mon cinéma à moi
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LE FILM NOIR
HUMAN DESIRE (Désirs humains) – Fritz Lang (1954)
Fritz Lang retrouve le même producteur, Jerry Wald, qui avait aussi participé à Clash by Night (Le démon s’éveille la nuit), la même firme, Columbia, et le même comédien principal, Glenn Ford, pour Human Desire (Désirs humains), remake du film de Jean Renoir : La Bête humaine, adapté d’Émile Zola.
On mesure la distance parcourue depuis Scarlet Street (La Rue rouge), remake également d’un Renoir, réalisé dix ans auparavant : aucune trace d’expressionnisme ne subsiste, mais la présence d’une forme dépouillée, voire ascétique, pour conter cette histoire d’amour triangulaire où la femme d’un employé de chemin de fer pousse son mari à tuer un ancien amant, puis le trompe avec un cheminot, témoin du meurtre. Lang souhaitait Peter Lorre pour le rôle principal, mais ce fut Glenn Ford qui fut choisi : avec lui, l’élément pathologique, essentiel chez Zola, disparaît du personnage. A l’approche plus sensuelle de Renoir, Lang substitue l’étude clinique des rapports amoureux, inéluctablement mêlés de jalousie, entre un homme âgé (Broderick Crawford) et sa jeune épouse (Gloria Grahame). Il rejoint ainsi Zola dans sa vision déterministe de l’existence, relayée métaphoriquement par le motif visuel récurrent des rails – où l’être humain est prisonnier de son destin. [Fritz Lang, Le Meurtre et la loi – Michel Ciment – Editions Découvertes Gallimard Art (2003)]
Selon la vision naturaliste de Zola, tous les personnages de La Bête humaine agissent en fonction de leurs instincts, obéissant à une théorie réaliste de l’hérédité. Adaptant le roman dans la France de 1938, Jean Renoir, qui ne se trouvait pas limité par la censure sur ce plan, suivit le roman de près.
Lang et son scénariste Alfred Hayes mettent ces phrases, attribuées à Zola, en tête de leur scénario. Ils ont transposé le sujet dans un décor américain, et au temps présent. Le mécanicien de locomotive Jeff Warren revient de la guerre de Corée. Il a appris à tuer, mais n’est pas devenu un assassin pour autant. La femme, Vicki, pourra le séduire, mais pas l’amener à tuer le mari. L’époque de la locomotive à vapeur est révolue : Jeff conduit une diesel électrique. Son compagnon Alec n’est plus un chauffeur, mais une sorte d’assistant.
Mais la production se heurta alors à des obstacles. Selon les prescriptions du Code Hayes, il était impossible de donner le rôle principal d’un film à un obsédé sexuel épileptique. Un héros américain devait paraître sympathique et normal : ainsi l’exigeait le Rêve Américain. Glenn Ford, qui venait de jouer dans The Big Heat (Règlement de comptes) un policier sympathique, ne pouvait représenter qu’un personnage normal et vertueux. Pour le producteur exécutif Jerry Wald – qui allait chercher un symbole sexuel jusque dans des plans de train entrant dans un tunnel – la « bête humaine » n’était autre que la femme mariée qui séduit un homme. [Fritz Lang – Lotte Eisner – Champs Contre-Champs – Flammarion (1984)]
Il fut presque impossible de trouver une compagnie de chemins de fer pour le tournage. En découvrant qu’un assassinat était commis dans un wagon-lit, le Santa Fe Railroad refusa sa coopération, et avertit les autres firmes. Il fallut se rabattre sur une petite compagnie du nord du pays, et le tournage des extérieurs eut lieu au début décembre, par un grand froid.
Lang, qui avait déjà restructuré de fond en comble la Chienne en tournant le remake (Scarlet Street / La Rue rouge), voulait – cette fois aussi – faire un film entièrement différent, de l’original ; il demanda à la Cinémathèque française une copie du film de Renoir pour l’étudier.
En créant M, il avait pu étudier en profondeur la mentalité d’un psychopathe ; et aussi, un peu plus tard, avec The Secret Beyond the Door (Le Secret derrière la porte) , qu’il avait produit lui-même, où la guérison du névrosé était envisagée avant qu’il ne commette un meurtre. Et quand il allait montrer à nouveau, dans While the City Sleeps (La Cinquième Victime), un malade mental obligé de tuer comme le personnage principal de M, celui-ci n’était plus qu’une figure secondaire, que le héros, devait mettre hors d’état de nuire. La tragédie de Human Desire se situe sur un autre plan pour le cinéaste : c’est la tragédie du mari vieillissant, dont Zola montrait déjà la déchéance.
C’est Rita Hayworth qui devait tenir le rôle de l’épouse, la « bête humaine ». Gloria Grahame est un choix plus heureux, qui correspond davantage à la description du scénario : « En surface, elle semble contenue, insouciante et affectueuse. Seuls les soudains changements d’expression de ses yeux et certains gestes inachevés laissent percevoir la complexité existant sous la surface.» Lang montre Vicki comme une créature d’une perversité scintillante, d’une ambiguïté fascinante dans un véritable jeu du « Comme tu me veux ». Elle varie à plaisir le récit de sa séduction par le riche Owens. [Fritz Lang – Lotte Eisner – Champs Contre-Champs – Flammarion (1984)]
Malgré les difficultés du tournage, Lang trouve dans les extérieurs qui ouvrent le film l’occasion d’une de ces intenses descriptions documentaires qu’il affectionne. De longs travellings sur les rails, des plongées sur les figures géométriques tracées par les voies, de gros plans de roues visualisent la vitesse. Les personnages sont présentés à travers leur intégration à ce milieu. Loin des effets décoratifs gratuits, ces images – qui ouvrent et terminent le film sont logiques, fonctionnelles. Elles donnent vie au drame, presque avec la même force évocatrice que dans l’ouverture de Clash by Night.
Carl Buckley vient d’être renvoyé, sur un coup de gueule, de la compagnie des chemins de fer. Il persuade sa femme, Vicki, d’abord très réticente, de faire une démarche auprès d’un client important de la compagnie, Mr Owens, qu’elle a connu étant petite. Lorsqu’elle rentre du rendez-vous après plusieurs heures, méfiant, il devine son ancienne liaison. Il la bat et la force à écrire une lettre a Owens, lui donnant rendez-vous dans le train de Chicago.
Comme dans le roman, le mari poignarde l’amant devant la femme, et il prend son porte-monnaie et sa montre pour faire croire à un crime crapuleux. Mais alors que dans le roman la lettre reste introuvable, Carl la retrouve sur le mort. Il a ainsi un moyen de pression sur Vicki, et peut l’obliger a rester avec lui. (Chez Zola, la lettre était retrouvée dans les papiers du mort : le Juge connaissait les coupables, mais étouffait l’affaire, signe de la corruption du Second Empire finissant). Lang rend, ainsi l’incident plus logique et le lie directement à l’action.
Jeff Warren voyage gratuitement dans le train pour retourner à son lieu de travail. Revenant a leur place après le meurtre, Carl et Vicki le trouvent sur leur chemin : il attend dans le couloir qu’on lui donne un compartiment libre. Carl envoie Vicki, qui ne connaît pas Jeff, pour l’éloigner. Geste caractéristique, celle-ci, hors de la vue des deux hommes, se remet d’abord un peu de rouges à lèvres. Puis, tandis qu’elle entraîne Jeff, Carl. peut rentrer dans son compartiment. Les passagers des wagons voisins de celui d’Owens sont rassemblés devant le juge d’instruction. Celui-ci demande à Jeff s’il a vu passer quelqu’un. Jeff voit le regard angoissé de Vicki ; il répond par la négative, devenant ainsi partie prenante de l’affaire.
Carl, malgré sa jalousie, incite Vicki à se rapprocher de Jeff. D’abord, elle lui dit qu’elle est allée dans le compartiment d’Owens et l’a trouvé mort. Puis, lorsqu’ils sont amants, elle avoue qu’elle lui a menti : c’est Carl qui a tué Owens. « Il croyait que j’avais une liaison avec lui.» Quand Vicki suggère à Jeff de tuer Carl, il découvre qu’il en est incapable. C’est alors qu’il comprend qu’il est tombé dans un piège. Vicki essaie en vain de le retenir en lui disant qu’elle avait été séduite à seize ans par Owens. En aidant Carl, ivre, à se relever sur la voie, Jeff a trouvé la lettre dans sa poche. Il la donne à Vicki, mais la quitte. Désespérée, elle part. Lorsque Carl la rejoint dans le train, elle lui donne une autre version de sa liaison avec Owens : « Owens m’a séduite, oui, mais c’est parce que je le voulais ! Je voulais cette grande maison où il vivait, je voulais qu’il se débarrasse de sa femme. Mais… il savait ce que je recherchais et tu sais quoi ? Je l’admirais pour ça. Si j’avais été un homme, j’aurais agi exactement comme lui. » Carl étrangle Vicki. Jeff, qui conduit le train, pense à la fille de son collègue, qui est amoureuse de lui.
Comme chez Zola, la vitesse du train symbolise le déchaînement des passions. Lang ne montre pas le meurtre d’Owens ; cet assassinat au couteau aurait été trop brutal. On voit seulement Carl entrer dans le compartiment, poussant devant lui Vicki à qui l’autre a ouvert. Puis le train qui traverse la nuit, la porte fermée, et – après seulement – la main de Carl essuyant le couteau sur sa veste, enfin le corps en amorce.
Il montre en revanche Carl étranglant Vicki, parce qu’il est désespéré de la perdre ; mais c’est une violence non sanglante, qui scelle le destin du mari, impliquant la résolution du premier meurtre. Chez Zola, le mécanicien et le chauffeur, enlacés dans leur haine mutuelle, se jettent tous deux de la locomotive et sont broyés. Le train sans conducteur entraîne tous les passagers à la catastrophe.
Lang reste allusif dans sa conclusion, suggérant le happy ending -par la tonalité des derniers plans. Dans la huitième version – du scénario de Hayes, Jeff est aux commandes du train, les rails s’enfuient dans l’obscurité. Lang note, de sa grande écriture : «Day or night ? ». Il devait se décider à terminer le film comme il l’avait ouvert, de jour, indiquant la fin du cauchemar : Jeff sourit à Alec et regarde les billets pour le bal des cheminots, que la fille d’Alec lui a vendus. L’obscurité naissait du sujet même : le crime, les rendez-vous clandestins des amants. La lueur métallique des rails dans le dépôt confère un lyrisme particulier à cette scène entre Jeff et Vicki.
Parfois le clair-obscur gagne même les scènes avec le personnage positif, Ellen. Jeff est étendu sur son lit dans sa chambre, à demi éclairée par les jalousies qui dessinent des rais de lumières. Ellen vient lui dire que Mrs Buckley est au téléphone. Elle lui rappelle les propos qu’il lui tenait, la vie simple dont il rêvait à son retour de la guerre : aller à la pêche, passer une soirée au cinéma. Il avait oublié une chose : la fille qu’on emmène au cinéma. « Comment distinguer la fille qui vous convient d’une autre ? » lui demande-t-il. Et dans la pièce plongée dans une semi obscurité, il lui vient pour la première fois des doutes. Comme en Allemagne, Lang Joue avec la diversité des éclairages pour exprimer une atmosphère. [Fritz Lang – Lotte Eisner – Champs Contre-Champs – Flammarion (1984)]
La plupart des perversions sexuelles qu’on trouvait dans le film de Jean Renoir, La Bête humaine (1938) durent être éliminées de la version américaine plus tardive (1954). Pourtant l’interprétation de Gloria Grahame est aussi chargée sexuellement que celle de Simone Simon dans le film français. Quand la Vicki américaine détaille froidement toutes ses débauches sexuelles devant son mari, elle produit un effet beaucoup plus cruel et pervers que ne le faisait Simone Simon avec ses grâces félines. Visuellement Human Desire (Désirs humains) est construit avec une rigueur graphique plus impitoyable que l’écriture de Renoir. Dans Clash by Night (Le démon s’éveille la nuit), Lang avait suggéré une menace métaphorique en filmant, durant son générique une mer houleuse et menaçante ; ici la caméra prend à l’ouverture et à la fermeture du film, une dizaine de voies de chemin de fer s’entrecroisant, comme au hasard, puis se séparant dans un dépôt de triage. L’image, évoquant les rencontres hasardeuses du destin, est à rattacher à Jeff Warren puisque les rails sont filmés à partir de la cabine du chef du train. Au fur et à mesure que le récit se développera, chaque raie ou strie d’ombre rappellera le réseau fatal du début et les efforts des personnages, abîmés dans une débauche frénétique de plaisirs sans espoir pour échapper à la désolation de leur vie, n’en paraîtront que plus dérisoires. [Encyclopédie du film Noir – Alain Silver et Elizabeth Ward – Ed Rivages (1979)]
L’HISTOIRE :
Carl Buckley (Broderick Crawford) demande à sa femme Vicki (Gloria Grahame) d’user de son influence auprès du riche affréteur Owens (Grandon Rhodes). Il risque de perdre son travail dans les chemins de fer à cause de son tempérament violent et il a besoin d’une intervention efficace. Vicki hésite, puis elle accepte de rencontrer Owens : la situation de Carl est sauvée mais ce dernier soupçonne un adultère. Fou de jalousie, il force Vicki à donner rendez-vous à Owens dans un train : il entre dans le compartiment et tue Owens. Jeff Warren (Glenn Ford), ingénieur des chemins de fer en congé, a remarqué la présence de Vicki. Après la mort d’Owens, Jeff ment pour protéger Vicki et ils finissent par avoir une liaison. Carl, de plus en plus jaloux, a l’impression qu’il n’a plus que « les restes de Vicki » et comme elle refuse d’avoir des rapports sexuels avec lui, il sombre dans l’alcoolisme. Mais il aime toujours sa femme et l’oblige à rester avec lui en la faisant chanter : il possède, en effet, une lettre qui pourrait l’impliquer dans le meurtre d’Owens. Il finit par perdre son travail et veut quitter la ville en emmenant Vicki. Celle-ci persuade alors Jeff d’attirer son ivrogne de mari pans un piège, de le tuer et de maquiller le crime en accident. Jeff en est incapable ! Il se contente de dérober à Carl la lettre dangereuse et de la rendre à Vicki. Furieuse, Vicki part avec Carl. Dans le train, elle se moque de son infortuné mari en lui racontant ses exploits sexuels et son plus d’assassinat. Carl hors de lui la tue. Le fin s’achève comme il a commencé : on voit Jeff et son ami Alec dans la cabine de contrôle du train.
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