L'HISTOIRE
ANALYSE ET CRITIQUE
Dans l'un des épisodes de leur Flying Circus, les Monty Python imaginèrent une compétition où les participants devaient résumer A la recherche du temps perdu de Proust en 15 secondes. Une manière évidement absurde de s'amuser de la réputation d'une œuvre fleuve et particulièrement retorse, notamment jugée inadaptable au cinéma, ce que purent confirmer Joseph Losey ou Luchino Visconti qui ont tous deux caressé l'idée de la porter à l'écran en leur temps. Seul Volker Schlöndorff osa se lancer dans l'aventure en 1984 en se limitant uniquement au premier tome avec Un amour de Swann. Tout restait donc à faire.
Il aura fallu attendre 1999 pour qu'un nouveau cinéaste s’attelle à la tâche... et pas nécessairement celui auquel on aurait pensé à première vue : Raoul Ruiz. Le cinéaste d'origine chilienne, auteur d'une filmographie où le surréalisme nonchalant côtoie le baroque existentialiste, profite de la reconnaissance que lui ont apportée Trois vies et une seule mort et Généalogie d'un crime pour accéder à un plus gros budget, nécessaire pour concrétiser une telle production : reconstitution, figurants, costumes et surtout un casting prestigieux puisqu'on y retrouve pas moins que Catherine Deneuve, Emmanuelle Béart, Pascal Greggory, Vincent Perez, Marie-France Pisier, Arielle Dombasle, Chiara Mastroianni, Elsa Zylberstein ou encore John Malkovich.
Restait le problème le plus épineux : l'adaptation. Pour le résoudre, Ruiz opte pour une écriture naturelle pour lui, à savoir une structure éclatée, non linéaire, dans laquelle il intègre directement au récit Marcel Proust lui-même, ses proches et leurs alter ego littéraires. La fiction se mêle à la réalité comme le passé au présent de même que la mémoire fusionne avec une fièvre délirante, le tout pour une aisance qui rend bientôt très complexe la distinction des uns et des autres. Ruiz peut ainsi parcourir les plusieurs milliers de pages composant A la recherche du temps perdu pour y piocher des figures ou des épisodes au gré de ses envies, sans craindre les difficultés pour tisser une progression narrative chronologique qui aurait été handicapante.
De plus, les multiples interactions entre les différentes époques, protagonistes, souvenirs sont une manière habile de retranscrire le style de Proust où la longueur et la complexité des phrases faisaient rapidement perdre le fil au lecteur pour mieux mettre en doute sa propre mémoire. Dans Le Temps retrouvé remodelé selon Ruiz, le spectateur est confronté régulièrement à ce genre d’interrogations. Il est ainsi bien délicat de placer les multiples scènes sur une frise temporelle alors que certains personnages peuvent prendre les traits de plusieurs acteurs, que la plume du narrateur interfère avec ses souvenirs et que l'image et le son manipulent les sens du public à l'instar du personnage campé par Malkovich, parfois doublé en français ou s'exprimant dans sa propre voix, mais dont l'accent anglais n'a jamais la même intensité.
Mais dans l'ensemble, ce sont bien des défis visuels qui stimulent un cinéaste réputé pour sa mise en scène anticonformiste, qui profite ici d'un budget élevé pour laisser libre cours à son imagination débridée. Le début est un véritable laboratoire expérimental où les idées de réalisation fusent pratiquement à chaque plan. Le mobilier se déplace tout seul à l'intérieur du cadre, la vision de la caméra est perturbée par des filtres et des déformations, la lumière est cotonneuse, les couleurs désaturées, les ellipses sont nombreuses, des personnages disparaissent dans un raccord, les époques se mélangent, les comédiens sont placés sur des grues (invisibles) pour donner l'impression qu'ils flottent... Des figures de style que le cinéaste a déjà exploitées mais qu'il agrémente de quelques effets nouveaux incroyablement complexes, comme un tulle noir sur lequel est repeint un mur entier (avec toute la décoration associée) et qu'un changement d'éclairage rend transparent pour dévoiler ce qui se trouve de l'autre côté.
Contrairement aux autres titres de Raoul Ruiz, ses effets ne sont pas gratuits mais cherchent volontairement à faire sentir l'état de déliquescence du narrateur agonisant. Dans cette optique et durant le reste du film, ces effets serviront également à nous plonger dans la psyché embrouillée d'un individu égaré dans son propre cerveau, toujours fuyant, incapable de rester concentré sur un point précis. L'hypnose et le vertige ne sont pas loin et l'on partage mentalement et physiquement l'incapacité du héros à se passionner pour ses contemporains et leurs soirées mondaines, impuissant à contrôler ses divagations mémorielles.
Ces travaux scéniques de Ruiz appuient donc une réflexion sur le temps et les perpétuelles réminiscences du passé. On pourrait presque dire que chaque porte, fenêtre ou ouverture sur un autre décor sont autant de strates temporelles s'empilant les unes aux autres. L'exemple le plus remarquable est un brillant flash-back qui se greffe à la fenêtre ouverte d'un train en marche et qui dévoile des événements en arrière-plan appartenant à une autre temps (ou une autre réalité). Rarement le terme de caméra stylo aura été aussi bien approprié puisque ces errements pour ainsi dire cognitifs du narrateur sont retranscrits avec une caméra qui effectue de nombreux va-et-vient, retournant souvent à son point d'origine après s'être focalisée sur un élément précis, toujours dans une volonté de traduire une mémoire à la dérive, subissant les reflux d'une houle autobiographique. Dans le même ordre d'idée, on peut également énumérer les animaux empaillés, les statues, les photos, les films d'actualité et les tableaux... soit des représentations figées d'un instant particulier.
Le scénario accumule les répétitions et les déclencheurs des sursauts mémoriels, dans la droite lignée des fameuses "madeleines" qui ont fait la réputation de Marcel Proust. On peut ainsi avancer que dans Le Temps retrouvé, Raoul Ruiz compose une mise en scène moins intuitive, surréaliste et gratuite pour s'affiner plus réfléchie, cérébrale, presque plus "européenne" que latine. Ce n'est pas pour autant que le cinéaste s'efface derrière son sujet. Non seulement les thèmes de la mémoire et du passé l'obsèdent depuis le début de sa carrière, mais on devine qu'il intègre des souvenirs sans doute très personnels, s'appropriant ce Marcel au cœur du récit (comme celui-ci s’appropriait des souvenirs de tierces personnes lors de plusieurs séquences du film). Le narrateur, durant son enfance, éprouve ainsi une réelle fascination pour les images, jouant avec des lanternes magiques et manipulant même une caméra configurée en projecteur de cinéma, chose inimaginable pour le vrai Marcel Proust qui avait en horreur le cinématographe.
C'est ainsi, sans doute dans Le Temps retrouvé, qu'on sent le plus l'amour et la fascination du cinéaste envers le démiurge Georges Méliès. Toutefois, l'intérêt de cette passion n'est pas d'essayer de plagier ou dupliquer les inventions et les trouvailles du célèbre magicien mais d'en retrouver la magie via d'autres procédés. Ainsi, si les trucages de Méliès reposaient majoritairement sur le montage, Ruiz mise sur la longueur des prises de vues, refusant au maximum la coupure, privilégiant les effets effectués directement sur le plateau, ce qui demandait une extrême ingéniosité de la part de ses techniciens qui adoraient relever ces nombreux défis.
Ses prouesses visuelles sont parfois les limites du Temps retrouvé. Si ces travaux réflexifs sur la complexité à filmer le temps sont passionnants à suivre et à décrypter, on a parfois l'impression qu'ils se font au détriment de l'implication du spectateur envers les personnages. Certes, Proust ne cherchait pas le lyrisme ou l'émotion dans son roman mais, hormis l'ultime séquence, le film est parfois un peu trop froid à suivre quand le cinéaste délaisse ses recherches graphiques et installe plusieurs séquences sur une durée bien trop étirée qui n'apportent pas l’ambiguïté psychologique désirée. De plus, cette narration éclatée noie certaines séquences clés qui auraient dû cosntituer des climax cinématographiques, comme le moment où l'écrivain est touché par une illumination alors qu'il se situe dans une bibliothèque.
Il est évident que les amoureux d'A la recherche du temps perdu pourront regretter cette dimension "compilation" de l'adaptation conçue par Ruiz et son co-scénariste Gilles Taurand. Cependant les profanes (et les autres) ne sauraient manquer l'un des étourdissants tours de force cinématographiques qu'il nous ait été donné de découvrir, même si les expérimentations auraient parfois mérité d'être mieux équilibrées sur l'intégralité du film. Malgré, donc, 20-30 minutes moins inspirées, il émane de cet opus ruizien un plaisir, un enthousiasme et une exaltation contagieux voire émerveillés qui ne contredisent, de plus, aucun des thèmes plus profonds abordés.
Le Temps retrouvé (film)
Titre original | Le Temps retrouvé |
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Réalisation | Raoul Ruiz |
Scénario | Raoul Ruiz, Gilles Taurand |
Musique | Jorge Arriagada |
Acteurs principaux | Catherine Deneuve |
Sociétés de production | Gemini Films France 2 Cinéma Les Films du Lendemain Blu Cinemagrafica Madragoa Filmes |
Pays d’origine | France Italie Portugal |
Genre | drame |
Durée | 169 min |
Sortie | 1999 |
Le Temps retrouvé est un film franco-italo-portugais réalisé par Raoul Ruiz d'après le roman homonyme de Marcel Proust et sorti en 1999.
Synopsis
En feuilletant nostalgiquement son album de photos, le narrateur de la Recherche, très malade et alité, voit défiler sa vie.
Un amour de Swann (film)
Réalisation | Volker Schlöndorff |
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Scénario | Peter Brook Jean-Claude Carrière Marie-Hélène Estienne Volker Schlöndorff, d'après le roman éponyme de Marcel Proust |
Acteurs principaux | |
Sociétés de production | Bioskop Les Films du Losange SFP |
Pays d’origine | France Allemagne de l'Ouest |
Genre | Drame |
Durée | 110 minutes |
Sortie | 1984 |
Un amour de Swann est un film franco-allemand réalisé par Volker Schlöndorff, sorti en 1984. Son scénario a été largement inspiré par l'œuvre homonyme de Marcel Proust.
Synopsis
Charles Swann, un des hommes les plus en vue de la haute société de la fin du xixe siècle, tombe éperdument amoureux d'une femme du "demi-monde" Odette de Crécy. Mais ces sentiments passionnés deviendront vite destructeurs quand la jalousie ne cessera de hanter les pensées et l'imagination de Swann.
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Critique de spectateur
Visconti et Losey n’ont pas osé, Schlöndorff l’a fait… et s’est planté ! La seule, à ma connaissance, qui a évité le bide sans vraiment réussir est Nina Companéez dans son téléfilm « À la recherche du temps perdu ». Oui, Proust reste inadaptable au cinéma, son style introspectif est à mille lieux du langage cinématographique et ce film-ci est particulièrement bégayant ! Il est réalisé avec un soin admirable, une reconstitution excellente mais sinon rien. C’est académique, sans âme, ennuyeux et creux ; les acteurs essayent d’apporter un peu de chaleur mais aucun n’y réussit : Jeremy Irons et Alain Delon, malgré leur talent, frisent la transparence et seule, Ornella Mutti, avec son charme vulgaire, représente une Odette de Crécy fidèle au roman. Donc un film très, très moyen, malgré la distribution de luxe.
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« Un amour de Swann » de Volker Schlöndorf . Critique DVD
Synopsis: Au début du siècle, le dandy oisif Charles Swann fait le bilan de la passion jalouse qui le lia durant quinze ans à la demi-mondaine Odette de Crecy, dont il eut une fille. Bilan négatif pour lui, puisque sa quête égoiste d'un amour absolu s'est soldé par un ratage.
La fiche du DVD
Après la déception de « Chéri » de Stephen Frears adapté d’un roman de Colette , on pouvait craindre ce retour DVD pour le cinéaste allemand, plus familier des films militants, ( « Le Tambour » ,« Le faussaire » ).
Dans les bonus, Marie-Christine Barrault ( Madame Verdurin, qui nous débauche la petite Odette ) se pose aussi la question, avant que le réalisateur ne raconte une histoire de hasard. A l’origine du projet Peter Brook ne pouvait plus le tourner .Schlöndorf qui dînait à la même table avec Jean-Claude Carrière , saute alors sur l’occasion « sans trop réfléchir, j’ai dit que j’étais libre. »
Son entourage le met en garde (« tu vas te casser la gueule ») et Carrière coutumier de ce genre de scénario ,reconnaît que « c’est impossible à résumer ».
Rétrospectivement le réalisateur en rigole encore. On le comprend. Il a réussi son pari, transposant divinement l’ambiance des salons feutrés et des amours confinées sur un grand écran qui se délecte de ces décors réalistes. Foin de la reconstitution, nous voici au cœur de cette haute société parisienne, où la luxure et l’oisiveté font bon ménage.
C’est un film d’atmosphère qui à mon avis s’inspire plus du roman qu’il ne l’adapte . Schlöndorff respecte avant tout l’esprit de l’auteur , autour d’une histoire qui lui permet de parler d’une époque .
Odette de Crécy ( Ornella Muti )est une demi-mondaine dont on ne sait pas grand-chose, sinon que ce grand nigaud de Swann (Jeremy Irons )courtise à en mourir. Intelligent en société, passionné d’art et fin connaisseur, il se rabaisse auprès de sa belle qui n’en peut plus, mais …
Fanny Ardant , en duchesse de Guermantes, toujours aussi exquise
A l’image de ces pages qui évoquent les ravages silencieux de l’amour ,de la jalousie et des remords, le film traduit parfaitement ce sentiment d’abandon de l’âme quand celle-ci perd sa raison.
L’un des traits de génie de Schlöndorff est d’avoir déniché pour le rôle-titre un dandy façon Jeremy Irons, tout à fait crédible. Encore peu connu, au moment du tournage ( » Travail au noir » de Jerzy Skolimowski a quand même marqué les esprits ) il joue la décadence sans fausse note. Avec Ornella Muti à ses côtés, ensorceleuse, et secrète dans ce demi-sourire qui l’éloigne un peu plus de son amant. On passe véritablement un excellent moment.
LE SUPPLEMENT
Un documentaire sur l’histoire du film à travers le regard de nombreux acteurs, comme… Isabelle Huppert qui fut conseillère pour le casting ou Nils Tavernier stagiaire cadreur. Rappelons que nous sommes en 1983 et que le fils de Bertrand Tavernier n’a pas encore choisi sa voie.
Tous les propos du réalisateur sont savoureux, notamment quand il évoque dans un français sans tâche l’hommage qu’il voulait rendre au Paris du début XX è siècle. « La rue de Rivoli, sans voiture, quelle beauté, c’est quelque chose d’extraordinaire. On avait aussi bloqué la place de l’Opéra pendant plusieurs nuits, je pense qu’aujourd’hui on ne pourrait plus faire ».
L’autre belle rencontre est celle avec Jeremy Irons , surtout quand il évoque la façon dont il a préparé son personnage .« Mon français était selon mon coach un peu trop efféminé et je ne voyais pas quoi faire pour le rendre plus crédible ». Après plusieurs essais à huis-clos, et avec une assurance nouvelle dans la voix, il se rend chez son boucher et lui commande fermement un steak . « Il n’y a pas eu de réaction particulière .J’avais compris comment gommer mon accent ».
Pendant le tournage Volker Schlöndorff trouve sa diction parfaite, mais, une fois le premier montage effectué, il est évident « que sur la durée du film, ça ne tenait pas, c’était trop prononcé ». Aussi la décision de doubler Jeremy Irons ne fait plus l’ombre d’un doute . La voix français sera assurée par Pierre Arditi
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