sâmbătă, 9 martie 2024

Filmul expresionist german / Istorie, estetica, teme

                                Filmul expresionist german

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https://www.cineclubdecaen.com/analyse/histoire04expressionnisme.htm

peinture/cinéma : L'expressionnisme : Munch - Murnau
 
Ils expriment les mêmes inquiétudes, ils ont recourt à la déformation des lignes et des couleurs. Il s'agit toutefois d'un mouvement moderne pour la peinture et d'un mouvement classique du cinéma.

Les caractéristiques esthétiques majeures de l'expressionnisme en peinture sont la déformation de la ligne et des couleurs au profit d'une affirmation exacerbée mais aussi visible et assumée du sentiment du peintre. Il va de soi que l'on ne recherchera qu'exceptionnellement de telles caractéristiques dans les films regroupés ici sous ce terme. Les décors en studio abstraits, bizarres et sombres ne valent que pour les tous débuts de l'expressionnisme et Le cabinet du docteur Caligari, malgré son importance historique, n'est pas un chef-d'œuvre.

Nous garderons ainsi comme caractéristiques formelles majeures de l'expressionnisme au cinéma le jeu typé des acteurs et surtout, l'opposition de l'ombre et de la lumière lorsqu'elle provient du sentiment de l'esprit perdu dans les ténèbres qui s'oppose à l'envahissement d'une vie marécageuse qui ignore la sagesse. L'expressionnisme met ainsi en jeu une dialectique du bien et du mal, une confrontation qui se joue au sein du plan. C'est une esthétique souvent difficile à ne pas confondre avec celle du naturalisme ou du baroque.

I - L'expressionnisme, le naturalisme et le baroque

Le naturalisme est une forme de surréalisme, qui superpose deux univers : celui des mondes dérivés et celui du monde originaire ; les premiers n’étant que l’actualisation du second avec la pulsion comme lien entre les deux.

Dans l'expressionnisme, ombre et lumière s'affrontent violemment ce qui permet finalement souvent à la lumière de vaincre (L'auroreLa nuit du chasseurA history of violence). Dans l'analyse des fractures sociales le naturalisme joue mois systématiquement d'oppositions tranchées pour montrer l'aveuglement de ceux qui ne croient qu'aux puissances de la lumière. Il révéle, sous les mondes dérivées dans lesquels nous vivons, l'éternelle lutte du bien et du mal qui happe les personnages.

La distinction expressionnisme / baroque n’est pas très claire au cinéma. En peinture c’est facile, le baroque précède de trois siècles l’expressionnisme ; pas moyen de confondre. Il me semble toutefois que, au cinéma, c'est le contraire : c’est le mouvement expressionniste qui, historiquement précède le mouvement baroque (Wiene, Lang avant Welles). Avec la difficulté que, au cinéma, la perspective historique est écrasée : l’expressionnisme (celui du cinéma fantastique) est aujourd’hui au moins aussi vivant que le baroque.

Il faut donc renoncer à se réfugier derrière la succession des mouvements historiques pour établir des frontières conceptuelles. L’expressionnisme travaille à partir de l’individu, de ses sensations qui déforment la réalité (Munch et son cri, ou Wiene et son Caligari). Le baroque est un mouvement qui exprime la perte de valeurs stables et le défi de vivre avec un monde sans morale repérable (Caravage ou Orson Welles) avec un point de vue surplombant du metteur en scène. Ses mouvements d’appareils expriment sa vision et sont déconnectés des sentiments des personnages.

II - L'expressionnisme allemand (1919-1930)

Comme mouvement artistique, l'expressionnisme naît en même temps en Allemagne dans la peinture et au cinéma. Certes Edvard Munch n'est plus expressionniste depuis longtemps et les mouvements Die Brucke à Dresde et Der Blaue Reiter à Munich touchent à leur fin quand Wiene tourne Le cabinet du docteur Caligari en 1919. Cependant, comparé aux échelles de temps très dissemblables à prendre en compte dans la comparaison des mouvements entre peinture et cinéma, cet écart peut être considéré comme mineur.

Worringer, le premier théoricien qui a crée le terme expressionnisme en 1908, l'a défini par l'opposition de l'élan vital à la représentation organique, invoquant la ligne décorative "gothique ou septentrionale, ligne brisée qui ne forme aucun contour où se distinguerait la forme et le fond mais passe en zigzag entre les choses". Worringer tient ainsi à se démarquer de la Renaissance et de sa sage appropriation du réel par la perspective en invoquant le grand mouvement du gothique international qui l'a précédé au 15ème siècle. Il tient aussi à se démarquer de l'impressionnisme, alors contemporain, qui achève ce programme de mise en ordre du visible. L'expressionnisme devient le premier mouvement moderne de la peinture.

L'expressionnisme allemand invoque une obscure vie marécageuse où plongent toutes choses, soit déchiquetées par les ombres, soit enfoui dans les brumes. La vie non-organique des choses, une vie terrible qui ignore la sagesse et les bornes de l'organisme tel est le premier principe de l'expressionnisme, valable pour la nature entière, c'est à dire pour l'esprit inconscient perdu dans les ténèbres, lumière devenue opaque. Les substances naturelles et les produits artificiels, les candélabres et les arbres, la turbine et le soleil, n'ont plus de différence de ce point de vue. Un mur qui vit est quelque chose d'effroyable ; mais ce sont aussi les ustensiles, les meubles, les maisons et les toits qui penchent, se serrent guettent ou happent.

Ce qui s'oppose à l'organique, celui développé par Griffith ou les dialecticiens russes ce n'est pas la mécanique, comme dans l'école française, c'est le vital comme puissance, germinalité pré-organique, commune à l'animé et à l'inanimé, à une matière qui se soulève jusqu'à la vie et à une vie qui se répand dans toute la matière. L'expressionnisme est un mouvement violent qui ne respecte ni le contour organique ni les déterminations de l'horizontale et de la verticale : son parcours est celui d'une ligne perpetuellement brisée. On retrouve cette caractéristique dans le jeu des acteurs qui ont souvent des gestes brusques et les décors sont en studio abstraits, bizarres et sombres.

Dans l'expressionnisme, le mouvement se déchaîne au service de la lumière pour la faire scintiller, multiplier des reflets, tracer des traînées brillantes comme dans le rêve du Dernier des hommes de Murnau. Alors que dans l'impressionnisme français la lumière est un immense mouvement d'extension, elle se présente dans l'expressionnisme comme un puissant mouvement d'intensité, le mouvement intensif par excellence. La lumière et l'ombre cessent de constituer un mouvement alternatif en extension, et passent maintenant par un intense combat qui comporte plusieurs stades.

L'opposition de l'ombre et de la lumière se retrouve dans la ville lumineuse et le marais opaque. Les rayons de lumière s'opposent aux traits d'ombre pour un monde strié, rayé qui apparaît déjà chez Wiene dans les toiles peintes du Cabinet du Docteur Caligari, mais qui prend toutes les valeurs lumineuses avec Lang dans Les Nibelungen (par exemple, la lumière dans les sous-bois, ou les faisceaux par les fenêtres). Ou bien dans la série mélangée du clair-obscur, la transformation continuelle de tous les degrés constituant "une gamme fluide de graduations qui, sans cesse, se succèdent" : Wegener et surtout Murnau seront les maîtres de cette formule. Il est vrai que les grands auteurs ont su progresser des deux côtés, et Lang, atteindre aux clairs-obscurs les plus subtils (Métropolis) comme Murnau, tracer les rais les plus contrastées : Ainsi dans L'Aurore, la scène de la recherche de la noyée commence par les stries lumineuses des fanaux sur les eaux noirs, pour faire place soudain aux transformations d'un clair-obscur qui dégrade les tons sur tout son parcours.

La lumière de la nature tombe et ne cesse de tomber. Il faut donc aussi que l'idée de chute passe à l'acte, et devienne une chute réelle et matérielle dans les êtres particuliers. A l'image de la chute du jour, l'âme individuelle est happée par un trou noir, tels sont les exemples vertigineux de la chute de Marguerite dans Faust ou celle du Dernier des hommes avalé par le trou noir des salles de toilette ou grand hôtel chez Murnau ou, chez Pabst celle de Loulou.

L'impressionnisme français est peuplé d'automates, de robots et de pantins, des mécaniques qui font valoir ou majorent une quantité de mouvement dans le solide ou dans le fluide. Les somnambules, les zombies ou les golem de l'expressionnisme expriment l'intensité de la vie non organique : non seulement Le golem de Wegener mais le film gothique de terreur vers 1930 avec le Frankenstein et La fiancée de Frankenstein de Whale et White zombie d'Halperin.

 

III- L'expressionnisme dans le film noir ou le film fantastique

Les films de Alfred Hitchcock (The LodgerBlackmail) ou de John Ford (Le mouchardLes raisins de la colèreLa prisonnière du désert) qui, exceptionnellement chez eux, expriment les puissances des ténèbres sont fortement influencés par l'expressionnime allemand. Plus étrange, l'expressionnisme de Serguei Eisenstein qui culmunine dans Le pré de Bejine où s'opposent la paysannerie archaïque et ténébreuse à la lumineuse paysannerie moderne.

L'expressionnisme sera très présent dans le film noir avec des opérateurs comme le Hongrois John Alton qui filme ruelles mal éclairées, dock menaçants, cliniques et asiles : autant de lieux où tout peut arriver la nuit. On le retrouve également dans le film fantastique lorsqu'il fait intervenir la lutte du bien et du mal ou le thème du double notamment chez Quentin Tarantino ou David Cronenberg. The barber de Joël Coen en 2001 reprend les codes et les distencie.

 

Source: Gilles Deleuze : L'image mouvement, chapitre 3 : montage, p. 75

Principaux films expressionnistes :
    
    
A history of violenceDavid CronenbergU.S.A.2005
Kill BillQuentin TarantinoU.S.A.2003
The barberJoël CoenU.S.A.2001
Trouble every dayClaire DenisFrance2001
CrashDavid CronenbergU.S.A.1996
La prisonnière du désertJohn FordU.S.A.1956
La nuit du chasseurCharles LaughtonU.S.A.1955
Le troisième hommeCarol ReedG. - B.1949
Le pré de BéjineSergiuei EisensteinRussie1937
Le mouchardJohn FordU.S.A.1935
La fiancée de FrankensteinJames WhaleU.S.A.1935
FrankensteinJames WhaleU.S.A.1930
L'ange bleuJoseph von SternbergU.S.A.1930
LoulouGeorg Wilhelm PabstAllemagne1929
BlackmailAlfred HitchcockG. - B.1929
Queen KellyErich von StroheimU.S.A.1928
L'auroreFriedrich W. MurnauAllemagne1927
MétropolisFritz LangAllemagne1926
FaustFriedrich W. MurnauAllemagne1926
The lodgerAlfred HitchcockG. - B.1926
Le dernier des hommesFriedrich W. MurnauAllemagne1924
Le cabinet des figures de cirePaul LeniAllemagne1924
Les trois lumièresFritz LangAllemagne1921
Le GolemPaul WegenerAllemagne1920
Le cabinet du docteur CaligariRobert WieneAllemagne1920
De l'aube à minuitKarl-Heinz MartinAllemagne1920
 
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Comment l’expressionnisme allemand a-t-il changé l’histoire du cinéma ?

L’expressionnisme allemand était le cinéma angoissant, stylisé et intense d’après-guerre de l’Allemagne de Weimar. Les ombres cauchemardesques et les compositions innovantes ont révolutionné à jamais le cinéma.

28 septembre 2023 • Par Kat Bello BA en arts visuels et histoire de l'art
L'expressionnisme allemand a changé l'histoire du cinéma

L'expressionnisme allemand au cinéma est connu pour ses angles de caméra dramatiques, ses ombres imminentes, ses illusions d'optique, ses anti-héros hantés, sa cinématographie claustrophobe et ses fins choquantes. Il est difficile d’imaginer à quoi ressemblerait le paysage cinématographique aujourd’hui sans les percées de ce genre cinématographique des années 1920. Avec un symbolisme lourd et des thèmes sombres et audacieux, les films expressionnistes allemands se sont rapidement emparés d'un pays ébranlé par les conséquences de la Première Guerre mondiale.

Qu'était-ce que l'expressionnisme allemand ?

robert wiene dr caligari cesare fermer film encore
Conrad Veidt dans le rôle de Cesare dans Le Cabinet du Dr Caligari, 1920, via Youtube

L’expressionnisme allemand était un mouvement artistique du début du XXe siècle, extrêmement influent mais notoirement difficile à cerner. Son incarnation cinématographique est une émanation du mouvement expressionniste plus large , qui a eu un profond impact sur les arts visuels, le théâtre, la littérature et l'architecture au début des années 1900. L'expressionnisme a été influencé par des artistes post-impressionnistes et symbolistes comme Paul Gauguin, Edvard Munch et Vincent Van Gogh , ainsi que par l'art africain et polynésien . Il cherchait à exprimer des émotions et des subjectivités individuelles, plutôt que de décrire les impressions d'un monde réaliste.

expressionnisme allemand ernst kirchner peinture de scène de rue de berlin
Scène de rue berlinoise d'Ernst Ludwig Kirchner, 1913, via Neue Galerie, New York.

Les œuvres expressionnistes représentent souvent l’aliénation, l’anxiété et la sexualité du monde moderne. Les expressionnistes utilisaient des couleurs vives et irréalistes, des lignes irrégulières et des formes semi-abstraites et exagérées. Au théâtre et en littérature, l'expressionnisme cherchait à explorer les états mentaux des personnages, en utilisant souvent le symbolisme et en décrivant des émotions exacerbées et exagérées.

expressionnisme allemand Dr Caligari film encore
Werner Krauss et Conrad Veidt dans Le Cabinet du Dr Caligari, 1920, via IMDB

Le cinéma expressionniste allemand se situe à la convergence de ces formes d'art. Il s’est largement développé dans les années 1920, une décennie après le début de l’expressionnisme dans les arts visuels et la littérature. Après les ravages de la Première Guerre mondiale, le mouvement a porté sur le cinéma muet des idées innovantes et des histoires troublantes. La mise en scène de ces films n'a pas fait appel au réalisme. Au lieu de cela, il exprimait des points de vue subjectifs, cherchant à plonger le public dans des récits tordus et des récits obsédants. Pour ce faire, les auteurs ont utilisé une scénographie déformée et irréaliste, un maquillage audacieux, un travail de caméra expérimental et un éclairage en clair-obscur.

La trame de fond: la Première Guerre mondiale et la République de Weimar  

tranchée de soldats photo de la première guerre mondiale
Soldat britannique dans les tranchées du front occidental, pendant la Première Guerre mondiale (1914-1918), via l'Encyclopedia Britannica.

L'expressionnisme allemand est un mouvement cinématographique profondément psychologique. Les récits de crime et de corruption qui peuplent la filmographie expressionniste sont indissociables du contexte social et historique de la Première Guerre mondiale et de ses conséquences. Appelée la guerre pour mettre fin à toutes les guerres , la Première Guerre mondiale a changé le monde à jamais. D’une ampleur sans précédent, le conflit a eu un impact profond à tous les niveaux de la société. Le manque de ressources et la faim se sont répandus en Europe, les économies sont tombées en chute libre, des révolutions ont été déclenchées, des empires et des royaumes se sont effondrés et de nouveaux pays sont nés. La technologie a connu un développement rapide dans une guerre qui a commencé avec des mules et s'est terminée avec des chars, des gaz toxiques, des tirs d'artillerie et une guerre de tranchées.

Près de dix millions de soldats sont morts au cours des quatre années de conflit. Rien qu'en Allemagne, deux millions de personnes sont mortes au combat, tandis que près de douze millions sont reparties avec de graves blessures. L’impact psychologique de la guerre, sur le front et dans le pays, était incalculable.

peinture d'explosion de George Grosz
Explosion de George Grosz, 1917, via MoMA, New York

L’Allemagne est entrée dans la guerre avec un enthousiasme sans précédent et y a mis fin avec sa plus grande défaite. À la fin, les soldats allemands et les habitants du front intérieur étaient épuisés, démoralisés, sous-alimentés et traumatisés. Le 9 novembre 1918, une révolution entraînerait la chute de la monarchie et inaugurerait une nouvelle république constitutionnelle démocratique, faisant plusieurs concessions au haut commandement militaire et aux classes supérieures.

C'était ce qu'on appelle la période de Weimar ou la République de Weimar. S'étalant de 1919 à 1933, cette période fut pleine de conflits et de contradictions. Les conséquences de la guerre, de l’hyperinflation, du chômage, de l’extrémisme politique et de l’instabilité ont frappé Weimar. Pourtant, au milieu des années 1920, une lente stabilisation de l’économie et une amélioration des relations internationales ont donné à l’Allemagne de Weimar les années vingt dorées .

photo de pièce d'opéra de quat'sous de Bertol Brecht
Ouverture de la pièce satirique de Bertolt Brecht, The Threepenny Opera, au Theater am Schiffbauerdamm, 1928, Berlin, via la British Library, Londres

L’art, la culture et l’innovation scientifique et philosophique ont prospéré à Weimar, enhardis par la liberté politique. Berlin est devenue un centre culturel bouillonnant de l’Europe. Au cours de ces années, le cinéma connaît d’étonnants développements technologiques et artistiques. À mesure que la culture de Weimar grandissait en créativité et en exubérance, l’extrême droite devenait de plus en plus amère et irritée à l’égard du traité de Versailles et de la perte imaginaire des valeurs allemandes . La Grande Dépression de 1929 mettra un terme à tous les progrès de l’Allemagne de Weimar et, en quelques années seulement, ouvrira la voie à la montée du nazisme.

Le cinéma de la République de Weimar 

Josef Sternberg L'ange bleu Marlene Dietrich film encore
Marlene Dietrich dans le rôle de Lola Lola dans L'Ange Bleu, 1930, via IMDB

Contrairement aux industries rivales de la France, de l’Italie et du Royaume-Uni, l’industrie cinématographique allemande, fortement financée par l’État, était en grande partie intacte à la fin de la guerre. Les films étrangers avaient été interdits en 1916, ce qui signifiait qu'en 1918, la demande de divertissement (et de distraction) était élevée dans le pays. Environ 3 500 longs métrages ont été produits pendant la période de Weimar. Le cinéma n’a jamais été aussi populaire en Allemagne qu’entre 1919 et 1926. Dans les années 1920, l’Allemagne possédait la seule industrie cinématographique au monde capable de rivaliser avec Hollywood et, selon beaucoup, de la surpasser en termes de modernité et de sophistication.

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Alfred Abel, Brigitte Helm dans le rôle du robot Maschinenmensch et Rudolf Klein-Rogge dans Metropolis, 1927, via Flicks

Le cinéma de Weimar était une affaire vaste et variée, caractérisée dans l'ensemble par une créativité et une innovation étonnantes. L’expressionnisme allemand n’était qu’une partie de cet ensemble, mais ses avancées stylistiques et thématiques étaient si frappantes qu’il y a encore aujourd’hui des échos dans le cinéma mondial. De nombreux films de costumes, romances, comédies, films d'aventure, mélodrames et d'innombrables autres types de films sont sortis pendant cette période. Mais ce sont le récit tordu et les visuels effrayants du Cabinet du Dr Caligari de Robert Wiene qui projetteront pour la première fois les angoisses de la psyché d’après-guerre sur grand écran.

Les percées du Dr Caligari 

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Conrad Veidt dans le rôle de Cesare dans Le Cabinet du Dr Caligari, 1920, via IMDB

Le Cabinet du Dr Caligari de Robert Wiene est sorti au début des années 1920 Il suit l'histoire d'un médecin du carnaval, le Dr Caligari (Werner Krauss) qui hypnotise le somnambule Cesare (Conrad Veidt) et lui fait commettre des crimes violents. Du scénario tordu à la qualité cauchemardesque de son style, Caligari était sombre et visuellement saisissant, contrairement à tout ce qui se passait dans le cinéma de l'époque. La mise en scène est volontairement déformée et rebutante. La scénographie est irréaliste, les rues zigzaguent en labyrinthes, les bâtiments sont inclinés. Les ombres peintes sont irrégulières et nettes, le maquillage, inspiré des masques funéraires, est lourd et exagéré, et le jeu des acteurs est délibérément effrayant.

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Conrad Veidt et Lil Dagover dans Le Cabinet du Dr Caligari, 1920, via IMDB

Le look de Caligari utilise des techniques expressionnistes pour amener le public dans l'esprit de ses personnages troublés, en particulier le narrateur Franzis (Friedrich Feher). Caligari est l’un des premiers exemples de réalisation cinématographique subjective et de narration peu fiable. Il présente également l’une des premières fins de rebondissements du cinéma. Ses thèmes incluent l'anti-autoritarisme, la violence insensée, les angoisses de la société d'après-guerre et l'impact psychologique du conflit. Le scénario a été au moins partiellement inspiré par les expériences des deux écrivains, Hans Janowitz et Carl Mayer pendant la guerre.

Le Cabinet du Dr Caligari est un petit film révolutionnaire qui projette une très longue ombre. Cela a changé le visage du cinéma allemand et créé le genre d’horreur tel que nous le connaissons. Il est considéré comme le premier film d’art et essai de l’histoire et a également inauguré le cinéma expressionniste allemand.

L'expressionnisme allemand au cinéma 

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Nosferatu, 1922, via IMDB

D'autres cinéastes de Weimar en Allemagne ont rapidement pris note des innovations de Caligari. Tout comme dans l’art, il y a un débat sur ce qui constitue un film véritable ou pleinement expressionniste, mais l’irréalité ténébreuse de l’expressionnisme allemand a façonné les films les plus remarquables de la période de Weimar.

À la suite des ravages de la Première Guerre mondiale et de l’instabilité de ses conséquences, les cinéastes expressionnistes, tout comme les dadaïstes, se sont rebellés contre les conventions en matière de contenu, de style et de composition. Dans l'expressionnisme allemand, le domaine psychologique définit l'environnement. Tous les aspects de la scénographie, de l'éclairage, du mouvement et du cadrage de la caméra, du style des acteurs et des choix d'acteur renoncent à une représentation réaliste, recherchant une représentation plus viscérale. Le cinéma expressionniste s'éloigne de la réalité mais se rapproche de l'inquiétude de l'existence humaine.

Robert Wiene mains d'Orlac film encore
Les mains d'Orlac, 1924, via Youtube

Ces films exploraient des thèmes sombres comme le crime, la folie, l'immoralité, l'existentialisme, l'inégalité, l'injustice, la violence, ainsi que les côtés sombres de la technologie et du progressisme insensé. Les caractéristiques du style expressionniste sont un contraste saisissant entre la lumière et l’ombre, un maquillage et des costumes exagérés, des angles de caméra obliques et un mouvement de caméra plus libre. Intensément atmosphérique, l'expressionnisme allemand reflétait sur un écran de cinéma la psychologie d'une Allemagne traumatisée par la guerre, en proie à la violence et aux prises avec l'incertitude économique et les troubles socio-politiques. Voici quelques-uns des films les plus importants appartenant à l’expressionnisme allemand.

1. Du matin à minuit (1920)

Karlheinz Martin du matin à minuit photo de film
Du matin à minuit 1920, via Medium

From Morn to Midnight de Karlheinz Martin utilise des lignes irrégulières et des effets de croquis dans la conception des décors, des costumes et du maquillage pour exprimer la spirale descendante du caissier de banque corrompu d'Ernst Deutsch. L'histoire d'un homme payant pour ses erreurs et sa cupidité deviendra le modèle du genre américain du film noir .

2. Nosferatu (1922)

fw murnau nosferatu comte orlok film encore
Max Schreck dans le rôle du comte Orlok, dans Nosferatu, 1922, via IMDB

Le film d'horreur classique Nosferatu était la tentative du réalisateur FW Murnau d'adapter Dracula de Bram Stoker . En utilisant des lieux réels au lieu de décors peints, Murnau a manipulé l'éclairage, le maquillage, les effets visuels et les angles de caméra pour créer le climat inquiétant du film. L'histoire immortelle de Nosferatu, celle d'un jeune homme optimiste se dirigeant vers l'est et revenant transformé et apportant la mort avec lui, est parallèle aux expériences de guerre de nombreux soldats. L'utilisation expressionniste de l'ombre dans Nosferatu reste l'une des images les plus emblématiques de l'histoire du cinéma.

3. Métropole (1927)

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Métropole, 1927, via IMDB

Le chef-d'œuvre de Fritz Lang, Metropolis, dépeint une société dystopique profondément stratifiée. Les riches vivent dans le sommet aéré et baigné de soleil d’une tour semblable à Babel, tandis que les classes populaires peinent dans le fond sombre. Le futurisme de Metropolis est monumental mais oppressant, étouffant et désorientant. L'autoritarisme de la société se reflète dans l'environnement lui-même. Son concept et son style inspirent encore aujourd’hui la science-fiction.

4. Dr Mabuse, The Gambler (1922) et Le Testament du Dr Mabuse (1933)

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Thomy Bourdelle et Rudolf Klein-Rogge dans Le Testament du Dr Mabuse, 1933, via IMDB

Les deux premiers volets de la trilogie Dr. Mabuse de Fritz Lang ont été tournés au début et à la toute fin de la période de Weimar. Rejoignant l'hypnotiseur appelé Dr Caligari, le Dr Mabuse est un criminel contrôlant l'esprit qui incite les autres à commettre des atrocités. Indétectable et invisible, Mabuse reflète la terreur d’un régime autoritaire. Ceci est souligné par les effets visuels hallucinatoires, le travail de caméra oblique et les coins d’ombre des films.

Le deuxième volet, Le Testament du Dr Mabuse, montre le criminel hypnotiseur contrôlant son gang même depuis la prison, où il écrit un livre sur ses luttes. Les parallèles avec le nouveau chancelier Adolf Hitler n’ont pas échappé au parti nazi. C'était le dernier film que Lang tournerait avant de fuir l'Allemagne, quelques mois avant la fin officielle de la République de Weimar.

La longue ombre de l’expressionnisme allemand 

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Le Cabinet du Dr Caligari, 1920, via IMDB

Aujourd’hui encore, l’expressionnisme allemand reste thématiquement et stylistiquement provocateur et frappant. Même s’il s’est terminé sous le coup du régime nazi, il a survécu et est devenu l’un des mouvements cinématographiques les plus influents de l’histoire du cinéma. Cela était dû au succès de ses films et aux nombreux cinéastes allemands ou basés en Allemagne qui ont fui le pays dans les années 1930, apportant leur savoir à Londres, à Hollywood et au-delà.

films psychos à double indemnisation
Psycho, 1960, via IMDB ; à côté de Double Indemnité, 1944, via IMDB

Les influences les plus claires peuvent être observées dans le genre de l'horreur, en particulier dans l'horreur monstrueuse des années 1930 et dans le film noir cynique des années 1940. Le mouvement a changé pour toujours le cinéma. Son influence peut être remarquée dans le cinéma, la télévision, la photographie, les arts visuels ou encore la bande dessinée.

 

Macbeth la veille de Noël films
La Tragédie de Macbeth, 2021, via IMDB ; à côté de Concept pour L'Étrange Noël de Monsieur Jack, 1993, via IMDB

La tension visuelle d'Hitchcock, la cinématographie audacieuse d'Orson Welles dans Citizen Kane (1941), les œuvres antérieures de Tim Burton, les dessins animés de Batman et La Tragédie de Macbeth (2021) de Joel Coen ne sont que quelques-unes de la multitude d'œuvres qui ont été touchées. par la longue ombre de l'expressionnisme allemand.

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Cinéma expressionniste

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Le cinéma expressionniste s'est développé en Allemagne au début du xxe siècle. « Multiple et difficile à saisir », il est « impossible d'en parler sans le situer par rapport à la peinture, au théâtre, à la poésie... » en Allemagne et en Autriche ; il a été « tout autre chose qu'une panoplie de décors bizarres, une métaphysique du Destin ou une réaction politique plus ou moins consciente » : l'expressionnisme dans le cinéma allemand a ainsi pu être considéré comme « le point de départ de tout le cinéma fantastique et, du Golem à L'étudiant de Prague, une exploration de la nuit qui donne parfois le vertige ».

Couverture du magazine Das Plakat, octobre 1920, par Paul Leni.

Situation historique dans les débuts du cinéma

L'Allemagne se remet difficilement de la Première Guerre mondiale et l'industrie cinématographique, alors en pleine expansion, a du mal à rivaliser avec les productions luxueuses d'Hollywood à cause de la récession économique. Les réalisateurs des studios allemands UFA développent alors une méthode pour compenser le manque de moyens, en utilisant le symbolisme et la mise en scène pour créer une atmosphère et donner une profondeur expressive aux films. Les premiers films expressionnistes, en particulier Le Cabinet du docteur Caligari (Robert Wiene, 1920), Le Golem (Paul Wegener, 1920), Les Trois Lumières (Fritz Lang, 1921) et Nosferatu le vampire (F. W. Murnau, 1922), sont des récits filmés hautement symboliques.

Les cas de Fritz Lang et de F. W. Murnau, associés à l'expressionnisme, ont pu être sujets à discussion2. Francis Courtade, en rapportant que « Lang s'est toujours défendu d'avoir été expressionniste », commente : « On peut le comprendre : un vrai créateur n'aime pas les étiquettes et d'autre part, Lang n'a réalisé qu'un film qui puisse être entièrement qualifié d'expressionniste. Mais l'expressionnisme, consciemment ou non, l'a marqué »

Les premiers films expressionnistes se passaient de gros moyens en faisant usage de décors abstraits, aux motifs géométriques, et de dessins sur les murs et les planchers destinés à représenter les lumières, les ombres et les objets divers. Les sujets abordés concernaient souvent la folie et d'autres troubles mentaux, la trahison, ainsi que d'autres sujets psychologiques et moraux profonds, en opposition avec les films que l'on pouvait voir alors, sur des thèmes romanesques et d'aventure.

On peut retrouver les thèmes expressionnistes dans d'autres films des années 1920 ou 1930, où ils résultent d'une prise de contrôle artistique sur l'agencement des décors, des lumières et des ombres pour créer l'atmosphère d'un film. Cette école cinématographique eut une influence sur le cinéma américain avec l'émigration de nombreux réalisateurs allemands vers Hollywood lors de l'arrivée au pouvoir des nazis en Allemagne. Ils furent accueillis à bras ouverts par les studios américains ; plusieurs d'entre eux eurent alors une carrière florissante, et leur production eut un impact profond sur le cinéma.

Courants contemporains

Dans les années 1920, le mouvement dada provoque une révolution dans le monde artistique, et les différentes cultures européennes prônent un changement et le désir d'envisager le futur par l'expérimentation d'idées et de styles nouveaux et révolutionnaires. L'expressionnisme est également contemporain du surréalisme en France.

Influence de l'expressionnisme cinématographique

Deux genres furent particulièrement influencés par l'expressionnisme : le film noir et le film d'horreur. Carl Laemmle et les Studios Universal se firent un nom en produisant de fameux films d'horreur durant l'époque du muet, tel que Le Fantôme de l'opéra (Lon Chaney, 1925). Des émigrants allemands inspirèrent le style et l'atmosphère des films de monstres des Studios Universal dans les années 1930, avec des décors artistiques très sombres, et constituèrent ainsi une référence pour les générations suivantes de films d'horreur.

Après Fritz Lang (Furie) dans les années 1930, d'autres réalisateurs d'origine germanique comme Otto Preminger (Laura), Robert Siodmak (Les Tueurs) ou Billy Wilder (Assurance sur la mort) introduisirent le style expressionniste dans les films policiers des années 1940 et influencèrent les générations suivantes de cinéastes, en faisant ainsi survivre l'expressionnisme. En 1967, en France, l'ORTF produit le téléfilm Le Golem, réalisé par Jean Kerchbron, qui est une adaptation du roman éponyme de Gustav Meyrink.

Principaux réalisateurs

Fritz Lang [1890-1976] :

Les Trois Lumières (Der müde Tod, 1921)

Docteur Mabuse le joueur (1922)

Les Nibelungen (1924)

Metropolis (1927)

Les Espions (1928)

M le maudit (1931)

Le Testament du docteur Mabuse (1933)

Le Secret derrière la porte (1947)

Friedrich Wilhelm Murnau [1888-1931] :

La Découverte d'un secret (1921)

Nosferatu le vampire (1922)

Le fantôme (1922)

Le Dernier des hommes (1924)

Faust, une légende allemande (1926)

L'Aurore (1927)

L'intruse (1930)

Tabou (1931)

Paul Wegener [1874-1948] :

L'étudiant de Prague (1913, coréalisé avec Hanns Heinz Ewers assisté de Stellan Rye)

Le Golem (1915, coréalisé avec Henrik Galeen)

Le Golem (1920, coréalisé avec Carl Boese)

Les Bouddhas vivants (1925)

Robert Wiene [1873-1938] :

Le Cabinet du docteur Caligari (1920)

Raskolnikov (1923)

Les Mains d'Orlac (1924)

Paul Leni [1885-1929] :

Le Cabinet des figures de cire (1924)

L'Homme qui rit (1928)

Arthur von Gerlach [1876-1925] :

Vanina (1922)

La Chronique de Grieshuus (1925)

Arthur Robison [1888-1935] :

Le Montreur d'ombres (1923)

Manon Lescaut (1926)

Notes et références

Francis Courtade, Cinéma expressionniste, Paris, Henri Veyrier, 1984, Quatrième de couverture.

Francis Courtade, Cinéma expressionniste,p. 145-184.

F. Courtade, Cinéma expressionniste, p. 145.

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Le cinéma expressionniste allemand /  Cours

Objectif :
Enoncer les principales caractéristiques du cinéma expressionniste allemand en insistant sur l'apport qualitatif du montage.
L'expressionnisme est un mouvement artistique bien distinct du naturaliste. En effet, il ne vise pas une représentation objective du monde mais la reproduction des perceptions subjectives que ce monde encourage. L'angoisse (déjà très présente dans le romantisme allemand) y occupe une place tout à fait centrale. Lorsqu'elle est manifeste, elle peut favoriser toutes sortes de déformations des choses ou des êtres.

Le vertige qui envahit la conscience du sujet provoque ainsi un immense déséquilibre de tout le visible. Le monde n'a plus d'autonomie, il est soumis au regard déformant de celui qui le traverse et l'observe : la lumière irradie les lieux où règne le Bien, le Mal plonge irrémédiablement tout ce qu'il habite dans les Ténèbres.

L'expressionnisme pictural se développe peu avant 1910 avec KokoschkaBeckmann et Soutine. Au cinéma, exclusivement allemand, il est notamment incarné par Fritz LangW.-F. Murnau et Robert Wiene, entre 1918 et 1926, dans quelques œuvres magistrales marquées par une forte dimension plastique.
1. « Le Cabinet du docteur Caligari », R. Wiene, 1918
Film fondateur de l'expressionnisme allemand où se mêlent foliehypnosesomnambulisme avec, en écho, l'essor de la psychanalyse freudienne. Petit aperçu de l'intrigue. Deux hommes dans un parc, le plus jeune raconte un épisode étrange de sa vie, l'histoire dont il fut le témoin privilégié : on plonge alors dans le passé. Dans une foire, le docteur Caligari présente un somnambule dont il commandite secrètement les crimes. Après enquête, Caligari est démasqué, poursuivi par le jeune témoin de l'histoire, jusqu'à l'asile dont il est le directeur. Or, il s'avère que le directeur schizophrène répétait les expériences d'un savant sur le somnambulisme, le vrai docteur Caligari. Il est arrêté.

À la fin du film, on retourne dans le parc où le jeune homme conclut son histoire. On s'aperçoit que le parc fait partie de l'asile dans lequel il est lui-même interné. Nous sommes alors dans l'indécision vis-à-vis de la véracité de l'intrigue.

Le délire fait partie des grands thèmes de l'expressionnisme. Ici, sa manifestation est suggérée par l'articulation générale du film, son montage en deux parties enchâssées. On pense d'abord qu'il y a un espace réel (dans le parc, lieu d'émission du récit) et une histoire passée (ce qui a eu lieu) avec un degré de réalité plus faible (car tout ce que nous voyons passe par le prisme d'un récit). Rétroactivement, on comprend que si le premier espace était bien réel, l'histoire vue et racontée (soit la quasi totalité du film) n'était qu'illusion. Le montage du film assure l'intrusion proprement expressionniste du délire (de l'ordre de la subjectivité pure) dans le réel tout en ménageant des effets de surprise.

Plus ponctuellement, le passage du réel à l'hallucination s'opère à l'aide d'un champ-contrechamp qui transgresse les limites spatio-temporelles de la scène. Dans le parc, quand le jeune homme commence à raconter son récit, il est filmé de face, le regard légèrement vitreux. Le plan suivant nous montre « sa ville ». Un dernier retour sur lui sera proposé avant la véritable plongée dans l'histoire. Le montage donne clairement à penser que le plan sur la ville est subjectif. Ce n'est pourtant pas le cas, sauf d'un point de vue métaphorique. L'histoire est son hallucination.

L'espace mental est signifié par toutes les déformations architecturales expressionnistes qui affectent le décor (les fenêtres sont triangulaires, les murs penchés, les rues obliques, les décors sont des tableaux) et par les oppositions de lumière très nettes, alors que le parc est représenté de façon réaliste.
2. W.-F. Murnau
Friedrich Wilhelm Murnau a commencé sa carrière de cinéaste comme expressionniste. Il partira ensuite à Hollywood et y réalisera quelques films très différents. Sa première période reste marquée par ses chefs-d'œuvre : « Nosferatu » (1922), « Le Dernier des hommes » (1924) et « Faust » (1926).

Une partie de l'angoisse que provoque « Nosferatu » est prise en charge par le montage. Le monstre habite le fond de plans assez longs, et s'approche lentement du spectateur. Au terme d'une atmosphère pesante, il surgit très proche de la caméra et provoque l'effroi.

« Le Dernier des hommes » raconte la chute sociale d'un portier de grand hôtel jugé vieillissant. Humilié, l'homme aura tenté de dissimuler cette nouvelle à ses proches, notamment le soir du mariage de sa fille. Au petit matin, fatigué par l'alcool, il commence à rêver. Comme dans « Caligari », le montage assure le passage de la réalité au rêve. Mais cette fois, ce n'est plus un fantasme qui s'étend à l'ensemble du film, c'est une séquence localisée et brève. D'abord, un plan de cet homme nous montre dans le fond le mur qui tangue : ainsi s'exprime l'affaiblissement de sa conscience. Puis, dans le plan suivant (subjectif, il correspond à peu près au point de vue du portier), la caméra tourne sur elle-même.

Enfin, Murnau nous propose un gros plan du visage de l'homme avec, progressivement, en surimpression, une apparition de la haute porte tournante de l'hôtel. On passe ici dans le rêve. Des vieillards ne parviennent pas à porter une grande caisse, il arrive, la porte tout seul et se fait applaudir par les témoins (l'ensemble est onirique et les images déformées). Le visage de l'homme assoupi apparaît ensuite en surimpression. Derrière lui, une femme s'apprête à fermer la fenêtre. Au moment où elle le fait, la surimpression disparaît. On retourne dans le réel

Le montage a donc exprimé l'ivresse, le relâchement de la conscience (mouvements de caméra insolites dans un film composé principalement d'images équilibrées et stables) et le passage du réel au rêve (surimpression). Quand l'homme repart travailler, soumis aux effets de l'alcool et aux regards narquois et inquisiteurs des voisins qu'il croise, le montage fait alterner des plans réalistes sur lui et des plans complètement déformésen contrechamp (qui expriment ce qu'il voit), de ceux qui le regardent. L'altération de sa perception subjective est donc clairement exprimée par le montage.
3. « Metropolis », Fritz Lang, 1926
L'oeuvre est une représentation d'un monde où la plupart des hommes vivent sous terre, asservis par des machines dont ils assurent, presque sans relâche, le bon fonctionnement. Le fils du chef de Metropolis décide de travailler avec les ouvriers et de les assister dans leur révolte. Parmi les ouvriers, une sorte de prophétesse dont il tombe amoureux prône avec lui une insurrection non violente. Afin de semer le trouble au sein des travailleurs, le père fait réaliser un robot, copie parfaite de la jeune femme. Le fils les surprend et fait un malaise.

Dans la scène suivante, il s'assied sur son lit pendant que la copie, dans un autre lieu, se livre à des danses très érotiques pour attiser le désir des hommes. Le montage fait alterner les situations des deux personnages.

Tous les jeux de regards sont signifiés par du champ-contrechamp, ce qui est s'inscrit logiquement dans le traitement spatial de la femme et des hommes qui la convoitent dans la même pièce ; en écho, le regard du jeune homme transperce les limites de l'espace.

Ensuite les plans des hommes concupiscents sont remplacés par une seule image monstrueuse qui rassemble tous leurs yeux, sans visage, disséminés un peu partout. Le montage exprime qu'ils ne sont plus que désirconvoitiseregard.

L'essentiel
Le montage prend en charge une partie des caractéristiques du cinéma expressionniste allemand. Il permet d'assurer le passage entre deux dimensions de natures différentes (le réel d'une part, le fantasme, l'hallucination ou le rêve d'autre part), tout en réservant la plupart du temps (sauf quand l'ambiguïté doit être préservée) un traitement particulier à l'espace psychique.

Il arrive aussi que des moments d'intense délire soient exprimés par un montage de plans brefs. Si un personnage est bouleversé, sa perception du monde en est affectée, et c'est toute la représentation qui s'écroule. C'est alors la subjectivité expressionniste qui règne.


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