duminică, 24 martie 2024

Hollywood / Anii '50 - '60

 
HISTOIRE DU CINÉMA

LES DERNIERS HÉROS DE HOLLYWOOD

A la fin ries années 1950, les films d’aventures ont cédé la place aux fastueuses superproductions historiques. Mais, dans les années 1960, c’est la violence qui va envahir westerns et films de guerre.

Seuls sont les indomptés (Lonely Are the Brave) – David Miller (1962)

Les films d’aventures et de cape et d’épée, qui avaient assuré la suprématie hollywoodienne dans les années 1920 et 1930, avaient connu une véritable résurrection au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Souvent produits avec de petits budgets, ces films n’en soutenaient pas moins avantageusement, la comparaison avec leurs fastueux prédécesseurs : tournés le plus souvent en Italie ou en Grande-Bretagne, où les grandes compagnies américaines disposaient de fonds gelés, ils pouvaient bénéficier d’une main-d’œuvre beaucoup moins onéreuse qu’aux États-Unis, ainsi que de décors naturels infiniment plus suggestifs que ceux que les décorateurs de Hollywood, avant la guerre, s’étaient évertués à reconstituer.

LE PRINCE DE L’AVENTURE

Les vedettes qui, foulard rouge sur la tête et sabre d’abordage au poing, avaient enthousiasmé les foules dans les années 1930, retrouvaient ainsi le prestige de leur jeunesse et entamaient brillamment une seconde carrière. Le plus remarquable « come back » fut incontestablement celui d’Errol Flynn qui, malgré ses expressions de noceur déjà vieillissant, n’avait rien perdu de son enthousiasme, ni de ses facultés athlétiques. Excellent dans A l’abordage (Against AlI Flags, 1952) de George Sherman il était proprement sublime dans Le Vagabond des mers (The Master of Ballantree, 1953) de William Keighley. Son âge conférait une sorte d’épaisseur tragique à ce film adapté de l’un des plus beaux romans de Robert Louis Stevenson.

Tyrone Power, qui avait été admirable dans Le Signe de Zorro (The Mark of Zorro, 1940) de Rouben Mamoulian, fut beaucoup moins heureux, en revanche, dans Capitaine de Castille (Captain From Castile, 1947) et Échec à Borgia (Prince of Foxes, 1949), deux films d’aventures historiques réalisés par Henry King, cinéaste talentueux que le genre n’inspirait malheureusement guère. Robert Taylor, quant à lui, vieillissait avec un peu plus de conviction dans les trois productions médiévales que la Metro-Goldwyn-Mayer avait confiées à Richard Thorpe : Ivanhoe (1952), Les Chevaliers de la Table ronde (Knights of the Round Table, 1953) et Quentin Durward (The Adventures of Quentin Durward, 1955). Si le premier constituait une impardonnable trahison du. roman de Walter Scott, il n’en offrait pas moins quelques séquences joliment filmées, notamment un tournoi d’une belle élégance cinématographique.

La renaissance du cinéma d’aventures et de cape et d’épée avait également permis à de nouveaux venus de s’affirmer, généralement dans de petites productions qui compensaient une certaine pauvreté de moyens par une réalisation vivante et chatoyante. C’est ainsi que Tony Curtis, nullement embarrassé par son très caractéristique accent de Brooklyn, avait tenu son premier grand rôle dans Le Voleur de Tanger (The Prince Who Was a Thief, 1951) de Rudolph Maté, confirmant de belles dispositions dans Le Fils d’Ali Baba (Son of Ali Baba, 1952) de Kurt Neuman, Le Chevalier du roi (The Black Shield of Falworth, 1954) encore de Rudolph Maté, et Le Cavalier au masque (The Purple Mask, 1955) de Bruce H. Humberstone. Si John Derek, pâle imitateur d’Errol Flynn dans La Revanche des gueux (Rogues of Sherwood Forest, 1950) de Gordon Douglas, n’est jamais devenu une grande vedette, il en a été tout différemment pour Rock Hudson qui, dans la première moitié des années 1950, a tourné une quantité de petits films d’aventures parfois réalisés par des cinéastes de premier plan. Rock Hudson était plein d’ardeur juvénile dans La Belle Espionne (Sea Devils, 1953), délicieux film de Raoul Walsh dans lequel Gérard Oury tenait le rôle de Napoléon, et surtout dans Capitaine mystère (Captain Lightfoot, 1955), brillante évocation de la résistance irlandaise au colonisateur anglais, due au génie de Douglas Sirk, réalisateur qui emploiera Hudson à maintes reprises.

Mais, dans les années 1950, le prince du film à costumes fut sans conteste Stewart Granger. Comédien d’origine britannique et de son vrai nom James Stewart, il avait fait de fort beaux débuts hollywoodiens dans Les Mines du roi Salomon (King Salomon’s Mines, 1950) d’Andrew Marton et Compton Bennett avant de faire merveille avec quelques-uns des meilleurs films de cape et d’épée de l’après-guerre. Son élégance naturelle, son humour et ses talents d’escrimeur sont éclatants dans ces deux chefs-d’œuvre du genre que sont Scaramouche (1952) de George Sidney et Le Prisonnier de Zenda (The Prisoner of Zenda, 1952) de Richard Thorpe. Mais ses deux plus grands rôles demeurent celui du célèbre dandy anglais dans Le Beau Brummel (Beau Brummel, 1954) de Curtis Bernhardt et, surtout, celui de Jeremy Fox, l’extraordinaire gentilhomme aventurier des Contrebandiers de Moonfleet (Moonfleet, 1955) de Fritz Lang. Dans ce film romantique et crépusculaire, où George Sanders faisait également une étonnante composition, Stewart Granger exprimait avec une ironie aristocratique la conscience tragique de son ténébreux personnage.

Le début des années 1950 aura été, en définitive, l’âge d’or du film d’aventures hollywoodien. Les réussites ont été innombrables et la liste en serait fastidieuse, depuis La Flèche et le flambeau (The Flame and the Arrow, 1950), éblouissante fantaisie acrobatique de Jacques Tourneur interprétée par Burt Lancaster et Virginia Mayo, jusqu’aux Aventures de Hadji (The Adventures of Hajji Baba, 1954), sorte de conte orientaliste réalisé avec une rare alacrité visuelle pair Don Weis.

MYTHES ET ÉPOPÉES

La télévision fut à l’origine du déclin de ce genre cinématographique particulièrement séduisant. Dès le milieu des années 1950, en effet, le petit écran fut envahi par une multitude de petits films de cape et d’épée en noir et blanc, généralement tournés en studio, mais souvent bien faits, bien joués et pleins d’entrain. Aussi, pour faire revenir le public dans les salles de cinéma, les grandes compagnies hollywoodiennes se sont-elles alors converties à des productions historiques et épiques faisant appel à des centaines, voire des milliers de figurants, présentant de vastes reconstitutions architecturales, et comportant de gigantesques scènes de bataille – autant d’agréments que la télévision ne pouvait évidemment offrir.

Cecil B. DeMille, qui s’était illustré, dans les années 1930, avec quelques films « à grand spectacle » particulièrement impressionnants, put ainsi achever sa carrière en beauté en réalisant Les Dix Commandements (The Ten Commandments, 1956), œuvre dont la dramaturgie véritablement shakespearienne justifiait une mise en scène d’une grandiose simplicité. Nullement écrasé par l’ampleur des décors et le poids de la figuration, ce chef-d’œuvre demeurait concentré sur quelques personnages au relief saisissant. Celui de Moïse était interprété par Charlton Heston qui allait continuer sur sa lancée en tenant le principal rôle de Ben Hur (1959). Pendant une dizaine d’années, Hollywood va donc puiser dans l’histoire, dans la légende, dans la Bible et même dans le répertoire dramatique et romanesque classique, afin de reconquérir son public.

Alors que les petits films d’aventures historiques du début des années 1950 ne s’encombraient guère de soucis d’authenticité et faisaient souvent montre d’une fantaisie réjouissante, les superproductions de la période suivante vont témoigner d’un peu plus de rigueur, certaines atteignant parfois même à une sorte de vérité mythique. Si Henry Levin n’évite pas toujours le ridicule dans son Genghis Khan (1965), Richard Fleischer, en revanche, réussit une superbe transposition de l’univers nordique dans Les Vikings (1958), épopée flamboyante qu’emplissent le fracas des armes et la poésie des grands fjords. Producteur et principal interprète des Vikings, Kirk Douglas le sera également de Spartacus (1960), film de Stanley Kubrick qui évoque avec intelligence la révolte des esclaves et qui, outre Kirk Douglas, bénéficie d’une distribution extrêmement soignée : si John Gavin et Tony Curtis ne sont pas à l’abri de tout reproche, Charles Laughton, Laurence Olivier et Peter Ustinov font, par contre, une composition en tout point éblouissante.

Après l’Antiquité, Charlton Heston va aborder le monde fascinant de la chevalerie, d’abord avec Le Cid (El Cid, 1961) d’Anthony Mann, puis, surtout, avec Le Seigneur de la guerre (The War Lord, 1965) de Franklin J. Schaffner. Appuyé sur un scénario remarquable et mis en scène avec autorité, ce dernier film nous transporte dans une atmosphère médiévale empreinte de paganisme et restitue de façon fort suggestive les mœurs barbares d’une époque dominée par le sentiment de la mort. Charlton Heston porte la cotte de mailles avec vraisemblance et manie l’épieu admirablement. Rarement cinéaste américain a approché d’aussi près la réalité du passé. Moins connu, moins réussi aussi, sans doute, est le film que J. Lee Thompson a consacré à la civilisation maya, Les Rois du soleil (Kings of the Sun, 1963). Interprétée par Yul Brynner et George Chakiris, cette reconstitution académique et somptueuse ne manque cependant pas de vigueur et offre un indéniable dépaysement historique.

Très controversées furent deux superproductions qui marquèrent cette période, à savoir Cléopâtre (Cleopatra, 1963) de Joseph L. Mankiewicz et La Chute de l’Empire romain (The Fall of the Roman Empire, 1964) d’Anthony Mann. La première souffre à l’évidence d’un déséquilibre entre la volonté des producteurs de remplir l’écran de scènes spectaculaires et le désir de Mankiewicz, cinéaste foncièrement intimiste, de traiter l’histoire d’un point de vue philosophique. Il en résulte une œuvre à la fois irritante et passionnante, où Elizabeth Taylor accomplit de laborieux prodiges d’invraisemblance et de vulgarité, mais où Richard Burton se souvient qu’il fut un très grand acteur shakespearien avant d’entamer une carrière à l’écran. Quant à La Chute de l’Empire romain, il s’agit d’un film beaucoup plus intéressant qu’il n’a été dit lors de sa sortie. Non seulement les batailles, les courses de chars et les processions triomphales sont magistralement filmées, mais encore le récit dénote une bonne connaissance du sujet.

LES FASTES DE LA GUERRE

Les superproductions historiques allaient exercer leur influence sur le film de guerre, désormais voué à de luxueuses et spectaculaires évocations de faits d’armes ayant pour théâtre la Seconde Guerre mondiale. Tiré d’un roman à succès d’Alistair MacLean, Les Canons de Navarone (The Guns of Navarone, 1961) de J. Lee Thompson demeure le prototype de nombreux films fondés sur une intrigue rocambolesque dont les protagonistes, dépourvus de psychologie, ne sont que les faire-valoir d’une pléiade de vedettes. C’est tout de même avec des préoccupations historiques plus sérieuses que Darryl Zanuck, dans Le Jour le Plus long (The Longest Day, 1962), réunira quatre metteurs en scène – Ken Annakin, Andrew Marton, Bernhardt Wicki et Gerd Oswald – afin de ressusciter à l’écran le débarquement allié en Normandie. De John Wayne à Arletty, de Richard Burton à Henry Fonda, de Robert Mitchum à Jean-Louis Barrault, de Curd Jürgens à Mel Ferrer, de Richard Todd à Madeleine Renaud, plus de cinquante vedettes internationales se sont partagées les honneurs de cette fresque historique et guerrière qui faisait la part belle à l’image d’Epinal et au cliché. Tel sera également le cas de La Bataille des Ardennes (The Battle of the Bulge, 1966), film de Ken Annakin qui retrace les principaux épisodes de l’offensive allemande de décembre 1944.

Il faudra attendre l’étonnant Patton (1970) de Franklin J. Schaffner pour que le cinéma de guerre américain retrouve une certaine maturité intellectuelle tout en respectant les exigences du spectacle. Ce film extrêmement original surprit par son audace et sa causticité, l’excellent George C. Scott faisant du célèbre général américain une sorte de cow-boy paranoïaque, amateur de poésie grecque, obsédé par l’exemple de Rommel, et prêt à sacrifier ses troupes pour forger sa propre légende. Dans une certaine mesure, Patton s’apparentait aux films de démystification qui, à la suite de M.A.S.H. (1970) de Robert Altman et Catch 22 (1970) de Mike Nichols, allaient déferler au cours de la décennie suivante, dans le climat de contestation provoqué par la guerre du Viêt-Nam.

VERS LA FIN DU WESTERN

Mais le film de guerre qui aura peut-être le plus profondément marqué cette période reste Les Douze Salopards (Dirty Dozen, 1967) de Robert Aldrich. L’énorme succès commercial de cette douteuse épopée où un commando composé d’hommes de sac et de corde s’adonne à un joyeux carnage avec la bénédiction des autorités civiles et militaires a consacré, en effet, l’évolution du cinéma d’action américain, dont la propension à fonder le spectacle sur la violence la plus cynique va également contaminer le western.

Tandis qu’avec La Conquête de l’Ouest (How the West Was Won, 1962), film tourné en Cinérama par Henry Hathaway, John Ford et George. Marshall, Hollywood tentait sans grande réussite d’appliquer au western les recettes du grand spectacle historique ou guerrier, une œuvre comme Les Sept Mercenaires (The Magnificent Seven, 1960) de John Sturges annonçait toute une série de films dont les héros ne présenteront aucun des caractères moraux traditionnels, comme ceux, d’ailleurs sympathiques, des Professionnels (The Professionals, 1966) de Richard Brooks, ou, sur un ton plus léger, de Butch Cassidy et le Kid (Butch Cassidy and the Sundance Kid, 1969) de George Roy Hill. Cette perte du sens moral et cette tendance à préférer les professionnels de la violence aux héros pleins de vertu et de noblesse d’autrefois témoignaient de la régression d’un genre qui allait, du reste, être peu à peu l’objet d’une certaine désaffection.

C’est très significativement que des films comme Les Désaxés (The Misfits, 1961) de John HustonSeuls sont les indomptés (Lonely Are the Brave, 1962) de David Miller ou Le Plus Sauvage d’entre tous (Hud, 1963) de Martin Ritt ont traité de l’anachronisme des mythes « westerniens » dans le monde moderne. Le western touchait-il à sa fin ? On pouvait le penser à la vision de Coups de feu dans la sierra (Ride the High Country, 1962), film qui devait révéler le talent de Sam Peekinpah et dans lequel deux anciennes vedettes vieillissantes et déjà oubliées, Joel McCrea et Randolph Scott, assistaient à l’écroulement de leurs valeurs.

De leur côté, les maîtres du western réalisaient leur chant du cygne, avec des œuvres empreintes de nostalgie et de mélancolie : John Ford nous bouleversait ainsi en faisant ses adieux à l’Ouest dans L’homme qui tua Liberty Valance (The Man Who Shot Liberty Valance, 1962) et Les Cheyennes (Cheyenne Autumn, 1964), tandis que Raoul Walsh, avec La Charge de la 8e brigade (A Distant Trumpet, 1964), mettait, non sans amertume, un terme splendide au cycle de ses fabuleuses épopées. Cessant d’être subordonnée à une éthique, la violence pouvait impunément envahir les écrans et se donner en spectacle. C’est en Italie qu’allait être pris, toutefois, le tournant décisif, avec les « westerns spaghetti » réalisés par Sergio Leone et interprétés par Clint Eastwood. Leur succès fut tel que Sam Peckinpah, décidé à rivaliser de violence avec les Italiens, donnera avec La Horde sauvage (The Wild Bunch, 1969) une lucrative symphonie de sadisme et de sang. [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas (1983)]


La dépression apporta la misère et le chômage. Pour faire oublier au public américain la triste réalité quotidienne, Hollywood lui proposa du rêve qu’il pouvait acheter pour quelques cents. Au cours des années qui suivirent la crise de 1929, les magnats de Hollywood n’eurent guère à faire d’efforts d’imagination pour dérider un public totalement abattu.

Après de retentissants débuts dans le sonore, le western connut une alarmante baisse de popularité au cours des années 1930. Mais dès la fin de la décennie, il redevint un des genres préférés du public.

Pour les Américains, les années 1950 correspondent à une période de confort et de tranquille prospérité. C’est cette image sécurisante que Hollywood allait véhiculer dans toute une série de comédies brillantes.


Laurence Olivier (1907-1989)