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LES ENFANTS DU PARADIS – Marcel Carné (1945)
Il y a quelque dix ans, Robert Chazal, dans un ouvrage de la collection « Cinéma d’aujourd’hui », chez Seghers, portait ce jugement définitif sur un film maintenant vieux d’une trentaine d’années : « Les Enfants du Paradis, c’est en définitive un film de première grandeur, aux richesses inépuisables, et qui n’a pas fini d’être en avance sur son temps ». Eh bien oui. A l’heure où le modernisme du style cinématographique rend caduques bien des œuvres qui paraissaient marquées du sceau du chef-d’œuvre impérissable, le film de Carné-Prévert a gardé toute sa force et sa beauté. Certes les habitudes de perception des spectateurs ont changé. De même que les approches critiques. Or ce film a merveilleusement résisté à toutes ces mutations, il comble encore les partisans d’une lecture moderne de l’image, comme il comblait les cinéphiles de l’époque.
Évitant délibérément les pièges de la fidélité historique, Carné et Prévert ont d’abord idéalisé un personnage authentique : le mime Baptiste Debureau, aux dimensions de la séduction qu’il avait exercée sur l’acteur Jean-Louis Barrault. On sait que Debureau, alors en pleine gloire artistique, fut jugé pour le meurtre d’un passant qui avait insulté sa maîtresse. L’affaire fit grand bruit. La salle des Assises fut l’occasion d’un spectacle inédit : pour la première fois, Debureau jouait en parlant. Ce personnage, Jean-Louis Barrault se le réservait, en le débarrassant de cette encombrante carapace du fait divers. Il ne retenait que l’hommage à un acteur de génie, replacé dans le contexte d’un théâtre d’époque que les couches populaires n’avaient pas encore déserté.
Alors, ce personnage, il tallait le recréer cinématographiquement, Marcel Carné devint le visiteur le plus assidu du Musée Carnavalet, consultant inlassablement estampes et croquis. Et Jacques Prévert, venu consulter les archives de la Bibliothèque nationale, rencontrait les ombres de Lemaître et de Lacenaire. Tous ces personnages, issus de milieux différents, avaient en commun le goût ou la passion du théâtre. Il convenait donc de les affronter, et d’axer la mise en scène, le décor, la figuration, les costumes, la musique et même le générique sur l’idée de spectacle. D’où l’extraordinaire unité du film.
Toutefois, il fallait éviter le hiatus qui ne manquerait pas d’opposer personnages authentiques et personnages de fiction. La difficulté fut génialement tournée par le scénariste et par le metteur en scène : l’authenticité des personnages réels était magnifiée par la poésie, et les personnages de fiction (Garance, Jericho, Fil de soie, Madame Hermine… ) naissaient des silhouettes venues d’estampes d’époque.
L’adéquation parfaite entre personnages authentiques et personnages de fiction était alors une question d’atmosphère. Il suffisait donc de les plonger dans le vaste décor du Boulevard du crime, de reconstituer l’ambiance du Théâtre des Funambules. Dès lors, dans ce microcosme du monde du spectacle, les personnages se rencontrent, incidemment ou non, et manifestent leurs sentiments d’amour, de haine, de répulsion, d’amitié, de jalousie… C’est ainsi que se crée l’intrigue et qu’elle progresse sans recours aux poncifs mélodramatiques qui dénaturent maintenant le charme de bien des films de cette période du cinéma réaliste français.
Peut-être pourrait-on contester, et je pense que c’est la seule petite ride que porte ce film admirable, le personnage du Destin, qu’incarne Pierre Renoir dans un rôle préalablement conçu pour Le Vigan. Ce genre de silhouette mystérieuse, déambulant le long de l’intrigue, précipitant les rencontres, hâtant les coups de théâtre mélodramatiques, invitant les personnages à l’introspection, correspond à une mode de l’époque. Mais ce qui sauve ce, personnage-symbole que Pierre Renoir, c’est qu’il est ressenti physiquement, à l’image de ce dégoût qu’il inspire a Baptiste, et non pas intellectuellement. Ce n’est pus un personnage venu un autre monde, mais une individualité qui préserve son mystère par une multitude de masques qui justifient ses nombreux surnoms. Et finalement, inséré dans la foule bigarrée du Boulevard, son personnage devient plus crédible, même si ses apparitions aux moments cruciaux du film donnent l’impression d’une construction systématique.
Chacun des gestes, chacune des intonations, chacune des merveilleuses répliques de Prévert, participent à ce tout qu’est la reconstitution inspirée d’une atmosphère. La caméra, avec l’aisance que lui permet la construction d’un décor de superproduction (cinq millions de francs à l’époque, somme fabuleuse), peut se permettre les mouvements les plus audacieux (comme cette magnifique ouverture sur la fête du Boulevard, l’ancien faubourg du Temple), les plus élégants et les plus efficaces. Tout en restant quasi inaperçue, tant ses déplacements collent parfaitement au regard de la description. Cela permettrait à Carné d’échapper à certaines constantes esthétiques d’époque, singulièrement vieillies aujourd’hui. Carné a renoncé aux effets d’éclairages qui lui étaient chers, aux symboliques contrastes de lumière, à la poésie de la nuit et des pavés mouillés. Ici, la lumière crue des scènes d’extérieur (tournées dans les studios de Nice) s’harmonise parfaitement, dans le meilleur des styles réalistes, avec la lumière des intérieurs de théâtre. La foule dense qui déambule le long du Boulevard correspond à la foule bruyante du parterre et du paradis qui anime les salles de théâtre.
Alors, le film échappe à toute mode, exprimant parfaitement, et avec un immense amour, l’obsession du théâtre. Le théâtre est partout. Dans la rue, sur les estrades des bateleurs, sur la scène des Funambules, dans les loges du Grand théâtre, dans une modeste chambre d’hôtel, au bain turc ou dans les salons bourgeois. Baptiste Debureau mime avec génie le vol d’une montre, il assassine en mimodrame le marchand d’habits détesté. Frédérick Lemaître massacre avec humour un mauvais mélodrame qu’on lui infligeait, Garance (Arletty) se compose un personnage de femme du monde, Madame Hermine se souvient des minauderies de la Partie de Campagne de Renoir, et, dans une séquence admirable, Lacenaire, aristocrate du crime, donne à son arrestation volontaire toute la signification d’un salut aux spectateurs.
Pris dans cette extraordinaire unité d’inspiration, les personnages expriment leurs émotions et leurs sentiments en les jouant. Et autour du personnage de Garance se tisse un réseau complexe de comportements, également fondus dans un thème unique : celui de la jalousie. C’est alors que se succèdent ces séquences-modèles dont je parlais tout à l’heure : le mime de la corde, détruit par le cri de détresse de Nathalie ; la pantomime de Diane, Arlequin et Pierrot résumant les situations amoureuses qui viennent de se créer ; l’interprétation d’Othello par un Brasseur enfin révélé aux tourments d’un amour malheureux ; le thème de la pièce « Marchand d’habits », etc. On peut multiplier les exemples tant le film est riche de signification au sein de chacune de ses unités. [Raymond Lefèvre – Cinéma 74 (n°184) février 1974]
Marcel Carné déclarait un jour que son film constituait un hommage au théâtre du siècle dernier. A cet égard, le titre est révélateur, le « paradis » désignant, dans la savoureuse langue populaire, la galerie supérieure de la salle de spectacle (que l’on surnommera plus prosaïquement « poulailler »). Et par « enfants du paradis », il faut entendre aussi bien le public souvent impécunieux de ces étages élevés que les acteurs, non moins soumis aux caprices de la fortune.
Fresque grandiose et grouillante de vie, Les Enfants du paradis font ainsi revivre le fameux « Boulevard du Crime » – ainsi appelait-on, au temps de Louis-Philippe, le boulevard du Temple, bordé de théâtres affichant des mélodrames sanglants. Hommage au théâtre donc, mais aussi au peuple de Paris, gouailleur et industrieux, avec ses bateleurs et ses petits métiers pittoresques.
L’idée initiale du film revient à Jean- Louis Barrault. Carné et Prévert, désireux de se renouveler après Les Visiteurs du soir, étaient à la recherche d’un sujet inédit. Ils rencontrent alors à Nice l’acteur, qui se passionne pour la vie de Jean-Baptiste Deburau, l’un des plus grands mimes français (qui se produisait aux Funambules, où il créa un inoubliable Pierrot). Carné entreprend aussitôt des recherches sur cette époque et entrevoit très vite la richesse d’un tel sujet. Prévert commence à écrire un scénario romancé sur le Boulevard du Crime et Deburau, y introduisant également d’autres personnages réels hauts en couleur, comme le grand acteur Frédérick Lemaître (dit Le Talma du Boulevard) et Lacenaire, assassin crapuleux et dandy cynique, parfait héros romantique.
Carné, Prévert et le décorateur Alexandre Trauner travaillent fiévreusement, en parfaite harmonie. Mais la matière dramatique est si riche qu’il apparaît bientôt impossible de réduire le film à une durée normale, d’où de premières difficultés avec les futurs distributeurs. Enfin, après six mois de préparation, Carné est prêt à donner le premier tour de manivelle. En dépit des restrictions draconiennes qui sévissent (de nombreux matériaux indispensables font défaut), on est parvenu à reconstituer tant bien que mal une partie du boulevard du Temple et la façade des Funambules (un décor de plus de 150 mètres !). Par ailleurs, 25 000 figurants sont engagés afin de donner plus d’ampleur et d’authenticité aux scènes de foule (qu’on se souvienne de l’intérieur du théâtre, des badauds massés devant les attractions foraines ou des masques de carnaval se pressant sur le boulevard). Étant donné sa longueur inusitée (trois heures), le film sera projeté en deux parties : Le Boulevard du Crime et L’Homme blanc. Il s’agit certainement de la plus coûteuse production française de cette époque.
Réalisation de prestige, considérée comme le chef-d’œuvre de Marcel Carné, Les Enfants du paradis vont connaître un succès immédiat. Les performances des acteurs ont contribué pour une bonne part à cette réussite. Qu’il s’agisse de célébrités confirmées, comme Louis Salou, Marcel Herrand, Pierre Brasseur et surtout Arletty, inoubliable Garance, ou de débutants, comme Maria Casarès. Jean-Louis Barrault, qui s’était imposé comme vedette dans La Symphonie fantastique (1942), démontrait ses prodigieux dons de mime. Les Enfants du paradis prouvaient l’incomparable vitalité du cinéma Français au sortir de ces années tragiques.
L’HISTOIRE
Sur le célèbre Boulevard du Crime, aux environs de 1840, les badauds, auxquels se mêlent les mauvais garçons, admirent la parade des Funambules. La belle Garance (Arletty) est accusée d’un vol commis par son ami Lacenaire (Marcel Herrand). Grâce à ses talents de mime, Baptiste (Jean-Louis Barrault) démontre son innocence et lui procure un emploi au théâtre. Les deux jeunes gens sont épris l’un de l’autre, mais Garance, se méprenant sur le silence de Baptiste, devient la maîtresse de son ami Frédérick (Pierre Brasseur). La police recherche Lacenaire qui a commis un crime et suspecte Garance. Celle-ci accepte alors la protection d’un admirateur, le riche comte de Montray (Louis Salou) et quitte Paris. Quelques années plus tard, Frédérick Lemaître est devenu un acteur célèbre, ainsi que Baptiste, qui a épousé Nathalie (Maria Casarès) qui l’aime depuis toujours. Garance retrouve Baptiste. Ils s’aiment encore. Le comte croit avoir Frédérick pour rival , mais Lacenaire, par jalousie, lui révèle la vérité puis l’assassine dans un bain turc. Par pitié pour Nathalie, Garance disparaît, tandis que Baptiste la cherche en vain parmi la foule des masques de carnaval qui envahit le boulevard.
LES EXTRAITS
Lacenaire emmène Garance faire un tour, sur le Boulevard du Crime, évidemment. Et l’on s’arrête devant la parade des Funambules. Si Garance n’a plus de travail, Lacenaire, lui, ne chôme pas. Il escamote la montre en or d’un badaud et disparaît. Garance est la coupable toute désignée et la main de la loi va s’abattre sur elle. Mais Baptiste Deburau, qui, depuis qu’il l’a aperçue, s’est perdu, dans la contemplation de la beauté, intervient. Il ne sait pas manier les mots convaincants, mais ses gestes se révèlent plus éloquents encore… Il mime ingénieusement tout ce qui s’est passé, à la grande joie de la foule… L’innocence de Garance éclate et la jeune femme reconnaissante, lance au mime une fleur rouge qui sera pour lui l’appel du destin. Baptiste aime Garance… Cet amour a révélé Baptiste à lui-même, à la foule… Il est comme réveillé et il va pouvoir passer des tréteaux de la parade à la scène des Funambules, malgré l’opposition sceptique de son père. Mais pour cela, il faudra au moins une catastrophe.
Tout s’arrange n’est-ce pas ? Baptiste, avec la complicité de la nuit, de la pluie, ose avouer son amour à Garance et cette grande passion, à la fois pudique et ardente, semble toucher l’étrange femme… Elle accompagne Baptiste jusqu’au « Grand-Relais » et s’apprête tout naturellement à le garder dans sa chambre. Non, rien ne s’arrange. Baptiste se fait sans doute de l’amour une idée moins simple, puisqu’il s’enfuit devant celle qui s’offre. Bien entendu, le hasard met à ce moment Garance en présence de son voisin Frédérick, ce charmant Frédérick Lemaître qui n’a pas peur des réalités, lui ! Garance ne couchera pas seule pour sa première nuit au « Grand-Relais »… ni cette nuit-là, ni les autres. Mais si son corps est dans le lit de Frédérick, où est son cœur ?..
Baptiste est devenu l’Etoile de la troupe des Funambules, où la beauté de Garance fait maintenant sensation. Cette beauté a frappé le cœur du comte Édouard de Montray qui vient lui offrir, avec sa fortune, une évasion vers une vie toute nouvelle. Mais Garance n’est pas à vendre… Frédérick Lemaître, lui aussi, joue la pantomime, mais à contre-cœur. Son génie l’attire vers d’autres moyens d’expressions. En attendant, il mène avec Garance des amours sans conviction. Frédérick est vaguement jaloux de Baptiste, à qui Garance pense trop à son gré. Et Baptiste aussi pense trop à Garance; et Nathalie souffre.
Garance est est retournée mélancoliquement dans son luxueux hôtel, où l’attend une nouvelle ombre du passé… « Monsieur » Lacenaire, à tout hasard, est venu lui rendre visite. Il trouve Garance toujours semblable à elle-même. Ce serait plutôt lui qui aurait changé. Lacenaire s’occupe un peu trop maintenant de ce qu’on pense de lui, et il a pris un sens aigu de son honneur particulier… Il rencontre en partant le comte de Montray et de ces deux mondes qui se croisent, jaillit un éclair de haine qui ne sera profitable ni à l’un, ni à l’autre. En tout cas, ce n’est pas auprès d’une Garance, incessible, qu’il a achetée, mais qui ne s’est pas vendue, que M. de Montray trouvera la paix dans l’âme. La jalousie le tourmente, lui aussi, et ses soupçons, ô ironie, s’égarent sur Frédérick Lemaître…
Baptiste croit avoir réalisé sa destinée, chose qu’il aurait été plus facile de faire quand Garance s’offrit à lui pour la première fois. Mais cette nuit, à l’hôtel du Grand Relais, dans la chambre de jadis, où ils sont revenus tous les deux, il la tient solidement entre ses bras. Au petit jour Baptiste ne lâchera pas son bonheur retrouvé… Hélas, il est trop tard… Une intervention de Nathalie qui lutte, elle aussi, pour son amour, le fera comprendre à Garance. Et Garance ne se trouve plus le droit, ni la possibilité peut -être, d’être heureuse auprès de celui qu’elle aime. Elle s’en va, seule, vers on ne sait quel destin, par le Boulevard du Crime qui, envahi de masques en ce jour de Carnaval, semble grouiller d’une folie collective… [Marcel Carné « Le môme du cinéma français » – David Chanteranne – Ed. Soteca (2012)]
A lire également : Zoom sur Les Enfants du paradis, du dessin à l’écran / « Un film aventureux » [Carole Aurouet – Editions en ligne, Cinémathèque française, 2012]
- LE SECOND SOUFFLE DE CARNÉ
LE SECOND SOUFFLE DE CARNÉ
Après un début de carrière triomphal, l’auteur de Quai des brumes connaît au sortir de la guerre une inexplicable traversée du désert. Il lui faudra attendre 1950 pour prouver qu’il est encore, et pour longtemps, l’un des meilleurs cinéastes français.
Etrange destin que celui de Marcel Carné : à la fin des années 1930, le réalisateur devient immensément célèbre grâce à une poignée de chefs-d’ œuvre intitulés Quai des brumes, Hôtel du Nord ou Le Jour se lève. Ses films sont vus dans le monde entier et, à sa sortie triomphale en 1945, Les Enfants du paradis devient même le film le plus rentable de l’histoire du cinéma français. C’est dire que l’on s’attend à ce que le cinéaste continue sur sa lancée, il n’en sera rien. Souhaitant évoquer le Paris de l’Occupation, Carné s’attelle avec Jacques Prévert au scénario des Portes de la nuit, dans lequel doivent jouer Gabin et Marlene Dietrich. Le couple vedette jette finalement l’éponge, et le cinéaste prend le risque d’engager deux inconnus, Yves Montand et Nathalie Nattier. Est-il trop tôt pour parler de l’ère collaborationniste ? Les Portes de la nuit essuie un terrible échec commercial. Le coup est d’autant plus rude que, les producteurs semblent oublier le succès phénoménal des Enfants du paradis. Carné aura ensuite toutes les peines du monde à monter de nouveaux films ! Il parvient tout de même à se lancer en 1947 dans La Fleur de l’âge, projet qui réunit Arletty et de futures vedettes comme Serge Reggiani, et Anouk Aimée, mais, faute de finances, il doit en interrompre le tournage…
Aussi incroyable que cela puisse paraître, Carné va se heurter pendant plus de deux ans à des portes closes. Contre toute attente, il devra son retour en grâce à Jean Gabin, avec qui il s’est pourtant brouillé lorsque l’acteur a renoncé aux Portes de la nuit. Gabin a en effet acheté les droits d’un roman de Simenon, La Marie du port, et propose à Carné de le mettre en scène : les retrouvailles du tandem de Quai des brumes et du Jour se lève attirent l’attention sur le film, qui connaît un accueil honorable, et relance enfin la carrière de Carné. Il peut ainsi enchaîner avec le poétique Juliette ou la clé des songes, dans lequel il dirige Gérard Philippe. Puis il adapte avec le scénariste Charles Spaak le classique de Zola, Thérèse Raquin, rôle qu’il confie à Simone Signoret. Couronné d’un Lion d’Argent, le film redonne à Carné toute la place qu’il mérite. Dès lors, le cinéaste va pouvoir tourner régulièrement, et explorer de nouvelles voies.
Carné ne va en effet cesser de surprendre son public : si L’Air de Paris a encore des allures de « réalisme poétique », le cinéaste livre avec Le Pays d’où je viens un étonnant conte musical, interprété par Gilbert Bécaud. Puis il consacre deux films à la « jeunesse rebelle » : celle de Saint-Germain-des-Prés dans Les Tricheurs (grand succès public), et celle des cités HLM dans Terrain vague. Il aborde ensuite la comédie avec Du mouron pour les petits oiseaux, avant d’adapter Simenon dans le sombre Trois chambres à Manhattan. En 1968, il encourt les foudres de la censure avec Les Jeunes loups, portrait d’un ambitieux gigolo, puis révèle une veine « politique » en dirigeant Jacques Brel dans Les Assassins de l’ordre, récit d’une bavure étouffée par la justice. Après La Merveilleuse visite, fable influencée par le Théorème de Pasolini, Carné consacre un documentaire à des fresques bibliques. Après quoi le cinéaste passera les dernières années de sa vie à essayer de mettre sur pied le film Mouche qui, malheureusement, ne verra jamais le jour. [Collection Gabin – L’Air de Paris – Eric Quéméré (n°20 – 2006)]
Un hommes d’honneurs – Si Carné renoue rarement avec le succès public après la guerre, il reçoit néanmoins plusieurs distinctions. Celui qui s’était vu décerner en 1938 le Prix Louis Delluc ainsi qu’une mention spéciale à Venise pour Quai des brumes, décroche en 1953 un Lion d’Argent dans ce même festival pour Thérèse Raquin. En 1971, il reçoit également un Lion d’Or pour l’ensemble de sa carrière, et un César d’honneur en 1979. Décidément très apprécié à la Mostra de Venise, Carné voit aussi deux de ses acteurs récompensés par un Prix d’interprétation : Jean Gabin (L’Air de Paris) et Annie Girardot (Trois chambres à Manhattan).
Marcel Carné illustre parfaitement cette école – ou cette tendance – dite du « réalisme poétique », qui marqua si profondément le cinéma français de la fin des années 30. Une tendance dont on retrouve l’influence dans les domaines les plus divers de la vie artistique, et qui donnera aux œuvres de cette période troublée de l’avant-guerre une atmosphère tout à fait caractéristique. Pour sa part cependant, Carné préférait parler de « fantastique social », reprenant ainsi une expression de Pierre Mac Orlan.Après Les Enfants du paradis et quelques chefs-d’œuvre, le tandem Marcel Carné-Prévert se reconstitue pour un nouveau film, Les Portes de la nuit, avec Jean Gabin et Marlène Dietrich en vedettes. Mais au dernier moment, ils abandonnent le projet. Ils vont être remplacés par deux comédiens quasi-débutants : Yves Montand et Nathalie Nattier.Des retrouvailles entre Marcel Carné et Jean Gabin naît un film qui impose l’acteur dans un nouvel emploi et marque sa renaissance au cinéma français. L’association avec Prévert est terminée – même si le poète, sans être crédité au générique, signe encore quelques dialogues de haute volée. Carné adapte un beau « roman dur » de Simenon, tourné in situ, entre Port-en-Bessin et Cherbourg…Cette histoire d’adultère qui tourne mal est consciencieusement calligraphiée dans l’atmosphère des studios de l’après-guerre. Le Lyon des années 1950 prête, par instants, sa noirceur poisseuse à ce récit cadenassé. Le cinéaste s’intéresse peu à Simone Signoret, préférant s’attarder sur le physique avantageux de Raf Vallone, camionneur de choc, face à un Jacques Duby anémié à souhait, modèle du mari insipide. La vie a déserté ce cinéma étriqué, dépourvu de générosité et, finalement, d’intelligence.A l’automne 1953, le nouveau film de Marcel Carné, Thérèse Raquin, reçoit un excellent accueil. C’est donc avec confiance que le réalisateur se lance avec le scénariste Jacques Viot dans un nouveau projet : l’histoire d’un entraîneur de boxe qui jette son dévolu sur un jeune ouvrier pour en faire son poulain. Carné est à l’époque un passionné de boxe.
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