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FRANK CAPRA
Frank Capra fut le cinéaste de l’ère rooseveltienne. Ses films utopiques et optimistes participèrent à l’effort de l’Amérique pour sortir » de la crise. « Je voulais chanter le chant des ouvriers opprimés, des exploités, des affligés, des pauvres. Je voulais être aux côtés des éternels rêveurs et partager les outrages de tous ceux qui étaient méprisés pour des raisons de race et d’argent. Surtout, je voulais combattre pour leurs causes sur les écrans du monde entier. » En écrivant ces lignes en 1971, Frank Capra ne voulait pas seulement reprendre les commentaires flatteurs que les critiques avaient réservés à ses films. Alors que d’autres réalisateurs œuvraient sur des sujets légers et brillants, Capra fut l’auteur d’œuvres basées sur une réalité vécue ou espérée par le public. Ce furent les films de l’idéalisme rooseveltien.
UN RÊVE SE RÉALISE
Capra est né en Sicile, en 1897, dans une famille pauvre. Avec ses parents et ses six frères, il embarque, en 1903, sur un bateau d’émigrants pour gagner l’Amérique. La famille s’établit à Los Angeles et le jeune Frank entame son ascension dans « ce pays riche où chacun peut avoir sa chance ». Dans son cas, le mythe américain devint réalité et Capra put écrire un jour qu’il considérait ses films comme un remerciement à l’Amérique, à son peuple, à son histoire.
Dans les années 1920, il fut gagman pour Mack Sennett et pour Hal Roach. Il dirigea ensuite deux films avec Harry Langdon, The Strong Man (L’Athlète incomplet, 1926) et Long Pants (Sa dernière culotte, 1927). Malgré le succès, leurs chemins se séparèrent et, tandis que Langdon connaissait le déclin, la personnalité et le talent de Capra allaient s’affirmer rapidement. Engagé par la Columbia, firme dirigée par Harry Cohn, homme énergique et indépendant, Capra commença par mettre en scène des sujets liés à l’actualité : la chute d’un dirigeable dans Dirigible (1931) et la crise d’une banque dans American Madness (La Ruée, 1932).
Dans ce dernier film, Capra affina son style en abordant un sujet qui le passionnait. Dans le chaos de la crise, le président d’une banque, incarné par Walter Huston, fait appel à la solidarité contre l’intérêt personnel aveugle. Encouragés, les clients reviennent déposer l’argent qu’ils avaient retiré précipitamment. En réalisant ce film, Capra se révéla grand novateur tant sur le plan stylistique que sur le plan technique : il accentua le rythme des dialogues et laissa délibérément se chevaucher des répliques; il élimina aussi les temps morts, préférant pour l’enchaînement des séquences un montage court aux fondus. Les dialogues de American Madness furent écrits par Robert Riskin, un ancien auteur dramatique qui partageait les idées de Capra et qui collaborera étroitement avec lui tout au long des années 1930. Le réalisateur trouva en lui un remarquable transcripteur du langage de « l’homme de la rue », langage qui contribue pour une bonne part au style même de ses films.
CINQ OSCARS POUR UN FILM
Le délicieux It Happened One Night (New York-Miami, 1934) représente une étape importante dans la carrière du réalisateur. Très sensible aux honneurs, Capra ne désespérait pas de se voir un jour attribué un Oscar ; It Happened One Night le combla bien au-delà de ses vœux : le film n’obtint pas moins de cinq Oscars. Non seulement le metteur en scène, le scénariste (Riskin, bien évidemment) et les deux acteurs principaux reçurent chacun la précieuse statuette mais un cinquième Oscar, suprême consécration, vint récompenser le « meilleur film de l’année ». Dans It Happened One Night, Capra fit preuve d’une nouvelle forme de spontanéité : les scènes entre Claudette Colbert, une héritière en fuite, et Clark Gable, un journaliste qui la suit, tout d’abord pour des raisons professionnelles, puis parce qu’il en tombe amoureux, semblaient improvisées. Capra prouva avec ce film qu’il s’était définitivement éloigné des comédies de salon, comme Platinum Blonde (Blonde platine, 1931) qu’il avait réalisées jusqu’alors.
LA ROUTE DE L’UTOPIE
Les composantes du personnage interprété par Clark Gable, c’est-à-dire la propension à la modestie, au respect des valeurs et le goût des choses simples, réapparaissent avec plus d’évidence encore dans celui de Longfellow Deeds (Gary Cooper), personnage principal de Mr. Deeds Goes to Town (L’Extravagant M Deeds, 1936). L’héritage que lui a légué son oncle catapulte Deeds de la petite ville de province où il vit, Mandrake Falls, au frénétique New York. Certaines de ses petites habitudes (il joue du tuba et écrit des vers pour les cartes de vœux) provoquent railleries et dérision, tandis qu’avocats, journalistes et créanciers tentent de l’exploiter. Mais les valeurs positives, dont Deeds est l’incarnation, l’emporteront sur la corruption et le cynisme ambiants. Frappé par les dures conditions de vie des paysans réduits à la misère, Deeds décide de partager avec eux sa fortune, faisant cadeau à chacun d’une vache, d’un cheval, de semences et d’un lopin de terre. La haute société de New York proteste et un procès est même engagé pour que Deeds soit déclaré fou. Son autodéfense sert de prétexte à un vif débat dans lequel Capra exprime sa confiance dans l’intégrité morale des opprimés et des exploités.
Son film suivant, Lost Horizon (Horizons perdus, 1937), peut sembler à première vue une tentative risquée. Mais cette création fantastique, tirée d’un roman de James Hilton donna l’occasion au réalisateur comme au scénariste, d’exposer une version abstraite de l' »utopie » de Longfellow Deeds : celle de Shangri-la prend place dans un monastère de l’Himalaya où l’on ignore vieillesse et conflits. Ce film fut la première œuvre de prestige de la Columbia et assit définitivement la réputation de Capra.
Le réalisateur revint ensuite à la comédie, cette fois dans le registre loufoque, avec You Can’t Take it With You (Vous ne l’emporterez pas avec vous, d’après la célèbre pièce de George S. Kaufman et Moss Hart, qu’il tourna en 1938. L’adaptation cinématographique rendit les personnages plus vivants et renforça le thème original : le magnat Antony P. Kerby (Edward Arnold) est représenté comme un ogre avide et sans scrupules, tandis que ceux qui méprisent l’argent – la famille musicienne Vanderhof et ses hôtes, tel le livreur de glace qui ne repart plus – sont d’aimables originaux. Comme dans It Happened One Night, le ploutocrate à l’écoute de l’action des braves gens finira par devenir humain, s’unissant aux Vanderhof pour interpréter joyeusement « Pollywollydoodle » à l’harmonica, dans un symbolique accord final.
Avec Mr. Smith Goes to Washington (M. Smith au Sénat, 1939), Capra reprit une formule qui avait fait ses preuves dans Mr. Deeds Goes to Town, tout en élargissant le sujet. Ici, son héros, simple et généreux, n’est plus présenté comme l’antagoniste de la seule société newyorkaise, snob et avide d’argent, mais de tout l’appareil gouvernemental de Washington. Jefferson Smith (James Stewart), commerçant estimé et chef scout, est élu au Sénat parce qu’on pense pouvoir profiter de sa naïveté dans une douteuse affaire de construction de barrage. Ses imitations du chant des oiseaux provoquent autant d’hilarité que les vers de Longfellow Deeds, mais il se révèle plus difficile à tromper que ne le croyaient les notables de son parti… Smith propose en effet de construire un camp permanent pour les scouts, sur le terrain qui devait précisément être inondé par le barrage. Afin de se débarrasser de lui, ses ennemis l’accusent de corruption. Pour se défendre et soutenir son projet, Smith prend la parole au Sénat et parle sans s’interrompre pendant plus de 24 heures (l’analogie est évidente avec le procès dans lequel Deeds est impliqué).
En réalisant Mr. Smith Goes to Washington, Capra avait directement transféré dans le domaine politique son combat en faveur du peuple. Pourtant, sa propre position politique était plutôt floue ; les idées fondamentales étaient simples – voire naïves – mais son image de l’Amérique, que Capra présentait comme un continent composé de petites communautés s’aidant réciproquement pour connaître la prospérité et le bonheur, éveilla dans les années 1930 un très grand intérêt. Il ne s’agissait pas réellement du New Deal de Roosevelt, avec son organisation gouvernementale complexe qui dirigeait, triait ou créait l’emploi. Il s’agissait plutôt d’une sorte d’Old Deal, celui d’Abraham Lincoln, de Thomas Jefferson et autres hommes d’État (mentionnés avec respect dans les scripts de ses films), où pouvaient s’exprimer 1’esprit d’aventure et la libre entreprise.
Vers la fin des années 1930, les menaces qui planaient sur le rêve américain de Capra se précisèrent. Comme le souligne un critique, « même lui, avec son harmonica, ne pouvait stopper les projets de Hitler ». Dans le film Meet John Doe (L’Homme de la rue) que Capra tourna en 1941, John Willoughby (Gary Cooper) est cette fois trompé et vaincu. Cet ancien joueur de base-ball est lancé sur le marché par un éditeur qui le présente comme l’incarnation de John Doe, un personnage très populaire dans la classe moyenne américaine. Il est ensuite proposé par une organisation profasciste comme candidat à la présidence des Etats-Unis. Quand Willoughby se rend compte de la manipulation dont il est l’objet, il décide de concrétiser la fausse menace de suicide qui avait été annoncée par les journaux et qui avait renforcé sa popularité. Le jour de Noël, il se poste sur la terrasse de la mairie, bien résolu à se jeter dans le vide. Capra et Riskin eurent du mal à se décider sur la fin à donner au film ; leur choix définitif (les partisans de Doe parviennent à le persuader de lutter pour son idéal) n’est pas convaincant. Il était certes difficile de conclure un tel sujet.
Peu avant que les États-Unis n’entrent en guerre, Capra entreprit Arsenic and Old Lace (Arsenic et vieilles dentelles, le film ne sortit qu’en 1944) avec Cary Grant ; adapté d’une pièce qui faisait les beaux jours de Broadway, ce film de commande que Capra prit beaucoup de plaisir à tourner demeure une de ses œuvres les plus drôles.
UN RÉALISATEUR-PRODUCTEUR INDÉPENDANT
En 1946, quand Capra put enfin devenir réalisateur et producteur indépendant, après une brillante carrière de superviseur de la série documentaire sur la guerre, intitulée Why We Fight (Pourquoi nous combattons), le monde de M. Deeds et les idéaux de Capra avaient subi une amère évolution. George Bailey, le héros désespéré et philanthrope de It’s a Wonderful Life (La vie est belle, 1946), décide de se suicider. Seule l’intervention d’un ange, qui montre au personnage principal (James Stewart) comment aurait été détruite la ville de Bedford Falls si lui-même n’avait pas existé, le sauve de la mort et lui fait comprendre l’importance de la vie.
Ce film reste seulement une preuve de la technique consommée de Capra et de son amour pour les petites villes de province. C’en est aussi le dernier exemple, car, après la réalisation de State of the Union (L’Enjeu, 1948), qui évoque le cas d’un candidat aux élections impliqué dans des combines politiques, la maison de production de Capra, la Liberty Film, fut cédée à la Paramount, et le réalisateur perdit alors toute liberté…
Il tourna ensuite Riding High (Jour de chance, 1950) interprété par Bing Crosby (et de nombreux chevaux… ); ce ne fut qu’un médiocre remake du film qui précéda Mr. Deeds Goes to Town, Broadway Bill (La Course de Broadway Bill) ; le film suivant : Here Cornes the Groom (Si l’on mariait papa ?, 1951), fut une comédie sentimentale interprétée à nouveau par Bing Crosby dans le rôle d’un journaliste qui adopte des orphelins de guerre.
Après une période d’inactivité de huit ans, Capra se remit au travail pour réaliser, en Cinémascope et en couleurs, A Hole in the Head (Un trou dans la tête, 1959), une comédie au style suranné interprété par Frank Sinatra. Mais avec Pocketful of Miracles (Millionnaire pour un jour, 1961), remake d’un autre de ses premiers films, Lady for a Day (Grande Dame d’un jour, 1933), Capra sembla redevenir le grand réalisateur qu’il avait été. On retrouva à l’écran des personnages excentriques et charmants qui venaient en aide à Annie Apple (Bette Davis), la pauvre marchande de fruits dont la fille fait croire que sa mère est une dame de la haute société.
Mais ce film, résultat de compromis, fut durement jugé par son auteur qui, très lucidement, décida de prendre sa retraite. Il rédigea alors un livre de souvenirs (paru en France sous le titre « Hollywood Story »), qui est un remarquable témoignage sur la capitale du cinéma et sur le travail de cet exceptionnel réalisateur.
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