duminică, 18 septembrie 2022

1/ Spellbound /Fascinatie, 1945 / regizor Alfred Hitchcock


  


Spellbound Document2.pdf   Versinea PDF a postarilor 1 si 2 blog /  Spellbound

SPELLBOUND (La Maison du docteur Edwardes) – Alfred Hitchcock (1945)

En préparant Spellbound (La Maison du docteur Edwardes)Hitchcock était certain de deux choses : il voulait réaliser le premier film sur la psychanalyse, et il voulait travailler avec Ingrid Bergman. Du premier impératif naquit une œuvre mêlant avec brio conflit psychologique et intrigue policière, grâce notamment à la collaboration du peintre Salvador Dali. Du second jaillit une magnifique histoire d’amour galvanisée par l’attention toute particulière que le réalisateur portait à son actrice. Il en résulta une des plus grandes œuvres d’Hitchcock et un extraordinaire succès auprès du public comme de la critique.

Le 5 décembre 1943, Hitchcock, avec l’autorisation de son producteur David O. Selznick, quittait la Californie pour se rendre à Londres. Le but de ce voyage était de participer à l’effort de guerre en réalisant, avec des comédiens français, deux moyens métrages à la gloire de la Résistance française et du travail des Alliés. Pour ce faire, le réalisateur s’alloua les services de l’auteur Angus McPhail.

Bien qu’éloigné des studios hollywoodiens, Hitchcock ne perdait pas de vue sa prochaine production. Avant même son départ pour Londres, il avait jeté son dévolu sur une œuvre de Francis Beeding, La Maison du docteur EdwardesHitchcock n’eut aucune difficulté à convaincre Selznick, qui suivait alors une analyse, de se lancer dans cette nouvelle réalisation.

II s’agissait de recentrer l’œuvre de Beeding sur son aspect psychanalytique, d’y ajouter une touche d’intrigue policière, sans perdre de vue l’élément essentiel : l’amour de Constance Petersen et John Ballantine. Alors qu’Hitchcock se trouvait encore à Londres, le scénariste des films de propagande fut mis à contribution pour établir une toute première mouture de ce qui deviendra le scénario de Spellbound, titre du film dans sa version originale. Comme le rappela Hitchcock : « Angus McPhail était chef des services du scénario de la Gaumont-British et l’un de ces jeunes intellectuels qui se sont intéressés les premiers au cinéma. Je l’avais connu à l’époque de The Lodger (Les Cheveux d’or) et il avait travaillé à la Gaumont-British à la même époque que moi. Après Sabotage (Agent secret), je ne l’ai plus revu jusqu’au moment de tourner ces deux petits films français à Londres et j’ai commencé à travailler sur le premier traitement de Spellbound avec lui. Mais notre travail était trop désordonné. Quand je suis rentré à Hollywood, Ben Hecht a été recruté et c’était un choix heureux parce qu’il était justement très porté vers la psychanalyse. »

De fait, à son retour aux États-Unis, Hitchcock et son scénariste s’entendirent à merveille. Libérés de l’omniprésence de Selznick, retenu ailleurs par d’autres projets, Hecht et Hitch purent faire avancer le scénario à leur rythme – c’est-à-dire rapidement, comme le rappela Ben Hecht : « Le courtois Alfred Hitchcock fit démarrer son histoire en flèche. » À l’écriture proprement dite s’ajoutait un travail d’enquête pour cerner au plus près l’univers de l’hôpital psychiatrique où se déroule toute la première partie du film. Les deux hommes se rendirent dans plusieurs établissements, demandant à rencontrer les responsables et à visiter les locaux.

« IL OBTENAIT TOUJOURS CE QU’IL VOULAIT. »

En même temps que le scénario prenait forme, le casting commença. Le réalisateur voulait travailler avec Ingrid Bergman. L’actrice confia à Donald Spoto les circonstances de cette décision : « Je pense qu’il choisit les gens en fonction de leur apparence. Je me trouvais au studio Selznick, où il venait lui aussi d’être engagé. Je suis juste passée près de lui, et il a dit immédiatement : « Elle jouera dans La Maison du docteur Edwardes… » » Bergman n’y trouva rien à redire, bien au contraire : « C’était un film d’Hitchcock, peu importe qui jouait dedans, moi, j’avais beaucoup de chance d’en faire partie. »

David O. Selznick et Ingrid Bergman

Coup de foudre ? Les portes du studio se sont-elles ouvertes d’elles-mêmes à cet instant précis ? Peut-être. Toujours est-il que le réalisateur prit la jeune actrice sous sa coupe, comme il le fit quelques années plus tard avec Grace Kelly ou Tippi Hedren. Il la guida sur le plateau avec cet air de rien qui le caractérisait. Bergman de nouveau : « Il s’asseyait et il écoutait patiemment mes objections quand je lui disais que je ne pouvais pas passer derrière une certaine table, ou que tel geste était malvenu à tel moment. Ensuite, quand j’avais fini de me plaindre et que je croyais lui avoir fait partager mon point de vue, il me disait très doucement : « Faites semblant ! » Ce conseil me fut d’un grand secours quand je travaillais avec d’autres réalisateurs et que je me disais non, c’est impossible. Je me souvenais alors d’Alfred Hitchcock et de son « Faites semblant » […] Travailler avec lui était merveilleux, il obtenait toujours ce qu’il voulait. »

Gregory Peck fut moins heureux, lui qui, débutant, sentait le besoin d’être guidé avec précision sur le plateau : « Il ne nous donnait pas de véritables indications, bien que je fusse si inexpérimenté que j’éprouvais le besoin d’être vraiment dirigé. Quand je l’interrogeais sur un état d’esprit du personnage ou une expression, il me disait simplement de présenter un visage neutre et qu’il me filmerait ainsi. » La méthode Hitchcock en avait dérouté plus d’un, et devait encore en agacer quelques autres. De fait, le réalisateur avait en horreur les mimiques exagérées des acteurs croyant bien faire en singeant un sentiment. Hitchcock faisait parler la caméra, les acteurs n’avaient qu’à se tenir cois. De toute façon, il « obtenait toujours ce qu’il voulait. »

DALI, DANDY DADA

Le tournage de Spellbound débuta le 10 juillet 1944. Les séquences réalisées en extérieurs amenèrent l’équipe à Lake Placid, à Alta Lodge, dans l’Utah et à Cooper Ranch, en Californie. Le tournage prit fin le 1 3 octobre.

Entre-temps, un événement avait singulièrement animé l’équipe du film : l’excentrique Salvador Dali avait débarqué en grande pompe à Hollywood. Hitchcock, soucieux de donner une forme extraordinaire, loin des clichés cinématographiques, au rêve de John Ballantine, avait suggéré de faire appel au peintre surréaliste. Ainsi, alors que le tournage battait son plein, Dali et Hitchcock travaillèrent de concert à l’élaboration des séquences du rêve. Ce travail s’échelonna de début septembre à la mi-octobre. Le résultat fut une séquence onirique longue et complexe que le producteur jugea irréalisable. Il fallut amputer une grande partie du rêve – lequel n’était pas terminé quand, le 15 octobre 1944, au grand dam de Selznick, Hitchcock choisit de prendre les douze semaines de vacances auxquelles son contrat lui donnait droit, et s’envola pour Londres ! Le décorateur et réalisateur William Cameron Menzies (1896-1957) fut chargé de terminer les séquences qui étaient restées inachevées.

ÉCRAN BLANC ET DIVAN

La sortie de Spellbound eut lieu en novembre 1945, alors qu’Hitchcock était déjà en plein tournage de Notorious. Le succès fut à la hauteur des attentes du réalisateur et de son producteur. En quelques semaines, le film rapporta huit fois ce qu’il avait coûté ! Le public et la critique – pour une fois – parlaient d’une même voix pour encenser la dernière œuvre du réalisateur. Lors de la cérémonie des oscars, Spellbound fut nominé dans six catégories ! Le film était en lice pour obtenir les oscars suivants : meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur second rôle (pour la prestation de Michael Chekhov qui incarnait le docteur Brulov), meilleure image, meilleurs effets spéciaux et, enfin, meilleure partition. Le seul oscar finalement attribué revint à Miklos Rozsa pour la musique du film. Hitchcock, une fois encore, rentra bredouille…

Sans être nominée aux oscars, une autre catégorie de professionnels tira profit de la sortie et du succès du film : les psychothérapeutes. Le « premier film sur la psychanalyse », comme le désignait, peut-être un peu rapidement, Hitchcock, fit bénéficier la profession d’un extraordinaire regain d’intérêt! A Los Angeles, un certain Bernard Gindes alla jusqu’à acheter un espace publicitaire dans l’annuaire du téléphone où il se présenta comme le conseiller en psychiatrie sur le film d’Hitchcock ! Or, de conseiller, il n’y en avait eu qu’un : May E. Romm. Les studios Selznick diligentèrent une équipe sur place : Gindes ne fut jamais retrouvé.

LES CLÉS D’UN CHEF-D’ŒUVRE

Le titre anglais, Spellbound (« Envoûté »), s’applique d’abord à John Ballantine, victime d’un complexe de culpabilité, mais il peut également désigner Constance, envoûtée par l’amour, ou encore Murchinson, ensorcelé par un ego démesuré. Cette situation, l’état d’esprit de chaque personnage, sont exposés au cours de la première partie du film. La séquence se déroulant à l’hôpital sert d’introduction et de présentation de l’intrigue. Ainsi, Miss Carmichael et sa haine pour les hommes font ressortir, par contraste, la position de Constance, femme guindée qui ne croit pas à l’amour. Plus encore, Garmes, un malade convaincu d’avoir tué son père, permet de présenter le fameux complexe de culpabilité et donne au spectateur les clés pour comprendre John Ballantine. Toute cette première partie nous plonge dans l’univers de la maladie mentale et situe le niveau du drame, qui sera psychologique.

Spellbound fait partie de ces grandes œuvres d’Hitchcock qui tirent leur force d’une extraordinaire cohérence, en s’appuyant sur chaque détail mis au service de l’ensemble. « Les lignes parallèles et la couleur blanche, écrivent Rohmer et Chabrol, nous obsèdent, comme elles obsèdent le malade. »

De fait, Hitchcock nous fait largement partager la peur panique de Ballantine face aux lignes parallèles et au blanc : non seulement grâce à ces plans obsédants sur un dessus-de-lit ou une salle de bains immaculée, où le réalisateur parvient à nous faire ressentir ce que Ballantine endure, mais aussi par une multitude de détails visuels qui ont préparé le terrain. Ainsi, le coupe-papier que manie Constance ou le couteau qu’elle utilise dans le wagon-restaurant préfigurent les pointes effilées de la grille sur laquelle s’est tué le jeune frère de Ballantine. De la même manière, le coup de griffe que Miss Carmichael administre à l’infirmier a déjà la forme des lignes parallèles qui traumatisent le malade. Le tourniquet qu’empruntent Constance et Ballantine lors de leur pique-nique annonce, lui, la roue du rêve de Ballantine, symbole du pistolet qui a tué le docteur Edwardes. On peut encore citer cette remarque, apparemment anodine, du docteur Fleurot à Constance : « Murchinson est fou de vous envoyer Carmichael. » Elle prépare le dénouement de l’intrigue où la folie du docteur Murchinson s’avérera véritable.

Cohérence encore que le rêve qui, malgré son aspect surréaliste, s’inscrit parfaitement dans l’ensemble du film. Ainsi du motif de l’œil qui, comme le souligna Krohn, « symbolise aussi la caméra, dont la présence nous est constamment rappelée par les plans subjectifs qui caractérisent Spellbound . » Cette image de l’œil, du regard ou de la caméra est soulignée par l’usage des lunettes tout au long du film, ces lunettes que Constance porte ou ne porte pas suivant une symbolique très précise. Spoto a raison d’écrire que « la destruction systématique du regard au sens strict du terme est, pour Dali comme pour Hitchcock, le prélude nécessaire à la vision d’un monde « plus réel », ou surréel, allant au-delà des simples apparences ». En cela, la symbolique de la vue dans ce film rappelle celle qu’Hitchcock a développée dans Saboteur (Cinquième Colonne), avec le personnage de l’aveugle, ou celle qu’il développera dans The Paradine Case (Le Procès Paradine), avec les lunettes du juge opposées à l’image de la justice, aux yeux bandés.

Spellbound est aussi un grand film d’amour. Depuis le coup de foudre jusqu’au dénouement, l’amour guide l’histoire de Constance et Ballantine plus encore que la psychanalyse. Les deux thèmes sont réunis dans l’image récurrente de la porte, symbole des barrières affectives et psychologiques que doit franchir le couple. C’est par cette construction impeccable, qui fait de l’œuvre tout à la fois une histoire d’amour, un film psychanalytique et une intrigue policière, que Spelbound atteint au chef-d’œuvre.


L’HISTOIRE ET LES EXTRAITS

Green Manors – Le docteur Constance Petersen travaille à l’hôpital psychiatrique de Green Manors. Psychanalyste brillante, Constance est beaucoup plus intéressée par ses patients que par les avances répétées de son collègue, le docteur Fleurot. Le directeur de l’institution, le docteur Murchinson, récemment mis à la retraite contre son gré, annonce aux médecins l’arrivée de son remplaçant, le docteur Edwardes.

Les foudres de l’amour – Au réfectoire. Constance fait la connaissance du docteur Edwardes. Dès le premier regard. l’un et l’autre sont manifestement charmés. Edwardes est troublé par les lignes que Constance dessine sur la nappe avec sa fourchette. Ensemble, ils s’intéressent à un patient, Garmes, qui est atteint d’un complexe de culpabilité, une maladie dont le docteur Edwardes est un grand spécialiste.

Amnésie – Edwardes et Constance partent pique-niquer ensemble. Le soir, Constance feint de vouloir s’informer sur le livre du docteur Edwardes et pénètre dans sa chambre. Les deux amoureux doivent se rendre d’urgence au bloc opératoire : Garmes a tenté de se suicider. Là, Edwardes est victime d’un malaise. Constance découvre qu’il n’est pas le docteur Edwardes, mais un amnésique. Elle décide de l’aider.

La fuite – Durant la nuit, J. B. (les initiales du vrai nom du faux docteur) quitte Green Manors. Au matin, la police arrive à l’hôpital. J. B. est soupçonné d’avoir tué le docteur Edwardes, avant de se faire passer pour lui. J.B. a laissé une lettre à Constance lui indiquant qu’il se rend à New York. Très soucieuse New York. Très soucieuse pour son patient-amoureux, la jeune femme quitte rapidement l’institution et le rejoint à l’hôtel où il est descendu.

Mari et femme – Constance se rend à l’hôtel où doit se trouver J. B. Elle espère le croiser dans le hall. Feignant de chercher son mari après une dispute, elle gagne la confiance du détective de l’hôtel et trouve la chambre de J. B. Les deux amoureux doivent quitter l’hôtel, car la photo de Constance a été publiée par la presse.

Grand Central Station – Constance et J. B. tentent de reconstituer le voyage que ce dernier a dû faire avec le docteur Edwardes. À la gare, malgré un violent effort, J. B. ne parvient pas à se souvenir du nom de la station. Il est victime d’un nouveau malaise devant les grilles du guichet. Après avoir acheté des billets pour Rome en Georgie, ils prennent finalement le train pour Rochester, afin de semer la police.

Dr Brulov – À Rochester, Constance et J. B. vont chez le Dr Brulov, l’analyste qui a suivi Constance à la fin de ses études. Brulov est absent, mais deux hommes l’attendent : des policiers venus l’interroger sur le docteur Edwardes. Constance est accueillie chaleureusement. Elle présente J. B. comme son mari et dit n’avoir pas trouvé d’hôtel. Brulov leur propose une chambre.

Une nuit agitée – Constance et J. B. se retrouvent dans leur chambre. J. B. a un nouveau malaise à la vue du dessus-de-lit strié. Constance comprend qu’il ne supporte pas les lignes parallèles ni le blanc. La nuit, J. B. se lève et va dans la salle de bains pour se raser. Le blanc de la pièce le trouble. Il descend, rasoir en main, et trouve Brulov à son bureau. Le professeur lui offre à boire.

Gueule de bois – Au matin, Constance retrouve Brulov endormi sur son fauteuil : ayant compris la situation et le danger que pouvait présenter J. B., le vieux professeur l’a endormi avec du bromure. Constance, persuadée de l’innocence de J. B., tente de convaincre Brulov de l’aider à le soigner. Bien qu’il voie que Constance est amoureuse, et que son jugement est donc fort peu scientifique, Brulov accepte.

Le rêve – J. B. raconte son rêve. Le duo de psychanalystes y puise les éléments pour reconstituer la mort du docteur Edwardes. J. B. a dû aller au ski avec lui. Le malade retrouve le nom de la station. Constance décide de l’y accompagner pour provoquer, en revivant l’épisode, une catharsis qui lui redonnera la mémoire, malgré le risque que J. B., s’il était vraiment le meurtrier, reproduise son crime.

Sur la piste – Lorsque les policiers se rendent compte qu’ils ont croisé Constance chez Brulov, celle-ci est déjà partie avec J. B. au ski. Sur la piste, J. B. revit le drame de son enfance : il a tué son frère par accident. La chute du docteur Edwardes avait provoqué l’amnésie. Se croyant sauvé, John Ballantine (il a retrouvé son nom) guide la police vers le cadavre d’Edwardes. Rebondissement : avant de tomber dans le précipice, le docteur Edwardes a été tué par une balle. Soupçonné, Ballantine est jeté en prison.

Dénouement – Constance retourne à Green Manors. Tous, elle exceptée, croient l’affaire réglée. Mais une phrase du docteur Murchinson alerte la jeune femme. Relisant le rêve de Ballantine, elle parvient à une interprétation encore plus précise et accuse Murchinson d’avoir tué Edwardes dans le seul but de conserver sa place à Green Manors. Murchinson avoue son meurtre. Il menace de tuer Constance avant de retourner son arme contre lui et de se donner la mort. Constance retrouve Ballantine. libre et guéri.


LE RÊVE DE JOHN BALLANTINE

Hitchcock rêve d’expériences et fait de ses rêves une expérience. Dons cette optique, il demanda à Salvador Dali de réalisé la séquence onirique de Spellbound. Grand amateur d’art, Hitchcock s’inspirait volontiers de l’univers des peintres. Dans ce cas précis, c’était également à I’auteur (avec Buñuel) d’Un Chien andalou (1929) qu’il s’adressait. La séquence du rêve en porte la trace. Par cette collaboration, le réalisateur souhaitait rompre avec les clichés cinématographiques et pousser un peu plus loin l’expérimentation, comme il le confia à François Truffaut : « Quand nous sommes arrivés aux séquences du rêve, j’ai voulu absolument rompre avec la tradition des rêves de cinéma qui sont habituellement brumeux et confus, avec l’écran qui tremble, etc. J’ai demandé à Selznick de s’assurer la collaboration de Salvador Dali. Selznick a accepté, mais je suis convaincu qu’il a pensé que je voulais DaIi à cause de la publicité. La seule raison était ma volonté d’obtenir des rêves très visuels avec des traits aigus et clairs, dans une image plus claire que celle du film justement. Je voulais Dali à cause de l’aspect aigu de son architecture – Chirico est très semblable – les longues ombres, l’infini des distances, les lignes qui convergent dans la perspective… les visages sans forme… Naturellement, Dali a inventé des choses assez étranges qu’il n’a pas été possible de réaliser : une statue craque, des fourmis s’échappent des fissures et rampent sur la statue et ensuite on voit Ingrid Bergman recouverte de fourmis ! J’étais anxieux parce que la production ne voulait pas faire certaines dépenses. J’aurais voulu tourner les rêves de Dali en extérieurs afin que tout soit inondé de soleil et devienne terriblement aigu, mais on me l’a refusé et j’ai dû tourner cela en studio.»

Le résultat, selon Bergman, était « une merveilleuse séquence de vingt minutes, digne d’un musée. L’idée principale était de faire de moi une statue dons l’esprit de Gregory Peck. Pour ce faire, nous avons tourné la scène en commençant par la fin. Ils me mirent un tube dans la bouche pour que je puisse respirer et firent une vraie statue de mon corps. J’étais habillée d’une tunique grecque, drapée, je portais une couronne sur la tête et une flèche en travers du cou. Les caméras se mettaient en marche. J’étais dans cette statue, que je faisais craquer. L’action reprenait ensuite son cours. Nous avons passé la bobine à l’envers, comme si je devenais une statue. C’était merveilleux ! » Malheureusement, la merveilleuse séquence ne fut pas retenue au montage ! Outre que le réalisateur n’avait pu tourner la scène dans les conditions souhaitées, le résultat fut taxé de « pitrerie » Les séquences les plus audacieuses furent coupées. Le rêve n’en reste pas moins une page sublime de la filmographie d’Hitchcock.



DISTRIBUTION

Avant toute chose, Hitchcock savait qu’il tournerait avec Ingrid Bergman (1915-1982). Le scénario fut construit en grande partie pour elle. Le réalisateur inaugurait la « trilogie Bergman », qui comprend aussi Notorious (Les Enchaînés, 1946) et Under Capricorn (Les Amants du Capricorne, 1948), avant le départ de l’actrice pour l’Italie.

Il découvrait en revanche Gregory Peck (1916-2003), alors à ses débuts et qu’il allait retrouver pour The Paradine Case (Le Procès Paradine, 1947). Le fidèle Leo G. Carroll (1891-1972) obtint avec le docteur Murchinson son plus grand rôle parmi ceux (nombreux) qu’Hitchcock lui confia, depuis Rebecca (1940) jusqu’à North by Northwest (La Mort aux trousses, 1959). Le réalisateur renforça sa réputation de découvreur de talent en confiant son premier vrai rôle à une jeune actrice vouée à une longue carrière hollywoodienne : Rhonda Fleming (née en 1923), qui incarne Miss Carmichael. A l’inverse, il s’appuyait sur la maturité et le talent héréditaire en confiant le personnage du Dr Brulov à l’acteur russe Michael Chekhov (1891-1955), qui n’était autre que le neveu du fameux dramaturge Anton Tchékhov. Enfin, il revenait à l’espion de Saboteur (Cinquième colonne), Norman Lloyd (né en 1914), d’exposer les troubles du complexe de culpabilité en interprétant Garmes, le premier patient de Constance.


Le compositeur hongrois Miklos Rozsa (1907-1995) débuta le violon à l’âge de cinq ans. Etudiant dès 1926 au conservatoire de Leipzig, il produisit son premier concerto pour violon dans cette ville en 1929. L’art ne connaît pas de frontières : en 1931, Rozsa était à Paris, puis, en 1935, à Londres. C’est là qu’il fit la connaissance de son compatriote Alexander Korda qui lui demanda d’écrire la musique du film de Jacques Feyder qu’il produisait : Le Chevalier sans armure (1937). Rozsa était lancé. Son travail sur Le Voleur de Bagdad (1940) le conduisit à s’installer en Californie, où il devint rapidement un des grands compositeurs d’Hollywood. Cette première musique hollywoodienne lui valut une nomination aux oscars, la première d’une longue série. Grâce à son travail sur Spellbound et à l’utilisation qui y est faite du thérémine (un des plus anciens instruments électroniques), il obtint l’oscar de la meilleure musique originale.


HITCHCOCK / TRUFFAUT

En janvier 1960, à New York, François Truffaut rencontre Helen Scott, chargée des relations avec la presse pour le French Film Office. Celle-ci devient, dès lors, sa traductrice et sa collaboratrice attitrée aux Etats-Unis. En avril 1962, Truffaut dévoile à Robert Laffont et à Helen Scott son intention de faire un livre sur le cinéma. Le genre des entretiens radiophoniques avec des écrivains, notamment Les Entretiens de Paul Léautaud avec Robert Mallet, lui donne l’idée de composer un ouvrage à partir d’entretiens enregistrés avec Alfred Hitchcock.
Truffaut écrit à Hitchcock le 2 juin 1962 pour lui demander un entretien. 
C’est avec émotion qu’Hitchcock lui répond favorablement de Los Angeles par un télégramme.
Dès lors, Truffaut commence à réunir la documentation nécessaire à la préparation du livre : le Hitchcock de Claude Chabrol et Eric Rohmer publié en 1957, les critiques, les fiches techniques et notes sur les films, les romans adaptés par Hitchcock, des photographies, classés dans des dossiers, film par film. Il écrit également des centaines de questions à poser à Hitchcock.

Ci-dessous la transcription de l’échange lié au film SPELLBOUND du livre : Hitchcock / Truffaut (avec la collaboration de Helen Scott) – Editions Ramsay (1983)

François Truffaut : Nous sommes en 1944, vous êtes de retour a Hollywood pour tourner Spellbound ; je vois, parmi les scénaristes de ce film, le nom d’Angus MacPhail, un Anglais qui vous avait assisté pour écrire le scénario de Bon Voyage ?

Alfred Hitchcock : Angus MacPhail était chef du service des scénarios de la Gaumont-British et l’un de ces jeunes intellectuels de Cambridge qui se sont intéressés les premiers au cinéma. Je l’avais connu à l’époque de The Lodger et il avait travaillé à la Gaumont-British à la même période que moi. Après Sabotage, je ne l’ai plus revu jusqu’au moment de tourner ces deux petits films français à Londres et j’ai commencé à travailler sur le premier traitement de Spellbound avec lui. Mais notre travail était trop désordonné. Quand je suis rentré à Hollywood, Ben Hecht a été recruté et c’était un choix heureux parce qu’il était justement très porté vers la psychanalyse.

F. T. Dans le livre qu’ils vous ont consacré, Eric Rohmer et Claude Chabrol disent que votre première idée avec Spellbound était de faire un film beaucoup plus délirant ; par exemple, le directeur de la clinique devait avoir, tatouée sous le pied, la croix du Christ pour la fouler à chaque pas, c’était un grand patron de messes noires, etc.

A. H. Cela, c’était le roman «la Maison du Dr. Edwardes », un roman mélodramatique et réellement fou racontant l’histoire d’un fou qui s’empare d’une maison de fous! Dans le roman, même les infirmiers étaient fous et faisaient toutes sortes de choses! Mon intention était plus raisonnable, je voulais seulement tourner le premier film de psychanalyse. J’ai travaillé avec Ben Hecht qui consultait fréquemment des psychanalistes célèbres. Quand nous sommes arrivés aux séquences de rêve, j’ai voulu absolument rompre avec la tradition des rêves de cinéma qui sont habituellement brumeux et confus, avec l’écran qui tremble, etc. j’ai demandé à Selznick de s’assurer la collaboration de Salvador Dali. Selznick a accepté mais je suis convaincu qu’il a pensé que je voulais Dali à cause de la publicité que cela nous ferait. La seule raison était ma volonté d’obtenir des rêves très visuels avec des traits aigus et clairs, dans une image plus claire que celle du film justement. Je voulais Dali à cause de l’aspect aigu de son architecture – Chirico est très semblable – les longues ombres, l’infini des distances. les lignes qui convergent dans la perspective… les visages sans forme… Naturellement, Dali a inventé des choses assez étranges qu’il n’a pas été possible de réaliser : une statue craque, des fourmis s’échappent des fissures et rampent sur la statue et ensuite on voit Ingrid Bergman recouverte de fourmis ! J’étais anxieux parce que la production ne voulait pas faire certaines dépenses. J’aurais voulu tourner les rêves de Dali en extérieurs afin que tout soit inondé de soleil et devienne terriblement aigu, mais on m’a refusé cela et j’ai dû tourner le rêve en studio.

F. T. En définitive, vous n’avez qu’un seul rêve, divisé en quatre morceaux. J’ai revu récemment Spellbound et je dois vous avouer que je n’ai pas tellement aimé le scénario.

A. H. C’est, une fois de plus, une histoire de chasse à l’homme mais ici enveloppée de pseudo-psychanalyse.

F. T. Il est très évident pour moi que beaucoup de vos films, comme Notorious ou Vertigo, ressemblent vraiment à des rêves filmés. Alors, à l’annonce d’un film de Hitchcock abordant la psychanalyse… on s’attend à quelque chose de complètement fou, de délirant, et finalement c’est un de vos films les plus raisonnables, avec beaucoup de dialogues… En gros, je reprocherais à Spellbound de manquer un peu de fantaisie par rapport à vos autres films…

A. H. Probablement parce qu’il s’agissait de psychanalyse, on a eu peur de l’irréalité et on a essayé d’être logique en traitant l’aventure de cet homme.

F. T. Sans doute. Il y a tout de même de très belles choses, par exemple le baiser suivi des sept portes qui s’ouvrent et la première rencontre entre Gregory Peck et Ingrid Bergman ; c’est clairement un coup de foudre, elle l’aime dès le premier regard…

A. H.  Malheureusement, juste à ce moment-là, les violons commencent à jouer, c’est effroyable !

F. T. J’aime également la série de plans qui suivent l’arrestation de Gregory Peck, les images de grilles et plusieurs gros plans d’Ingrid Bergman avant que brusquement elle commence à pleurer. Par contre, tout ce passage où ils vont chercher refuge chez le vieux professeur n’intéresse pas beaucoup… Est-ce que cela vous choque que je vous dise que le film est décevant ?

A. H. Non, non, je suis d’accord, je crois que tout est trop compliqué et que les explications de la fin sont trop confuses.

F. T. Il y a encore un inconvénient qui affecte également Le Procès Paradine, c’est Gregory Peck. Ingrid Bergman est une actrice extraordinaire et parfaite pour travailler avec vous, mais Gregory Peck, lui, n’est vraiment pas un acteur hitchcockien ; il est creux et surtout il n’a aucun regard. Tout de même, à Spellbound je préfère Le Procès Paradine, et vous ?

A. H. Je ne sais pas. Il y a également beaucoup d’erreurs à énumérer dans The Paradine Case



Alfred Hitchcock est né en Angleterre, le 13 août 1899, au sein d’une famille de catholiques. Son père était un riche marchand de volailles. Il aimait le théâtre, mais se voulait rigoureux en matière de discipline et de religion. L’enfance heureuse d’Alfred fut marquée par un incident qu’il n’oubliera jamais. Lire la suite…

La première expérience parlante d’Hitchcock, ce sera Blackmail (Chantage, 1929). Aujourd’hui, cette œuvre conserve une authentique modernité. L’auteur y installe des personnages et des situations qui alimenteront ses films postérieurs : la femme coupable, le policier amoureux de la femme qu’il doit arrêter, l’union terrible par un secret encore plus terrible, l’itinéraire vécu par un couple et la traversée des apparences.

A la veille de la guerre, l’industrie cinématographique américaine domine le marché mondial. De nombreux cinéastes européens ont raillé Hollywood. la domination nazie accélérera cette migration, mais ce cosmopolitisme convient au public national. Ce peuple d’émigrants aime le cinéma. les images satisfont ses fantasmes et bercent ses espoirs. Il se retrouve culturellement devant des produits conçus par des réalisateurs européens.

Rentré aux U.S.A. après avoir réalisé Bon voyage et Aventure malgache (courts métrages à la gloire de la résistance française réalisés en Angleterre), Hitchcock tourne une production de Selznick : Spellbound (La Maison du docteur Edwards). Cette fois, la chasse à l’homme et la formation d’un couple s’inscrivent dans une structure plus complexe. La psychanalyse règne sur l’œuvre.

En 1954, Hitchcock entre à la Paramount. Il y restera de longues années et en deviendra l’une des plus fortes valeurs commerciales. Il commence par l’adaptation d’une nouvelle de Corneil Woolrich (William Irish) : Rear window (Fenêtre sur cour). C’est l’histoire d’un reporter photographe qui a la jambe dans le plâtre. Il passe son temps à observer ses voisins. de l’autre côté de la cour.

Au cours de la période 1966-1976, Alfred Hitchcock ne tournera que quatre films. Deux se rattacheront au cycle des œuvres d’espionnage. Les autres exploiteront la veine du thriller.




Niciun comentariu:

Trimiteți un comentariu

Laurence Olivier (1907-1989)