duminică, 16 aprilie 2023

CLAUDE AUTANT-LARA : LE BOURGEOIS ANARCHISTE

 


LES RÉALISATEURS

CLAUDE AUTANT-LARA : LE BOURGEOIS ANARCHISTE

Claude Autant-Lara a été un des grands cinéastes français de la période 1940-1960. Il en a donné maintes fois la preuve, c’est un artiste et il sait ensuite injecter une méchanceté toute personnelle à ce qu’il veut dénoncer et user du vitriol. Son œuvre est inégale et comporte une inévitable part de films sans intérêt. Mais on lui doit quelques chefs-d’œuvre et une bonne dizaine d’œuvres importantes qui suffisent à faire de lui le pair d’un Clouzot, d’un Becker ou d’un Grémillon. Considéré successivement comme un marginal, un grand réalisateur de gauche, un cinéaste dépassé et même d’extrême droite, il est un personnage très particulier, qui a tourné avec les plus grands acteurs et actrices de cet âge d’or du cinéma français (Gérard PhilippeMichèle MorganJean Gabin, Brigitte Bardot. Bourvil, Michel Simon, Danielle Darrieux… ).

Il est né en 1903 dans un milieu artistique. Son père, l’architecte Autant et sa mère, Mme Lara (de la Comédie-Française) avaient fondé un laboratoire de théâtre d’avant-garde, « Art et Action », qui joua un rôle important. Lui-même fit des études artistiques (« Arts décos » et Beaux-Arts) avant de débuter comme décorateur et costumier au cinéma, sous l’égide de Marcel L’Herbier. D’emblée, cela le situait dans une certaine avant-garde cinématographique. Pour les fameux décors de L’Inhumaine (1923) de L’Herbier, il collabora notamment avec Fernand Léger, Mallet-Stevens et Cavalcanti. Il fit ses débuts d’assistant auprès de René Clair. Pour son premier film, court métrage d’avant-garde Faits divers (1923), il avait comme interprète Antonin Artaud, aux côtés de sa mère. En 1926, il était l’unique créateur des décors et costumes de Nana de Jean Renoir. On pouvait difficilement débuter sous de meilleurs auspices. Pour son second film, Construire un feu (1928), Autant-Lara utilisait avant tout le monde l’hypergonar du professeur Chrétien, auquel les Américains feront le sort que l’on sait, sous le nom de Cinémascope… en 1952. Après ces brillantes années 1920, les années 1930 n’allaient lui réserver que des déboires. D’abord deux ans à Hollywood (1930-1932), mais dans des besognes ingrates, versions françaises de films mineurs, y compris deux Buster Keaton parmi les moins intéressants, sous-titrages, etc.

Après son retour à Paris et quelques courts métrages pour la Paramount, en 1933 Ciboulette marque ses débuts dans le long métrage. Montage mutilé, film amputé, ce fut l’habituel processus des films « maudits ». L’échec fut complet, malgré un inventif scénario de Prévert (le premier qu’il signait) et quelques séquences très « avant-garde » des plus réussies. Autant-Lara passa des années à s’en remettre, faisant pour vivre des sous-titres de films étrangers ou en coréalisant avec Maurice Lehmann trois films : L’Affaire du Courrier de Lyon (1937), Le Ruisseau (1938) et Fric-Frac (1939), sans parler d’un tournage en Angleterre, en 1936, qui lui valut bien des vicissitudes. Comme pour beaucoup d’autres, Clouzot, Daquin, Becker, qui attendaient leur heure, le salut lui vint de l’Occupation et du renouveau cinématographique qu’elle provoqua. Après Le Mariage de Chiffon (1941-1942) qu’il considère comme son premier vrai film, deux autres films suivirent, Lettre d’amour (1942) et surtout Douce (1943) qui, pour beaucoup, reste son chef-d’œuvre (« C’est « L’on ne badine pas avec l’amour » de l’écran », écrivit Brasillach), un des plus personnels en tout cas.

Après l’immense succès du Diable au corps (1944) qui imposa Gérard Philipe, nombreux furent encore les films importants qui permirent à leur auteur de se maintenir longtemps au premier rang, et de prouver ses qualités de metteur en scène. Ainsi, dans Occupe-toi d’Amélie (1949), excellente adaptation de Feydeau, dans de merveilleux décors de Max Douy, Autant-Lara utilise-t-il les entractes de la pièce, pour faire intervenir les spectateurs, procédé qui était alors nouveau. L’intervention de panneaux mobiles, mis au point avec Douy, dans les décors du Rouge et le Noir, pour les rendre plus économiques, les recherches sur la couleur dans Marguerite de la nuit (1955), sont d’autres exemples d’une ingéniosité et d’une curiosité toujours en éveil. Le cinéma d’Autant-Lara, c’est le triomphe du métier, c’est aussi celui d’une conception du cinéma fondée sur l’esprit d’équipe. De même qu’il y avait eu Carné-Prévert-Trauner, etc., le réalisateur de Douce prit l’habitude de travailler avec les mêmes scénaristes, Aurenche et Bost, le même décorateur, Max Douy, le même compositeur, René Cloërec, sans oublier sa femme, Ghislaine Auboin, assistante, scénariste et collaboratrice de tous les instants. Quant aux opérateurs, c’était aussi toujours les mêmes : Philippe Agostini, puis André Bac et Jacques Natteau, parfois aussi Michel Kelber. Il faut ajouter que tous ces noms sont ceux des plus remarquables techniciens que pouvait offrir le cinéma français d’alors.

TÊTE DE TURC DE LA NOUVELLE VAGUE

On sait que c’est ce type de cinéma qui servit de cible principale aux critiques de la future nouvelle vague et singulièrement de Truffaut. En sens inverse, Autant- Lara, qui a beaucoup souffert de la violence de ces attaques, n’a jamais pardonné à leurs auteurs leur « amateurisme » et leur « manque de métier ». Dans les Cahiers de la cinémathèque, au cours d’un entretien avec Marcel Oms et André Abet, il s’en est expliqué longuement, avec des formules lapidaires. Sur Godard : « Si Godard sait faire des images, il ne sait pas raconter une histoire. » Sur la nouvelle vague : « Je lui reproche de ne rien avoir apporté. Elle s’est retirée. C’est le propre de toutes les vagues, mais celle-là n’a rien déposé sur le sable. » Ou encore : « Voyez les films cuculs et conformistes que font aujourd’hui ses anciens promoteurs. » Autant- Lara visait ainsi surtout Truffaut, Godard et Chabrol, sans épargner Resnais ni même Bresson, responsables d’un cinéma intellectuel, « insupportable pour moi ». En effet, psychologique (Douce), social (Tu ne tueras point) ou satirique (L’Auberge rouge), le cinéma d’Autant-Lara a toujours refusé d’être intellectuel. Pourtant, peu d’œuvres contiennent autant d’adaptations littéraires que la sienne : Stendhal, Colette, Radiguet, Aymé, Simenon, Soubiran, etc.

Mais, à ces romans célèbres, Aurenche et Bost demandaient des situations et des intrigues fortement construites et des personnages vivants, non des prétextes à méditations abstraites qui n’auraient pas convenu à Autant-Lara. La peinture sociale est beaucoup plus son affaire, et c’est dans ses règlements de comptes avec la bourgeoisie qu’il est le plus à l’aise. Celle-ci lui a fourni un certain nombre de thèmes privilégiés, que Marcel Oms a relevés, comme la jeune fille (Le Mariage de ChiffonDouceSylvie et le fantômeLe Blé en herbe), la Belle Epoque (les premiers films, Occupe-toi d’Amélie) ou l’Occupation allemande (La Traversée de ParisLes Patates). Dans l’entretien déjà cité, Autant-Lara a précisé sa position sur ces points, invoquant son attachement ambigu pour les personnages de jeune fille et citant curieusement un mot de Claudel sur le « sourire perfide de la jeune fille ». Dans le goût pour la Belle Époque c’est, pour une bonne part, l’ancien décorateur qui reparaît, et son amour pour les « fanfreluches antidatées ». Quant à l’Occupation, tout en rappelant que ce fut « une époque excellente, très intéressante pour le cinéma d’expression vraiment française, et même la meilleure à mon sens », et qu’il en est résulté l’apparition d’une véritable « École du cinéma français », Autant-Lara précise : « C’est une période qui m’intéresse énormément car… j’ai bien connu le temps de l’Occupation qui est le temps de tous les courages et de toutes les lâchetés. C’est une période très importante à cause de cela. »

En effet, du Bon Dieu sans confession au Franciscain de Bourges, en passant par l’inoubliable Traversée de Paris (pour beaucoup son chef-d’ œuvre), plusieurs films reviennent avec insistance sur les comportements sociaux et individuels au cours de cette période révélatrice. Au passage, Autant-Lara en profite pour se définir lui-même : « Je dirai que je suis un petit-bourgeois anarchiste. » C’est un mot admirable, qui le dépeint à la perfection, et que complète bien cet autre : « Avant tout je suis français, et je n’ai de vertus que dans la mesure où j’appartiens à une ethnie dont je suis fait. » D’où son entente particulière avec cet autre anarchiste bourgeois que fut Marcel Aymé : « J’aime Marcel Aymé parce qu’il est bien français, pas « international ». Français et Gaulois, cela me plaît infiniment. » La parenté entre les deux hommes se retrouve jusque dans ces accès de férocité que l’on trouve aussi chez l’auteur de « Travelingue » et de « La Tête des autres », et qui permettent au cinéaste de Douce et d’En cas de malheur de déclarer : « Un film qui n’est pas méchant, c’est ennuyeux. Si un film n’a pas de venin, il ne vaut rien. » Seuls s’étonneront ceux qui n’ont pas lu « Télémafia », le récit succulent par le cinéaste de ses démêlés avec la télévision qui lui avait promis la réalisation de La Chartreuse de Parme, avant de la confier à un autre. C’est un pamphlet plein de verve, qui trouve parfois des accents à la Céline pour dénoncer le copinage et la gabegie, et certains portraits au vitriol sont inoubliables. Il y a d’ailleurs dans le meilleur de toute son œuvre une férocité allègre, une fureur quasi célinienne et un pessimisme final, qui font de l’auteur de « Mort à crédit », autre bourgeois révolté, l’influence secrète sans doute la plus profonde subie par Autant-Lara.

Écoutons plutôt ce dernier aveu : « Quand j’ai débuté dans ce métier, j’étais tout feu, tout flamme. Je pensais que c’était la vocation de ce métier, de peser sur la vie sociale, de l’influencer… Aujourd’hui, à voir la veulerie et la fatigue de nos concitoyens, je me demande si cela a vraiment servi à quelque chose. Notez que je ne regrette rien. Mais cela m’attriste parfois. » N’est-ce pas, en sourdine, l’écho de la voix de l’immortel ermite de Meudon ? Cela va l’amener à un suicide, moralement et socialement, dans les années 1980 : longtemps homme de gauche – président de la Fédération nationale du spectacle, proche de la CGT, de 1947 à 1963 -, il s’acoquine avec le Front national qui le fait élire député européen… [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas – 1982]

Entre deux bêtises, éructées ou écrites à un âge où il aurait dû se taire, Autant-Lara émit une réflexion, beaucoup moins sotte, que nos dirigeants devraient méditer, eux qui semblent vouloir laisser les plateformes internationales s’emparer de nos distractions : « Si un peuple se remet d’une défaite militaire – et même très bien: voyez le Japon – ou d’une défaite économique, comme l’Allemagne d’après-guerre, il ne se remet jamais – jamais! – d’une défaite culturelle » [Pierre Murat – Télérama]


Dans Le Mariage de Chiffon la musique de Jean Wiener donne le ton dès le déroulement du générique : elle développe, en arabesques, des variations à partir de la célèbre valse, « Fascination » que des éclats de fanfares militaires et des sonneries de clairons viennent perturber avec humour : « Je t’ai rencontrée simplement, et tu n’as rien fait pour chercher à me plaire… »

Douce est d’emblée considéré comme un grand film, le meilleur réalisé à ce jour par Claude Autant-Lara. D’après les agendas de François Truffaut, le futur réalisateur des Quatre Cents Coups (1959) est allé le voir sept fois durant son adolescence. D’autres jeunes cinéphiles de l’époque m’ont dit l’impression forte qu’ils en ont reçue : Jean Douchet, Alain Cavalier. Aujourd’hui, il fait partie des quatre ou cinq meilleurs films du cinéaste.

C’est en 1917 que les deux protagonistes. Marthe Grangier, infirmière aux faibles convictions est fiancé à un soldat sur le front. François Jaubert, 17 ans, est encore lycéen. Dès les premiers instants, il s’éprend d’elle. Tous deux vont sans retenues se lancer dans une liaison passionnelle… Au risque de tout perdre. Claude Autant-Lara, le réalisateur, dira de son film : «J’ai traité le problème de la jeunesse et de l’amour avec une franchise totale. J’ai voulu exprimer le réalisme du sentiment et non pas faire un film scandaleux… Je me suis attaqué de front à un problème social et sentimental difficile, délicat, mais en conservant le plus de santé possible.»

Au XIXe siècle, un couple d’aubergistes assassine ses hôtes. Criminelle mais chrétienne pleine de foi, la patronne se confesse à un moine de passage. Ce dernier réussira-t-il à sauver les voyageurs d’une diligence ? Inspiré d’un fait divers, ce film truculent et sulfureux reste un pied de nez aux bienséances de l’époque et à son propre producteur, un marchand d’armes persuadé de financer une œuvre morale !

En 1956, Claude Autant-Lara jette un pavé dans la mare avec une sombre comédie sur fond d’Occupation. L’occasion de diriger pour leur première rencontre deux monstres sacrés, Jean Gabin et Bourvil, qui vont s’en donner à cœur joie dans ce registre inédit.

Réunissant les noms de Gabin, Bardot, Feuillère et Autant-Lara, cette adaptation d’un roman de Simenon avait tout d’un succès annoncé. Le résultat sera à la hauteur des espérances, et le film figure aujourd’hui parmi les classiques du cinéma français.

La Jument Verte, écrit par Marcel Aymé, parait en 1933, assurant sa renommée. En revenant à cet écrivain de la truculence et de l’ironie acide, Autant-Lara et son équipe sont moins heureux qu’avec La Traversée de ParisLa verve de la farce villageoise, chez eux, s’inscrit surtout au grès de plaisanteries accompagnées de jurons tout au long d’un dialogue qui vise le succès facile plutôt qu’une vérité psychologique profonde sous la gaillardise.

Le Magot de Josefa n’est pas un « grand » film dans la carrière de Claude Autant-Lara mais il laisse tout de même une bonne impression dans la série des farces villageoises, spécialités du réalisateur, rassemblant une belle brochette d’acteurs.


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