L'HISTOIRE
L'avocat Anthony Keane est chargé de la défense de Mrs. Paradine, accusée d'avoir assassiné son riche mari aveugle. Fasciné par la beauté de sa cliente, il se laisse aisément persuader de son innocence, d'autant plus qu'il ne tarde pas à s'amouracher d'elle, bien que marié lui-même avec une femme présentant toutes les qualités.
ANALYSE ET CRITIQUE
Le Procès Paradine est le dernier film d’Alfred Hitchcock réalisé pour le compte du producteur David O. Selznick. Ce dernier avait invité et fait faire ses premiers pas à Hollywood à Hitchcock qui passait de la totale liberté de sa période anglaise à l’interventionnisme du nabab hollywoodien. La fantaisie et l’inventivité d’Hitchcock allaient ainsi se confronter à la rigueur de Selznick avec le somptueux mélodrame gothique Rebecca (1940) et l’inventif mais plus mineur La Maison du Docteur Edwardes (1945). Entretemps, Hitchcock aura su appréhender le système hollywoodien et s’épanouir hors du giron de son « parrain » en signant notamment Lifeboat (1944) pour la Fox et surtout Les Enchaînés (1946) dont la pré-production fut financé par Selznick avant d'être contraint de revendre le projet à la RKO pour combler les dépassements de Duel au soleil (1947). Le Procès Paradine est donc leur dernière collaboration commune, Selznick échouant à faire signer un nouveau contrat à Hitchcock désormais émancipé. Les frustrations s’amoncellent donc une nouvelle fois pour le réalisateur avec un sujet imposé et écrit par Selznick dans sa première mouture - adapté d’un roman de Robert Smythe Hichens - avant d’être remanié par Alma Reville, Ben Hecht et James Bridie. Il en va de même pour le casting où celui envisagé par Hitchcock - Laurence Olivier (Anthony Keane), Greta Garbo (Anna Paradine) et Robert Newton (André Latour - est remplacé par des espoirs potentiels sous contrat chez Selznick : Gregory Peck, Alida Valli et Ann Todd. Le film constitue donc un Hitchcock assez mineur et pas particulièrement palpitant dans sa trame judiciaire. Il trouve pourtant un vrai intérêt par les trouvailles formelles et les parallèles intéressants avec d’autres œuvres du Maître du suspense.
Le premier élément frappant est la façon dont Le Procès Paradine semble constituer le pendant inversé de Rebecca. Le personnage-titre de ce film brillait par son absence physique (puisque étant décédé) tout en imprégnant tous les personnages marqués par son souvenir, hantant tous les oppressants décors symboles de son aura maléfique. Sa présence invisible empêchait Joan Fontaine de s’approprier son nouveau foyer et éloignait son époux, le surnaturel sous-jacent contrebalançant avec une obsession plus psychanalytique à travers la gouvernante Mrs Danvers. Dans Le Procès Paradine, l’accusée Mrs. Parradine (Allida Valli) semble être l’incarnation vivante de Rebecca (son allure correspondant au portrait peint vu d’elle dans le film et au semblant de description du livre de Daphné Du Maurier) ; et plutôt que de les laisser deviner, Hitchcock donne à voir son influence et sa séduction néfaste envers ceux qui daignent l’approcher.
La dualité blonde/brune, ténèbres/lumières et vice/vertu s’illustre dans le triangle amoureux formé par l’avocat Kean déchiré entre son épouse Gay (Ann Todd) et Mrs. Paradine. Nous découvrons Mrs. Paradine en ouverture dans les clairs-obscurs de sa demeure où elle joue du piano en robe noire ; la fascination et le mystère qu’elle dégage s’amorcent dans un mouvement de caméra saisissant un visage faussement paisible et troublé par un regard incertain entre bonté et folie. A l’inverse, Gay apparaît dans un décor domestique lumineux au blanc dominant, à l’image de sa blondeur « pure » et de ses tenues classiques. L’érotisme, le désir et la manipulation irriguent les rencontres pourtant chastes entre Keane et Mrs. Paradine en prison, quand la tendresse du couple Keane/Gay paraît bien timorée alors que plus tactile. Hitchcock renoue d’ailleurs avec l’obsession amoureuse purement formelle de Rebecca le temps d’une scène magnifique où Kean visite la maison de campagne des Paradine et se trouve comme hypnotisé dans la chambre de Mrs. Paradine dont la personnalité nimbe les lieux.
Il est dommage que l’interprétation inégale et les péripéties laborieuses gâchent cette approche. La raideur et la distinction anglaise d’un Laurence Olivier auraient rendu la bascule vers un désir fiévreux bien plus significatif qu’avec le trop propre sur lui Gregory Peck, plus intéressant dans la faillite finale de son personnage durant les scènes de procès. De même, Hitchcock ne semble pas manifester un grand intérêt pour Ann Todd, pendant trop tiède à la présence envoutante d’Alida Valli qui suscite toute son attention. Cela casse d’ailleurs l’intéressant parallèle entre le couple Gregory Peck/Ann Todd et son possible futur qu’incarne celui formé par Charles Laughton et Ethel Barrymore, la bienveillance de Barrymore ne pouvant plus rien pour le nihilisme amer de Laughton. La prestation de celui-ci est toutefois l’occasion d’une critique en filigrane de la corruption de cette haute société anglaise bouffie de sa supposée supériorité, notamment lors de la scène où il tentera de séduire Ann Todd. C’est donc des personnages ambigus plutôt que des «gentils » que naîtra l’émotion.
La connexion entre Mrs Paradine et le valet André Latour (Louis Jourdan dans son premier rôle hollywoodien) se ressent ainsi par la seule mise en scène avec ce panoramique où Alida Valli semble comme deviner la présence de Jourdan en arrière-plan lors de son arrivée dans la salle d’audience. C’est là que la tragédie se noue par la réalisation inventive d’Hitchcock avec ses plongées, ses mouvements où alternent l’expression de la présence hiératique de Mrs. Paradine, la peur de Gay en spectatrice discrète voyant son époux perdre pied. Les plans rapprochés servent à saisir les âmes en perdition, que ce soit un Gregory Peck dépassé, Louis Jourdan et ses désirs contradictoires ou l’observateur goguenard de la douleur des autres qu’est Charles Laughton. Mais c’est surtout Alida Valli maudissant de sa haine et de son mépris Gregory Peck qui marque durablement, la photo de Lee Garmes jouant parfaitement du contraste de sa robe noire et de la pâleur de son visage, le tourment et la passion dans une même image ambiguë. C’est réellement là que se situe la vraie conclusion du film plutôt que dans le double épilogue final avec des figures qui n’auront jamais su réellement nous intéresser.
Faire obstacle à la vérité et tromper les attentes : Hitchcock et Wilder comme on les connaît peu
MARDI 5 DÉCEMBRE 2017
D’un banal « film de procès », Hitchcock tire une œuvre symbolique haute en couleurs célébrant la lutte entre Bien et Mal. Avec un Gregory Peck perdu entre vice et vertu, soit entre la brune Valli et la blonde Todd. Du film noir subtil et efficace.
Le pitch
La belle Maddalena Paradine est accusée d’avoir empoisonné son époux aveugle. Anthony Keane, jeune avocat, est chargé de la défendre. Convaincu de l’innocence de celle-ci, il soupçonne le domestique du colonel Paradine, André Latour, d’avoir aidé son maître à se suicider. Ensorcelé par la beauté de Mrs Paradine, son aversion pour Latour va grandissante lorsqu’il découvre que ce dernier entretenait une liaison avec elle. Le procès débute bientôt dans une atmosphère pesante…
Pourquoi c’est un incontournable
Parce qu’Hitchcock, loin de ne réaliser qu’un simple « film de procès », fait du Hitchcock pur jus. Le suspense vaut pour la trajectoire fatidique de Keane (Gregory Peck) qui, une fois pris au piège de la toile de Maddalena (la femme fatale ici jouée par Alida Valli), glisse doucement vers la déchéance. Le cinéaste manie les codes du film noir avec habileté, sans jamais se déparer de ses obsessions personnelles.
La première scène du film est un modèle du genre : on voit Maddalena mettre scrupuleusement en scène son départ au moment où elle sait que la police vient l’arrêter.
La direction d’acteurs est époustouflante. Mentions spéciales pour Ann Todd (Gay, l’épouse de Keane) et Charles Laughton (Lord Horfield, le juge pervers et sans pitié).
La Hitchcock’ touch
Dans « Le Procès Paradine », Hitchcock n’est jamais plus Hitchcock que dans la séquence de la visite de Keane à Kindley Hall, le manoir des Paradine. Le spectateur découvre à cet instant le personnage de Latour, interprété par l’énigmatique Louis Jourdan, dans un clair-obscur inquiétant.
Pour leur dernière collaboration à Hollywood, le nabab Selznick et le réalisateur eurent d’ailleurs du mal à s’entendre quant à la caractérisation du personnage de Latour. Là où Hitchcock y voyait un homme assez grossier dans la veine de « L’Amant de lady Chatterley » (D.H. Lawrence, 1932), son producteur préféra souligner avant tout la beauté de l’acteur sans l’avilir. Pour un résultat ambigu et fascinant.
On trouve l’empreinte la plus dérangeante du réalisateur à travers Lord Horfield. Non content de traiter son épouse de « femme stupide », il jubile en lui faisant savoir la future pendaison de Maddalena Paradine. Plus tard, il caresse l’épaule nue de Gay Keane en soulignant qu’elle est « appétissante ». Comme si Hitchcock opposait l’élégance de l’avocat Keane à la bestialité de Horfield, joué à la perfection par Laughton.
Remarquons en outre la facilité avec laquelle ses mouvements de caméra savent inférer, le moment venu, certains liens insidieux entre les personnages, comme ici entre Mrs Paradine et Latour. Un panoramique et un regard en coin suffisent…
Hitchcock fait son caméo habituel à la trente-huitième minute du film à la sortie d’une gare, un étui de violoncelle sous le bras.
L’analyse
Finalement, Mrs Paradine incarne surtout le MacGuffin du film, en dépit de sa présence envoûtante. S’enroule autour d’elle tout un réseau de dualités : la blonde (Gay Keane) et la brune (elle-même), soit pour l’avocat Keane, piégé dans ce triangle amoureux : le vice et la vertu.
On voit bien comment Hitchcock insère tous ses personnages dans une logique expressionniste où les ombres et les couleurs suffisent à les caractériser. Mrs Paradine joue en ouverture du piano dans une demeure en clair-obscur, le tout vêtue d’une robe noire. Puis son visage apparaît dans un mélange entre bienveillance et folie pure. Tandis que Gay est donné à voir à l’inverse dans un décor des plus étincelant dans les tons blancs. Mais Hitchcock, en vue de corrompre l’avocat, va le confronter au désir de Maddalena. S’opposent alors les scènes symboliquement érotiques entre Keane et cette dernière, puis celles timorées et timides entre celui-ci et son épouse Gay.
La genèse
Le film découle de l’obsession (depuis les années 1930) de Selznick pour le roman « Le Procès Paradine », de Robert Smythe Hichens. De fait, le producteur se montrera intraitable avec Hitchcock au cours de cette collaboration, jusqu’à largement remanier le scénario en cours de tournage et à s’autoriser un ample remontage. Résultat : de nombreux plans tournés par Hitchcock (travellings symboliques, regards caméra) manquèrent à l’appel dans la version finale. Ce fut la dernière collaboration des deux hommes.
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Le cinéma à la barre : The Paradine Case, d’Alfred Hitchcock
Film raté, The Paradine Case ? Film maudit ? C’est ce qu’il faudrait croire si l’on se souvient de la réponse que donnait Gregory Peck lorsqu’on l’interrogeait sur le nom de l’un de ses films qu’il aimerait brûler. Il citait toujours cette dernière collaboration entre le célèbre producteur David O. Selznick et Alfred Hitchcock qui lorgnait déjà du côté de sa propre compagnie. C’est aussi ce qu’il faudrait croire quand on sait qu’à sa sortie, en 1947, le film fut un échec commercial, entrant dans une phase de déficit permanent dès juin 1950. Et finalement, Hitchcock lui-même, devisant avec François Truffaut, n’était pas dupe des défauts de son film.
Pourtant, la matière était hitchcockienne. Issue de l’un des meilleurs romans de Hichens dont Selznick avait racheté les droits, l’histoire tournait autour du meurtre d’un colonel à la retraite, Paradine. Il avait le handicap d’être aveugle, mais surtout l’immense qualité d’être riche. Évidemment, il avait une épouse, tout aussi mystérieuse qu’elle était belle, un valet de chambre d’origine canadienne, lui-même assez mystérieux avec sa fichue manie de survenir sans crier gare. Évidemment, le trio se transforme en un duo, dont l’époux est exclu. Et naturellement, aurait-on envie d’écrire, cela finit par son empoisonnement. Mrs Paradine est accusée, emprisonnée. Elle clame son innocence et se trouve défendue par un avocat particulièrement brillant à la vie bien rangée, Anthony Keane. Le problème, c’est qu’il tombe amoureux de sa cliente au point de se compromettre, personnellement comme professionnellement. Bref, il y avait quand même beaucoup d’ingrédients susceptibles de faire passer un bon moment à Hitchcock et au spectateur, beaucoup d’éléments qui lui permettaient de projeter à l’écran sa vision de la justice.
Et pourtant. Scénario, casting, le réalisateur n’a guère pu s’imposer face à un Selznick omniprésent. Hitchcock courait après Greta Garbo, après Ingrid Bergman, pour incarner la vénéneuse meurtrière. C’est d’ailleurs bien la seule chose sur laquelle Selznick et Hitchcock tomberont d’accord. Les deux actrices se défilent, ils auront Alida Valli, déjà sous contrat avec Selznick. Pour incarner le valet, le réalisateur ne voulait pas du physique sans reproche de Louis Jourdan ni de son élégance. Il voulait, confia-t-il à Truffaut, un acteur avec « les mains crochues, comme un diable ! ». Pire, Hitchcock était persuadé que Gregory Peck n’était pas capable de jouer un avocat anglais.
Quant au scenario, il faut s’imaginer David Selznick, dans une mauvaise passe financière, oscillant entre tranquillisants et excitants, tenir littéralement la plume, revenant ainsi sur le travail qu’avaient réalisé non seulement l’épouse du réalisateur, mais aussi un dramaturge écossais. Il faut se représenter Hitchcock attendant dans le studio chaque matin le scénario remanié page après page. On saisit alors sa perplexité, voire son scepticisme, affirmant, encore une fois à Truffaut, qu’il n’avait jamais vraiment compris la scène du meurtre, telle que racontée dans le film.
En dépit de ces ingérences, le film demeure une véritable pépite du répertoire hitchcockien. Certes, les coupes infligées par Selznick au montage sont irréparables. Le producteur n’était pas vraiment un fan des plans séquence qu’affectionnait Hitchcock et qui trouveront leur expression magistrale avec La Corde. Aussi en supprima-t-il beaucoup. Mais The Paradine Case est un film de décors, restituant avec une précision impressionnante la grande salle du Old Bailey, figurant à merveille la justice anglaise qui impressionnait tant Hitchcock. C’est sans doute dans ce film que le tribunal y est le mieux représenté. À la pompe et au faste de la salle d’audience, s’allient de spectaculaires vues en plongée. Les gens de justice, les gens soumis à la justice y sont petits, comme écrasés.
C’est surtout la mise en scène d’un réel désenchantement qui se déroule sous nos yeux, à compter de l’instant où le procès s’ouvre. Désenchanté, on l’est parce qu’ici la justice est rendue par un juge terrible, lord Horfield. Insensible aux émotions, libidineux, glaçant par son cynisme, il est joué avec brio par l’exceptionnel Charles Laughton, constituant sans contredit l’un des meilleurs personnages du film.
Désenchanté, on l’est encore par le spectacle de la passion naissante de Keane pour Mrs Paradine. C’est précisément cela toute l’ironie de l’histoire : au fur et à mesure que les sentiments de Keane se précisent, au fur et à mesure qu’il délaisse son épouse, un vrai modèle de droiture, sa déchéance s’amorce, sa fin professionnelle se précise. Il se fourvoie, s’enferre dans ses certitudes. Il mène les interrogatoires sans plus guère se soucier de ce que sa cliente lui demande. Il se met en péril. La passion, pourtant si humaine, comme défaite, la passion comme fossoyeur de l’éthique professionnelle d’un avocat ; c’est ce que montre Hitchcock. On peut le comprendre, Anthony Keane. Avec sa noirceur, avec son élégance sombre et mystérieuse à laquelle répond très bien Louis Jourdan, Mrs Paradine est de ces femmes dont on s’éprend follement, de ces femmes qui suscitent des passions dont on ne ressort pas indemne. Il n’empêche que la justice ne constitue nullement un rempart contre la fin d’un homme. Tout au contraire, et notamment parce qu’elle investit l’avocat d’une mission particulièrement noble, elle agit ici presque comme un catalyseur.
La scène finale à Old Bailey est terrible. Dans ce décor majestueux, Anthony Keane capitule. Douloureusement, il abdique. L’impression de malaise est renforcée par le plan rapproché sur le visage de Gregory Peck, puis par sa lente sortie vue d’en haut. Comme tout avocat, il a son public, ce public de l’époque qui se rendait au tribunal comme au théâtre et dont a fait partie Hitchcock en son temps. Mais la scène suivante est tout aussi effrayante. À table, seul avec sa femme, le juge Horfield continue de dévoiler son implacable rigueur, pétri de certitudes qui, cette fois-ci, n’évolueront plus. Le désenchantement est total.
Dans une vision positive, l’on pourrait se satisfaire de la toute dernière scène du film. La femme de Keane le convainc d’aller de l’avant et de surmonter l’échec qu’il vient de connaître. Il n’empêche qu’elle n’éludera pas le véritable propos de l’œuvre : c’est, au cœur d’un procès, la lente dégradation d’un gentleman avocat au contact de la passion. Une fois encore, Hitchcock a l’art de surprendre. Dans Psychose, il tue son héroïne au bout de trente minutes ; dans Le Grand Alibi, il ment au spectateur à travers un faux flash-back. Ici, il organise la chute de son personnage. En somme, loin d’être un échec, The Paradine Case révèle la magistrale maîtrise d’Hitchcock pour filmer ce qu’il y a de plus humain : un échec, simplement.
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26Dec
Le procès Paradine
Un grand merci à Carlotta pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le blu-ray du film « Le procès Paradine » d’Alfred Hitchcock dans le cadre de la sortie du coffret « Alfred Hitchcock - Les années Selznick ».
accusée d’avoir tué son mari. Il tombe amoureux de sa cliente qui n’a aucun mal à la convaincre de son innocence.
Cependant, peu avant l’ouverture du procès, Keane s’aperçoit que Mme Paradine était la maîtresse de son valet d’écurie…
« Je vous connais assez pour savoir que vous serez toujours prêt à sacrifier un être inférieur pour marquer un point »
En venant en Amérique, Alfred Hitchcock avait initialement signé un contrat portant sur trois films avec le producteur américain David O. Selznick. Mais en dépit de l’efficacité d'Hitchcock, qui réalise en moyenne au moins un film par an, il lui faudra près de sept ans pour mener son contrat à son terme. Il faut dire que les relations entre les deux hommes sont très compliquées : Selznick se montre autoritaire et omniprésent, laissant peu de place à la liberté créative de son réalisateur. Après « Rebecca » (1940) et « La maison du Docteur Edwardes » (1945), les deux hommes auraient du achever leur collaboration avec « Les enchainés » (1946). Mais effrayé par la pression du FBI autour de la production du film, Selznick préféra finalement en revendre les droits à la RKO. Hitchcock devait donc un dernier film à son producteur avant de retrouver sa liberté. Ce sera donc « Le procès Paradine » (1947), adaptation du roman éponyme de son compatriote Robert Smythe Hichens, qui lui est imposé par Selznick lui-même. Ce dernier veut plus que jamais avoir le contrôle sur le film : il impose son casting alors que Hitchcock voulait Laurence Olivier et Greta Garbo, réécrit lui-même des scènes en cours de tournage et impose son montage contre celui du réalisateur. Le film, qui explose de fait son budget, échappe progressivement à Hitchcock qui a de toute façon la tête ailleurs, et notamment sur la société de production qu’il est en train de monter pour pouvoir réaliser librement les films qu’il veut. Le film décrocha néanmoins une nomination pour l’Oscar de la Meilleure actrice dans un second rôle pour Ethel Barrymore.
« Inutile que je vous dise que Dieu seul ou le Diable sait ce qu’elle a en tête »
Avec « Le procès Paradine », Hitchcock délaisse quelque peu l’univers de ses films d’espionnage pour s’offrir une incursion dans le film de procès. Un genre cinématographique américain s’il en est qui explosera au cours de la décennie suivante (« Douze hommes en colère », « Témoin à charge », « Autopsie d’un meurtre »...). Avec au cœur de son récit, la mort suspecte d’un ancien colonel héros de guerre devenu aveugle. Keane, avocat réputé pour sa droiture morale, devra défendre la belle et mystérieuse veuve du défunt. L’a-t-elle tué ? Dans ce film sur les apparences où le bonheur conjugal n’est qu’un leurre, le cinéaste sonde ici l’âme humaine à la recherche de ses failles et de sa vulnérabilité. Devenant l’objet de ses fantasmes passionnés, Madame Paradine fera tourner la tête de Keane qui, aveuglé par ses sentiments, en perdra recul et discernement. Soit l’éternel bras-de-fer entre passion et raison. Reste qu’en dehors de quelques belles prestations d’acteurs (Gregory Peck, Charles Laughton, Louis Jourdan), de la beauté vénéneuse d’Alida Valli et de quelques plans d’anthologie (notamment le procès, filmé par quatre caméras qui quadrillent l’espace), le récit, qui repose largement sur des éléments provenant du film noir, patine largement de rebondissements ampoulés en révélations prévisibles. Rien de bien palpitant donc, pour le spectateur, autre que ce dilemme moral qui s’étend sur un peu plus de deux heures. On a connu Hitchcock plus inspiré (si tant est qu’il ait véritablement maitrisé ce projet) qu’avec ce film qui restera comme une œuvre largement mineure au sein de sa formidable filmographie.
Le Procès Paradine (The Paradine Case) – d’Alfred Hitchcock – 1947
Les procès ont souvent été importants dans les films d’Hitchcock, mais avec presque toujours une manière originale de simplement les évoquer, ou de n’en retenir que quelques fragments. Il n’était donc que justice qu’il consacre un film entier à l’appareil judiciaire. Et de fait, le titre n’est pas trompeur : le procès est bel et bien central dans ce beau film noir, paradoxalement quasiment dépourvu de suspense. En tant que genre, le « film de procès » est pourtant un grand pourvoyeur de frissons. Hitch, forcément, prend le contre-pied.
Il y a pourtant une vraie interrogation au cœur de ce procès : Mrs Paradine a-t-elle tué son mari ? Mais jamais le film ne devient un vrai thriller. Le vrai moteur d’Hitchcock ici, c’est le trouble amoureux que ressent Gregory Peck, amoureux (bien) marié, mais mystérieusement attiré par sa cliente au comportement si trouble. Un sujet très hitchcockien d’ailleurs : le personnage évoque la Joan Fontaine de Soupçons, ou encore le James Stewart de Sueurs froides.
Gregory Peck est très bien dans ce rôle de grand avocat dont la stature tremble. Mais malgré sa prestation impeccable, malgré la présence de l’ogre Charles Laughton (qui nous offre un extraordinaire numéro de vieux dégueulasse, précurseur d’Harvey Weinstein, dans une scène hallucinante de harcèlement « mine de rien »), ce sont les femmes qui captent l’écran dans ce film : c’est à elles que Hitchcock réservent les plus beaux gros plans, et ils sont nombreux ces gros plans, qui semblent aller chercher le trouble caché de ces femmes laissées dans l’ombre dans cet univers très masculin de la justice.
Dans le rôle de la femme méprisée de Laugton, Ethel Barrymore est magnifique et déchirante, à la fois soumise et terrorisée, mais aussi étrangement aimante. Dans le rôle de l’épouse si douce de Gregory Peck, Ann Todd est elle aussi parfaite : condamnée à rester derrière, elle est pourtant le personnage le plus fort, le plus digne de ce microcosme pas si idyllique.
Mais c’est Alida Valli qui a droit aux scènes les plus fortes : les images très fortes de son arrivée en prison, qui contrastent avec l’opulence de son ancienne vie (et de son avocat), et de nombreux gros plans que Hitch lui réserve. Excellent film noir, Le Procès Paradine reste d’ailleurs dans les esprits en grande partie pour ces gros plans, et particulièrement celui, fameux, du prétoire, lorsque la caméra, qui cadre le visage d’Alida Valli, capte l’entrée de Louis Jourdan derrière elle, et sa marche vers la barre des témoins. Un plan incroyable qui mériterait à lui seul de voir le film.
16 avril 2016
Le Procès Paradine (1947) de Alfred Hitchcock
TITRE ORIGINAL : « THE PARADINE CASE »
Un brillant avocat londonien accepte de défendre Maddalena Paradine, une femme en vue de la haute société qui est accusée d’avoir empoisonné son mari, un ex-officier militaire aveugle… Le Procès Paradine est assez généralement considéré comme l’un des films les moins notables de la filmographie d’Alfred Hitchcock. A juste titre. Le défaut le plus criant du film est dans son casting. Penser que le très américain Gregory Peck puisse être crédible une seule seconde en avocat britannique paraît assez surréaliste. Hitchcock a toujours imputé ce défaut et tous les autres au producteur David O. Selznick qui, il est vrai, avait l’habitude de s’impliquer dans le tournage des films qui lui tenaient à coeur : il a choisi certains acteurs, réécrit de nombreuses scènes arguant que Ben Hecht n’avait pas terminé sa tâche, ordonné de retourner de nombreuses scènes, supervisé le montage et l’insertion de la musique. Même si Le Procès Paradine n’est pas un grand Hitchcock, il comporte néanmoins de belles scènes, à commencer par la toute première du film où la caméra « enveloppe » Maddalena Paradine (cette belle et très juste formule est de Patrick Brion…), et aussi les scènes de procès filmées par trois ou quatre caméras, dont une placée très haut pour des plongées vertigineuses. La scène la plus étonnante, et la plus difficile à réaliser techniquement, est celle de l’arrivée de Louis Jourdan : par un habile mouvement tournant, on le voit passer derrière le box de l’accusée qui est au premier plan, n’osant se retourner pour le regarder.
Elle: –
Lui :
Acteurs: Gregory Peck, Ann Todd, Charles Laughton, Charles Coburn, Ethel Barrymore, Louis Jourdan, Alida Valli
Voir la fiche du film et la filmographie de Alfred Hitchcock sur le site IMDB.
Voir les autres films de Alfred Hitchcock chroniqués sur ce blog…
Voir les livres sur Alfred Hitchcock…
Remarques :
* Caméo : Alfred Hitchcock est bien visible à l’arrivée du train dans le Cumberland. On le voit juste derrière Gregory Peck, portant une contrebasse.
* Selznick a acheté les droits du roman de Robert Smythe Hichens en 1933 avant même qu’il ne paraisse en librairie.
* Les scènes montrant la campagne du Cumberland ont réellement été tournées dans le Cumberland (qui, rappelons-le, est la très belle région au nord-ouest de l’Angleterre située juste sous l’Ecosse).
* Le conducteur de la petite calèche dans le Cumberland est interprété par Snub Pollard, acteur comique de l’époque du muet qui a joué avec Harold Lloyd. L’acteur a beaucoup tourné de petits rôles par la suite : IMDB le crédite de 584 films !
Gregory Peck et Ann Todd dans Le Procès Paradine de Alfred Hitchcock.
Le procès Paradine
Maddalena Paradine est arrêtée et accusée d'avoir empoisonné le 6 mai 1946 son mari, le colonel Paradine, qui était aveugle. Sir Simon Flaquer, l'avocat-conseil de Mrs. Paradine, lui recommande comme défenseur Anthony Keane, l'un des ténors du barreau. Keane est persuadé de l'innocence de sa cliente et soupçonne André Latour, le domestique de Paradine, d'avoir aidé son maître à se suicider. Il en parle à Mrs. Paradine qui réfute sa théorie. Il se rend à Hindley hall, la demeure des Paradine dans le Cumberland, et il devine que Latour avait des relations privilégiées avec sa maîtresse. Il en conçoit une antipathie d'autant plus grande pour le jeune homme que lui-même succombe peu à peu au charme de la belle Maddalena Paradine… Gay, la femme de Keane, comprend que son mari est amoureux de Mrs. Paradine mais lorsqu'il lui propose de partir avec elle en Suisse et d'abandonner l'affaire, elle est la première à lui demander de la garder.
Le procès s'ouvre dans une atmosphère tendue car Keane se heurte au juge Lord Horfield, qui avait fait des avances à Gay et s'oppose vite à lui. Keane s'acharne sur Latour qui se défend mal mais Mrs. Paradine est mécontente de la virulence de Keane vis-à-vis du jeune homme. Latour finit par reconnaître qu'il était devenu l'amant de Mrs. Paradine. La défense semble alors avoir marqué un point décisif mais l'annonce du suicide de Latour pousse Maddalena Paradine à avouer l'assassinat de son mari et à dévoiler publiquement que Keane est amoureux d'elle. Brisé, Keane, quitte la salle, laissant la défense à son adjoint. Maddalena Paradine est condamnée à être pendue. Keane retrouve l'amour et la tendresse de sa femme.
Louis Jourdan, le "french beau gosse" d'Hollywood, est mort
VIDÉO. Il a joué avec James Dean, Leslie Caron, Grace Kelly ou Elizabeth Taylor et était le méchant d'"Octopussy". Il s'est éteint à Los Angeles à l'âge de 93 ans.
Le Point.frLouis Jourdan est mort samedi 14 février à son domicile de Los Angeles dans le quartier de Beverly Hills à l'âge de 93 ans. En 1949, il fut élu le plus bel homme du monde. Né à Marseille en 1921, Louis Jourdan se définissait comme un "acteur de genre", "a character actor". Il a débuté très jeune, d'abord pour son physique. Il était alors assistant du réalisateur Marc Allégret sur un film de référence, Entrée des artistes (1938), avec Louis Jouvet, qui le convaincra de faire du cinéma : "Quand on a une gueule comme la tienne, on ne reste pas derrière la caméra, on passe devant."
L'entrée de Louis Jourdan dans le métier fut prometteuse, toutefois, ce n'est qu'à la Libération qu'il sera engagé à Hollywood par David O. Selznick, le producteur d'Autant en emporte le vent, pour une durée de sept ans. Le Procès Paradine d'Alfred Hitchcock lui donnera une stature internationale, mais le succès ne se confirmera que bien plus tard. En 1954, il partagea au théâtre l'affiche avec James Dean dans The Immoralist d'André Gide et devint alors un acteur recherché outre-Atlantique au point d'avoir deux étoiles à son nom sur le Walk of Fame d'Hollywood Boulevard.
REGARDEZ Louis Jourdan dans le "Procès Paradine"
De "Madame Bovary" à "Octopussy"
Il tournera deux fois en dix ans avec Vincente Minnelli, Madame Bovary en 1949 et Gigi en 1958, avec Leslie Caron et Maurice Chevalier. Un long-métrage qui a reçu 9 oscars, dont celui du meilleur film. Cette reconnaissance lui permit d'enchaîner les films jusqu'à sa dernière apparition à l'écran en 1992. Il a eu les plus grandes stars pour partenaires : Grace Kelly, Elizabeth Taylor, Joan Fontaine, Shirley MacLaine, Joan Crawford, Doris Day, Alida Valli et même Brigitte Bardot en France.
On le vit aussi en 1983 dans un James Bond, Octopussy, dans lequel il joua le méchant Kamal Khan. Il fut au générique de Columbo en 1978 et de Drôles de dames deux ans plus tard.
En juillet 2010, il avait été décoré en Californie de la Légion d'honneur. Sa femme, Berthe Frédérique décédée il y a quelques mois, ainsi que Kirk Douglas et Sidney Poitier ses grands amis participaient à cette petite cérémonie. À cette occasion, Jean-Noël Mirande lui avait consacré un portrait qui retraçait sa fabuleuse carrière. Lire ici ce portrait.
Le Procès Paradine
The Paradine Case Film judiciaire américain (1947) d’Alfred Hitchcock, avec Gregory Peck, Ann Todd, Alida Valli, Louis Jourdan, Charles Laughton, Ethel Barrymore, Charles Coburn et Leo G. Carroll – 2h05
L’éminent avocat londonien Anthony Kean tombe amoureux de sa cliente, Anna Paradine, accusée de l’empoisonnement de son mari…
Le Procès Paradine est la dernière collaboration entre Alfred Hitchcock et le producteur David O. Selznick, et l’interventionnisme de ce dernier y est sans doute pour quelque chose. Déjà que le sujet n’intéressait que très modérément le réalisateur, mais il a dû tourner un scénario considérablement réécrit par Selznick. Le casting était aussi imposé par le producteur, remplaçant Laurence Olivier par Gregory Peck dans le rôle principal, et engageant des acteurs tout juste signés comme Louis Jourdan et Alida Valli. Hitchcock tourne donc ce film de procès à contre-cœur, aboutissant à un premier montage de 2h30. Naturellement raccourci d’innombrables fois par Selznick. En témoigne la nomination d’Ethel Barrymore aux Oscars : l’Académie a vu un montage intermédiaire, alors que celui sorti en salles faisait presque disparaître l’actrice ! Amer et étouffé, Hitchcock a donc laissé tomber le producteur pour tourner son film suivant, La Corde, qu’on aurait pourtant bien du mal à remonter dans son dos…
Le Procès Paradine est donc le film pas top de Hitchcock, l’ombre portée par Selznick sur sa filmographie de maître, même si le film a gagné d’ardents défenseurs depuis une ressortie en salles dans les années 70. Les prises non-utilisées ayant disparues, nous n’aurons jamais de director’s cut du Procès Paradine et nous devrons nous contenter d’un pionnier du film judiciaire certes influent mais inférieur aux excellences habituelles de Hitchcock. La première partie du film, avant le procès, est assez laborieuse. Il y reste tout de même une charge assez vitriolée de la haute société anglaise dont Hitchcock a été exclu. Le réalisateur aurait volontiers sauvé la première séquence, montrant l’irrésistible chute sociale de Paradine, s’excusant auprès de son personnel d’être arrêtée par la police. Il y a aussi l’interprétation remarquable de Charles Laughton en juge envieux et impitoyable. Le reste n’est pas très passionnant, étiré en plans plus longs qu’à l’habitude de Hitchcock (s’accommodait-il au plan séquence de La Corde ?), porté par des acteurs pas mauvais (Peck est beaucoup plus à l’aise que dans La Maison du docteur Edwardes) mais auxquels le réalisateur, pourtant pas le dernier à désirer ses acteurs, peine à s’attacher.
Heureusement, Le Procès Paradine gagne en ampleur lorsque commence le procès justement. Dans son impressionnant décor de tribunal anglais, Hitchcock ne cède pas à la rigidité qu’on pourrait attendre du genre et multiplie les plans très mobiles (celui de Paradine sentant l’arrivée de son amant à la barre est sublime, et comme par hasard celui dont le cinéaste était le plus satisfait) et les cuts violents pour exprimer la vivacité des débats et surtout l’énergie avec laquelle Keane renie la vérité. S’il rechignait un peu à exposer l’affaire, Hitchcock soigne donc son paroxysme et sans qu’on s’en rende compte, le procès dévore la moitié du métrage en filant à toute vitesse. A défaut d’avoir marqué la carrière de son auteur, Le Procès Paradine aura donc marqué un genre, le film judiciaire, sur lequel Peck prendra sa revanche avec Du silence et des ombres. Et un Hitchcock mineur mérite toujours le coup d’œil pour les quelques virtuosités qui auront échappé aux ciseaux de Selznick…
BASTIEN MARIE
Autres films d’Alfred Hitchcock sur le Super Marie Blog : La Maison du docteur Edwardes(1945), Les Enchaînés(1946), Rebecca(1940)
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