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JEAN GABIN: FLICS ET VOYOUS
En 1955, Razzia sur la chnouf vient confirmer une nouvelle tendance du cinéma hexagonal : celle des polars peuplés de malfrats et d’inspecteurs de choc. Un univers inspiré du cinéma américain, mais dont une poignée de cinéastes français vont s’emparer avec brio.
Le genre policier est presque aussi vieux que le cinéma lui-même, et Louis Feuillade remportait déjà un immense succès dans les années 1910 avec la mythique série des Fantômas. Mais c’est malgré tout au sortir de la Seconde Guerre mondiale que les histoires « de gendarmes et de voleurs » vont se rapprocher du style de films que l’on connaît aujourd’hui. Notamment grâce à deux des réalisateurs les plus importants de l’époque : après avoir contribué à faire de Jean Gabin une star à la fin des années 1930, Julien Duvivier mène une courte carrière hollywoodienne pendant la guerre, puis rentre en France en 1946 pour y tourner Panique. Dans ce film interprété par Michel Simon et Viviane Romance, le cinéaste part du meurtre d’une vieille femme pour livrer en réalité une étude de mœurs des plus acerbes. L’année suivante, le tableau ne sera guère plus brillant dans Quai des orfèvres, bien que le ton du film d’Henri-Georges Clouzot soit proche de la comédie noire. Le réalisateur s’était déjà illustré en 1942 avec L’Assassin habite au 21, puis un an plus tard avec Le Corbeau, chronique d’un village miné par la délation. Mais, s’ils sont bâtis sur des intrigues policières, ces films ne donnent pas lieu pour autant à une véritable renaissance du genre: il faudra pour cela attendre les années 1950.
Sous l’influence des films noirs hollywoodiens qui ont déferlé depuis la Libération, un nouveau style de films va en effet voir le jour : le « polar à la française ». Alors que pour les œuvres évoquées plus haut, Duvivier avait adapté Georges Simenon, et Clouzot un autre auteur belge du nom de Stanislas-André Steeman, Jacques Becker porte à l’écran en 1954 Touchez pas au grisbi, un roman d’Albert Simonin dont la langue argotique et l’univers violent se rapprochent en fait de grands romanciers américains tels que Dashiell Hammett et James M. Cain. En outre, Becker va être le premier à s’essayer au niveau de la mise en scène à ce mélange de réalisme et d’esthétisme propre aux films policiers américains. Le résultat tranchera tellement avec ce que l’on connaissait jusqu’alors que Touchez pas au grisbi semblera plus proche de The Asphalt Jungle que d’un bon vieux polar français d’avant-guerre… Signe des temps, le film connaît à sa sortie un véritable triomphe, qui incite aussitôt d’autres réalisateurs à s’engouffrer dans la brèche.
Dès 1955, plusieurs polars puisant dans cette veine vont donc se succéder. L’américain Jules Dassin réalise un coup de maître en signant Du rififi chez les hommes, film de braqueurs typiquement « parigots ». De son côté, Henri Decoin réitère la formule magique de Touchez pas au grisbi en réunissant à nouveau Gabin et Lino Ventura dans Razzia sur la chnouf, adapté cette fois d’Auguste Le Breton. Simonin et Le Breton deviennent d’ailleurs les auteurs les plus prisés du moment. Mais le roi incontesté de ce nouveau genre sera Gabin lui-même : alternant les rôles de commissaires et de truands, l’acteur tournera, entre autres, Le Rouge est mis et Le Désordre et la nuit. Cette nouvelle tendance du cinéma français offre également à de nouveaux venus de faire leurs preuves, tels Jean-Pierre Melville (Bob le flambeur, Le Doulos), Louis Malle (Ascenseur pour l’échafaud) ou Édouard Molinaro (Un Témoin dans la ville). Autant de noms qui, en moins d’une décennie, ont durablement régénéré le cinéma hexagonal.
La vague de polars français qui surgit au milieu des années 1950 doit énormément à deux romanciers ayant fait de l’argot de la pègre leur marque de fabrique : Albert Simonin et Auguste Le Breton. Le premier lance le mouvement en cosignant avec Jacques Becker et Maurice Griffe le scénario de Touchez pas au grisbi, d’après son propre roman : il poursuivra notamment avec Des femmes disparaissent et Le Cave se rebiffe. Quant à Le Breton, il fait une entrée fracassante dans le monde du cinéma en signant trois films essentiels de 1955 : Du rififi chez les hommes, Bob le flambeur et Razzia sur la chnouf. [Eric Quéméré – Collection Gabin – 2005]
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