duminică, 12 martie 2023

BARBARA STANWYCK

 


LES ACTRICES ET ACTEURS

BARBARA STANWYCK

Orpheline à 3 ans, Barbara Stanwyck a forgé sa gloire avec des rôles de femmes affrontant seules la grande comédie de la vie, quelquefois armées de leur charme, et souvent fortes d’un courage un peu désespéré. Plus humble que ne le suggérait son nom flamboyant comme les néons de Times Square, elle fut l’une des premières dames du cinéma américain pendant trente ans. Elle avait une aptitude inégalable à faire de tout destin féminin un spectacle bouleversant. Chaque fois qu’Hollywood inventait ou réinventait un genre, Barbara Stanwyck y prenait une place éminente. Elle est la vedette captivante et déterminée de sulfureux films pré-Code, de poignants mélodrames, de désopilantes screwball comedies, de vénéneux films noirs ou d’épiques westerns. Toujours volontaire mais rarement épargnée par le doute, elle donne authenticité et consistance à des œuvres majeures dans chacun de ces genres. Contrairement à Joan Crawford qui transmet à tous ses personnages le parfum amer de son égoïsme pathologique, Barbara Stanwyck irradie autant de générosité que de force, sauf dans quelques films noirs où elle joue des monstres d’anthologie. Elle sut être avec un égal bonheur la mère sacrifiée de Stella Dallas ou l’inflexible patronne de ranch de Forty Guns. Les réalisateurs l’aimaient si unanimement qu’on se demanderait presque si elle ne sacrifiait pas trop ses intérêts propres à ceux du film. Elle joue avec retenue et naturel, mais paie toujours de sa personne, Y compris dans les rôles de western où il faut monter à cheval, ce qu’elle fait mieux qu’aucune autre actrice. Son agilité physique, sa nature instinctive et une présence limitée de l’héritage européen dans son art en font l’une des premières stars viscéralement américaines, avant Marilyn Monroe. Elle eut d’abord des contrats non exclusifs avec la Columbia et la Warner, puis se rapprocha de la RKO et de la Paramount, toujours de manière non exclusive. Trop peu liée aux studios pour que l’un d’eux fasse campagne en sa faveur au moment des oscars, un peu négligée par la postérité en Europe, elle mérite pourtant sa place à l’étage le plus élevé du panthéon des actrices. [Barbara Stanwyck, et du malheur naquit une étoile – Hollywood, la cité des femmes – Antoine Sire – Ed.Institut Lumière / Actes Sud (2016)]


Barbara Stanwyck a commencé jeune à interpréter des femmes au passé chargé. Elle disait : « J’ai eu une enfance terrible. Disons que « pauvre » est un mot que je peux comprendre. » Originaire de Brooklyn, née en 1907 sous le nom de Ruby Stevens, elle était la fille d’un aventurier qui saisissait le moindre prétexte pour mettre de la distance entre lui et sa famille. Sa mère mourut quant elle avait 3 ans, poussée accidentellement d’un tramway en marche par un passager ivre. Deux semaines après les funérailles, le père de la petite Ruby fut enrôlé pour les travaux du canal de Panama et elle fut placée sous la garde de sa sœur Millie, danseuse de revue – chorus girl. Jolie tête et jambes agiles, son avenir s’impose presque comme une fatalité. Elle sera chorus girl, elle aussi.

Dès 1922, elle fait partie des Ziegfeld Follies : une cruelle école qui apprend à danser, à chanter, à jouer la comédie et à endurer avec philosophie les mains baladeuses. Elle obtient un rôle de vraie comédienne en 1926 à Broadway, dans une pièce intitulée The Noose. Son auteur, Willard Mack, lui trouve un nom de scène en feuilletant un programme vieux de trente ans, celui de Barbara Fritchie, une pièce interprétée par Jane Stanwyck. Celle qui s’appelle désormais Barbara Stanwyck rencontre le comédien de théâtre Frank Fay, surnommé « le roi du vaudeville ». Elle l’épouse en 1928. Il aidera sa femme dans sa carrière, lui conseillant notamment de ne pas se lier de manière exclusive à un studio, ce qui lui permettra de travailler à la fois pour la Columbia et la Warner dès le début des années 1930. Mais le déclin de sa propre carrière contribuera à transformer Frank Fay en mari alcoolique et violent. Barbara Stanwyck fait ses débuts au cinéma en 1927 dans Broadway Nights (Joseph Boyle), dont il n’existe aujourd’hui plus de copie, mais son premier film parlant est The Locked Door (Le Signe sur la porte, 1929). Son réalisateur, George Fitzmaurice, se plaignit de ce qu’il ne parvenait pas à rendre belle cette actrice imposée par le producteur Joe Schenck. Elle tient pourtant son rôle avec toute la finesse qu’autorise le scénario abracadabrant.



« Et puis il y eut Barbara Stanwyck, qui était destinée à être chérie de tous les metteurs en scène, acteurs, techniciens et figurants » :  ainsi Frank Capra résume-t-il l’arrivée dans sa vie de celle qui allait accompagner ses premiers succès. Une première rencontre entre Capra et Stanwyck avait eu lieu quelques jours plus tôt, à l’initiative d’Harry Cohn, le patron de la Columbia. Les deux protagonistes, sentant qu’on leur forçait la main, s’étaient rencontrés dans un climat renfrogné qui n’avait débouché sur rien. Capra avait déclaré à Harry Cohn : « Ta Stanwyck, tu peux te la garder. Ce n’est pas une actrice, c’est un porc-épic. » La seconde tentative fut la bonne. « Naïve, très nature, indifférente aux questions de maquillage, cette chanteuse de music-hall pouvait vous bouleverser jusqu’au tréfonds de votre être », disait Capra pour résumer les qualités de la jeune actrice.

Capra lui confie le rôle principal de son premier film entièrement parlant, Ladies of Leisure (Femmes de luxe, 1930). Elle joue une party girl, une jeune fille que de riches fêtards peuvent louer pour les accompagner lorsqu’ils se rendent à une soirée. Elle rencontre un fils de famille aspirant à devenir peintre. C’est un film raffiné dans lequel se déploient, dès les cinq premières minutes, plusieurs thèmes qui seront centraux dans l’œuvre de Capra, comme l’indifférence des riches pour les plus pauvres, ou encore la fascination pour New York. Par sa diction sans emphase et son jeu en finesse, Barbara Stanwyck s’y impose comme l’une des premières vraies actrices du cinéma parlant. Son personnage de Ladies of Leisure, dont l’origine est modeste mais dont les sentiments sont nobles, préfigure un grand nombre de rôles qu’elle jouera pendant la première partie de sa carrière.

Son deuxième film avec Capra est The Miracle Woman (1931). Il débute par un exceptionnel morceau de bravoure de la comédienne : dans une église, elle lit avec gravité l’ultime sermon rédigé par son père pasteur, qui vient d’être écarté en faveur d’un prêtre plus jeune, puis annonce avec colère à l’assistance le décès de ce père, épuisé par les bontés qu’il dispensait sans retour à ses paroissiens. Elle excelle dans un personnage ambigu : la « femme miracle » se laisse porter par son succès, mais n’éprouve que dégoût pour les manières de son mentor, un charlatan cupide qui soudoie de faux miraculés et contre lequel elle finit par se rebeller. Le troisième film de Capra avec Barbara Stanwyck, le beau Forbidden (Amour défendu, 1932), est un mélodrame sentimental qui s’inspire librement de Back Street, roman de Fannie Hurst qui est officiellement adapté à l’écran la même année par John M. Stahl. Elle incarne une femme intelligente et cultivée, qui a la capacité d’assurer son indépendance matérielle et possède un caractère affirmé. [Barbara Stanwyck, et du malheur naquit une étoile – Hollywood, la cité des femmes – Antoine Sire – Ed.Institut Lumière / Actes Sud (2016)]



Avec Capra, Barbara Stanwyck tourne encore The Bitter Tea of General Yen (La Grande Muraille, 1933), un mélodrame sentimental tiré d’une œuvre de Grace Zarin Stone, romancière qui mourra centenaire en 1991 ! Le film fut mal accueilli par le public américain de l’époque, sans doute parce qu’une femme blanche se laisse séduire par un homme d’une autre race. Ce n’est toutefois pas aux États-Unis qu’il fut le plus ouvertement critiqué sur ce point mais dans l’Empire britannique, où la censure exigea plusieurs coupes. Huit ans plus tard, Capra réalise un dernier film avec Barbara Stanwyck : Meet John Doe (L’Homme de la rue). Elle joue une journaliste qui, pour échapper au chômage, invente la fausse lettre ouverte d’un homme sans emploi : il menace de se suicider pour protester contre la marche du monde. Il est désormais loin, le temps où la sensualité retenue de Barbara Stanwyck constituait la principale attraction des films de Capra. Mais sa technique de comédienne lui permet de rendre émouvant le rôle difficile d’une débrouillarde cynique qui se mue en amoureuse sincère. En 1945, elle interprétera un autre rôle de journaliste mystificatrice, mais sur un mode plus léger, dans la comédie Christmas in Connecticut de Peter Godfrey.



En 1932, Jo Swerling et Robert Riskin, les deux scénaristes attitrés de Capra, écrivent ensemble Shopworn, film réalisé par Nick Grinde qui s’appuie sur la personnalité déterminée et l’aplomb intraitable de Barbara Stanwyck. Serveuse qui sait résister aux mains baladeuses, elle tombe sous le charme d’un étudiant en médecine jalousement couvé par sa mère. Celle-ci fait tout pour empêcher leur mariage, n’hésitant pas à envoyer un juge proposer de l’argent à la jeune femme pour qu’elle quitte la ville. C’est une Barbara Stanwyck moins intègre mais non moins fière qui affronte à nouveau la justice dans Ladies They Talk About (1933) de Howard Bretherton et William Keighley, un « film de femmes en prison » à l’univers canaille et sexué typique de la Warner à l’ère pré-Code.

Baby Face (Liliane, 1933) d’Alfred E. Green est l’un des meilleurs films et l’un des  plus sauvagement amoraux de la période pré-Code« Dans le premier quart d’heure de ce film, je crois qu’une bonne douzaine d’articles de Code Hays sont passés à tabac ! » a résumé Bertrand Tavernier. Barbara Stanwyck yinterprète une vraie garce professionnelle. « C’est une femme dure qui veut tout et qui le prend, que cela blesse quelqu’un ou pas, disait l’actrice à propos de ce rôle. Élevée dans un bar minable des faubourgs de Pittsburgh où son père la pousse à se prostituer, elle puise sa force en lisant La Volonté de puissance de Nietzsche et en appliquant de manière… très personnelle les préceptes du philosophe allemand. À son indigne géniteur elle lance : « Oui, je suis une traînée. Mais à qui la faute ? À mon père. C’est un beau départ, que tu m’as donné ! Rien que des hommes répugnants, et tu es le pire de tous. Je te haïrai toute ma vie. »

Dans Gambling Lady (Franc Jeu, 1934) d’Archie Mayo, Barbara Stanwyck est une joueuse professionnelle qui ne veut pas céder à la tentation de la tricherie, Elle épouse un bel homme fortuné interprété par Joel McCrea – c’est le premier des six films qu’elle tournera avec lui – et doit faire face aux manigances d’une rivale interprétée par Claire Dodd. Dans The Secret Bride (Mariage secret, 1934) de William Dieterle, elle a épousé un procureur (Warren William). Or, celui-ci doit instruire une affaire de corruption où tout accuse le père de son épouse. La jeune femme est pourtant convaincue de son innocence… Après ce film qui sollicite peu ses talents d’actrice, Barbara Stanwyck se sent frustrée à la Warner, avec laquelle elle est sous contrat non exclusif. Après un dernier film pour le studio (The Woman in Red – La Dame en rouge, de Robert Florey), elle reprendra son indépendance, qu’elle conservera jusqu’à la fin de sa carrière. Elle retournera à la Warner pour plusieurs films, dont la comédie Christmas in Connecticut qui sera un énorme succès. [Barbara Stanwyck, et du malheur naquit une étoile – Hollywood, la cité des femmes – Antoine Sire – Ed.Institut Lumière / Actes Sud (2016)]



Casse-cou passionné d’aventure et d’aviation, engagé dans la Légion étrangère pendant la Première Guerre mondiale, auteur d’éblouissantes scènes d’action dès 1927 dans Wings (Les Ailes)« Wild Bill » Wellman revendiquait sa virilité au point d’avoir refusé une carrière d’acteur parce qu’il jugeait ce métier trop efféminé ! Il était exaspéré par l’obsession de leur apparence qui hante certaines comédiennes, mais sa caméra ne manquait jamais une cuisse accorte ni une rondeur appétissante, contribuant à sa réputation de cinéaste macho. Wellman adorait Barbara Stanwyck, à la fois parce qu’elle était à sa place dans ses chroniques musclées, et parce qu’elle connaissait sur le bout du doigt non seulement son rôle, mais celui des comédiens qui lui donnaient la réplique. Entre 1931 et 1943, « Wild Bill » dirigera Barbara Stanwyck dans cinq films où elle incarne des femmes à l’attitude discrète mais aux idéaux élevés.

Dans le très rythmé Night Nurse (L’Ange blanc, 1931), elle est une infirmière astucieuse et dévouée qui se dresse contre les manigances d’un chauffeur joué par un Clark Gable sans moustache et sans scrupule, dont c’est un des premiers rôles. Ce film, l’une des productions de, la Warner à toile de fond « sociale » les plus réussies, en dit long sur la condition des femmes au travail à l’époque et leur exploitation par les hommes… Si la rage de l’actrice crève l’écran sans être surjouée, c’est probablement parce qu’elle est puisée dans les rudes situations qu’elle a rencontrées dans sa jeunesse… Barbara Stanwyck semble toujours utiliser les expériences de sa propre vie pour nourrir son jeu, avec une efficacité dépourvue de narcissisme. Dans The Purchase Price (1932), son deuxième film avec Wellman et sans doute le moins bon, elle incarne une chanteuse qui décide de fuir le gangster dont elle est la maîtresse pour épouser un fermier du Dakota du Nord.

Dans So Big ! (Mon grand, 1932), sorti la même année, Barbara Stanwyck incarne sur plus de vingt ans une femme lumineuse et indomptable. Le talent de Barbara Stanwyck pour exprimer les douleurs les plus fortes s’impose dès le début du film, dans une scène poignante où elle est confrontée à la dépouille de son père. À l’exception d’Hollywood Canteen (1944), qui rassemble le Tout-Hollywood pour soutenir le moral des troupes en guerre, So Big ! est le seul film où Bette Davis (encore actrice de second plan à l’époque) côtoie Barbara Stanwyck. Elles n’apparaissent jamais simultanément à l’écran.

Dans The Great Man’s Lady (L’Inspiratrice, 1942), qui est construit en flash-back, Barbara Stanwyck apparaît en vieille dame centenaire un jour de commémoration. Elle chasse les reporters qui veulent lui extorquer des confidences sur le passé. Lady of Burlesque (L’Étrangleur, 1943) est le dernier film que l’actrice tourne sous la direction de Wellman. Une nouvelle fois, les souvenirs de jeunesse de la véritable Barbara Stanwyck sont mis en abyme dans un film, mêlés ici à une affaire de meurtre et aux rivalités qui existent entre les différents membres de la troupe d’un théâtre « burlesque » plutôt miteux. Elle incarne une meneuse de revue. On la voit danser et même faire le grand écart avec une facilité qu’aucun de ses autres films ne laisse deviner, héritée sans doute de son passage à la dure école des Ziegfeld Follies ! Associée au comique de service (Michael O’Shea), elle s’emploie à démasquer le meurtrier.



Petit à petit, la filmographie de Barbara Stanwyck l’installe dans un personnage proche de ce qu’elle était dans la réalité : celui d’une femme qui se bat non pour changer le monde mais pour se protéger du malheur et se frayer un chemin dans la jungle de la vie. Dans Illicit (1931) d’Archie Mayo, elle est une jeune femme de milieu aisé, qui aurait voulu vivre sa passion pour un homme sans être prisonnière de l’institution du mariage. Dans l’émouvant mélodrame Ever in My Heart (Toujours dans mon cœur, 1933), également d’Archie Mayo, elle incarne une femme mariée en 1909 à un professeur allemand, que la Première Guerre mondiale va rejeter dans le camp adverse. En 1936, Barbara Stanwyck interprète deux femmes impliquées dans des guerres d’indépendance : celle de Cuba dans A Message to Garcia (Message à Garcia) de George Marshall et celle d’Irlande dans The Plough and the Stars (Révolte à Dublin) de John Ford.

En 1937, Barbara Stanwyck joue dans Stella Dallas, réalisé par King Vidor. Ce film veut montrer qu’une femme, en se mariant hors de son milieu d’origine, se destine à toute une vie de douleur. Au-delà de ce message assez contradictoire avec les rêves d’ascension sociale habituellement promus par Hollywood, Stella Dallas est l’archétype du woman’s picture de l’époque du Code Hays, compensant la pruderie des décolletés par une débauche de sacrifices et de sentiments, mobilisant de grands talents d’Hollywood au service d’un lyrisme exacerbé pour séduire les foules. Barbara Stanwyck interprète une jeune femme qui rêve de quitter son milieu ouvrier, mais qui, lorsqu’elle épouse un homme de la haute société, ne parvient ni à changer sa personnalité ni à se passer des plaisirs du peuple, incarnés par un ami vulgaire avec qui elle aime danser (Alan Hale). Son mariage n’y résiste pas… La réussite est totale. Le jeu de Barbara Stanwyck contribue à tempérer les excès du genre mélodramatique. Elle incarne avec réalisme toutes les facettes d’un personnage complexe, et prend soin de ne pas « surcharger » d’émotions théâtrales le dénouement sacrificiel.

Barbara Stanwyck occupe le haut de l’affiche de plusieurs autres drames psychologiques et mélodrames, avec des fortunes diverses. Dans Golden Boy (L’Esclave aux mains d’or, 1939), film de Rouben Mamoulian tiré d’une pièce de Clifford Odets qui avait connu un gros succès à Broadway, elle joue la muse d’un jeune homme incarné par William Holden, qui à 21 ans arbore un air post-adolescent. Barbara Stanwyck poursuivra dans sa veine mélodramatique avec un résultat artistiquement meilleur dans The Other Love (L’Orchidée blanche, 1947) d’André de Toth, produit par le studio Enterprise et tiré d’une nouvelle d’Erich Maria Remarque. Comme Bette Davis dans Dark Victory, Barbara Stanwyck incarne une femme atteinte d’une maladie incurable qui épousera son médecin. La dernière scène du film montre Barbara Stanwyck, vivante, auprès de son époux qui joue du piano. Citée par son biographe Dan Callahan, l’actrice fut surprise par cette fin qui n’en est pas une lorsqu’elle regarda le film à la télévision : « The Other Love, avec David Niven, comportait une dernière scène dramatique, où je meurs de la tuberculose. Juste avant ma mort, Niven me parle, Il sait que je meurs et je le sais aussi. Ce fut très difficile à faire. À la télévision, juste au milieu de la scène, alors que je cherche ma respiration, le film s’arrête, la mort a été coupée. J’ai l’air d’une idiote. » Le dénouement qu’avait tourné Barbara Stanwyck et où elle mourait semble aujourd’hui perdu. [Barbara Stanwyck, et du malheur naquit une étoile – Hollywood, la cité des femmes – Antoine Sire – Ed.Institut Lumière / Actes Sud (2016)]



À partir du milieu des années 1930, la comédie permet à Barbara Stanwyck de renouveler son jeu et de donner une facette légère à son personnage, tout en cultivant avec « glamour » une image de femme décidée et intelligente. Henry Fonda, visiblement ravi de jouer les benêts à ses côtés, y sera son partenaire le plus marquant. Mais Barbara Stanwyck ne s’impose pas immédiatement dans ce genre. Parmi ses premiers essais figure Red Salute (Mexico et retour, 1935) de Sidney Lanfield, une comédie furieusement anticommuniste qui ressortira en 1948, dans le climat paranoïaque de la guerre froide, sous le titre Her Enlisted Man. En 1936, elle joue dans Banjo on My Knee (Saint-Louis Blues), un curieux film de John Cromwell, aux confins du divertissement, du drame et du film folklorique. Il débute par le joyeux mariage de la jeune femme avec Joel McCrea sur les bords du Mississippi. Mais le mari prend la fuite dès la nuit de noces, persuadé à tort d’avoir tué un convive de la fête, il part en mer pendant plusieurs mois… Ce film donne l’occasion à Barbara Stanwyck de chanter une chanson avec Tony Martin et d’esquisser quelques pas de danse avec Buddy Ebsen, au son du jazz Nouvelle-Orléans.

En 1936 également, Barbara Stanwyck joue pour la RKO dans The Bride Walks Out (Carolyn veut divorcer) de Leigh Jason. Cette comédie de la Grande Dépression, bien accueillie par la critique et par le public, est révélatrice du peu de cas que l’opinion dominante en Amérique faisait de l’indépendance de la femme ! Avec Breakfast for Two (Déjeuner pour deux), tourné l’année suivante, les stéréotypes sont au service d’une morale plus anticonformiste. Aussitôt après avoir joué dans le mélodramatique Stella Dallas, Barbara Stanwyck partage l’affiche avec Herbert Marshall dans cette comédie débridée d’Alfred Sante. Avec un naturel jubilatoire, elle incarne une héritière décidée à utiliser sa fortune pour conquérir le cœur d’un play-boy décadent et foncièrement misogyne, et le transformer non seulement en businessman respectable mais en mari idéal.

À nouveau dirigée par Leigh Jason, elle joue en 1938 dans The Mad Miss Manton (Miss Manton est folle). Dans ce film à l’intrigue embrouillée mais aux dialogues vraiment drôles, elle pétille de malice en jeune extravagante fortunée, décidée à élucider une énigme criminelle à la tête d’une bande d’amies écervelées et snobs. Tout le monde la prend pour une folle, à commencer par un journaliste incarné par Henry Fonda… qui tombe béatement amoureux d’elle. Dans Remember the Night (L’Aventure d’une nuit, 1940) de Mitchell Leisen, Barbara Stanwyck interprète une voleuse qui noue une idylle avec un procureur adjoint célibataire (Fred MacMurray). C’est une comédie romantique, émouvante mais pas mièvre. Habillée par Edith Head avec un raffinement sans ostentation, Barbara Stanwyck a rarement été plus délicieuse. Le tournage fut bouclé avec huit jours d’avance et coûta 50000 dollars de moins que prévu, un fait exceptionnel. Mitchell Leisen attribuait entièrement ce résultat à la parfaite maîtrise que l’actrice avait de son rôle dès la première prise, donnant un exemple que tous les autres acteurs se mettaient en devoir de suivre. C’est le premier de ses quatre films avec Fred MacMurray, tous seront importants et chacun lui donnera l’occasion d’incarner une femme très différente.

Pendant le tournage de Remember the Night, Preston Sturges prend l’engagement d’écrire et de réaliser pour Barbara Stanwyck une vraie screwball comedy. L’actrice doute toujours de ses talents comiques. Sturges répond à son scepticisme en lui proposant en 1941 l’excellent The Lady Eve (Un cœur pris au piège), où elle réalise la meilleure prestation de sa carrière dans ce registre. Elle y retrouve un Henry Fonda particulièrement brillant dans le rôle d’un fils de famille plutôt niais, qui se prend pour le meilleur spécialiste mondial des serpents. La composition du rôle de la lady est jubilatoire pour Barbara Stanwyck, qui a appris très jeune à domestiquer son accent populaire de Brooklyn pour jouer les femmes de la bonne société. Après 1940, elle fit beaucoup de ses films importants à la Paramount. Elle y appréciait particulièrement la responsable des costumes, Edith Head, qui a partir de The Lady Eve lui dessina des vêtements donnant l’impression qu’elle avait des jambes plus élancées qu’elles ne l’étaient en réalité. Après ce film même lorsqu’elle tourna pour d’autres studios, la star demanda a être habillée chaque fois que possible par Edith Head. Barbara Stanwyck avait compris l’importance du style vestimentaire pour une actrice, et cette collaboration lui permit d’introduire de la cohérence dans ses apparitions, alors même qu’elle n’était pas suivie par le département costumes d’un studio en particulier.

Devenue très amie avec Henry Fonda, Barbara Stanwyck le retrouvera encore en 1941 pour une comédie : You Belong to Me (Tu m’appartiens) de Wesley Ruggles. Et toujours en 1941, elle tourne Ball of Fire (Boule de feu) de Howard Hawks, une transposition comique et moderne du mythe de Blanche Neige écrite par Charles Brackett et Billy Wilder. Avec Flesh and Fantasy (Obsessions, 1943), film à sketches de Julien Duvivier, elle fait l’une de ses rares incursions dans l’univers du fantastique : elle est la femme apparue dans le cauchemar – peut-être prémonitoire – d’un funambule interprété par Charles Boyer. En 1945, alors qu’elle vient de s’imposer comme star du film noir dans Double Indemnity (Assurance sur la mortBilly Wilder, 1944), elle remporte un de ses plus grands succès publics dans la comédie Christmas in Connecticut de Peter Godfrey. Célibataire bohème et incapable de faire la cuisine, elle tient pour un magazine une chronique racontant sa vie familiale, remplie de joies gastronomiques, dans une ferme du Connecticut. Cette comédie sans grande audace de la Warner met le doigt sur le caractère mensonger du rêve de papier glacé colporté par les magazines. Barbara Stanwyck est délicieuse en célibataire plus toute jeune qui se retrouve brusquement affublée d’un faux mari et d’un vrai soupirant… [Barbara Stanwyck, et du malheur naquit une étoile – Hollywood, la cité des femmes – Antoine Sire – Ed.Institut Lumière / Actes Sud (2016)]



Dans les années 1940, Barbara Stanwyck participe à de nombreux thrillers, dont Cry Wolf (Le Loup des sept collines, 1947) de Peter Godfrey, avec Errol Flynn. Malgré une histoire à dormir debout, l’unique rencontre entre ces deux géants, dans l’ambiance cotonneuse d’un mystérieux manoir, présente un certain charme. La même année, l’actrice partage l’affiche avec Humphrey Bogart dans un film également signé de Peter Godfrey, The Two Mrs. Carrolls (La Seconde Madame Carroll, 1947). Elle doit affronter un mari (Bogart) qui a déjà empoisonné sa première épouse. Ce film obtiendra un grand succès commercial, mais il est trop mal écrit et platement réalisé pour pouvoir concurrencer les modèles du genre que sont Dragonwyck (Le Château du dragon, 1946) de Mankiewicz et Gaslight (Hantise, 1944) de Cukor.

Dans le bien meilleur Sorry, Wrong Number (Raccrochez, c’est une erreur, 1948) d’Anatole Litvak, Barbara Stanwyck interprète un extraordinaire personnage de femme rongée par la paranoïa, dont les angoisses vont s’avérer justifiées. Vissée à son lit par une supposée maladie, accrochée à ses potions et à son téléphone, elle se retrouve par hasard connectée à une conversation entre deux hommes préparant un crime. Elle découvre peu à peu que c’est elle qu’on veut assassiner. C’est sans doute avec ce rôle d’hystérique que Barbara Stanwyck est passée le plus près de l’oscar, mais il se refusera toujours à elle : outre Sorry, Wrong Number , elle fut nommée pour Stella DallasBall of Fire et Double Indemnity. N’étant liée par contrat à aucun des grands studios, Barbara Stanwyck ne bénéficia jamais des campagnes d’influence orchestrées par ceux-ci pour leurs vedettes maison. Poursuivie au cinéma par des maris criminels, Barbara Stanwyck n’est pas heureuse en ménage dans la vraie vie : après son divorce avec Frank Fay, son agent Zeppo Marx lui présente un autre de ses protégés, Robert Taylor, de quatre ans plus jeune qu’elle. Taylor était totalement sous l’emprise d’une mère abusive, et sa complicité avec Barbara Stanwyck l’aida à s’en échapper. Elle l’appelle « Junior », il l’appelle « The Queen ». Ils tourneront deux films ensemble en 1936 et 1937. Dans His Brother’s Wife (La Fièvre des tropiques) de W. S. Van Dyke, Barbara Stanwyck tombe amoureuse d’un médecin (Robert Taylor), mais, pour des raisons que le critique du New York Times jugeait « jamais sérieusement expliquées », elle choisit d’épouser son frère.

Dans This is My Affair (Sa dernière chance, 1937) de William A. Seiter, Barbara Stanwyck incarne une chanteuse de la Belle Époque, égérie d’un groupe de voleurs de banques. Robert Taylor, chargé personnellement par le président McKinley d’infiltrer le gang, tombe amoureux de la jeune femme, puis participe à un cambriolage qui lui vaut d’être arrêté et condamné à la pendaison, avec un autre agent (Victor McLaglen). Dans ce film où Taylor et McLaglen sont en vedette, Barbara Stanwyck est inhabituellement effacée, la caméra s’attachant surtout à mettre en valeur son allure romantique en habits de la Belle Époque. Elle chante sans doublage sur la scène d’un music-hall, et plutôt bien. Mais, peu habituée à cet exercice devant la caméra, elle a demandé à Taylor de quitter le plateau pendant le tournage.

Dans East Side, West Side (Ville haute, ville basse, 1949) de Mervyn LeRoy, Barbara Stanwyck incarne l’épouse aimante et bafouée d’un sex-addict interprété par James Mason. Elle partage, sans qu’aucune fasse de l’ombre à son talent d’actrice, l’affiche avec les sculpturales Cyd Charisse, Beverly Michaels et Ava Gardner. Cette dernière vit à l’époque du tournage une aventure avec Robert Taylor – la réalité et la fiction se télescopent souvent dans la vie de Barbara Stanwyck. Elle divorce en 1951. Elle retrouvera son ancien mari au cinéma en 1964 pour The Night Walker (Celui qui n’existait pas). Dans ce thriller, Robert Taylor incarne un avocat machiavélique qui manipule les rêves de Barbara Stanwyck, dont c’est la dernière apparition sur grand écran.


Double Indemnity est un film noir fondateur de Billy Wilder, inspiré d’un roman de James M. Cain. Pour la première fois peut-être, on ne trouve dans la composition de Barbara Stanwyck aucune trace de tendresse ni d’humanité. Elle incarne Phyllis Dietrichson, une épouse infidèle et cupide. Pour toucher une police d’assurance libellée à son nom, elle fomente l’assassinat de son mari, par la main de Walter Neff, un inspecteur de la compagnie interprété par Fred MacMurray. Le talent de Barbara Stanwyck et le génie de Billy Wilder se rencontrent particulièrement à l’instant où Fred MacMurray commet son crime. La caméra s’attarde sur le regard, tout en jubilation contenue, d’une Barbara Stanwyck plus vénéneuse et fatale que jamais. Quels que soient les mérites de la réalisation, le travail de la comédienne est exceptionnel : lorsqu’elle lâche sur un ton presque anodin à Fred MacMurray « Nous sommes tous les deux pourris », elle est au zénith de son art, et le film noir, au sommet de sa ténébreuse magie. Dans ce film, Barbara Stanwyck est coiffée d’une perruque blonde qui ne fait pas l’unanimité. Pourtant, Wilder resta inflexible, car le caractère factice de la perruque était en harmonie avec la psychologie de ce personnage très nouveau pour Barbara Stanwyck. Le maquillage contribue également à la composition de l’actrice : en prolongeant le rouge au-delà de la limite supérieure des lèvres, il transforme et rajeunit son visage. Le chef-opérateur John F. Seitz joue un rôle essentiel dans la réussite du film, ce que soulignera Barbara Stanwyck elle-même : « La manière dont étaient éclairés les lieux, la maison, l’appartement de Walter, ces ombres, ces lamelles de lumière franche aux angles étranges : tout cela aida à ma performance. » Wilder avait absolument tenu à ce qu’elle joue le rôle de Phyllis Dietrichson, et ne regrettera pas un instant son choix.


Après Double Indemnity, Barbara Stanwyck incarne dans plusieurs films noirs des femmes associant des pulsions criminelles monstrueuses à des élans d’amour sincères : The Strange Love of Martha Ivers (L’Emprise du crime, 1946) de Lewis Milestone est un film à l’ambiance très sombre, sur un beau scénario de Robert Rossen. Barbara Stanwyck y interprète Martha Ivers, une femme d’affaires possédant à peu près toute la ville où elle habite. Elle a même fabriqué la carrière de magistrat de son mari (Kirk Douglas, dans un fascinant contre-emploi d’homme insipide). Mais le retour inattendu du garçon dont elle était amoureuse dans sa jeunesse (Van Heflin) va mettre au jour un crime oublié qu’elle a commis jadis. En 1949 elle joue dans deux films tout aussi pessimistes. Dans The File on Thelma Jordan (La Femme à l’écharpe pailletée) de Robert Siodmak, elle manipule un procureur adjoint, alcoolique et malheureux en ménage, qui tombe follement amoureux d’elle et réussit à la faire innocenter d’un crime.

Puis, dans The Lady Gambles (Une Femme joue son bonheur) de Michael Gordon. Barbara Stanwyck interprète une femme possédée par le démon du jeu : elle engloutit les économies de son couple et détruit peu à peu son avenir dans de sordides parties de dés qui se jouent dans les bas-fonds. Rarement elle aura incarné un personnage sombrant dans une telle déchéance… Dans Jeopardy (La Plage déserte, 1953), un petit bijou de thriller signé John Sturges, l’actrice joue au contraire une mère de famille « bien sous tous rapports ». Mais elle fait une mauvaise rencontre alors qu’elle était partie chercher du secours pour sauver son mari, piégé sur une plage par la chute d’un pilier en bois tandis que la marée monte. Dans Witness to Murder (Témoin de ce meurtre, 1954) de Roy Rowland, elle est le témoin gênant d’un assassinat perpétré dans l’appartement voisin du sien par un ancien nazi, joué par George Sanders. Dans Crime of Passion (Meurtrière ambition, 1957) de Gerd Oswald, elle incarne une journaliste à succès qui renonce à un poste à New York pour épouser un policier interprété par Sterling Hayden. Mais elle ne supporte ni le désœuvrement des femmes au foyer, ni le manque d’ambition de son mari : elle sombrera dans la frustration, la nymphomanie et finalement le crime. « Ne m’appelle pas mon ange, je déteste cela », avait-elle pourtant averti son brave loser de mari qui pensait encore pouvoir la rendre heureuse en lui offrant la vie sociale insipide d’une femme de flic… [Barbara Stanwyck, et du malheur naquit une étoile – Hollywood, la cité des femmes – Antoine Sire – Ed.Institut Lumière / Actes Sud (2016)]


Peu de grandes actrices sont aussi à l’aise avec les chevaux que Barbara Stanwyck. Dès Forbidden, elle montre ses talents de cavalière, dans une scène qui lui vaut pendant le tournage une blessure dont il lui restera des séquelles trente ans plus tard. Dans The Woman in Red (La Dame en rouge, 1935), réalisé par le Français d’Hollywood Robert Florey, Barbara Stanwyck incarne une jeune femme d’origine modeste qui monte des chevaux pour le compte de personnes fortunées. Ce film vaut surtout pour quelques scènes très bien filmées, notamment celle où Barbara Stanwyck quitte une soirée mondaine pour aller nourrir les chevaux à l’écurie : sa complicité avec les animaux est véritablement palpable. La même année, Barbara Stanwyck incarne Annie Oakley, une championne de tir pionnière des spectacles de cow-boys de Buffalo Bill, dans Annie Oakley (La Gloire du cirque) de George Stevens. Pleine à la fois de vigueur physique et de force intérieure, elle excelle dans ce rôle de femme tiraillée entre ses ambitions et son attirance pour son principal compétiteur, que joue Preston Foster. Le succès de ce premier film avec la RKO lui vaut un contrat non exclusif avec ce studio et un autre avec la Fox !

L’Ouest sauvage, ce monde d’hommes où seules les femmes dotées d’une volonté peu commune pouvaient maîtriser leur destin, fournira à Barbara Stanwyck bien d’autres occasions de jouer les femmes de caractère. Dans Union Pacific (Pacific Express, 1939) de Cecil B. DeMille, film consacré à la construction de la première ligne de chemin de fer traversant les États-Unis, sa trentaine juvénile lui permet d’incarner une enfant terrible de la prairie, fille pleine de tonus d’un conducteur de locomotive. En 1947, Barbara Stanwyck interprète une patronne de saloon dans California de John Farrow, le premier de ses films en couleurs – elle n’en tournera que six au total. Cette femme à la réputation sulfureuse perd son établissement au poker contre le déserteur Ray Milland, avec qui elle ne cesse de balancer entre l’amour et la haine. Elle porte avantageusement les superbes tenues de chanteuse de saloon dessinées par Edith Head et filmées en Technicolor. En revanche, son play-back est plutôt approximatif lorsqu’elle chante, doublée par la voix de Kay st. Germain… En 1950, Anthony Mann réalise The Furies (Les Furies), un mélange de western et de film noir dans lequel Barbara Stanwyck est opposée à son père (Walter Huston). Elle a une relation quasi incestueuse avec ce géniteur autocrate et manipulateur, qui règne sur un ranch vaste comme un pays. La force amère de Barbara Stanwyck élève au niveau de la tragédie classique la scène où elle affronte, à cheval, son père qui fait pendre son amant mexicain (Gilbert Roland).

En 1953, elle retrouve son partenaire de Double Indemnity, Fred MacMurray, pour un western en 3D de Roy Rowland, The Moonlighter (Le Voleur de minuit), dont le scénario est à nouveau signé Niven Bush. Ce film se déroule au début du XXe siècle et comporte une rareté pour un western : un hold-up en automobile. Également sorti en 1953, Blowing Wild (Le Souffle sauvage) d’Hugo Fregonese, western « moderne » qui se déroule dans les champs pétrolifères du Mexique. Barbara Stanwyck, femme d’Anthony Quinn, exploitant de puits de pétrole, sent son cœur chavirer lorsque son mari recrute Gary Cooper, dont elle était autrefois amoureuse. Cattle Queen of Montana (La Reine de la prairie, 1954) d’Allan Dwan est caractéristique de ce réalisateur, avec de très belles couleurs signées John Alton. Approchant une cinquantaine très bien conservée et teinte en roux, Barbara Stanwyck y partage l’affiche avec un fringant cavalier pas non plus tout neuf : Ronald Reagan, qui la regarde avec gourmandise prendre son bain dans une rivière. On retrouve Barbara Stanwyck et cette chevelure rousse dès l’année suivante dans un autre film de Dwan, Escape to Burma (Les Rubis du prince birman, 1955). Comme son titre l’indique, ce n’est pas du tout un western. Mais on y retrouve le génie de John Alton, qui, à l’aide de quelques plantes tropicales achetées chez les pépiniéristes voisins, reconstitue pour ce film l’une des jungles les plus élégantes de l’histoire d’Hollywood, à défaut d’être la plus crédible.

Il faudra attendre 1957 pour que Barbara Stanwyck joue son rôle le plus marquant dans un western, tourné en noir et blanc mais où les grands espaces sont magnifiés par le Cinémascope : Fort y Guns (Quarante Tueurs) de Samuel Fuller. Trois frères chasseurs de primes, dont l’aîné n’aspire plus qu’à une vie paisible, arrivent dans la ville de Tombstone, où règne une patronne de ranch interprétée par Barbara Stanwyck. Habillée en homme, vêtue de noir, elle est à la tête d’une horde de quarante pistoleros : la scène où on la découvre présidant la tablée qui réunit tous ses hommes est fascinante. Si dans ce film elle incarne une femme sur le retour dans un Far West déclinant, elle le fait avec un tonus époustouflant, qui donne toute sa crédibilité à son personnage. Elle réalise elle-même une cascade terrible, où un cheval au galop la traîne par les pieds pendant plusieurs secondes ! « Non seulement Stanwyck a fait la cascade, mais elle l’a refaite je ne sais combien de fois », raconte Samuel Fuller dans ses mémoires. « Barbara avait quelques bleus, mais elle ne s’est jamais plainte. Un vrai petit soldat ! »



Dans les années 1950, il n’est plus question pour Barbara Stanwyck de jouer les jeunes premières. Sa voix devenue un peu rauque a gagné en personnalité, elle reste désirable mais son charme est celui des femmes qui ont vécu. Elle tire un peu trop sur la corde de son allure juvénile dans No Man of Her Own (Chaînes du destin, 1950) de Mitchell Leisen, où elle interprète, à 43 ans, une fille-mère. Mais ce thriller sentimental adapté d’un roman de William Irish lui offre tout de même un de ses beaux rôles. Dans To Please a Lady (Pour plaire à sa belle, 1950) de Clarence Brown, elle  joue une journaliste vedette qui entend dénoncer dans ses articles le comportement dangereux d’un coureur automobile en fin de carrière (Clark Gable). L’amour va réconcilier ces solitaires cabochards en pleine crise de la quarantaine. L’histoire n’a rien d’original, mais l’alchimie entre ces deux comédiens au caractère fort, qui n’avaient pas tourné ensemble depuis Night Nurse en 1931, donne un spectacle efficace à défaut d’être surprenant.

Dans Titanic de Jean Negulesco (1953), Barbara Stanwyck forme avec Clifton Webb un couple déliquescent dont les problèmes intimes vont apparaître dérisoires au regard de la catastrophe qui guette. Sur le pont du Titanic, Barbara Stanwyck croise un lycéen, interprété par Robert Wagner. Elle semble sous le charme, et cet attrait n’était pas seulement cinématographique : elle eut bien une idylle avec le futur mari de Natalie Wood, de vingt-trois ans plus jeune qu’elle. Ils devaient rester très proches jusqu’à la mort de Barbara Stanwyck. En 1952, Fritz Lang a tourné Clash by Night (Le démon s’éveille la nuit), un film dont la vedette est Barbara Stanwyck mais où Marilyn Monroe fait une de ses premières apparitions importantes à l’écran. Ce film se déroule dans la pittoresque Cannery Row de Monterey, la « rue de la Sardine » chère à John Steinbeck, qui n’est cependant pour rien dans le scénario, tiré d’une pièce de Clifford Odets.

En 1954, dans Executive Suite (La Tour des ambitieux) de Robert Wise, Barbara Stanwyck représente l’ancienne génération face à deux jeunes actrices alors au sommet de leur gloire : June Allyson et Shelley Winters. Elle retrouve aussi son ancien protégé, William Holden. Elle incarne l’actionnaire, dépressive et dépassée par les événements, d’une entreprise qui doit chercher un successeur au défunt directeur général, dont elle était passionnément amoureuse. En 1946, Barbara Stanwyck a joué l’un de ses rôles les plus émouvants et réalistes dans My Reputation (Le Droit d’aimer) de Curtis Bernhardt. Elle est une jeune (et encore très attirante) veuve essayant de refaire sa vie. Elle affronte, tantôt résignée, tantôt révoltée, une mère tyrannique (Lucile Watson) qui veut l’obliger à se vêtir de noir, et des fils égoïstes qui se soucient de tout sauf de son bonheur. Ils sont la voix d’une société conservatrice et étouffante. L’argument de ce film très réussi préfigure celui du futur All That Heaven Allows de Douglas Sirk, avec Jane Wyman. Sirk, célèbre pour ses mélodrames en couleurs aux grands épanchements, réalise dans les années 1950 deux films en noir et blanc dans lesquels il s’appuie sur le jeu plutôt retenu de Barbara Stanwyck, en femme encore belle, encore  sportive (elle fait du cheval dans l’un et retrouve Fred MacMurray à la piscine dans l’autre), mais, malgré tout, impuissante et mélancolique face à l’amère réalité du temps qui passe. Dans chacun de ces films, elle campe avec humanité des personnes blessées qui tentent un « retour de la dernière chance » sur les lieux de leur jeunesse, se heurtant à la difficulté de réécrire une vie.

Dans There is Always Tomorrow (Demain est un autre jour, 1956), aussi de Douglas Sirk, Barbara Stanwyck est une styliste de New York qui retrouve, sous les traits de Fred MacMurray, un amour de sa jeunesse provinciale. Il est devenu un industriel du jouet, mais sous son apparente réussite se cache une vie bien triste entre des enfants égoïstes et une épouse (Joan Bennett) qui ne pense qu’à son rôle de mère et néglige son mari. Ces deux films se ressemblent, mais le premier s’achève alors que Barbara Stanwyck reprend le fil de son ancienne vie – tout en laissant entiers de nombreux problèmes, tandis que dans le second elle aboutit au constat amer que tout retour en arrière est impossible. There is Always Tomorrow  est le quatrième film en commun de Barbara Stanwyck et Fred MacMurray : leur duo fonctionne aussi bien dans le pessimisme et les regrets chez Sirk que dans le vice chez Wilder ou le romantisme chez Leisen.

Walk On the Wild Side (La Rue chaude, 1962) est un poussif mélodrame sudiste adapté par Edward Dmytryk d’un roman de Nelson Algren, l’amant américain de Simone de Beauvoir. Un rôle assez effrayant de mère maquerelle lesbienne et prédatrice permet à Barbara Stanwyck d’y apparaître aux côtés d’acteurs d’une nouvelle génération : Jane Fonda, Capucine, Laurence Harvey… Elle tournera encore deux films au cinéma (dont Roustabout – L’Homme à tout faire de John Rich, avec Elvis Presley !). Puis elle se consacre à la télévision et s’illustre notamment comme la veuve énergique qui dirige le ranch dans la série La Grande Vallée (112 épisodes de 48 minutes, diffusés pour la première fois entre 1965 et 1969 !), aidant l’univers du western qu’elle avait tant servi au cinéma à gagner ses lettres de noblesse sur le petit écran. À 75 ans, elle interprétera une autre patronne de ranch, cette fois en Australie, dans la célèbre fresque télévisée Les Oiseaux se cachent pour mourir, où elle essaie d’obtenir à tout prix les faveurs du jeune et beau prêtre interprété par Richard Chamberlain ! En 1982, elle recevra enfin un oscar, mais un oscar d’honneur, et on verra une dernière fois monter sur scène cette femme volontaire aux traits quasi inchangés depuis ses débuts, et qui fut pendant toute sa carrière l’une des actrices préférées du public autant que des metteurs en scène. [Barbara Stanwyck, et du malheur naquit une étoile – Hollywood, la cité des femmes – Antoine Sire – Ed.Institut Lumière / Actes Sud (2016)]



En 1931, année du chef-d’œuvre qui l’a rendu célèbre, The Public Enemy (L’Ennemi Public), William A. Wellman tourne trois autres films, Safe In HellThe Star Witness et Night Nurse (L’Ange Blanc). Deux des plus grandes actrices du Pré-Code s’y partagent le premier rôle féminin : Barbara Stanwyck (qui a déjà joué dans Ladies of Leisure de Frank Capra en 1930 et Illicit d’Archie Mayo en 1931) et Joan Blondell, à qui Wellman a offert un petit rôle dans The Public Enemy et qui, au cours des années 1930, tournera pas moins de 56 films pour la Warner Bros.

En pleine Prohibition, Liliane « Baby Face » Powers est serveuse dans le speakeasy miteux d’une ville-usine, Son père, qui la force à coucher avec ses clients rustres et brutaux, décède lors de l’explosion de sa distillerie. Fuyant alors pour New York, Lily est engagée dans une banque dont elle gravit les échelons en utilisant sans scrupule les hommes comme marchepieds vers la réussite…

Avec The Lady Eve (Un cœur pris au piège, 1941), le cinéaste a l’occasion de diriger les stars Barbara Stanwyck et Henry Fonda dans une des plus brillantes comédies américaines qui fait se marier deux tonalités auparavant opposées par le genre : la sophistication et le burlesque. Sturges trouve son style, celui de la madcap comedy, c’est-à-dire la comédie échevelée dont la structure et la tenue empêchent de verser dans le décousu.

Etonnante rencontre du film policier et de la comédie musicale, cette réalisation de William Wellman révèle au public de 1943 une nouvelle facette du talent de la grande Barbara Stanwick.

Billy Wilder choisit deux vedettes à contre-emploi. Barbara Stanwyck, l’héroïne volontaire et positive de tant de drames réalistes – et même de comédies – va incarner une tueuse, et Fred MacMurray, acteur sympathique et nonchalant par excellence, va se retrouver dans la peau d’un criminel.

Le grotesque triangle amoureux formé par les trois protagonistes charge The Strange love of Martha Ivers d’implications noires. En effet, les personnages dans la mesure où leurs relations sont sous-tendues par la peur, la culpabilité ou la cruauté, sans oublier un romantisme excessif, sont caractérisés par un déséquilibre émotionnel. Masterson, joué par Heflin, a la fonction d’un catalyseur. Son arrivée provoque non seulement des bouleversements dans la vie quotidienne de la ville, mais aussi la mort de ses citoyens les plus importants. Milestone a voulu établir des affinités entre le sexe et la violence et mettre en scène les manipulations sadiques d’une femme fatale.

Réalisateur tout-terrain, Anatole Litvak se débrouillait même avec le polar noir, comme le montre cette adaptation d’une pièce radiophonique à succès de Lucille Fletcher (diffusée à partir de 1943). Clouée au lit, pendue au téléphone, la riche héritière d’une compagnie pharmaceutique entend, par hasard, une conversation entre deux hommes projetant de tuer une femme.

Clash by night est un film au scénario sans prétention, mais la banale histoire du triangle amoureux est rehaussée par l’étude subtilement graduée des personnages complexes qui ne sont jamais manichéens. Barbara Stanwyck, dans le rôle de Mae, campe une femme libre au passé douteux, trompant son mari, mais douée d’une grande liberté d’imagination et capable de reconnaître les failles de son propre système.


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