick qui a suggéré à Hitchcock d'adapter « The Song of the Dragon » une nouvelle dont le scénario final (signé Hitchcock et Ben Hecht) sera plutôt éloigné. Selznick ne croit pas à cette histoire et en particulier à la bouteille contenant de l'uranium. Il revend donc le tout à la RKO.... Comme dans tous les films d'Hitchcock, le Mac Guffin, donc ici la bouteille contenant de l'uranium, remplit pourtant pleinement son objectif de bombe à retardement et d'élément du suspense...
« Les Enchaînés » est en effet certes une histoire d'espionnage avec Mac Guffin* de rigueur (=c'est un élément de l'histoire qui sert à l'initialiser, voire à la justifier, mais qui se révèle, en fait, sans grande importance) mais aussi une histoire d'amour. C'est même là que réside le secret de ce film, dans l'entremêlement parfait entre l'histoire d'amour et l'histoire d'espionnage qui entrent en conflit. Celui de l'amour et du devoir, enchaînés l'un à l'autre comme Alicia l'est à son passé mais aussi à son mari. Le titre original « Notorious » signifiant « tristement célèbre » renvoie d'ailleurs à cette idée puisque ce sont les tristement célèbres activités de son père qui ont rendu le nom d'Alicia lui aussi tristement célèbre. Sebastian est lui aussi enchaîné, à sa mère, et aux autres nazis qui surveillent le moindre de ses faux pas. C'est aussi à leur mensonge et à la trahison que sont enchaînés Devlin et Alicia : Devlin trahit dès le début Alicia la contraint à renouer avec Sebastian, elle trahit Sebastian en se mariant avec lui pour l'espionner. Dans le premier plan où il apparaît, Devlin est d'ailleurs cadré de dos et restera ainsi plusieurs minutes, augmentant le désir du spectateur de découvrir ce mystérieux personnage muet qui semble tant intéresser Alicia, cette posture de dos signifiant aussi son rôle trouble et ambigu.
Ces conflits entre amour et devoir donnent lieu à des scènes d'une force dramatique rare comme la scène de l'hippodrome ou celle du banc qui se répondent d'ailleurs, les deux étant filmés en plans fixes, et dans les deux Alicia et Devlin masquent leurs vrais sentiments. Ces scènes dramatiques alternent avec des scènes de suspense admirables dans lesquels Hitchcock montre une nouvelle fois sa maîtrise et son génie dans ce domaine, ces scènes tournant essentiellement autour de la bouteille contenant l'uranium et d'une clé. Une simple clé qui, par la manière dont Hitchcock la filme passant de la main d'Alicia à l'autre, son expression contrastant avec le ton désinvolte qu'elle s'efforce d'employer face à Sebastian, le tout procurant à la scène un suspense d'une intensité inouïe (voir l'extrait en bas de l'article... ou ne pas le voir pour ceux qui n'ont pas encore vu le film). Plusieurs scènes sont d'ailleurs particulièrement palpitantes, notamment grâce à un savant montage parallèle lors d'une scène capitale de réception (où Hitchcock fait d'ailleurs sa coutumière apparition) ou encore lors de la scène finale de l'escalier (un élément d'ailleurs récurrent dans le cinéma hitchcockien).
La réussite doit aussi beaucoup à la richesse des quatre personnages principaux et de ses interprètes : Devlin (Cary Grant), cynique agent secret faisant passer le devoir avant l'amour, Alicia (Ingrid Bergman) forte et fragile, courageuse et apeurée, blessée et digne ; Claude Rains le « méchant » qui, comme toujours chez Hitchcock ne l'est pas complètement (un méchant réussi pour Hitchcock l'étant lorsqu'il paraît presque sympathique), ce dernier étant ici surtout (aussi comme souvent chez Hitchcock) victime d'une mère possessive (Mme Konstantin). Hitchcock dira ainsi que selon lui ce dernier était plus amoureux d'Alicia que l'était Devlin. Le choix de Claude Rains est donc particulièrement judicieux, si on se souvient du rôle trouble qu'il incarnait également déjà dans « Casablanca ». Il a d'ailleurs été nommé aux Oscars pour « Les Enchaînés » (ainsi que le scénariste Ben Hecht). Quant au couple formé par Ingrid Bergman et Cary Grant, il est absolument sublime et sublimé par l'élégance de la mise en scène d'Hitchcock mais aussi par celle de la photographie de Ted Tetzlaff l'auréolant d'un magnétisme mélancolique, électrique et fascinant.
Après « Soupçons », en 1941, « Les Enchaînés » est le deuxième film d'Hitchcock avec Cary Grant. Suivront ensuite « La Main au collet » et « La Mort aux trousses ». C'est également son deuxième film avec Ingrid Bergman après « La Maison du Dr Edwards », en 1945. Il tournera encore un film avec elle : «Les Amants du Capricorne. »
C'est aussi sa scène de baiser entrecoupée entre Cary Grant et Ingrid Bergman qui a rendu le film célèbre, un baiser intelligemment découpé par de nombreux dialogues; pour contourner le code "Hays" (la censure de l'époque) qui minutait la durée de toutes les scènes jugées osées. L'entrecouper de dialogues faisait redémarrer le compteur à zéro à chaque fois permettant de rallonger la durée du baiser.
Au-delà de cette anecdote comme le disait si bien Truffaut, « Les Enchaînés » est en effet la quintessence du cinéma d'Hitchcock : perfection scénaristique saupoudrée d'humour, de trahison, de rédemption; mélange habile d'histoire d'amour contrarié et d'espionnage, astucieuse simplicité de l'intrigue, virtuosité de la mise en scène ( Ah, le travelling du lustre du salon jusqu'à main de Bergman contenant la clé !), photographie magnétique, couple de cinéma légendaire, intrigue trépidante, palpitante et jubilatoire... le tout formant un classique du cinéma que l'on ne se jamais de voir et de revoir !
*Pour Hitchcock, le but du cinéma était avant tout d'embarquer le spectateur, de le manipuler, quitte à faire quelques incohérences. A ceux qui lui reprochait le manque de vraisemblance, il racontait l'histoire suivante (comme il l'expliqua à Truffaut dans son livre d'entretiens !) : « Deux voyageurs se trouvent dans un train allant deLondresàÉdimbourg. L'un dit à l'autre : « Excusez-moi, monsieur, mais qu'est-ce que ce paquet à l'aspect bizarre que vous avez placé dans le filet au-dessus de votre tête ? - Ah ça, c'est un MacGuffin. - Qu'est-ce que c'est un MacGuffin ? - Eh bien c'est un appareil pour attraper leslionsdans les montagnes d'Écosse- Mais il n'y a pas de lions dans les montagnes d'Écosse. - Dans ce cas, ce n'est pas un MacGuffin » .
Le nec plus ultra d’Hitchcock en noir et blanc réuni dans un mélodrame déguisé en film d’espionnage. Au programme, un baiser de 2 minutes 30 entre Ingrid Bergman et Cary Grant, mais avant ça : une chasse aux nazis et un échantillon d’uranium.
Le pitch
Alicia, fille d’un espion nazi, semble noyer la faute de son père dans la débauche et l’alcool. Lors d’une soirée qu’elle organise, un espion américain du nom de Devlin lui suggère de collaborer avec les États-Unis afin de réhabiliter son nom. Pour ce faire, elle se marie donc avec un ex ami de son père (Alexander) pour l’espionner. Pendant ce temps, l’amour que Devlin et Alicia ressentent l’un pour l’autre reste lettre morte, chacun d’eux n’osant l’avouer. Mais quand la mission d’Alicia est mise au jour, son époux cherche à l’empoisonner…
Pourquoi c’est un incontournable
D’aucuns voient en « Les Enchaînés » le meilleur film d’Alfred Hitchcock en noir et blanc. Pourquoi ? Peut-être par son scénario très construit, son épure et sa modernité. Quoi qu’il en soit, ce qui démarque le film par rapport aux précédents du maître, c’est son recours à un minimum de ressorts et ingrédients pour un effet maximal. Point de déluge d’éléments et moyens, mais juste des bonnes idées qui font mouche au bon moment.
Il y a deux objets charnières cultissimes dans « Les Enchaînés » : une fausse bouteille de vin et une clé. Ne serait-ce que pour ces deux ingrédients de génie, le film en vaut mille autres.
Le génie absolu dans « Les Enchaînés », c’est également l’usage du suspense. Si comme toujours chez Hitchcock, le spectateur sait très vite que les méchants connaissent le pot-aux-roses (sans pour autant que les héros en soient conscients), cette attente face à la fatalité se montre insoutenable. Un brio qui tient au rythme incomparable du film, qui fonctionne par petites touches. Pas de meurtre radical au programme, mais au contraire un long supplice millimétré.
Voir ou revoir « Les Enchaînés », c’est enfin apprécier l’un des couples les plus essentiels de l’aventure Hitchcock : Ingrid Bergman et Cary Grant, qui réalisent d’ailleurs en clôture l’un des plus longs baisers de l’histoire du cinéma (2 minutes et 30 secondes). Notons que dans l’optique de contourner la censure (le code Hays imposait qu’un baiser ne puisse excéder 3 secondes), Hitchcock fit en sorte que les deux sex-symbols dialoguent bouche contre bouche, tout en multipliant régulièrement des petits baisers de deux secondes. Une scène que les deux acteurs trouvèrent bien difficile à jouer sans glisser dans l’artifice.
La Hitchcock touch’
Ici, le MacGuffin est un échantillon d’uranium caché dans une bouteille de vin. Un prétexte à la fois palpable et visuel… mais aussi tout ce qu’il y a de plus politiquement incorrect pour l’époque (projet Manhattan oblige) – ce qui n’était pas pour déplaire à Hitchcock, lequel cherchait toujours une occasion pour en découdre avec la censure.
Hitchcock donne vie à des méchants subtils – Claude Rains, notamment, aussi brillant que le Joseph Cotten de « L’Ombre d’un doute ». Il faut dire que leur perfidie ne s’exprime jamais de façon brutale mais au contraire raisonnable – ce qui s’avère pire, sans doute. Particulièrement calculateurs, calmes et humains, ils provoquent la peur mais tout en ressentant eux-mêmes ostensiblement une certaine crainte.
Le caméo d’Hitchcock se trouve à la 65e minute : on voit le cinéaste boire un verre de champagne à la soirée organisée chez Alexander Sebastian.
L’analyse
« Les enchaînés » suit la trajectoire de personnages enchaînés à leur passé, un passé trouble et innommable – à commencer par celui d’Alicia.
De manière plus triviale, « Les enchaînés » raconte l’histoire d’un homme épris d’une jeune femme qui, dans le cadre d’une mission officielle, couche avec un homme avec lequel elle est obligée de se marier. Bref, c’est une trajectoire quasi en forme de triangle amoureux : deux hommes épris de la même femme.
Sur un axe plus général, c’est également l’éternelle contradiction entre l’amour et le devoir. Alors que Devlin (« Devil in », allusion à son rôle ambiguë) doit nécessairement de par sa mission pousser Alicia dans le lit d’Alexander, sa tristesse est infinie. Tout comme Alexander, contraint d’empoisonner cette dernière alors qu’il l’aime tendrement. De fait, « Les Enchaînés » cache probablement sous son récit d’espionnage l’un des plus grands mélodrames.
Si le scénariste Ben Hecht désirait faire du long-métrage un film politique, force est de constater que « Les Enchaînés » doit d’abord se lire comme une œuvre d’art. Rappelons d’ailleurs que pour Hitchcock, l’art passait avant la démocratie. Loin de lui, donc, l’idée de faire de son film une œuvre résolument politique – même si les images insoutenables des camps de concentration qu’il visionna en 1945 eurent sans aucun doute un rôle déterminant sur lui pour l’écriture du long-métrage, à charge contre les nazis réfugiés en Amérique du sud.
La genèse
Hitchcock a l’idée du MacGuffin-uranium en 1944, soit un an avant Hiroshima. Bien que la réalité de la bombe atomique soit alors encore très abstraite et confidentielle, le réalisateur est informé par des proches que des savants américains travaillent sur un projet secret au Nouveau-Mexique. De même, il sait que les Allemands effectuent des essais analogues en Norvège. Dès lors, le MacGuffin-uranium lui semble tout trouvé et pertinent.
Problème : son producteur David O. Selznick prend peur et revend quelques jours plus tard tout le film à la RKO (manière aussi pour lui de rembourser les dépassements du film « Duel au soleil », de King Vidor). Il faut dire que le FBI, inquiet à l’idée qu’un long-métrage fasse allusion au projet Manhattan via des barres d’uranium, désapprouvait ouvertement l’intrigue. Mauvais calcul néanmoins pour Selznick : « Les Enchaînés » rapporta 8 millions de dollars net pour un budget de 2 millions.
Mentionnons qu’après avoir posé quelques questions, dans le cadre de la préparation du film, au sujet de la bombe atomique (notamment concernant la taille qu’elle pourrait avoir) à l’un des plus prestigieux chercheurs de l’époque (Miliken, de l’école polytechnique de Pasadena), Hitchcock fut aussitôt surveillé par le FBI trois mois durant.
(Notorious). Avec : Cary Grant (T. R. Devlin), Ingrid Bergman (Alicia Huberman), Claude Rains (Alexander Sebastan), Mme Konstantin (Mrs Anna Sebastian). 1h41.
Le 24 avril 1946, Huberman, un espion nazi, est condamné par un tribunal américain. Sa fille, Alicia, qui n'a jamais été nazie, mène une vie dissolue. Un agent du gouvernement, Devlin, lui propose une mission, qu'elle accepte : Alicia est chargée de prendre contact avec un ancien ami de son père, Sebastian, sont la vaste demeure sert de repaire aux Nazis réfugiés au Brésil.
Devlin et Alicia partent pour Rio et tombent amoureux l'un de l'autre. Alicia n'est plus la même, mais Devlin ne s'en rend pas compte et la méprise toujours, en raison de son passé.
Alicia devient vite l'une des habituées de la maison de Sebastian. Ce dernier lui demande de l'épouser. Pour éprouver les sentiments de Devlin à son égard, elle accepte. Devlin ne fait rien pour l'en dissuader. Après le mariage, il la charge de s'emparer de la clé de la cave dont Sebastian ne se sépare jamais.
Au cours d'une réception, Alicia et Devlin pénètrent dans la cave et découvrent de l'uranium dissimulé dans des bouteilles de vin. Mais Sebastian comprend qu'Alicia l'a épousé pour mieux l'espionner. Avec l'aide de sa mère, il entreprend de l'empoisonner lentement. Devlin, inquiet, parvient à s'introduire dans la maison de Sebastian, sauve in extremis Alicia et lui avoue son amour, sous les yeux de Sebastian impuissant, dont les jours sont désormais comptés.
"Notorious" se traduit en français par tristement célèbre, on pourrait dire aussi "marqués". Les personnages de "Notorious" sont marqués par leur passé, ou enchaînés à leur passé comme le suggère peut-être la traduction française. Comme le dit Jacques Lourcelles, le génie d'Hitchcock consiste à enchâsser une histoire d'amour intime et secrète dans une aventure d'espionnage extérieure, palpitante et spectaculaire, qui, loin de la priver de son sens, la rend au contraire plus intense, plus compréhensible à tous les publics, et donc en quelque sorte plus universelle.
Comme dans "Rebecca", l'héroïne est encore une amoureuse qui se sent indigne de celui qu'elle aime. Héros romantiques frustrés, Alicia et Devlin ne vont cesser tout au long de l'intrigue de se mettre à l'épreuve, prouvant en cela leur manque de confiance en eux-mêmes, dans leur partenaire et dans leur amour. Ce jeu extrêmement cruel pour eux (qui sont seuls à le comprendre) s'insère dans le (double) jeu que mène l'héroïne au milieu des espions. Etant, dans le couple qu'elle forme avec Devlin (Cary Grant à contre-emploi terne, cruel et étriqué dans son habit d'espion professionnel) la plus exposée et la plus vulnérable, elle est aussi la plus émouvante. Son itinéraire moral qui la conduit à vouloir racheter la faute de son père et obtenir l'estime de Devlin coïncide exactement avec son parcours amoureux. Dans les deux cas, elle prend des risques infinis et ce n'est qu'au bord de la mort, ayant fait seule les quatre cinquièmes du chemin, qu'elle rencontrera enfin la confiance et l'amour sans arrière pensée de Devlin.
Ce double itinéraire se déroule au milieu d'une étonnante galerie de figures patibulaires et inquiétantes avec lesquelles contraste la figure presque touchante de ce méchant amoureux qu'incarne Claude Rains, vivant comme tant de héros hitchcockien sous la coupe de sa mère.
La subtile profondeur des nombreuses scènes à deux démontre la variété du style hitchcockien : tantôt l'auteur utilise des plans fixes assez simples quand il veut mettre en valeur l'importance du dialogue (scène de l'hippodrome où les héros, se sachant observés, doivent sourire même si leurs paroles mutuelles les blessent cruellement, scène du banc où Devlin s'acharne sur Alicia la croyant alcoolique alors qu'elle est empoisonnée et qu'elle a renoncé à lutter), tantôt il recourt à une technique très sophistiquée de plans séquences se développant au plus près des acteurs (La longue scène vendue sous le titre du plus long baisé de l'histoire du cinéma et où Chabrol a bien vu, dès 1957, qu'il s'agissait d'une confrontation d'épiderme montrant qu'il n'existe encore qu'un amour superficiel ; à comparer par exemple avec le baiser dans la cave, ou la longue scène des retrouvailles finales dans la chambre traitée comme un mélodrame du muet avec contrastes de clairs-obscurs).
Dans les rares scènes à multiples personnages, Hitchcock donne libre cours à sa virtuosité à la fois sur la construction du suspens (scène de la réception avec montage parallèle entre, d'une part, la cave avec la découverte de la bouteille de vin et, d'autre part, le salon où la diminution progressive des bouteilles de champagne indique que le maître de maison devra bientôt visiter la cave, ou la descente de l'escalier menacée par les questions des espions et l'attitude de Claude Rains) et sur celui de l'élaboration des mouvements d'appareils spectaculaires (Présentation de Mme Sebastien prise à mi-escalier, traversant l'ombre et apparaissant menaçante au premier plan, plan à la grue dans la réception et aboutissant sur la main de Alicia refermée sur la précieuse clé de la cave).
Dans son entretien avec Hitchcock en 1966, Truffaut déclare :
"J'étais réellement impatient d'en arrivé à Notorious, car c'est vraiment celui de vos films que je préfère, en tous cas de tous vos films en noir et blanc. Notorious, c'est la quintessence de Hitchcock. Il est resté extrêmement moderne. Il contient peu de scènes et est d'une pureté magnifique ; c'est un modèle de construction de scénario. Vous avez obtenu un maximum d'effets avec un minimum d'éléments. Toutes les scènes de suspense s'organisent autour de deux objets, toujours les mêmes : la clé et la fausse bouteille de vin. L'intrigue sentimentale est la plus simple du monde : deux hommes amoureux de la même femme... On a le sentiment de voir quelque chose d'aussi contrôlé qu'un dessin animé. La plus grande réussite de Notorious, c'est probablement qu'il atteint au comble de la stylisation et au comble de la simplicité."
Quasiment dès ses premiers pas derrière la caméra, Hitchcock a été un réalisateur d’exception, donnant au cinéma anglais une dimension qu’il n’avait pas, et signant de grands films dès son arrivée à Hollywood. Mais c’est peut-être avec Notoriousqu’il signe son premier authentique immense chef d’œuvre, l’un des sommets du cinéma hitchcockien. Son film peut-être qui illustre le mieux l’une des clés de son cinéma: le « mcguffin ».
Le mcguffin, ce truc dont on ne sait pas exactement ce que c’est, dont on se fout totalement en fait, mais qui permet au suspense d’avancer, c’est en l’occurrence une étrange poudre noire, sans doute de l’uranium. Mais ce pourrait être la recette du Coca ou l’adresse du Père Noël, qu’importe… L’intérêt, c’est que cette poudre nous vaut une extraordinaire scène de suspense, dans la cave, et qu’elle justifie le comportement trouble du « héros », permettant à Hitch d’explorer une nouvelle fois, et de manière plus frontale que dans Soupçons, le côté sombre de Cary Grant.
Cary Grant, formidable en maître-espion froid et manipulateur, qui remise ses sentiments personnels très profondément et laisse celle qu’il aime se corrompre (Ingrid Bergman, superbe et très émouvante, qui trouve l’un de ses plus beaux rôles, parfait mélange de force et de fragilité). Malin, Hitchcock utilise l’habituelle distance de Grant, qui résonne ici avec une justesse et une cruauté sans équivalent.
Et puis tout sonne juste dans ce beau film d’amour et d’espionnage sur fond de fuite des Nazis en Amérique du Sud. Notorious, dont John Woo signera un quasi-remake avec son MI 2, est aussi célèbre pour la très longue scène du baiser, qu’Hitchcock entrecoupe de quelques lignes de dialogues pour passer les barrages de la censure, comme il le fera si souvent par la suite. D’une fluidité exemplaire, le film enchaîne les moments inoubliables, jusqu’à la séquence finale, qui se termine avec une lente marche vers ce qui ressemble fort désormais à un échafaud : les escaliers de la maison. Éblouissant.
L’intrigue se déroule peu après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Elle débute aux États-Unis le avec un procès, à Miami, en Floride, du nazi d’origine allemande John Huberman, jugé pour sa participation à un complot antiaméricain. L'espion américain à la solde des nazis est condamné à vingt ans de prison et se donnera la mort dans sa cellule en s'empoisonnant. Lors de la soirée qu’elle organise après la condamnation de son père, sa fille Alicia rencontre T.R. Devlin, un homme qui, comme tant d’autres, lui fait la cour. Mais les avances de Devlin sont motivées par des intérêts politiques. Agent des services secrets américains, il veut recruter Alicia, femme débauchée et portée sur l'alcool mais qui a manifesté son hostilité aux thèses nazies de son père et son amour pour les Etats-Unis. La jeune femme doit débusquer et infiltrer un groupe d’anciens nazis, amis de son père, retirés à Rio pour poursuivre leurs entreprises douteuses. Alicia refuse initialement ce « mandat symbolique » mais finit par accepter la mission. Elle veut entamer une nouvelle vie, loin de l’alcool et des soirées mondaines. Dans l'avion qui les emmène à Rio de Janeiro, elle apprend le suicide de son père.
À Rio de Janeiro, Devlin et Alicia débutent une aventure amoureuse mais l'agent reste assez méprisant à l'égard d'Alicia. Peu après, Devlin apprend de son chef, Mr Prescott, la mission précise d'Alicia : elle doit séduire Mr Sebastian, un ancien ami de son père, industriel qui travaille pour IG Farben et est suspecté de trafiquer de l'uranium, minerai indispensable à la fabrication de la bombe atomique. Étant tombée amoureuse de Devlin, elle ne veut pas, mais Devlin lui fait sentir qu’il ne s’agissait entre eux que d’une passade. Elle accepte alors par défi. Lors d’une rencontre aux champs de courses de chevaux, Alexander Sebastian a un doute concernant la fidélité d’Alicia par rapport à Devlin. Le nazi vieillissant lui demande donc de l’épouser. Ne sachant que faire, elle se rend à l'ambassade américaine pour demander conseil. Prescott trouve que le mariage est une bonne idée tandis que Devlin, tiraillé entre ses sentiments et son devoir, préfère se retirer avant la fin de la réunion. Elle décide de se sacrifier pour expier les fautes de son père et se marie.
La mère dominatrice de Sebastian est opposée à ce mariage mais Sebastian, amoureux, lui résiste et se marie tout de même. Alicia suspecte que le nœud de l’entreprise des anciens nazis se trouve dans le cellier dont elle n’a pas la clé. Au retour de voyage de noces, elle fait organiser à Sebastian une soirée mondaine où Devlin est invité et où elle lui remet la clé du cellier qu’elle a peu avant subtilisée à Sebastian. Dans le cellier, Devlin découvre, lorsqu'une bouteille se brise sur le sol, du sable noir (on apprendra peu après qu’il s’agit d’uranium caché dans ces bouteilles). Presque surpris par Sebastian, Devlin s’en sort en embrassant ostensiblement Alicia pour susciter sa jalousie et pouvoir sortir de la maison avec l'échantillon d'uranium. Alicia prétend pour sa part que Devlin l'a entraînée dans la cave en la menaçant de faire un esclandre.
Mais, au moment de se coucher, Sebastian se rend compte de la disparition de sa clé. Il n’en dit rien à Alicia et constate, le lendemain, que la clé est réapparue. Il remarque qu'une bouteille du cellier a été brisée et remplacée par une autre. Humilié et blessé autant, sinon plus, d'avoir été trompé que d'avoir été découvert, il en fait part à sa mère : Alicia est un agent secret américain. Si ses complices apprennent son erreur, ils risquent de vouloir le supprimer, comme ils l'ont fait au début de l'histoire d'un des leurs qui avait perdu son sang-froid, aussi décident-ils ensemble d’empoisonner lentement Alicia, pour que sa mort paraisse naturelle aux yeux de tous. En dissimulant de l'arsenic dans son café, ils exploitent sa mauvaise réputation. Si elle se plaint de maux de tête, ses récriminations seront mises sur le compte de la consommation d'alcool et de la vie dissolue dont on la sait coutumière1.
Après cinq jours sans contact, Devlin, inquiet, se rend chez Sebastian et s'introduit discrètement dans la chambre d'Alicia où il la trouve alitée et presque inconsciente. Il décide de l'emmener mais est surpris par Sebastian. Devlin le fait chanter en le menaçant de le dénoncer à ses collaborateurs présents dans la maison à cet instant et qui observent la scène avec soupçons. Au moment de partir en voiture, il repousse Sebastian qui veut se joindre à eux et démarre. L'industriel à la solde d’IG Farben retourne dans sa maison où ses acolytes l’attendent pour lui faire payer chèrement sa défaillance sentimentale. La scène terminale montre la lourde porte du hall d'entrée se refermant sur Sebastian qui va certainement être tué par ses complices2.
Musique additionnelle
Dans la scène de l'arrivée d'Alicia chez les Sebastian, lors des présentations entre Alicia et la mère d'Alexander Sebastian, on peut entendre, au piano, la douzième pièce intitulée Chopin, extraite de Carnaval, op. 9, de Robert Schumann.
Génèse
Pendant l'été 1945, Hitchcock supervise à Londres un film de montages intitulé Mémoire des camps en utilisant des bobines tournées par les opérateurs des armées alliées lors de la libération des camps de concentration. Les images d'horreur qui hantèrent le cinéaste toute sa vie sont probablement à l'origine de la noirceur toute particulière des Enchaînés6.
La situation confuse dans l'Europe occupée par les Alliés (notamment l'opération Paperclip par laquelle le gouvernement américain est prêt à accorder l’immunité aux criminels de guerre nazis et japonais), la fuite des Nazis en Amérique du Sud, puis la naissance de la guerre froide, sont anticipées par Hitchcock qui distille subtilement des éléments d'un film de propagande pour l'effort de guerre et une dénonciation du gouvernement américain qui instrumentalise le désir des deux héros (Devlin doit séduire Alicia tandis que la jeune femme doit se prostituer à des fins d'espionnage)7. Le réalisateur traduit ces éléments en mettant en scène les dilemmes moraux des principaux personnages, ce qui fait dire au critique de cinéma René Tabès : « Notorious, pièce maîtresse de l'échiquier hitchcockien, se doit de rester un classique et d'être connu de tous à condition cependant de faire de sérieuses réserves sur son contexte… Haïssable sur le fond […] c'est l'image la plus écœurante d'un patriotisme à l'usage d'agent secret »8.
Ben Hecht, juif new-yorkais et fervent sioniste, s'inspire pour son scénario élaboré à partir de 1944, des Mémoires de l'espionne Marthe Richard et du projet Manhattan dont il est au courant, la bombe atomique étant le « MacGuffin » du film9. Contrairement à Hitchcock, il veut faire du film une œuvre explicitement politique10.
Production
Le producteur indépendant David O. Selznick est alerté par le FBI qui lui fait savoir qu'il désapprouve les mœurs légères d’Alicia, de Devlin et des autres agents américains, et surtout l'allusion au projet Manhattan à travers l'affaire des barres d'uranium dissimulées dans les bouteilles de la cave à vin. Selznick communique l'information à Hitchcock et lui conseille de maintenir une confusion et un flou maximum s'agissant des aspects du film relatifs aux services secrets et de la bombe. Hitchcock forge sa légende en déclarant que le FBI le fait surveiller avant le tournage et lui impose des conditions étouffantes pendant le tournage. Hypersensible et redoutant plus que jamais que les autorités américaines ne le questionnent sur ses intentions, le réalisateur aurait été incapable de diriger un film si le FBI lui avait imposé de telles conditions11.
L'histoire des barres d'uranium décourage Selznick qui ne croit plus du tout au film. Il préfère en revendre les droits à la RKO-Radio Pictures moyennant 800 000 dollars et, surtout, 50 % des bénéfices12.
Analyse
Une certaine ambiguïté se dégage de la vision hitchcockienne du nazisme, présenté comme un ensemble d'individus à la fois dangereux et en même temps victimes du destin, notamment Sebastian qui dégage une certaine sympathie et est touchant lorsqu'il découvre être trompé13. Sebastian est « sans doute le premier nazi sympathique du cinéma américain » et « redonne figure humaine au mythe du fanatique exalté et barbare ». Il traduit la vision qu'a Hitchcock pour son art. Dans ses entretiens avec Truffaut et Chabrol, il déclarait « pour moi, l'art passe avant la démocratie », son but étant de « faire souffrir le spectateur »8.
Si le film allégorise le démantèlement de l'économie de guerre nazie (processus de « décartellisation » d'IG Farben, notamment sa branche brésilienne — représentée par Sebastian — au profit d'Union Carbide), la censure, pendant toute la guerre froide, a retiré les allusions très précises à cette firme que comprenait la première version du film, afin de ne pas froisser l'allié allemand, rempart contre le communisme. Au début du xxie siècle, il n'existe toujours aucune version du film doublée en allemand dans laquelle on entende cette question14.
Le nom de Devlin, phonétiquement proche de « Devil in » (le diable dedans) rappelle l'ambiguïté de ce personnage dans son rapport à la mission15.
Hitchcock joue sur la figure d'inversion du jeu désir-sentiment, le premier s'effaçant progressivement devant les sentiments. La force de ce renversement rétablit, en même temps que le happy end, l'ordre moral puritain16.
La publicité du film annonce pour le le plus long baiser du cinéma (2 minutes 30 secondes) entre les deux sex-symbols. Dans cette séquence sur la terrasse, Hitchcock contourne la censure du code Hays ne tolérant pas de baisers de plus de trois secondes, en demandant aux deux acteurs de dialoguer bouche contre bouche et de répéter plusieurs petits baisers qui n'excèdent pas deux secondes. Les deux interprètes n'ont guère apprécié le tournage de cette scène dont la complexité la rendait difficile à jouer avec naturel17.
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La critique plébiscite cette histoire atypique d’une relation à trois mêlant amour, politique et trahison, sans en cerner toutes les allusions politiques. Le public prend d’assaut les guichets des cinémas et le New York Times salue, dans sa recension de la première projection, « M. Hecht et M. Hitchcock »18.
Le film est un des plus grands succès financiers d'Hitchcock, rapportant 8 millions de dollars pour un coût de 2 millions seulement12.
Le film fut projeté au festival de Cannes en 1946 en sélection officielle en compétition20, mais une inversion de bobines ne rendit pas justice au film21.
Caméos d'Hitchcock : à la 3e minute, Hitchcock passe devant une maison. à la 65e minute, Hitchcock boit rapidement du champagne lors de la réception chez Alexander Sebastian.
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