luni, 24 mai 2021

Le temps retrouvé (1999 / Raoul Ruiz) /// Un amour de Swann (1984 / Volker Schlöndorff)

L'HISTOIRE

Frappé d'une forte fièvre et allongé dans un lit, un écrivain a du mal à conclure son dernier ouvrage. Ses souvenirs et les personnages de son roman ne tardent pas à se mélanger et se confondre...

ANALYSE ET CRITIQUE

 

Dans l'un des épisodes de leur Flying Circus, les Monty Python imaginèrent une compétition où les participants devaient résumer A la recherche du temps perdu de Proust en 15 secondes. Une manière évidement absurde de s'amuser de la réputation d'une œuvre fleuve et particulièrement retorse, notamment jugée inadaptable au cinéma, ce que purent confirmer Joseph Losey ou Luchino Visconti qui ont tous deux caressé l'idée de la porter à l'écran en leur temps. Seul Volker Schlöndorff osa se lancer dans l'aventure en 1984 en se limitant uniquement au premier tome avec Un amour de SwannTout restait donc à faire.

 

Il aura fallu attendre 1999 pour qu'un nouveau cinéaste s’attelle à la tâche... et pas nécessairement celui auquel on aurait pensé à première vue : Raoul Ruiz. Le cinéaste d'origine chilienne, auteur d'une filmographie où le surréalisme nonchalant côtoie le baroque existentialiste, profite de la reconnaissance que lui ont apportée Trois vies et une seule mort et Généalogie d'un crime pour accéder à un plus gros budget, nécessaire pour concrétiser une telle production : reconstitution, figurants, costumes et surtout un casting prestigieux puisqu'on y retrouve pas moins que Catherine DeneuveEmmanuelle BéartPascal GreggoryVincent Perez, Marie-France PisierArielle DombasleChiara Mastroianni, Elsa Zylberstein ou encore John Malkovich.

 

Restait le problème le plus épineux : l'adaptation. Pour le résoudre, Ruiz opte pour une écriture naturelle pour lui, à savoir une structure éclatée, non linéaire, dans laquelle il intègre directement au récit Marcel Proust lui-même, ses proches et leurs alter ego littéraires. La fiction se mêle à la réalité comme le passé au présent de même que la mémoire fusionne avec une fièvre délirante, le tout pour une aisance qui rend bientôt très complexe la distinction des uns et des autres. Ruiz peut ainsi parcourir les plusieurs milliers de pages composant A la recherche du temps perdu pour y piocher des figures ou des épisodes au gré de ses envies, sans craindre les difficultés pour tisser une progression narrative chronologique qui aurait été handicapante.

 

De plus, les multiples interactions entre les différentes époques, protagonistes, souvenirs sont une manière habile de retranscrire le style de Proust où la longueur et la complexité des phrases faisaient rapidement perdre le fil au lecteur pour mieux mettre en doute sa propre mémoire. Dans Le Temps retrouvé remodelé selon Ruiz, le spectateur est confronté régulièrement à ce genre d’interrogations. Il est ainsi bien délicat de placer les multiples scènes sur une frise temporelle alors que certains personnages peuvent prendre les traits de plusieurs acteurs, que la plume du narrateur interfère avec ses souvenirs et que l'image et le son manipulent les sens du public à l'instar du personnage campé par Malkovich, parfois doublé en français ou s'exprimant dans sa propre voix, mais dont l'accent anglais n'a jamais la même intensité.

 

Mais dans l'ensemble, ce sont bien des défis visuels qui stimulent un cinéaste réputé pour sa mise en scène anticonformiste, qui profite ici d'un budget élevé pour laisser libre cours à son imagination débridée. Le début est un véritable laboratoire expérimental où les idées de réalisation fusent pratiquement à chaque plan. Le mobilier se déplace tout seul à l'intérieur du cadre, la vision de la caméra est perturbée par des filtres et des déformations, la lumière est cotonneuse, les couleurs désaturées, les ellipses sont nombreuses, des personnages disparaissent dans un raccord, les époques se mélangent, les comédiens sont placés sur des grues (invisibles) pour donner l'impression qu'ils flottent... Des figures de style que le cinéaste a déjà exploitées mais qu'il agrémente de quelques effets nouveaux incroyablement complexes, comme un tulle noir sur lequel est repeint un mur entier (avec toute la décoration associée) et qu'un changement d'éclairage rend transparent pour dévoiler ce qui se trouve de l'autre côté.

 

Contrairement aux autres titres de Raoul Ruiz, ses effets ne sont pas gratuits mais cherchent volontairement à faire sentir l'état de déliquescence du narrateur agonisant. Dans cette optique et durant le reste du film, ces effets serviront également à nous plonger dans la psyché embrouillée d'un individu égaré dans son propre cerveau, toujours fuyant, incapable de rester concentré sur un point précis. L'hypnose et le vertige ne sont pas loin et l'on partage mentalement et physiquement l'incapacité du héros à se passionner pour ses contemporains et leurs soirées mondaines, impuissant à contrôler ses divagations mémorielles.

 

Ces travaux scéniques de Ruiz appuient donc une réflexion sur le temps et les perpétuelles réminiscences du passé. On pourrait presque dire que chaque porte, fenêtre ou ouverture sur un autre décor sont autant de strates temporelles s'empilant les unes aux autres. L'exemple le plus remarquable est un brillant flash-back qui se greffe à la fenêtre ouverte d'un train en marche et qui dévoile des événements en arrière-plan appartenant à une autre temps (ou une autre réalité). Rarement le terme de caméra stylo aura été aussi bien approprié puisque ces errements pour ainsi dire cognitifs du narrateur sont retranscrits avec une caméra qui effectue de nombreux va-et-vient, retournant souvent à son point d'origine après s'être focalisée sur un élément précis, toujours dans une volonté de traduire une mémoire à la dérive, subissant les reflux d'une houle autobiographique. Dans le même ordre d'idée, on peut également énumérer les animaux empaillés, les statues, les photos, les films d'actualité et les tableaux... soit des représentations figées d'un instant particulier.

 

Le scénario accumule les répétitions et les déclencheurs des sursauts mémoriels, dans la droite lignée des fameuses "madeleines" qui ont fait la réputation de Marcel Proust. On peut ainsi avancer que dans Le Temps retrouvé, Raoul Ruiz compose une mise en scène moins intuitive, surréaliste et gratuite pour s'affiner plus réfléchie, cérébrale, presque plus "européenne" que latine. Ce n'est pas pour autant que le cinéaste s'efface derrière son sujet. Non seulement les thèmes de la mémoire et du passé l'obsèdent depuis le début de sa carrière, mais on devine qu'il intègre des souvenirs sans doute très personnels, s'appropriant ce Marcel au cœur du récit (comme celui-ci s’appropriait des souvenirs de tierces personnes lors de plusieurs séquences du film). Le narrateur, durant son enfance, éprouve ainsi une réelle fascination pour les images, jouant avec des lanternes magiques et manipulant même une caméra configurée en projecteur de cinéma, chose inimaginable pour le vrai Marcel Proust qui avait en horreur le cinématographe.

 

C'est ainsi, sans doute dans Le Temps retrouvé, qu'on sent le plus l'amour et la fascination du cinéaste envers le démiurge Georges Méliès. Toutefois, l'intérêt de cette passion n'est pas d'essayer de plagier ou dupliquer les inventions et les trouvailles du célèbre magicien mais d'en retrouver la magie via d'autres procédés. Ainsi, si les trucages de Méliès reposaient majoritairement sur le montage, Ruiz mise sur la longueur des prises de vues, refusant au maximum la coupure, privilégiant les effets effectués directement sur le plateau, ce qui demandait une extrême ingéniosité de la part de ses techniciens qui adoraient relever ces nombreux défis.

 

Ses prouesses visuelles sont parfois les limites du Temps retrouvé. Si ces travaux réflexifs sur la complexité à filmer le temps sont passionnants à suivre et à décrypter, on a parfois l'impression qu'ils se font au détriment de l'implication du spectateur envers les personnages. Certes, Proust ne cherchait pas le lyrisme ou l'émotion dans son roman mais, hormis l'ultime séquence, le film est parfois un peu trop froid à suivre quand le cinéaste délaisse ses recherches graphiques et installe plusieurs séquences sur une durée bien trop étirée qui n'apportent pas l’ambiguïté psychologique désirée. De plus, cette narration éclatée noie certaines séquences clés qui auraient dû cosntituer des climax cinématographiques, comme le moment où l'écrivain est touché par une illumination alors qu'il se situe dans une bibliothèque.

 

Il est évident que les amoureux d'A la recherche du temps perdu pourront regretter cette dimension "compilation" de l'adaptation conçue par Ruiz et son co-scénariste Gilles Taurand. Cependant les profanes (et les autres) ne sauraient manquer l'un des étourdissants tours de force cinématographiques qu'il nous ait été donné de découvrir, même si les expérimentations auraient parfois mérité d'être mieux équilibrées sur l'intégralité du film. Malgré, donc, 20-30 minutes moins inspirées, il émane de cet opus ruizien un plaisir, un enthousiasme et une exaltation contagieux voire émerveillés qui ne contredisent, de plus, aucun des thèmes plus profonds abordés.

Le Temps retrouvé (film)

Le Temps retrouvé
Titre originalLe Temps retrouvé
RéalisationRaoul Ruiz
ScénarioRaoul RuizGilles Taurand
MusiqueJorge Arriagada
Acteurs principaux

Catherine Deneuve
Emmanuelle Béart
Vincent Pérez
John Malkovich

Sociétés de productionGemini Films
France 2 Cinéma
Les Films du Lendemain
Blu Cinemagrafica
Madragoa Filmes
Pays d’origineDrapeau de la France France
Drapeau de l'Italie Italie
Drapeau du Portugal Portugal
Genredrame
Durée169 min
Sortie1999


Le Temps retrouvé est un film franco-italo-portugais réalisé par Raoul Ruiz d'après le roman homonyme de Marcel Proust et sorti en 1999.

Synopsis

En feuilletant nostalgiquement son album de photos, le narrateur de la Recherche, très malade et alité, voit défiler sa vie.


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Un amour de Swann (film)- Volker Schlöndorff, 1984.


Un amour de Swann (film)

Un amour de Swann
RéalisationVolker Schlöndorff
ScénarioPeter Brook
Jean-Claude Carrière
Marie-Hélène Estienne
Volker Schlöndorff,
d'après le roman éponyme de Marcel Proust
Acteurs principaux

Jeremy Irons
Ornella Muti
Alain Delon

Sociétés de productionBioskop
Les Films du Losange
SFP
Pays d’origineDrapeau de la France France
Allemagne de l'Ouest Allemagne de l'Ouest
GenreDrame
Durée110 minutes
Sortie1984



Un amour de Swann est un film franco-allemand réalisé par Volker Schlöndorff, sorti en 1984. Son scénario a été largement inspiré par l'œuvre homonyme de Marcel Proust.

Synopsis

Charles Swann, un des hommes les plus en vue de la haute société de la fin du xixe siècle, tombe éperdument amoureux d'une femme du "demi-monde" Odette de Crécy. Mais ces sentiments passionnés deviendront vite destructeurs quand la jalousie ne cessera de hanter les pensées et l'imagination de Swann.

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Critique de spectateur

Visconti et Losey n’ont pas osé, Schlöndorff l’a fait… et s’est planté ! La seule, à ma connaissance, qui a évité le bide sans vraiment réussir est Nina Companéez dans son téléfilm « À la recherche du temps perdu ». Oui, Proust reste inadaptable au cinéma, son style introspectif est à mille lieux du langage cinématographique et ce film-ci est particulièrement bégayant ! Il est réalisé avec un soin admirable, une reconstitution excellente mais sinon rien. C’est académique, sans âme, ennuyeux et creux ; les acteurs essayent d’apporter un peu de chaleur mais aucun n’y réussit : Jeremy Irons et Alain Delon, malgré leur talent, frisent la transparence et seule, Ornella Mutti, avec son charme vulgaire, représente une Odette de Crécy fidèle au roman. Donc un film très, très moyen, malgré la distribution de luxe.

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« Un amour de Swann » de Volker Schlöndorf . Critique DVD

Synopsis: Au début du siècle, le dandy oisif Charles Swann fait le bilan de la passion jalouse qui le lia durant quinze ans à la demi-mondaine Odette de Crecy, dont il eut une fille. Bilan négatif pour lui, puisque sa quête égoiste d'un amour absolu s'est soldé par un ratage.

La fiche du DVD

Le film : "Un amour de Swann"
De : Volker Schlondorff
Avec : Alain Delon, Jeremy Irons,Ornella Mutti,Fany Ardant
Sortie le : 20 octobre 2009
Distribution : Gaumont
Durée : 107 minutes
Film classé : Tous publics
Nombre de DVD : 1

Après la déception de « Chéri » de Stephen Frears adapté d’un roman de Colette , on pouvait craindre ce retour DVD pour le cinéaste allemand, plus familier des films militants, ( « Le Tambour »  ,« Le faussaire » ).

Dans les bonus, Marie-Christine Barrault ( Madame Verdurin, qui nous débauche la petite Odette ) se pose aussi la question, avant que le réalisateur ne raconte une histoire de hasard. A  l’origine du projet Peter Brook ne pouvait plus le tourner .Schlöndorf qui dînait à la même table avec Jean-Claude Carrière , saute alors sur l’occasion « sans trop réfléchir, j’ai dit que j’étais libre. »

Son entourage le met en garde (« tu vas te casser la gueule ») et Carrière coutumier de ce genre de scénario ,reconnaît que « c’est impossible à résumer ».

Ornella entouré de Jeremy et Alain ( Delon ) : un joli trio Ornella entourée de Jeremy et Alain ( Delon ) : un joli trio

Rétrospectivement le réalisateur en rigole encore. On le comprend. Il a réussi  son pari, transposant  divinement l’ambiance des salons feutrés et des amours confinées sur un grand écran qui se délecte de ces décors réalistes. Foin de la reconstitution, nous voici au cœur de cette haute société parisienne, où la luxure et l’oisiveté font  bon ménage.

C’est un film d’atmosphère qui à mon avis s’inspire plus du roman qu’il ne l’adapte .  Schlöndorff respecte avant tout l’esprit de l’auteur , autour d’une histoire qui lui permet de parler d’une époque   .

Odette de Crécy  ( Ornella Muti )est une demi-mondaine dont on ne sait pas grand-chose, sinon que ce grand nigaud de Swann (Jeremy Irons )courtise à en mourir. Intelligent en société, passionné d’art et fin connaisseur, il se rabaisse auprès de sa belle qui n’en peut plus, mais …

Fanny Ardant , en duchesse de Guermantes, toujours aussi exquise

Fanny Ardant , en duchesse de Guermantes, toujours aussi exquise

A l’image de ces pages qui évoquent les ravages silencieux de l’amour ,de  la jalousie et des remords, le film traduit parfaitement ce sentiment d’abandon de l’âme quand celle-ci perd  sa raison.

L’un des traits de génie de Schlöndorff est d’avoir déniché pour le rôle-titre un dandy façon Jeremy Irons, tout à fait crédible. Encore peu connu, au moment du tournage  (  » Travail au noir » de Jerzy Skolimowski a quand même marqué les esprits  ) il joue la décadence sans fausse note. Avec Ornella Muti à ses côtés, ensorceleuse, et secrète dans ce demi-sourire qui l’éloigne un peu plus de son amant. On passe véritablement un excellent moment.

LE SUPPLEMENT

Un documentaire sur l’histoire du film à travers le regard de nombreux acteurs, comme… Isabelle Huppert qui fut conseillère pour le casting ou Nils Tavernier stagiaire cadreur. Rappelons que nous sommes en 1983 et que le fils de Bertrand Tavernier n’a pas encore choisi sa voie.

Tous les propos du réalisateur sont savoureux,  notamment quand il évoque dans un français sans tâche l’hommage qu’il voulait rendre au Paris du début XX è siècle. « La rue de Rivoli, sans voiture, quelle beauté, c’est quelque chose d’extraordinaire. On avait aussi bloqué la place de l’Opéra pendant plusieurs nuits, je pense qu’aujourd’hui on ne pourrait plus faire ».

L’autre belle rencontre  est celle avec Jeremy Irons , surtout quand il évoque la façon dont il a préparé son personnage .«  Mon français était selon mon coach un peu trop efféminé et je ne voyais pas quoi faire pour le rendre plus crédible ». Après plusieurs essais à huis-clos, et avec une assurance nouvelle dans la voix, il se rend chez son boucher  et lui commande fermement un steak . «  Il n’y a pas eu de réaction particulière .J’avais compris comment gommer mon accent ».

Pendant le tournage Volker Schlöndorff trouve sa diction parfaite, mais, une fois le premier montage effectué, il est évident «  que sur la durée du film, ça ne tenait pas, c’était trop prononcé ». Aussi la décision de doubler Jeremy Irons ne fait plus l’ombre d’un doute . La voix français  sera assurée par Pierre Arditi

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http://culture-et-debats.over-blog.com/article-1149198.html

UN AMOUR DE SWANN, UN FILM DE VOLKER SCHLÖNDORFF (1983)

Publié le 11 Décembre 2018 par Jean-Yves Alt

Quand on a lu et relu "A la recherche du temps perdu", quand on porte sur la rétine de l'imaginaire, la blondeur altière de la duchesse de Guermantes, la minceur élégante de Swann, une Miss Sacripant devenue Odette de Crécy, grande rousse osseuse au profil proéminent (transformée par le mariage, plus tard, en une blonde moelleuse), quand il est impossible de donner un physique au narrateur, ce Marcel de la coulisse, voyeur, écrivain, peut-on se réjouir d'une adaptatation cinématographique du roman de Proust ?

Volker Schlöndorff a osé... ce travail difficile. C'est que l'œuvre de Proust présente une vision du temps où s'imbriquent passé et présent, et parfois avenir. Les personnages vieillissent, rajeunissent (ne voit-on pas Albertine, au gré du désir du narrateur, se transformer de toute jeune fille aux grosses joues roses et aux cheveux roux en brune émaciée au teint cireux ?) parce qu'ils sont contenus dans ce qui est l'essentiel du roman, un immense mouvement passionnel de la mémoire.

Schlöndorff, pour vaincre l'absence de véritable structure de récit, a choisi "Un amour de Swann", qui est une sorte de roman dans le roman. Schlöndorff a aussi choisi de concentrer sa mise en scène sur une seule journée de 1885 parce qu' "Un amour de Swann" est la seule enclave du roman qui dessine un temps véritable, c'est le temps d'une passion, la cristallisation de l'amour de Swann pour Odette, les affres de la jalousie qui conduisent Swann au mariage.

Plus tard, le lecteur retrouvera cette Odette installée dans le grand monde, tenant salon ; plus tard encore, elle s'affine dans la vie mondaine tandis que Swann, peu à peu, se déprend d'elle. Nous la suivrons dans ses métamorphoses, veuve, remariée à Forcheville, puis, plus tard encore, maîtresse du duc de Guermantes. Sa fille Gilberte Swann épousera Saint-Loup, neveu de monsieur de.Charlus et des Guermantes.

En choisissant l'épisode "Swann", Schlöndorff réduit considérablement l'histoire des personnages.

Par exemple, Charlus n'est, dans "Un amour de Swann" qu'un personnage secondaire, grand ami de Swann, amant supposé d'Odette dans le passé. Il n'est pas encore le superbe inverti, l'homosexuel "officiel" qu'il deviendra dans la suite du roman. C'est là tout l'art de Proust qui ne décrit pas ses personnages mais les fait découvrir par le lecteur, progressivement, à travers le discours d'autres personnages et selon les nouveaux éléments du récit et de son suspense.

Schlöndorff a donc dû "épaissir" le rôle de Charlus joué par Alain Delon en greffant sur son apparition dans "Un amour de Swann" des épisodes de sa vie que nous connaîtrons plus tard mais qui "existent" déjà mais ne sont pas connus, d'après le système narratif fragmenté et ralenti cher à Proust.

Charlus est tout au long de "La recherche" un personnage de premier plan. Loin des jérémiades ou de l'illusion, Proust a montré un homosexuel dans sa plus forte véracité, un homosexuel de son temps bien sûr, mais qui, par nombre d'aspects, pose l'éternité psychologique de l'homosexualité. Il est le premier écrivain à avoir su réunir des images apparemment discordantes. Le baron de Charlus, c'est l'inverti avide d'amour (cf. tous les magnifiques passages avec Morel), c'est aussi le dragueur de tous les instants, le masochiste qui se fait enchaîner dans un bordel et demande le fouet à des soldats ou des ouvriers. Proust n'a pas craint de dire que l'homme n'est ni grand, ni vil, mais tout simplement multiple, sensuel, obsédé, pervers mais délicat, douloureux, érudit...

"La recherche", à mesure que le temps s'écoule, nous dévoile que la plupart des hommes avaient du goût pour les garçons. Proust a traqué toutes les formes d'homosexualité, dans tous les milieux sociaux.

Je crains que le film de Schlöndorff ne réduise le roman de Proust (pour les spectateurs ne connaissant pas l’œuvre écrite) à cet "extrait filmé" qui ne traduit pas l'apport considérable que l'auteur a introduit dans l'univers romanesque quant à ce qu'on appelait alors l'inversion.
=================================================================«Mais dans les beaux livres, tous les contresens qu'on fait sont beaux»:
M. Proust, R. Ruiz, V. Schlöndorff et H. Pinter. (texte-Fabula)

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ROBERT SIODMAK (1904 - 1973)