joi, 7 decembrie 2023

DES FILMS NOIRS FRANÇAIS

 HISTOIRE DU CINÉMA

LE TEMPS DES FILMS NOIRS FRANÇAIS

Films frappés d’une certaine sévérité, ManègesLe Sang à la têteUne si jolie petite plageLa Marie du portPaniqueVoici le temps des assassins… représentent bien une certaine tendance du cinéma français d’après-guerre : la noirceur.

Au sortir de la Libération, le cinéma français n’est pas exsangue malgré les conditions économiques et la concurrence du cinéma américain qui ne facilitent pas les choses. Aux talents qui reviennent d’ailleurs (Jean RenoirJulien Duvivier) se conjugue la tradition des cinéastes établis (Christian-Jaque). Mais la conjoncture sociale, elle, prête moins à l’euphorie. Épuration, rationnement, crise du logement : la France de l’immédiat après-guerre ne voit pas vraiment la vie en rose. Et le cinéma va s’en faire l’écho.

Cet écho prend corps chez un nouveau venu, Yves Allégret qui, avec son scénariste Jacques Sigurd, donne la note. Une si jolie petite plage, avec sa psychologie au couteau et ses personnages épais, puis surtout Manèges, dans lequel Simone Signoret abuse son mari Bernard Blier avec cruauté, marquent une tendance aux figures dramatiques noires. La même Simone Signoret réitérera dans Thérèse Raquin. Mesquins, cupides ou menteurs, ils ont de noirs desseins. Marcel Carné empruntera le même chemin pour certains individus (explicitement liés à la collaboration) des Portes de la nuit. Clouzot reprendra ensuite la même veine dans Les Diaboliques et Duvivier dans Panique, adaptation des Fiançailles de Monsieur Hire de Simenon. Un peu partout on voit apparaître de sombres héros : la famille d’Un Revenant, dans lequel Louis Jouvet revient régler quelques comptes ou celle des Amants de Vérone, qui choisit de situer son intrigue dans un ailleurs mythologique.

Mais les championnes de la noirceur humaine sont sans doute les femmes. Les personnages de « garces », comme on dit alors, permettent à des comédiennes de se tailler quelques beaux morceaux de bravoure. Même si elles ne manquent pas toujours de potentiel sympathique (Suzy Delair dans Quai des orfèvres), voire de pittoresque, elles font des hommes leurs instruments. Elles sont donc indispensables au cinéma. Toutes les partenaires d’Eddie Constantine (Dominique Wilms dans La Môme Vert-de-gris) en font même une spécialité, une actrice chassant l’autre en faveur du film. Et même Brigitte Bardot, par intermittence, témoignera de cette tradition. Au premier rang de leurs proies, Jean Gabin, qui collectionne admirablement les rôles de victimes : empoisonné par Danielle Darrieux dans La Vérité sur Bébé Donge, trompé par son épouse dans Le Sang à la tête et floué par Danièle Delorme dans Voici le temps des assassins. Puis, plus tard, désespéré en amoureux de Bardot dans En cas de malheur. Rares sont les autres vedettes à ne pas craindre de s’afficher manipulées par les femmes. Gabin est, à cet égard, particulièrement exemplaire.

Et il y a enfin la noirceur du quotidien, celle du cinéma qui traite les gens du peuple sans condescendance. Celle des chauffeurs routiers de Des gens sans importance, avec Gabin encore, au volant de son « bahut » sur la nationale 10. Celle, plus judiciaire de Nous sommes tous les assassins ou celle, pittoresque, de Porte des lilas. La Nouvelle Vague, quoique désireuse de balayer les signes d’un temps jugé ancien, n’échappera pas à la noirceur de certains personnages. Claude Chabrol, tout particulièrement, renvoie dos à dos le cynisme des Cousins et le désespoir rural du Beau Serge. Il boucle ainsi une certaine tendance du cinéma français de la IVe République.


LE FILM NOIR FRANÇAIS
C’est un réflexe de curiosité qui nous portent vers le film noir français. En effet, quelle forme fut plus occultée en faveur du thriller américain et de sa vogue chez nous ? Quand Bogart-Philip Marlowe appartenait à nos mémoires les plus chauvines, Touchez pas au grisbi de Becker était à une époque invisible. La Nouvelle Vague avait opéré une fracture avec un certain cinéma sclérosé qu’elle allait remplacer. A l’exception de Renoir, elle se voulait sans ascendance nationale. Les noms de Gilles Grangier ou d’Henri Decoin faisaient rire dans les années 1960… mais il fallait-il rejeter leurs policiers denses et robustes des années 1950 ? Dans la mouvance du Grisbi, un genre s’était constitué avec sa durée propre, sa forme très codifiée, toute une mise en scène originale du temps mort.


NOIR C’EST NOIR

Il est une dernière zone d’ombre dans ce cinéma-là. Elle se niche au cœur du cinéma de genre : le film noir, ou policier, dans sa version franco-française (Touchez pas au grisbi, Maigret et l’affaire Saint Fiacre) mai également sous une influence plus hollywoodienne. Jules Dassin (Du Rififi chez les hommes), Jean-Pierre Melville (Bob le Flambeur, Le Doulos) en sont les éclatants représentants. Au cours de ces années, et à travers les diverses générations (Louis Malle avec Ascenseur pour l’échafaud), le film noir n’a cessé d’apporter sa pierre à la noirceur ambiante. Un phénomène qui n’a jamais cessé d’alimenter le cinéma français depuis lors.


Panique raconte le quotidien d’un homme solitaire et asocial qui, regardé de travers par les habitants de l’agglomération parisienne où il réside, se retrouve accusé d’un crime qu’il n’a pas commis. jusqu’à se faire traquer par la population dans un final des plus glaçants. Une vraie parabole sur les comportements les plus sombres de l’être humain, synthétisée ainsi par le journaliste jean-François Rauger : « Comment la communauté humaine peut fabriquer un bouc émissaire et le charger de tous les péchés du monde ».

« Rien n’est sale quand on s’aime », fera dire Clouzot à l’un de ses personnages dans Manon. Dans Quai des orfèvres, déjà, tout poisse, s’encrasse, sauf l’amour, qu’il soit filial, conjugal ou… lesbien. En effet, il n’y a pas que Brignon, le vieux cochon, qui est assassiné dans ce chef-d’œuvre. 

Des retrouvailles entre Marcel Carné et Jean Gabin naît un film qui impose l’acteur dans un nouvel emploi et marque sa renaissance au cinéma français. L’association avec Prévert est terminée – même si le poète, sans être crédité au générique, signe encore quelques dialogues de haute volée. Carné adapte un beau « roman dur » de Simenon, tourné in situ, entre Port-en-Bessin et Cherbourg…

Si le public de 1952 boude la sortie de La Vérité sur Bébé Donge, le film ne sombre pas pour autant dans l’oubli, et les générations suivantes répareront cette injustice en le considérant comme l’un des titres les plus marquants de la période. Même les pourfendeurs de la fameuse « qualité française », tant décriée par François Truffaut et ses amis des Cahiers du cinéma, se sentiront tenus de faire une exception dans la filmographie d’Henri Decoin pour La Vérité sur Bébé Donge.

Cette histoire d’adultère qui tourne mal est consciencieusement calligraphiée dans l’atmosphère des studios de l’après-guerre. Le Lyon des années 1950 prête, par instants, sa noirceur poisseuse à ce récit cadenassé. Le cinéaste s’intéresse peu à Simone Signoret, préférant s’attarder sur le physique avantageux de Raf Vallone, camionneur de choc, face à un Jacques Duby anémié à souhait, modèle du mari insipide. La vie a déserté ce cinéma étriqué, dépourvu de générosité et, finalement, d’intelligence.

Après la Seconde Guerre mondiale, la maison d’édition Gallimard décide de lancer une nouvelle collection pour publier les romans policiers américains qu’il n’a pu sortir pendant la guerre. Les deux premiers titres sont La Môme vert-de-gris (1937) et Cet homme est dangereux (This man is dangerous, 1936) de Peter Cheyney, qui suivent Lemuel H. Caution dit « Lemmy », agent du FBI dur à cuire et séducteur, à la bouteille facile et au verbe acerbe. Ils remportent un succès immédiat et lancent alors la collection Série Noire, dont chaque nouveau titre est tiré à 30.000 exemplaires. 

Rebondissant sur le succès surprise de Touchez pas au grisbi, Gabin se lance en 1954 dans l’aventure de Razzia sur la chnouf. Un polar qui, grâce à l’habileté du cinéaste Henri Decoin, rejoindra tout naturellement la liste des grands films de l’acteur. Dans ce film, Gabin peaufinera le personnage qui dominera la seconde partie de sa carrière : le dur à cuire impitoyable mais réglo.

Michel Delasalle est un tyran. Il dirige son épouse, sa maîtresse et son pensionnat pour garçons avec la même poigne de fer. Liées par une étrange amitié, les deux femmes se serrent les coudes. A coups d’images blanches comme des lames de couteaux, Henri-Georges Clouzot triture les miettes d’une histoire d’amour déchue. Impossible de comprendre comment « les diaboliques » ont pu succomber aux charmes autoritaires du directeur d’école. 

Drame conjugal sur fond de lutte des classes, le film de Gilles Grangier contribue au renouvellement du registre de Gabin, deux ans après le succès de Touchez pas au grisbi. Adapté du roman magistral de Georges Simenon « Le Fils Cardinaud », il livre un portrait sans concession d’une certaine bourgeoisie de province.

Dans Voici le temps des assassins, le personnage de Chatelin est l’occasion d’une grande composition pour Gabin, parfait en grand chef, permettant à Duvivier de donner à son film une épaisseur réaliste, dans laquelle il l’installe dès les scènes d’ouverture, où la caméra se déplace avec fluidité en accompagnant Gabin dans son travail (ouverture du restaurant, marché aux Halles, préparation des plats) tout en exposant les personnages et les situations.

Sorti en mai 1958, ce film de Gilles Grangier met en scène un inspecteur de police qui, pour avoir du flair, n’en est pas moins très éloigné de la rigueur d’un Maigret. L’occasion pour Gabin d’une composition inédite, face à deux actrices d’exception. Tout est osé pour l’époque dans ce polar dur et tendre qui s’ouvre sur le visage en sueur d’un batteur de jazz noir dont le solo enflamme un cabaret du 8e arrondissement.

Un couple d’amoureux, un mari importun, un crime minutieusement préparé et le hasard qui se met en travers du chemin : si l’intrigue n’est pas neuve, la façon dont Louis Malle concocte ce drame existentialiste à partir d’ingrédients classiques du film policier est inédite. 

Un cinéma policier des plus inhabituels ! L’affaire est ténébreuse. Mais peut-elle ne pas l’être ? Un tel « héros » ne laisse jamais deviner, par principe, ses intentions profondes. On ne peut pas tracer une frontière précise entre sa franchise et sa duplicité. Nous sommes dans la pénombre des consciences ambiguës. L’incertitude perpétuelle qu’inspire le doulos crée fatalement un climat d’angoisse. Que l’on interprète mal tel ou tel geste, qu’une fausse pensée chemine, et nous frôlons aussitôt la tragédie. Là réside le véritable intérêt du film. Le narrateur piste la vérité psychologique d’un être à travers une intrigue dont chaque rebondissement aiguise notre curiosité.


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