luni, 1 ianuarie 2024

Orson Welles=CITIZEN KANE : LE GÉANT FRAGILE (1941)

 

mon cinéma à moi


LE FILM ÉTRANGER

CITIZEN KANE – Orson Welles (1941)

Citizen Kane, c’est le cinéma pris d’assaut par un jeune prodige qui s’est rendu suffisamment célèbre au théâtre et à la radio pour décrocher un contrat en or à Hollywood : on lui accorde toutes les libertés, et il les prend. Acteur reconnu déjà, il s’offre un vrai cadeau en interprétant Kane, ambitieux patron de presse, de 25 à 75 ans. Et à cette saga qui raconte le pouvoir, la fortune, la solitude et le passage du temps, il donne une forme somptueuse et baroque, avec une mise en scène qui défie les règles et bouscule les spectateurs. Ceux de l’époque furent, d’ailleurs, décontenancés, et le film considéré comme un échec. Welles ne retrouva jamais le pouvoir qu’il avait eu pour son premier film. Le destin de Citizen Kane était de rester unique en tout. [Frédéric Strauss – Télérama.fr (mai 2015)]


Connu pour ses mises en scène peu conformistes de Shakespeare et pour l’immense panique provoquée par son adaptation radiophonique de La Guerre des mondes, de H. G. Wells, un jeune homme de vingt-cinq ans, Orson Welles (1915-1985), obtient de la R.K.O. un contrat exceptionnel, qui lui laisse toute liberté – chose rarissime dans la pratique des studios hollywoodiens. Il en sortira Citizen Kane, tournant majeur dans l’histoire du cinéma. Avec son opérateur Gregg Toland, Orson Welles réhabilite les techniques du muet : profondeur de champ, plongées, contre-plongées découvrant les plafonds, montage dynamique. Il laisse aussi ses acteurs, à commencer par lui-même, évoluer dans de longs plans-séquences, faisant de la parole un élément essentiel de la mise en scène. À la fois méditation sur le pouvoir et la mort, essai, document, fiction, enquête sur un magnat de la presse inspiré par William Randolph Hearst qui tentera de faire interdire le film, Citizen Kane connaît un succès de scandale mais s’avère un échec commercial, qui pèsera lourdement sur l’œuvre à venir de Welles. Il influera pourtant sur le meilleur du cinéma moderne, dont la Nouvelle Vague. [Joël Magny, « Citizen Kane (O. Welles), en bref », Encyclopædia Universalis]


L’HISTOIRE

Charles Foster Kane (Orson Welles) vient de mourir dans son immense demeure, Xanadu, en prononçant un seul mot : « Rosebud ». Des journalistes entreprennent de réaliser un documentaire sur l’ascension et la chute de Kane. Un reporter cherche à percer l’identité de Rosebud en interviewant Susan Alexander (Dorothy Comingore), la seconde femme de Kane, Bernstein (Everett Sloane) et Leland (JosephCotten), deux anciens collaborateurs du défunt, et Raymond (Paul Stewart), son majordome. Peu à peu, le reporter reconstitue la vie de Kane. A peine âgé de cinq ans, Kane a hérité d’une immense fortune. Sur décision de sa mère, il a été confié à la tutelle d’un banquier, Thatcher (George Coulouris). Trente ans plus tard, Kane achète le quotidien new-yorkais Inquirer et devient éditeur de feuilles à scandales.  Il épouse Emily Norton (Ruth Warrick) mais rencontre bientôt Susan Alexander dont il fait sa maîtresse. A cause de cette liaison, Kane est obligé d’interrompre sa campagne pour se faire élire gouverneur et quitte sa femme, son adversaire politique, James Gettys ( Ray Collins) ayant rendu l’affaire publique. Kane épouse Susan et cherche, en vain, à faire d’elle une chanteuse d’opéra. Les échecs de Susan et la crise économique entraînent Kane à l’exil volontaire dans son baroque château, Xanadu. Oppressée par l’isolement et par le despotisme de Kane, Susan trompe son ennui en se lançant dans des puzzles compliqués. Elle finit par abandonner Kane et Xanadu. A la mort de Kane, ses objets personnels sont dispersés ; parmi eux se trouve un vieux traîneau de son enfance, sur lequel on peut lire le mot qu’il prononça en mourant : « Rosebud ».


Premier long-métrage d’un wonder boy de vingt-cinq ans, Citizen Kane est un film atypique pour des raisons multiples. Bien que débutant dans le cinéma, Orson Welles obtient de la R.K.O. un contrat exceptionnel qui lui donne le contrôle du film, alors que, dans le système des studios d’Hollywood des années 1930, le pouvoir est exercé par les producteurs. Il a donc carte blanche et réalise un film hors norme, d’une narration complexe, avec de nombreux flash-backs, mais aussi un film politique et polémique inspiré de la biographie d’un magnat de la presse américaine, William Randolph Hearst, qui tentera d’entraver la sortie du film. Citizen Kane sort sur les écrans américains en 1941 au milieu d’une polémique. Les spectateurs français ne découvrent le film qu’en 1946 en raison de la guerre.

Quand il réalise ce premier film, le jeune Welles est célèbre comme acteur, homme de théâtre et homme de radio. Il a provoqué une panique nationale en octobre 1938 en adaptant pour la radio La Guerre des mondes d’H. G. Wells et en faisant croire au public que les Martiens venaient d’atterrir dans le New Jersey. Citizen Kane va devenir rapidement un film mythique et déclencher de nombreuses vocations. Avant ce scénario, Welles avait choisi Au cœur des ténèbres (Heart of Darkness, 1899) de Joseph Conrad. C’est cette nouvelle que Francis Ford Coppola adaptera sous le titre d’Apocalypse Now (1979), film dont les parentés avec Citizen Kane sont très nombreuses.

VIE ET MORT D’UN MAGNAT DE LA PRESSE

Xanadu, un château baroque entouré d’un parc fantastique. Un vieillard meurt en laissant tomber une boule de verre et en prononçant un dernier mot étrange « Rosebud ». On enchaîne sur des actualités tonitruantes « News on the March » qui retracent la biographie mouvementée d’un politicien américain, grand patron de presse, Charles Foster Kane. À l’issue de la projection, le rédacteur en chef demande à un journaliste, Thompson, de rechercher le sens du dernier mot du défunt et d’enquêter sur sa vie. Thompson va alors interroger la dernière femme de Kane, Susan, qui refuse de parler, puis son tuteur Thatcher, son ancien ami et collaborateur Leland pour revenir à Susan qui accepte de donner son témoignage sur ses dernières années avec le milliardaire enfermé dans sa citadelle. Enfin, Thompson interroge Raymond, le maître d’hôtel de Kane alors que l’on brûle d’innombrables objets qu’il a accumulés depuis son enfance.

CITIZEN KANE, O. WELLES LAUNCH

Les récits des témoins permettent de reconstituer le puzzle de la vie de Kane : sa naissance en 1865, la mine d’or que sa mère reçoit en héritage, la séparation de ses parents, la prise de possession du journal l’Inquirer, son mariage avec Emily Norton, l’apogée de son empire de presse, sa rencontre avec Susan Alexander, sa tentative malheureuse aux élections en raison du scandale de sa liaison amoureuse, le mariage avec Susan, la construction de Xanadu, le déclin de la presse, la mort du milliardaire seul dans son château, abandonné de tous, et notamment de sa seconde épouse.

UN FILM-ENQUÊTE

Citizen Kane est un film anthologique à plusieurs niveaux tant thématiques que formels. À travers la biographie de son personnage principal, le film offre une description critique remarquable de l’histoire de la presse américaine, de son développement et de sa concentration, de ses liens avec la vie politique intérieure et internationale (la guerre d’Espagne, l’attitude à l’égard du nazisme, le syndicalisme). C’est une analyse interne particulièrement fouillée du capitalisme américain à partir de la vie de l’un de ses représentants les plus emblématiques.

Le récit en flash-blacks permet de cerner par touches successives la personnalité complexe d’un homme de pouvoir, à travers son enfance, la relation avec sa mère, son tuteur, ses amis, ses deux épouses, sa profession, son goût pour la politique et son délire de possession. Charles F. Kane est un capitaliste qui accumule les succès, les journaux, les objets, les femmes, mais dont le désir demeure éternellement inassouvi. C’est donc un personnage de film dense et contradictoire, assez unique dans le cinéma américain des studios. En ce sens, l’énigme initiale posée par le célèbre « Rosebud » est devenu l’emblème même de ce type de récit à éclairages multiples et contradictoires .

Cette virtuosité narrative va de pair avec une virtuosité technique et stylistique encore aujourd’hui fascinante. Welles mobilise à la fois, comme l’avait bien vu André Bazin, le découpage en plans séquences et en profondeur de champ (lors des entretiens entre Thompson et les témoins), les fondus enchaînés et le montage court. Citizen Kane reste donc un chef-d’œuvre inégalé du montage cinématographique, grâce à sa construction en retour en arrière et à tous les types formels d’organisation séquentielle mobilisés : lors des actualités, de la description des rapports conjugaux de Kane avec Emily, du récit de la carrière de cantatrice de Susan, de l’épilogue final, de la destruction des objets accumulés, de la fumée noire qui s’échappe et de la grille finale où l’on peut lire « No trespassing ». Le mystère de Rosebud reste donc en partie non élucidé. [Michel Marie, « Citizen Kane, film de Orson Welles », Encyclopædia Universalis]

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Le sujet du film était en lui-même porteur de la révolution cinématographique dont Orson Welles allait être l’artisan. En effet, avec le recul, Citizen Kane apparaît comme le prototype du film journalistique, en ce sens où, pour la première fois, la dramaturgie et la mise en scène empruntent moins aux formes traditionnelles du théâtre ou du roman qu’à celles du journalisme moderne. Il est loisible, dès lors, de constater à quel point Citizen Kane a préfiguré tout un courant de films, parmi lesquels on peut citer Il caso Mattei (L’Affaire Mattei, 1971) de Francesco Rosi, All the President’s Men (Les Hommes du Président, 1976) d’Alan J. Pakula, Dossier 51 (1976) de Michel Deville, ou même Czlowiek z marmuru (L’Homme de marbre, 1977) d’Andrzej Wajda, autant de films où le récit est conduit selon des techniques spécifiquement journalistiques.


L’un des aspects les plus spécifiques de l’écriture cinématographique de Citizen Kane consiste en une utilisation particulière appropriée de la profondeur de champ, qui permet d’offrir une vision parfaitement nette des différents éléments d’une scène, sans qu’il soit besoin de recourir à des plans de coupe pour souligner les détails, comme c’était souvent le cas jusqu’alors.

C’est ainsi que le personnage de Kane prend corps non seulement par ce qu’il dit, ce qu’il fait, mais encore et surtout par la façon dont il est introduit dans l’action. Au début du film, il y a une scène où l’on voit Walter Thatcher arriver dans le Colorado pour emmener avec lui le petit Kane. Sur l’un des photogrammes, Madame Kane est assise au premier plan en train de lire les documents relatifs à l’héritage qui échoit au petit garçon. Thatcher est assis à sa droite, légèrement en retrait, tandis que le père de Kane apparaît, debout, sur la gauche. Par la position respective qu’ils occupent, et leur taille, ces trois personnages – tant au point dramatique que visuel – nous semblent être le centre de la scène. Ils occupent objectivement tout l’écran, madame Kane, qui entend agir dans l’intérêt de son fils, est la figure dominante. Pourtant, si notre regard parcourt ce premier plan en diagonale, il est presque aussitôt retenu par un autre élément du plan : la fenêtre au fond de la pièce. Au-delà de l’ouverture, on devine en effet, à travers la neige qui tombe, la silhouette d’un enfant. Un observateur superficiel concluerait que l’enfant est l’élément le moins important de la composition alors qu’en fait il en est l’élément principal. La signification dramatique de cette scène est beaucoup plus évidente si l’on examine le photogramme dans le sens inverse, C’est-à-dire en partant du fond du décor pour arriver au premier plan. La figure la plus petite devient le centre de la scène : c’est de l’avenir de Kane que ses parents et Thatcher sont en train de décider, c’est sa « vie » qui, dès cet instant, va se trouver irrémédiablement changée.

Plusieurs fois dans le film, nous voyons des personnages secondaires s’imposer au détriment de Kane, placé à l’écart : ces personnages sont en fait autant de catalyseurs de son destin. Au cours de la séquence du meeting, l’effet est pourtant, subrepticement renversé. Kane est au faîte de sa gloire; ses discours percutants sur la nécessité de protéger les travailleurs, les enfants et l’ensemble des citoyens emportent l’adhésion du public. La scène se termine cependant sur un plan qui remet en cause la situation de Kane et signale le commencement de son déclin. Dans une loge, son adversaire politique, James Gettys, assiste au meeting et sa silhouette remplit la partie droite du plan. A gauche, beaucoup plus bas, Kane termine son discours au milieu des applaudissements de la foule. La perspective fortement accentuée et la silhouette imposante de James Gettys symbolisent les épreuves qui auront raison de Kane.

Jusqu’alors, dans le film, Kane était le maître incontesté de l’écran. Mais, dès l’instant où il est battu aux élections, et jusqu’à la fin, sa présence se fait moins pesante. Cela est particulièrement sensible dans les dernières scènes, celles de son exil volontaire à Xanadu, immense mausolée où Kane apparaît comme écrasé par l’immensité des salles et la profondeur d’une monumentale cheminée.


LES EXTRAITS

CITIZEN KANE : LE GÉANT FRAGILE (PAR FRANÇOIS TRUFFAUT)

Lorsque je voyais Citizen Kane en tant que cinéphile adolescent, j’étais rempli d’admiration pour le personnage central du film, je le trouvais prestigieux et magnifique, je confondais dans une même idolâtrie Orson Welles et Charlie Foster Kane et je croyais que le film faisait l’éloge de l’ambition et de la puissance. Ensuite, en revoyant le film plusieurs fois, étant devenu critique de cinéma, c’est-à-dire plus entraîné à analyser mon plaisir, j’ai découvert l’aspect justement critique de Citizen Kane, son côté pamphlet ; j’ai compris que c’est le personnage de Jedediah Leland (interprété par Joseph Cotten) avec lequel nous devons sympathiser, j’ai vu que le film montre clairement le côté dérisoire de toute réussite sociale. Aujourd’hui, devenu metteur en scène, je revois Citizen Kane peut-être pour la trentième fois, et c’est son double aspect de conte de fées et de fable morale qui me frappe le plus.

Je ne serai pas capable de dire si l’œuvre de Welles est puritaine car de connais mal la signification de ce mot en Amérique mais j’ai toujours été frappé par sa chasteté ; la dégringolade de Kane est provoquée par un scandale sexuel : « Candidate Kane found in love nest with « Singer » » et pourtant nous avons bien vu que les relations Kane-Susan sont du genre père-fille, des relations protectives. Cette liaison, si toutefois on peut l’appeler ainsi, est justement rattachée à l’enfance de Kane et à l’idée de famille puisque c’est en revenant d’un pèlerinage – il a été revoir les meubles de ses parents dont probablement le traîneau Rosebud, entreposés dans un hangar – qu’il rencontre Susan sur un trottoir. Elle sort d’une pharmacie et se tient la mâchoire car elle a mal aux dents. Lui, vient justement de se faire éclabousser par une voiture. Remarquons que, plus tard, Kane prononcera deux fois le mot Rosebud, en mourant évidemment mais une fois auparavant, lorsque Susan le quitte. Il casse tous les meubles de sa chambre, cette scène est bien connue, mais a-t-on remarqué que la colère de Kane ne s’apaise que lorsqu’il prend en main la boule de verre ? Alors, il est bien clair que Rosebud, déjà lié à l’arrachement maternel, le sera désormais à son abandon par Susan. Il y a des départs qui sont comme des morts.

Ce qu’on trouve déjà dans Citizen Kane, mais que l’on retrouvera encore mieux exprimé dans le reste de l’œuvre d’Orson Welles, c’est une philosophie du monde à la fois personnelle généreuse et noble. Aucune vulgarité, aucune mesquinerie dans ce film pourtant satirique, imprégné d’une morale inventée et inventive, antibourgeoise, une morale de comportement, des choses à faire et des choses à ne pas faire. Ce qu’il y a de commun à tous les films d’Orson Welles c’est le libéralisme, l’affirmation que le conservatisme est une erreur ; les géants fragiles qui sont au centre de ses fables cruelles découvrent qu’on ne peut rien conserver, ni la jeunesse, ni la puissance, ni l’amour ; Charles Foster Kane, George Minafer Amberson, Michel O’Hara, Gregory Arkadin sont amenés à comprendre que la vie est faite de déchirement. (1967) [François Truffaut – Les films de ma vie – Ed. Flammarion (1987)]


C’est grâce à quelques hommes comme Orson Welles que le cinématographe est resté un art, à une époque où il menaçait de n’être plus qu’une industrie. Souvent incomprise, parfois mutilée, son œuvre demeure aujourd’hui un exemple esthétique et moral pour les créateurs dignes de ce nom.



« Si j’avais pu prévoir où tout cela me mènerait, je ne me serais jamais lancé dans cette aventure… si j’avais gardé ma lucidité je veux dire. Mais dès que je l’ai vue, dès la première minute, mon esprit chavira, et il me fallut pas mal de temps pour retrouver la raison. »

De tous les films de Welles, Touch of evil est sans aucun doute le plus noir, le plus cauchemardesque, encore plus kafkaïen que ne le sera Le Procès. La petite ville de Los Robles, une de ces bourgades frontières à mi-chemin entre les États-Unis et le Mexique, symbolise la corruption et la pourriture, physique et morale. On y assassine à la dynamite une puissance locale et sa compagne, on cherche à y vitrioler un policier et, à quelques kilomètres, le motel où se réfugie Susan est le lieu d’un véritable ballet diabolique où se mêlent la xénophobie, le sexe et la drogue.



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