LES GERSHWIN À HOLLYWOOD
Comme leurs confrères Irving Berlin ou Cole Porter, George et Ira Gershwin ont mis leur talent au service du cinéma, jusqu’à ce que la mort du premier ne vienne interrompre leur brillant compagnonnage.
Compte tenu de l’engouement d’Hollywood pour les musiciens de Broadway, il aurait été surprenant que George et Ira Gershwin n’œuvrent pas pour l’écran. Quand survient la révolution du parlant, cela fait déjà des années que les deux frères se sont imposés sur la scène musicale new-yorkaise. En particulier George (né en 1898, deux ans près Ira), qui a osé signer des œuvres symphoniques puisant à la fois dans le jazz et le classique. Rhapsody in Blue, (1924) et Un Américain à Paris (1928) sont déjà considérés à l’époque comme des œuvres majeures de la musique américaine. Par ailleurs, les deux frères ont signé à Broadway plusieurs spectacles à succès, comme Lady Be Good (1924), Oh Kay (1926), et Funny Face (1927), pour lesquels George a écrit la musique et Ira les paroles.
Delicious, sorti en 1931, est le premier film auquel collaborent les Gershwin. Mais l’expérience s’avère décevante, car seules deux de leurs compositions ont été finalement conservées dans cette comédie musicale de la Fox. Ira et George jurent alors de ne plus remettre les pieds à Hollywood, mais c’est compter sans la ténacité du producteur Pandro S. Berman, qui parvient en 1936 à les convaincre de signer la partition de Shall we dance (L’Entreprenant M. Petrov). Cette fois, les musiciens sont satisfaits du résultat, et décident de poursuivre leur collaboration avec la RKO et Fred Astaire pour A Damsel in Distress (Demoiselle en détresse) – film dans lequel Joan Fontaine remplace Ginger Rogers, et qui introduit les standards A Foggy Day et Nice Work If You Gan Get It. Les deux frères s’attaquent ensuite aux chansons de The Goldwyn Follies (Hollywood en folie), mais George succombe brutalement à une tumeur au cerveau, le 11 juillet 1937.
Très affecté par cette disparition, Ira déserte Hollywood pendant plusieurs années. Il n’y reviendra qu’en 1944, pour signer avec Jerome Kern les chansons de Cover Girl (La Reine de Broadway). Le parolier collabore ensuite avec des compositeurs comme Kurt Weill (Where Do Go from Here ?), Harry Warren (The Barkleys of Broadway), et Harold Arlen (A Star is born). En 1947, Ira utilise pour The Shocking Miss Pilgrim des compositions que son frère n’avait pas publiées ; il fera de même pour Kiss Me, Stupid (Embrasse-moi idiot), de Billy Wilder. Par ailleurs, de nombreux films continuent à puiser dans l’œuvre des deux frères, qu’il s’agisse du biopic Rhapsody in Blue, d’adaptations de leurs spectacles (Lady Be Good, Girl Crazy), ou de comédies musicales basées sur un florilège de leurs plus célèbres chansons (An American in Paris ou Funny Face, pour ne citer que les plus célèbres).
Prix de consolation
En 1936, le producteur Pandro S. Berman s’est habitué à voir certaines chansons de Fred Astaire et Ginger Rogers devenir de grands succès, aussi demande-t-il expressément aux frères Gershwin de lui concocter « six tubes » pour Shall will dance. Le tandem fait de son mieux et livre au bout de plusieurs mois de travail une série de chansons fort réussies. Slap That Bass et They Can’t Take That Away From Me offrent à Fred la matière de grands numéros ; They All Laughed prend tout son sel grâce à la gouaille de Ginger ; quant au duo ironique Let’s Call The Whole Thing Off, il constitue l’un des sommets du film. George a également composé pour le numéro final le célèbre Hoctor’s Ballet, un morceau instrumental qui sera sa dernière pièce symphonique. Deux chansons écrites pour le film seront malheureusement écartées lors du tournage, mais l’une d’elles sera réutilisée plus tard par Ira dans Kiss Me, Stupid, sous le titre Sophia. Chose étonnante : bien que la plupart de ces morceaux soient aujourd’hui de grands standards, aucun ne connaît à la sortie du film le succès espéré par le producteur. Lequel se consolera en voyant They Can’t Take That Away From Me décrocher malgré tout une nomination à l’Oscar de la meilleure chanson…
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