duminică, 27 martie 2022

PENSION MIMOSAS – JACQUES FEYDER (1934)

 
LE FILM FRANÇAIS

PENSION MIMOSAS – MERLUSSE – AVEC LE SOURIRE

Parce que la mémoire collective est vite saturée, elle ne peut retenir, d’une époque ou d’un style, que cinq ou six noms. C’est un phénomène profondément injuste, puisqu’il privilégie les signatures que le souvenir a retenu dans sa passoire, mais il répond à un penchant naturel de l’esprit. Le but de cette série de publications sur les films français des années 1930 est justement de faire échec à cette mécanique qui tend à privilégier, au delà de toute mesure, des films excellents, mais qui rejette au fond de la nuit des dizaines d’autres films dont rien ne prouve qu’ils ne soient pas d’une émotion, d’une poésie ou d’une surprise comparables.


PENSION MIMOSAS – JACQUES FEYDER (1934)

La collaboration, des deux belges Feyder et Spaak a produit ce film qui eut, peut-être, à sa sortie, un moindre succès public que Le Grand Jeu, prototype et chef-d’œuvre des histoires inspirées par le bled et la Légion, mais sut toucher la critique qui salua ses qualités d’émotion contenue dans un cadre bien délimité : la pension de famille qui permet toujours un savoureux échantillonnage de clients pittoresque, un grain de folie, la passion du jeu, enfin un certain parfum frondeur qui venait corser et troubler l’aventure. L’autorité magistrale de Françoise Rosay, prête à affronter les pires situations, à les vaincre, mieux, à en triompher, fit le reste. La précision des décors de Lazare Meerson qui fut, dès la période muette, le collaborateur attitré de Jacques Feyder a fait écrire à Léon Barsacq : « Il suffit de revoir Pension Mimosas pour être confondu par la maîtrise avec laquelle Feyder et Meerson situaient les différents milieux dans lesquels se déroule le film. L’atmosphère du petit bistrot parisien, entre autres, est évoquée avec une économie de moyens rarement atteinte dans un film ».

On revoit de temps en temps, et ce n’est que justice, la très belle Kermesse Héroïque qui n’a pas souffert du passage des années. Il faudrait retrouver le monde du cirque, les longues caravanes au fil des routes, l’odeur de la piste, la musique de la parade puissamment et savamment évoqués dans Les Gens du Voyage, beau poème d’images, à peine terni par un scénario mélodramatique, à peine alourdi par une interprétation inégale. Et La Piste du Nord, longue histoire, toute de pudeur et de discrétion, réalisée avec une élégance peu commune, avec cette distinction qu’on a reproché parfois à Feyder. comme si distingué voulait dire guindé, alors qu’il est facile de rappeler que le merveilleux et touchant Crainquebille d’un si vrai populisme rejoint naturellement le message d’Anatole France, exalte sans roublardise ni attendrissement suspect la vie des petites gens, leurs soucis, leurs chagrins. L’amertume, à peine corrigée par l’humour, n’est jamais loin dans l’œuvre de Feyder, qu’il faut savoir redécouvrir. [Raymond Chirat – Les Français et leur cinéma (1930-1949) – Deuxième cinécure (en collaboration avec la Cinémathèque de Toulouse) – Maison de la Culture de Créteil – Eric Losfeld (1973)]


MERLUSSE – MARCEL PAGNOL (1935)

Marcel Pagnol, fidèle à sa jeunesse – c’est son côté Alphonse Daudet – s’est souvent attendri sur l’époque ou il était pion au lycée de Marseille ; le Petit Chose ? En février 1935, il s’attaque au tournage de deux moyens métrages : Merlusse et Cigalon, où il réservait la vedette à un acteur méridional bien oublié aujourd’hui : Henri Poupon. Les deux films achevés, il dut les détruire et les recommencer, la bande son étant très mauvaise : l’interprétation de Cigalon fut modifiée; mais, dans Merlusse, Henri Poupon, barbu, redoutable et redouté, continuera à déambuler par les cours, les classes et les couloirs, le film ayant été tourné en décors réels.

Le personnage de Merlusse, que les enfants craignent et qui joue les bourrus bienfaisants, allait trouver une parenté évidente avec le professeur d’anglais dessiné par von Stroheim dans Les Disparus de Saint-Agil de Christian-Jaque, réalisé trois ans après. C’est sans doute un rôle facile et l’histoire à un côté féérique – conte de Noël – avec des enfants attendrissants, mais qui parlent juste et dont les réactions sont admissibles. Au demeurant, Marcel Pagnol, avec Merlusse, écrivait son premier scénario original après les adaptations de Jean Giono et de ses propres pièces. La critique sévère pour Cigalon, célébra Merlusse, mais il semble que l’un et l’autre de ces films n’eurent qu’une carrière assez modeste : trop courts pour des longs métrages, trop longs pour des courts métrages, ils formaient une programmation bâtarde qui faisait hésiter les directeurs de salles et les fit rapidement disparaître des écrans. En 1939, pendant la drôle de guerre, CigaIon reparut, curieusement épaulé par une série B américaine, Le Signe de Zorro ; on ne voyait déjà plus Merlusse où pourtant Pagnol avait fait parler son cœur et ses souvenirs, comme il sait le faire, éloquemment. Signalons toutefois qu’en 1963 Merlusse fit l’objet d’une dramatique à la T.V. interprétée par Georges Wilson sous la direction de Georges Folgoas. [Raymond Chirat – Les Français et leur cinéma (1930-1949) – Deuxième cinécure (en collaboration avec la Cinémathèque de Toulouse) – Maison de la Culture de Créteil – Eric Losfeld (1973)]


AVEC LE SOURIRE – MAURICE TOURNEUR (1936)

Louis Verneuil, homme de théâtre de petite taille, de figure allongée et de poil blanc, apparenté par ses mariages à la fois à Sarah Bernhardt et à Georges Feydeau, rappelait Eugène Scribe pour sa dextérité confondante a bâtir des intrigues rapides, à les développer mécaniquement, de plus en plus vite, jusqu’à l’emballement du moteur, a les lier enfin par un dialogue dont les lieux communs et les à peu près font penser aujourd’hui à un Ionesco d’avant la lettre. II aimait à interpréter sa propre production et jouait la comédie moins bien que Sacha Guitry, mais mieux que Jean Sarment. La chance de sa vie fut la rencontre d’Elvire Popesco. Dix ans durant, il broda éperdument sur l’accent exotique, sur le passage instantané et prodigieux du rire aux larmes, sur l’émotion à fleur de peau, sur les éclats tempétueux de l’ardente roumaine. Pendant la guerre, exilé aux U.S.A., il fit paraître un intéressant recueil de souvenir : « Rideau à neuf heures », revint en France, n’y retrouva pas la vogue d’autrefois : il se suicida dans une chambre d’hôtel.

AVEC LE SOURIRE – Maurice Tourneur (1936)

Une de ses spécialités à la scène était son habileté à tirer parti de l’actualité, de l’air du temps, pour l’exploiter en satires aimables et mordantes. Avec le Sourire appartient à cette veine, qui est celle de La Banque Nemo. Un petit bonhomme, parti de rien, ouvreur de portières ou marchand de journaux, accède à la fortune et à la considération ; parallèlement, son antithèse, l’homme honnête et travailleur, va d’échec en échec, jusqu’à ce qu’il s’aperçoive que le charme personnel, la désinvolture, la cordialité, en somme une aimable canaillerie sont des moyens de parvenir plus efficaces que les principes moraux, A peu de chose près, c’est le sujet de « Topaze » ; c’est le système D d’avant-guerre érigé en règle de vie, c’est la loi de la jungle humanisée, c’est l’apologue du cocotier. On compte sur la popularité de la vedette pour faire avaler certaines scènes nauséabondes : Maurice Chevalier ou Victor Boucher s’y emploient avec leur accent de titi, leur gouaille, leur faconde et la facilité, pour l’un d’eux, de pousser la chansonnette. Citons en référence le sketch qui, à la fin du film, oppose le héros et le directeur des Beaux-Arts où se développe magistralement, et avec le sourire, un petit cours à l’usage des apprentis maîtres-chanteurs.

AVEC LE SOURIRE – Maurice Tourneur (1936)

Pour illustrer cette fable sans morale, Maurice Tourneur a refusé toutes complications, mais a prouvé qu’en habile technicien il savait filmer une scène ; admirons sur ce point la séquence où Maurice Chevalier apprend à Marie Glory l’art de mettre en place une chanson : magistrale pirouette dans laquelle Maurice feint de dévoiler les secrets de son métier. La partie musicale, de qualité, n’interrompt pas l’action, mais la fait au contraire progresser. Véritable comédie musicale ?

AVEC LE SOURIRE – Maurice Tourneur (1936)

On est loin, en tous cas, des recherches raffinées d’équivalence picturale qui caractérisent la période muette de Maurice Tourneur et le font classer par les Américains avec les maitres du cinéma. Mais, si on considère sa production parlante, drames provenant de l’ancien répertoire : Les Deux OrphelinesSamsonLe Voleur, évocations de la Sainte Russie : Katia, Le Patriote, I’Allemagne romanesque du temps de Pierre Benoit : Kœnigsmark, Venise au XVI- siècle peuplée de monstres sacrés : Volpone, on n’en admire que mieux la sobriété, I’efficacité, la portée enfin d’Accusée… levez-vous, habile histoire policière du début du parlant, de Justin de Marseille folklorique, verbeux et coloré, et de cette adaptation de Verneuil, reflet d’une faune qui courait à la culbute en poussant la chansonnette. [Raymond Chirat & Philippe Ariotti – Les Français et leur cinéma (1930-1949) – Deuxième cinécure (en collaboration avec la Cinémathèque de Toulouse) – Maison de la Culture de Créteil – Eric Losfeld (1973)]


Si le cinéma était resté muet, on peut penser que Marcel Pagnol ne serait jamais devenu cinéaste, tant son œuvre est d’abord une œuvre parlée, où le dialogue joue un rôle prépondérant. Et pourtant, nous savons aussi qu’elle constitue bien autre chose que le « théâtre filmé » à quoi on a voulu longtemps la réduire avec dédain, et qu’elle représente de l’authentique cinéma.


Parce que la mémoire collective est vite saturée, elle ne peut retenir, d’une époque ou d’un style, que cinq ou six noms. C’est un phénomène profondément injuste, puisqu’il privilégie les signatures que le souvenir a retenu dans sa passoire, mais il répond à un penchant naturel de l’esprit. Le but de cette série de publications sur les films français des années 1930 est justement de faire échec à cette mécanique qui tend à privilégier, au delà de toute mesure, des films excellents, mais qui rejette au fond de la nuit des dizaines d’autres films dont rien ne prouve qu’ils ne soient pas d’une émotion, d’une poésie ou d’une surprise comparables.

Parce que la mémoire collective est vite saturée, elle ne peut retenir, d’une époque ou d’un style, que cinq ou six noms. C’est un phénomène profondément injuste, puisqu’il privilégie les signatures que le souvenir a retenu dans sa passoire, mais il répond à un penchant naturel de l’esprit. Le but de cette série de publications sur les films français des années 1930 est justement de faire échec à cette mécanique qui tend à privilégier, au delà de toute mesure, des films excellents, mais qui rejette au fond de la nuit des dizaines d’autres films dont rien ne prouve qu’ils ne soient pas d’une émotion, d’une poésie ou d’une surprise comparables. [Seconde publication]

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ROBERT SIODMAK (1904 - 1973)