sâmbătă, 27 august 2022

THE MISFITS (Les désaxés) – John Huston (1961)


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LE FILM ÉTRANGER

THE MISFITS (Les désaxés) – John Huston (1961)

Après son divorce, Roslyn rencontre Gay, un cow-boy désabusé qui lui propose de partir à la campagne. Une fois au vert, ils retrouvent Perce, un champion de rodéo aussi fêlé qu’eux. Roslyn comprend alors avec horreur que les hommes ne sont là que pour tuer des chevaux sauvages… Arthur Miller a composé la partition de cette tragédie pour son épouse, Marilyn Monroe, qu’il s’apprêtait à quitter. Autobiographie se confond ici avec autodafé. Alors que l’écrivain ne frémit plus devant sa femme mythique, il lui offre paradoxalement le plus beau rôle de sa vie.

Le film est plein d’échos assourdissants de la vraie vie de la star. Comme Marilyn, qui rêvait d’une reconversion où l’adulation des foules serait remplacée par le véritable amour, Roslyn fuit son passé pour se réfugier dans un monde où personne ne sait rien d’elle. Dans la scène où elle se révolte contre la folie meurtrière des hommes, la tentation était grande pour Arthur Miller de laisser la colère de cette femme-enfant exploser en gros plan. Au contraire, John Huston filme Marilyn de très loin, comme un minuscule grain de sable, qui hurle en vain dans le désert. Chaque décorticage de l’image ressemble à une autopsie, d’autant plus bouleversante que Marilyn Monroe, Clark Gable, puis Montgomery Clift se sont éteints peu de temps après le tournage. Rarement un film sur la mort aura été aussi vibrant. [Marine Landrot – Télérama]


Le tournage du film a été difficile à plusieurs égards, notamment en raison de la chaleur parfois élevée (plus de 45°C) dans le désert du nord du Nevada et de l’échec du mariage de Marilyn avec Arthur Miller. Celui-ci a révisé le scénario tout au long du tournage à mesure que les concepts du film se développaient. Pendant ce temps, Marilyn buvait trop après le travail et consommait des médicaments sur ordonnance. Selon Huston, dans une interview rétrospective de 1981, il était « absolument certain qu’elle était condamnée », une conclusion à laquelle il est arrivé en travaillant sur le film : « J’en avais la preuve presque tous les jours. Elle était incapable de se sauver elle-même ou d’être sauvée par quelqu’un d’autre. Et cela affectait parfois son travail. Nous avons dû arrêter le film pendant qu’elle allait à l’hôpital pendant deux semaines »Huston a arrêté la production en août 1960 lorsque Marilyn s’est rendue dans un hôpital pour se détendre et soigner sa dépression. Elle avait presque toujours une heure de retard sur le plateau, parfois, elle ne se montrait pas du tout. Elle passait ses nuits à apprendre des répliques nouvellement écrites avec sa coach de théâtre Paula Strasberg.



Le film a été très mal accueilli à l’époque. Et ça a été un flop considérable. Pourquoi ? Parce qu’en 1961, on est encore dans cette Amérique victorieuse, triomphante, conquérante. Et qu’est ce qu’on voit ? On voit un vieux cowboy, Clark Gable, qui va d’ailleurs décéder trois semaines plus tard. On accusera Marilyn à cause de ses caprices, de ses retards, d’avoir provoqué la crise cardiaque fatale de Clark Gable, ce qui n’est certainement pas vrai. C’est un vieux monsieur à qui on oblige de tirer des Mustang, même s’il y a des doublures, c’est quand même pesant pour lui. Il y a aussi Montgomery Clift qui a été le héros par excellence, le jeune acteur adoré des midinettes et qui revient avec la gueule cassée suite à un accident. Et que va faire de lui Miller dans le scénario ? Il va de nouveau avoir la gueule cassée, il va de nouveau avoir les os brisés, il va donc de nouveau revivre l’histoire de l’accident, lors du tournage de Raintree County. Et Marilyn, perdue, qui arrive au Nevada, à Reno après que l’avoir vu sortant d’un hôpital où elle vient de perdre son enfant et où elle vient aussi de se faire soigner pour une overdose de barbituriques. Donc tout ça, en 1961 à l’époque de Kennedy, ça ne peut pas être accepté. Et quand ça tombe dans cette terrible tristesse, car c’est une tristesse, c’est la fin de tout le monde, c’est la fin du grand rêve américain. Et une fois de plus c’est inacceptable pour l’Amérique.

Il y a une phrase assez significative quand Marilyn demande à Clark Gable : « Comment est ce que je peux retrouver mon chemin dans le dans le noir ? » il lui répond « Il faut regarder une étoile au ciel ». Ça serait peut être un résumé de la vie de Marilyn. Tout est prémonitoire chez Marilyn. The Misfits, c’est le grand film de l’échec, non seulement des héros de John Huston, mais c’est aussi l’échec de Marilyn, l’échec de son mariage avec Miller, la fin de ses espoirs d’avoir un enfant, d’avoir malgré tout une vie normale, si normale, de convenir à Marilyn. On pourrait reprocher à Miller d’avoir écrit ce scénario terrifiant, en condensant toutes ses propres angoisses, car il devait y en a avoir et celle de Marilyn face à une situation sentimentale matrimoniale impossible. Michael Korda, le romancier et le neveu d’Alexander Korda, disait : « Ce qui m’a toujours frappé chez Marilyn, c’est sa hantise de ne pas pouvoir réussir quelque chose d’heureux. Et en quelque sorte, on pourrait dire que The Misfits, c’est le chef d’œuvre de l’anticipation, de la fatalité. » [Françoise Ducout – Les derniers films de Marilyn Monroe – France Culture (2016)]



L’HISTOIRE ET LES EXTRAITS

Reno dans le Nevada, est la ville des mariages expéditifs et aussi celle des divorces rapides. C’est la raison de la présence de Roslyn (Marilyn Monroe) accompagnée d’Isabelle (Thelma Ritter), à la fois son amie et sa logeuse. Sur place, elle rencontre Guido (Eli Wallach), garagiste, qui, à la suite de la panne de sa voiture, la conduit au tribunal pour son divorce. Après l’officialisation du divorce, les deux femmes vont prendre un verre dans un bar à cocktail, le Harrah’s Reno où elles rencontrent Gay (Clark Gable), un ami de Guido, cow-boy et aventurier dilettante qui a pour projet de capturer un troupeau de chevaux sauvages pour gagner de l’argent.

Tous ont envie d’« autre chose » et décident de se rendre à la maison de campagne inachevée de Guido, que l’ancien aviateur a construite pour sa défunte épouse, décédée quelques années plus tôt des suites d’un accouchement. Gay et Guido tombent sous le charme de Roslyn et lui demandent de rester quelques jours de plus à Reno avant de retourner chez elle. Une idylle naît bientôt entre la jeune femme et Gay, également divorcé. Ils passent ensemble quelques jours heureux, même si Gay doit accepter l’amour qu’elle porte aux animaux. Il aimerait aussi savoir pourquoi elle est toujours aussi triste.

Quelques jours plus tard, les deux hommes partent chasser les mustangs. Roslyn les suit à contre-cœur. Ayant besoin d’un troisième homme, ils le trouvent en la personne de Perce qui participe à un rodéo, au cours duquel il se blesse. Ils finissent dans un bar où ils s’enivrent. Perce (Montgomery Clift ), éleveur dépossédé de son domaine et fragilisé par des blessures personnelles, tombe lui aussi amoureux de Roslyn.

Le lendemain, ils partent chasser les quelques chevaux repérés. Tandis que Guido les rabat avec son avion, les deux autres les attrapent au lasso mais finalement les relâchent sur l’insistance de Roslyn lorsqu’elle apprend que les bêtes sont destinées aux abattoirs et aux conserves pour chien. Aussi perdue que les trois hommes mais ayant gardé le sens intact du caractère sacré de la vie, elle annonce qu’elle part le lendemain.


Mélange explosif de candeur et de sensualité débordante, Marilyn Monroe est une actrice proche du génie. Sous le maquillage et les atours, elle restait une « petite fille ». Elle ne ressemblait à personne…

Cinéaste des destins dérisoires et des illusions perdues, John Huston a pris le contrepied des poncifs hollywoodiens pour délivrer une vision du monde où sa lucidité ironique était équilibrée par un puissant sentiment de fraternité humaine. L’homme était comme ses films : génial et indépendant.


En anglais, « misfit » se dit d’un vêtement mal ajusté. Le titre français ne traduit qu’imparfaitement l’intention de l’auteur du scénario, Arthur Miller. Il aurait été plus juste de traduire The Misfits non par Les Désaxés, mais par les « mal foutus ». Car les personnages du film sont droits, mais ils ne trouvent plus leur place, ils sont inadaptés. Ils se heurtent à la société et ils se heurtent entre eux par soif d’absolu. Arthur Miller a écrit The Misfits à la suite d’une expérience personnelle. Il était à Reno, la capitale du divorce aux États-Unis, avant d’épouser Marilyn Monroe et a découvert dans cette ville le profond désarroi des hommes et des femmes de tous âges digérant leur échec. Il a transcrit ses impressions dans une nouvelle, publiée dans le magazine Esquire, dont il tira un scénario. Quatre personnages, quatre « désaxész, que leur amour de la liberté désarme devant la vie, se rencontrent à Reno et, instinctivement, unissent leur solitude. Il n’y a pas à proprement parler d’histoire. Il y a ce simple récit de leur errance. [Véronique Doduik – Revue de presse des « Désaxés »- Cinémathèque française (2016)]

« Les Misfits, c’est d’abord un hymne à Marilyn, le plus bel hommage à une femme » note L’Express, qui ajoute : « Marilyn/Roslyn ne joue pas un rôle, ne représente pas un personnage, elle est elle-même : ce monstre de féminité qui exige que les hommes soient tout le temps auprès d’elle ». (…) « Arthur Miller a mis dans son scénario tout ce qu’il croyait savoir de cette femme qu’il aima, dont il fut aimé, et à laquelle, au moment de s’en séparer, il adressa cet hommage, cet adieu » (Claude Mauriac, Le Figaro). Il y a dans ce film un jeu de transferts continuels entre la comédienne et son personnage. « Amour des animaux, haine de la violence, besoin presque maladif de tendresse, de protection, de présence, de désarroi sentimental. Arthur Miller n’a pas dessiné un caractère romanesque, il a exploré un cœur bien vivant, celui de sa femme. Il a mis à nu ce personnage mythique qu’était Marilyn Monroe, et en la démythifiant, en a fait un être de chair, de sang et de nerfs, aussi dangereux que vulnérable », analyse Jean de Baroncelli dans Le Monde. Pour Les Lettres françaises, « Roslyn, c’est Marilyn incarnée, faite chair comme elle ne l’a jamais été auparavant, par un scénariste qui ne pouvait la dépeindre de façon plus vraie et plus touchante : Roslyn, c’est à la fois Marilyn Monroe et son propre mythe, la trop jolie femme qui souffre de n’être qu’un objet de convoitise sexuelle pour les hommes ». Pour L’Humanité, « Arthur Miller a d’abord tracé un portrait extraordinairement lucide de la femme qu’il a aimée, et qu’il s’apprête à quitter ». Comme l’écrit Robert Chazal dans France Soir, « c’est un bien beau cadeau de rupture, parce que c’est de loin la meilleure histoire qu’on ait jamais imaginée pour elle ». Les époux se sépareront peu après le tournage. Télérama stigmatise d’ailleurs « l’incroyable cirque médiatique qui a entouré le tournage, les journalistes épiant les époux Miller en espérant annoncer leur séparation ».

The Misfits est un film célèbre pour des raisons qui tiennent moins à son contenu qu’à la vie de ses interprètes. La presse de l’époque s’en fait déjà l’écho. Selon Télérama, « tournée délibérément en noir et blanc, cette élégie ne vaut pas seulement par ses motifs, mais aussi par la manière dont le destin tragique des personnages recoupe celui des acteurs qui les incarnent. Tous les facteurs sont réunis pour faire de cette aventure une épopée tragique. Elle le sera de bout en bout ». À cette époque, Marilyn Monroe, minée par l’échec de son mariage et l’abus de somnifères, est entrée dans une phase de dépression sévère. « Au milieu du tournage, qui se déroule dans une chaleur éprouvante, elle s’effondre et doit entrer en hôpital psychiatrique », écrit Télérama. Le divorce avec Arthur Miller sera prononcé peu de temps après. Le journal poursuit : « Clark Gable, la plus grande star des débuts du cinéma parlant, accuse ses 59 ans et n’est plus que l’ombre de lui-même. Quant à Montgomery Clift, dont la vulnérabilité avait révolutionné le statut viril de l’acteur et du héros américains, il se relève à peine d’un accident de voiture qui a failli le tuer et le laisse à jamais défiguré ».

La réputation de « film maudit » des Misfits tient aussi à la destinée tragique de ses acteurs, dont c’est pour deux d’entre eux la dernière apparition à l’écran. Comme le note Télérama, « Le film est d’abord un échec public et critique. Puis le couple Miller-Monroe se sépare, Clark Gable meurt d’une crise cardiaque quelques semaines après la fin du tournage. Marilyn, qui ne tournera plus un seul film en entier, le suivra dans la tombe deux ans plus tard ». Montgomery Clift tourne encore trois films et meurt à quarante-six ans. Il n’en fallait pas davantage pour établir l’image crépusculaire des Misfits.

Dans ce film, il y a bien deux auteurs, et leur cohabitation est difficile, comme l’observent de nombreux critiques. André Lafargue dans Le Parisien libéré déclare : « Il y a deux films : un film de John Huston qui suit trois hommes solitaires au milieu d’un univers ennemi. Un film d’Arthur Miller, scénariste et dialoguiste qui accompagne une femme à la recherche d’une sécurité et d’un amour. Ces deux films sont hostiles l’un à l’autre. Le premier, plus mâle et plus hautain, s’attaque à une société envahissante qui ronge les dernières libertés de l’homme. Le second oppose une femme à la violence, à la dureté et à l’indifférence des ces trois solitaires ». Le journaliste poursuit : « Huston a tourné un film anarchiste, nettement asocial, et d’un romantisme évident. Et Miller a écrit un scénario socialisant et moralisateur. Les dialogues sont faux, prétentieux, artificieux. Les personnages n’ont aucune vérité : c’est le travail de Miller. Les images sont belles, d’un lyrisme étonnant, d’une agressivité franche : c’est le travail de Huston ». (…) Les critiques se demandent si la part de l’écrivain n’est pas trop envahissante. « Arthur Miller est-il un grand écrivain ? En tous cas, un piètre scénariste et un exécrable dialoguiste », déclarent Les Cahiers du cinéma. Pour Les Dernières nouvelles d’Alsace, « Arthur Miller, homme de théâtre, ne connaît pas très bien les lois du septième art ». Télérama reproche au film « une longue introduction surchargée de dialogues, mise en place comme pour une « exposition » de théâtre, durant laquelle John Huston somnole visiblement »« À la fin du film, on s’aperçoit avec tristesse que l’on vient de se promener pendant deux heures et cinq minutes dans le pays aride du Symbole. Ce que l’on prenait pour le martèlement des sabots chevalins n’était que le cliquetis de la machine à écrire de l’auteur », résume le journal Carrefour. Le Figaro regrette lui aussi « la passivité, voire l’absence du metteur en scène, trop effacé derrière Arthur Miller, sauf lorsqu’il se déchaîne tout à coup pour filmer la chasse aux chevaux sauvages ».

C’est lorsque les « misfits » entreprennent de capturer des mustangs, ces derniers chevaux sauvages du désert du Nevada que, selon les critiques, le film s’envole. « Aux considérations théoriques sur la longévité de l’amour et du couple se substitue une aventure humaine admirablement conduite » écrit Combat. « La chasse aux chevaux sauvages constitue un merveilleux morceau de cinéma » (Les Dernières nouvelles d’Alsace), « d’une foudroyante beauté » (Le Parisien libéré). « Il y a là 30 minutes d’images soutenues où souffle le génie d’Huston : sens de l’espace et du mouvement, envolée à la fois visuelle et lyrique, ampleur romanesque et goût de l’épopée » (Les Lettres françaises). Positif souligne « la justesse signifiante des cadrages qui mettent magnifiquement en valeur l’idée maîtresse véhiculée par chaque plan, la beauté directe et l’équilibrage parfait des lumières de la photo signée Russell Metty ». Pour L’Express, « le film, parti pour une satire de mœurs, s’ouvre soudain en pleine nature, à l’envergure d’un étonnant western. Mais cet élargissement est tout le contraire d’une évasion : une quête de lucidité ».

« Cette séquence anti-western apparaît comme la terrible condamnation d’une société qui ne respecte plus les règles du jeu de l’épopée qui a fait sa grandeur » (Les Lettres françaises). Pour Libération, « les invectives lancées par Roslyn dans le désert aux trois hommes muets, c’est le cri de fureur que lance Arthur Miller à l’american way of life, voie unique qui mène à l’argent, au confort et à l’ennui ». (…) Paradoxalement, ces « inadaptés », « trop fiers pour se laisser dompter » (Les Dernières nouvelles d’Alsace), sont amenés à détruire d’autres survivants de l’âge de la liberté : les chevaux sauvages. Clark Gable, qui, selon Télérama, « s’est admirablement identifié à sa propre légende », est pour Libération « le dernier pur-sang de la libre Amérique, et domptera seul, à mains nues, un étalon farouche », qu’il rendra finalement à sa liberté. « Les Misfits sont l’histoire d’une dégradation, mais aussi d’une nostalgie : celle d’un impossible retour aux sources », observe L’Express, qui s’écrie : « Qu’as-tu fait de ta merveilleuse enfance, Amérique des pionniers ? Les mustangs que l’on capturait jadis après de loyales chevauchées sont aujourd’hui rabattus par avion, traqués en camion. On les vendait pour montures aux caravanes de l’Ouest, aujourd’hui, ils deviennent de la viande en conserve pour les chiens ». Cette longue séquence de la chasse signe la fin d’un vieux rêve, exalté par tous les westerns : celui de l’homme libre et seul dans la nature. Image et son renchérit : « Cette œuvre atteint au tragique. John Huston, le cinéaste de l’échec, a mis en images somptueuses un drame qu’il a traité comme une symphonie américaine, brassant les thèmes et les êtres dans un document puisé aux sources mêmes d’une civilisation ». « Peu de films auront inscrit, pour ainsi dire jusque dans leur chair, l’agonie du grand mythe américain », conclut Télérama.

Plusieurs critiques soulignent la dimension politique des Misfits. Pour Madeleine Chapsal dans L’Express, « ce film bouleversant qui nous touche comme une histoire qui nous concerne est aussi une attaque violente de l’Amérique contemporaine ». Ses personnages révèlent en eux-mêmes des contradictions qui sont aussi symboliquement celles de la société américaine. « Ce grand problème de la communication qui hante le monde occidental au début des années 1960 caractérise ces cinq individus qui vivent plus ou moins par procuration pour fuir leurs problèmes », écrit Michel Cieutat dans Positif. Cette revue fait d’ailleurs une analyse très orientée du film, qui selon elle « dresse un constat précis de l’Amérique sous Eisenhower. Gay, Guido, Perce, les personnages principaux, se veulent des êtres sans attache. Mais l’homo americanus a trahi le rêve des Pères Fondateurs ». Le film « est un douloureux plaidoyer pour la liberté individuelle et une dénonciation d’un monde où toutes les lois morales s’effritent sous l’irrésistible poussée de la machine triomphante » (Les Lettres françaises). Clark Gable est ainsi pour Le Parisien « le symbole d’une virilité qui n’a plus le loisir de s’affirmer dans le monde moderne, et aussi l’expression d’une recherche fondamentale de la liberté individuelle ». Michel Cieutat poursuit dans Positif : « John Kennedy, sur lequel Marilyn Monroe fera une fixation, mettra fin à cette fuite en arrière en lançant son programme de la Nouvelle Frontière, autre échappatoire, vers l’avant, dont une grande partie de l’esprit se retrouve dans le film. Tout d’abord dans l’insistance avec laquelle John Huston et Arthur Miller soulignent le thème de la vie à relancer. Le personnage de Roslyn est un catalyseur très kennedyen pour ses quatre compagnons. Celui qui s’approche d’elle apprend à repartir sur de nouvelles bases ». Et Positif de conclure : « The Misfits, ce n’est pas seulement le mal de vivre des années 1950 et le reflet de l’espoir offert par Kennedy, c’est aussi le regard prophétique sur l’Amérique des vingt années à venir et là principalement réside la force de cette œuvre qui, vers sa fin, se cabre pour tracer l’avenir »[Véronique Doduik – Revue de presse des « Désaxés »- Cinémathèque française (2016)]