LUST FOR LIFE (La Vie passionnée de Vincent Van Gogh) – Vincente Minnelli (1956)
LUST FOR LIFE (La Vie passionnée de Vincent Van Gogh) – Vincente Minnelli (1956)
Le passé de peintre et de décorateur du cinéaste, son travail constant sur la couleur s’expriment, ici, dans toute leur plénitude. Minnelli exige une pellicule rare et depuis longtemps inutilisée : il fait spécialement rouvrir un laboratoire pour obtenir exactement les teintes qu’il désire. Le film évite l’hagiographie et s’attache au quotidien de l’artiste. En filmant le travail du peintre, Minnelli recrée ce jeu de miroirs qu’il affectionne tant. Loin de tous les poncifs et schémas hollywoodiens, il tourne presque un documentaire, sans renoncer à tous les thèmes qui le hantent : le bonheur désiré qui ne peut s’épanouir et, bien sûr, la folie, thème récurrent de ses films. [Télérama – Christophe Pellet]
Le parti pris de Minnelli dès le début est le bon : les tableaux de Van Gogh doivent avoir une place primordiale ; accrochés au mur ou simplement posés, ou encore directement reconstitués à l’écran par les décors, ils sont, grâce à l’image, omniprésents. Il lui suffit alors d’utiliser tout son talent de metteur en scène et toute son expérience des tons ou des couleurs pour réaliser un beau film. Il eut d’ailleurs à se battre avec les studios pour utiliser la pellicule adéquate et un laboratoire fut réouvert spécialement pour travailler sur cette pellicule plus employée depuis longtemps. La qualité de reconstitution des décors, la façon dont il nous montre les tableaux, ou Van Gogh en train de peindre, le côté presque documentaire du film, tout cela repousse un peu au second plan son aspect dramatique. Lorsqu’on fait un film sur un peintre, l’important n’est-il pas avant tout l’œuvre elle-même ? Et la façon qu’a Minnelli de continuellement montrer ce mouvement entre la peinture et le modèle, l’œuvre et la réalité, est ce qui confère sa qualité au film. Lust for Life, ce sont avant tout des images qu’on regarde comme un tableau.
La vie de Van Gogh est racontée avec beaucoup de délicatesse. Servi par la remarquable performance de Kirk Douglas, surtout vers la fin, Minnelli peut librement nous parler, à travers le drame de ce grand artiste, de ce qui lui tient à cœur. « l’histoire me guide et ses étapes ne sont que des moyens pour moi d’exprimer ce que je ressens », explique Minnelli dans presque toutes ses interviews. Lust for Life parle du problème de la création artistique dans toute sa dimension, du besoin essentiel d’amour et de vie et de la présence quotidienne de la mort. Sujet total pour Minnelli qui l’aborde avec une sorte de précaution comme s’il ne voulait pas se laisser entraîner dans un lyrisme trop complaisant ou dans un spectacle trop hollywoodien.
Il y a parfois dans le film des passages d’un souffle très puissant, qui doivent plus à la sincérité du metteur en scène qu’aux immenses moyens mis en œuvre. Dès le début, les paysages des corons, les visages fermés des mineurs traités dans une couleur ocre et avec une lumière sombre, sont impressionnants de gravité. L’atmosphère est d’ailleurs si prenante que la présence de l’acteur Kirk Douglas dans un premier temps gêne plutôt. Mais très vite on se laisse prendre : la dureté de l’échec avec Kay (Jeanette Sterke), Ia tentative de vie commune avec Christine (Pamela Brown) et l’enfant, le bonheur familial interdit quoique souhaité ardemment (point sur lequel Minnelli insiste très fortement dans un premier temps), la frénésie de vie (« Je veux toucher les gens, les remuer »), tous ces sentiments exprimés très remarquablement par Kirk Douglas, nous entraînent dans le récit.
Après le passage à Paris, la retraite à Arles, la visite de Gauguin, et la première grande crise, on retrouve le calme apparent de l’asile et la lucidité de Van Gogh lui-même (« Je suis un danger pour tout le monde, moi et les autres »), A partir de ce moment, Minnelli a l’idée de dédramatiser le propos pour l’intensifier encore ; il procède alors par fines touches : ce sont les réactions de l’entourage, des petits détails comme le commentaire de la sœur à l’asile devant le tableau représentant la mort, que Van Gogh est en train de peindre (« It does not seem a sad death »), la scène où il fait lire au directeur de l’asile des lettres authentiques envoyées à l’époque par le directeur de l’asile lui-même au frère du peintre, Théo (James Donald), tout cela nous fait avancer lentement, avec délicatesse, dans la vie de l’artiste, nous entraînant comme irrémédiablement jusqu’à cette résignation finale : « I’d like to go home.»
Une scène apparemment anodine mais magnifiquement interprétée est celle où Vincent, après son séjour à l’asile, rend visite à son frère Théo et à Johanna devenue sa femme. La résignation de Vincent, l’affection et le bonheur de Théo de les voir tous les trois réunis, sont merveilleusement rendus. Théo Van Gogh est d’ailleurs le type de personnage généreux que Minnelli affectionne. La fidélité à son frère Vincent, l’impuissance face à la douleur de ceux qu’on aime, voilà des sentiments que le metteur en scène découvre en suivant l’histoire et qui lui sont très chers. On ne peut s’empêcher là encore de penser à Judy Garland.
Avec le recul, Minnelli estime que c’est un de ses films préférés, en grande partie parce que le tournage, quoique réalisé dans l’affolement, représente une époque très harmonieuse de sa vie : Minnelli aimait la France et la peinture et vivait heureux avec sa femme Georgette. C’est peut-être l’un des rares moments où il réussit à marier sa vie privée à la réussite dans son travail, deux choses qui lui tiennent particulièrement à cœur. Un autre film très harmonieux du metteur en scène est The Clock au cours duquel l’idylle avec Judy Garland est à son apothéose. Dans ces deux films, il règne une sorte de grâce. Sans doute Vincente Minnelli lui-même renierait-il cette interprétation, ayant toujours voulu séparer sa vie professionnelle de sa vie privée. Pourtant, dans chacun de ses films, les deux facettes sont présentes et cela fait partie de leur intérêt : cette façon de ne jamais abandonner l’une pour l’autre mais de toujours rester à la lisière. [Minnelli « De Broadway à Hollywood » – Patrick Brion, Dominique Rabourdin, Thierry de Navacelle – ED. 5 continents Hatier (1985)]
L’HISTOIRE
Fils de pasteur, Vincent Van Gogh s’est engagé dans une congrégation religieuse pour se mettre au service des malheureux. Envoyé dans le Borinage, il découvre la misère des mineurs et se joint à eux pour mieux les aider et les comprendre. Deux dignitaires de l’Église viennent en inspection au moment où un accident vient de se produire à la mine. Ils reprochent à leur prédicateur de dégrader sa fonction. Vincent, fou de rage, les chasse. Quelques semaines plus tard, son frère Théo le trouve dans un état de dénuement physique et moral et le ramène dans leur famille en Hollande.
Vincent se lance dans le dessin et la peinture et étudie les hommes au travail. Il s’éprend violemment de sa cousine Kay, veuve et mère d’un enfant, venue en visite. Kay le repousse et s’en retourne chez ses parents. Vincent l’y poursuit pour apprendre que son obstination « écœure» la jeune femme. Il échoue dans un café où il rencontre Christine, une blanchisseuse qui se prostitue occasionnellement pour nourrir son enfant. Vincent se met en ménage avec elle. « Est-ce un péché que d’aimer, d’avoir besoin d’être aimé, d’être incapable de vivre sans aimer? », écrit-il à son frère Théo.
Aidé quelque peu par son cousin Mauve, peintre arrivé, Vincent se donne à son art avec une telle ardeur que Christine finit par le quitter. Théo invite son frère à venir à Paris. Mais Vincent décide de rester chez lui, sur une terre qu’il connaît, et de peindre les paysans et les tisserands. Sa façon de s’habiller, sa solitude et son extravagance provoquent des critiques. Quand le fiancé de sa jeune sœur menace de la quitter, Vincent accepte de rejoindre Théo à Paris. Celui-ci, marchand de tableaux, lui fait rencontrer les Impressionnistes. Ébloui, Vincent découvre la couleur.
Il part s’installer à Arles pour« rencontrer la nature sous un soleil ardent ». Il désire y fonder une colonie de peintres. Théo lui envoie Gauguin, avec lequel Vincent avait sympathisé à Paris. Mais le tempérament des deux hommes est trop différent. Ils finissent par s’affronter violemment. Pris d’une crise de folie, Vincent se coupe une oreille avec un rasoir. A sa demande, il est interné dans un asile. Semblant aller mieux, il demande à sortir et rejoint Théo à Paris, avant de s’installer dans un petit village à Auvers-sur-Oise. C’est là, au milieu d’un champ de blé, qu’il se tire une balle dans la tête, devant un tableau inachevé.
Il y avait longtemps que Minnelli désirait tourner une vie de Van Gogh, et il ne put mener son projet à bien qu’en un temps record, la Metro-Goldwyn-Mayer étant sur le point de perdre l’option qu’elle avait sur la biographie du peintre par Irving Stone. Minnelli travaille au scénario pendant le tournage de Kismet, « Je ne pouvais malheureusement y consacrer tout le temps que j’aurais voulu », dit-il. « Le scénario n’était même pas achevé, et encore loin de me satisfaire, qu’il fallait commencer, parce que nous devions tourner avant que les blés ne soient fauchés. Le jour où je terminai Kismet, je sautai dans le premier avion pour l’Europe. Nous commençâmes par tourner le suicide… à cause des blés, et nous avons retravaillé le scénario au fur et à mesure du tournage, suivant ce que nous inspiraient les extérieurs. »
Dans son entreprise, Minnelli a choisi John Houseman pour l’épauler ; et celui-ci accepte de travailler sur le film à l’unique condition « que les toiles du peintre soient parfaitement restituées ». Pour cela, Minnelli exige que le film soit tourné en Anscocolor, l’Eastmancolor (procédé habituel des films en couleurs de la MGM) n’ayant pas « la variété de tons nécessaires à nos toiles » . Frederick Young et Russel Harlan rendront, admirablement, la lumière des toiles en question. Dans plusieurs de ses œuvres précédentes, Minnelli avait fait référence à la peinture. Mais, cette fois, la peinture est le sujet même du film. Comment aborder l’œuvre d’un peintre tel que Van Gogh ? La réponse se trouve dans le titre : Lust for life. La vie. « Plutôt que d’exposer des tableaux figés, je voulais leur rendre tout leur mouvement, montrer une peinture en gestation. »
On voit l’ambition, mais aussi le côté périlleux, du propos : saisir le moment de la création. Van Gogh n’a peint que les sept dernières années de sa vie, mais il a produit pendant ce laps de temps plus de huit cents toiles. Pour rendre l’aspect fébrile du créateur, Minnelli évite le piège dans lequel est tombé Ken Russell avec Music Lovers : une mise en scène convulsive pour rendre la folie intérieure d’un être. Il choisit au contraire une approche classique, un ton distancé, laissant à son interprète, Kirk Douglas, le soin d’animer de sa fièvre et de sa violence le personnage torturé. Une fois de plus, il porte toute son attention au décor, et c’est à travers lui qu’il peindra l’évolution de Van Gogh. Décor dans lequel le spectateur reconnaît à plusieurs reprises les toiles de l’artiste et qui reflète ses états d’âme de l’instant.
Le film s’ouvre sur l’épisode du Borinage : le noir du paysage minier renvoie aux premiers dessins, et au désespoir de Van Gogh. Puis c’est le vert de la Hollande, le moment où le peintre se remet de sa maladie et découvre un certain apaisement. Les rouges et les bleus de l’époque parisienne renvoient aux peintres chers à Minnelli , les Impressionnistes: c’est aussi pour Vincent une période d’enthousiasme et de passion. Enfin, Arles et le champ de blé de la fin sont à dominance jaune. « Le soleil représentait certainement la névrose du peintre », dit Minnelli, « ses conflits intérieurs : les raies et les volutes autour du soleil et des lampes, les symptômes et les manifestations de sa folie. »
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