luni, 5 mai 2025

Vincente Minnelli (1903-1986)

 

Les Réalisateurs


[flash-back] VINCENTE MINELLI: ENTRE RÊVE ET FOLIE

Des maîtres de la comédie musicale hollywoodienne de l’après-guerre, Minnelli est le seul à avoir affronté avec bonheur, non pas à la suite, comme le fit Stanley Donen, mais de front, les registres de la comédie légère et du drame symbolique. Peut-être son importance dans l’histoire du film musical a-t-elle masqué en partie la véritable place de l’artiste, qui s’est interrogé lucidement sur la création cinématographique dans plusieurs de ses films.


Véritable magicien du cinéma, Vincente Minnelli a porté la comédie musicale à son point de perfection, ce qui ne doit pas faire oublier qu’il est l’auteur de quelques chefs-d’œuvre du mélodrame.


Vincente Minnelli est né à Chicago le 28 février d’une année incertaine, entre 1903 et 1913. Dès l’âge de trois ans, il fait ses débuts sur scène avec la troupe ambulante des frères Minnelli, où son père est chef d’orchestre et premier violon, et sa mère, d’origine française, est la vedette féminine. Son enfance est marquée par une ambiance de spectacles forains, enrichie par ses origines italiennes. À quatorze ans, il devient peintre d’enseignes publicitaires, assistant photographe, puis dessinateur de décors et de costumes pour une chaîne théâtrale de Chicago. En 1931, il est repéré par un entrepreneur de spectacles new-yorkais et arrive à Broadway. Collaborateur d’opérettes luxueuses et directeur artistique de Radio City Music-Hall en 1933, il dispose de moyens considérables pour monter des ballets et des revues. Il s’initie également à l’art d’avant-garde et à la psychanalyse. Un premier séjour à Hollywood ne lui procure pas d’emploi, mais en 1939, il accepte un contrat de deux ans avec Arthur Freed à la M.G.M., où il étudie la confection des comédies musicales.


En 1903, lu ville de Saint-Louis se prépare avec effervescence à l’Exposition Universelle qui doit célébrer le centenaire de la vente de la Louisiane aux États-Unis. La famille Smith attend elle aussi ce grand événement, même si certains de ses membres se passionnent pour d’autres questions. La jeune Esther s’inquiète notamment du fait que le prétendant de sa sœur aînée ne semble pas vouloir se déclarer… Premier des cinq films tournés par Vincente Minnelli avec Judy Garland, cette comédie musicale de 1944 est un hymne à l’amour et aux joies de la famille. Genèse d’un immense succès.

Le 31 août 1942, Vincente Minnelli commence le tournage de Cabin in The Sky. Il est enfin, comme il l’écrit dans son autobiographie, « contremaître à l’usine ». L' »usine », c’est bien évidemment la M.G.M. dont Arthur Freed lui a fait patiemment découvrir tous les rouages. Cabin in The Sky est un musical, le premier des 13 musicals que réalisera le cinéaste. Il est important de remarquer que 12 des 13 musicals ont été produits par l’homme qui a le plus compté dans sa carrière, Arthur Freed.


En 1942, Minnelli réalise des séquences centrées sur Judy Garland, qu’il épousera en 1945, dans les films Babes on Broadway de Berkeley et Panama Hattie de Norman Z. Mac Leod. La même année, Freed lui confie la mise en scène complète de Cabin in the Sky, une comédie musicale interprétée exclusivement par des artistes noirs tels que Lena Horne, Ethel Waters, Louis Armstrong et Duke Ellington. Minnelli signe alors un contrat indéfiniment renouvelé avec la M.G.M., qui le prêtera à la Fox pour un seul film, Good bye Charlie, en 1964. Au sein de cette structure bien huilée, il parvient à intégrer des préoccupations personnelles dans un style classique et original, même s’il estime ne jamais avoir réussi à réaliser des films selon son cœur.


Dans un paradis de coton et de marbre, Florenz Ziegfeld se remémore ses souvenirs terrestres. Il fut un très célèbre directeur de revue à Broadway. Un à un, ses numéros défilent dans sa mémoire. Ne vous laissez pas effrayer par les automates mal dégrossis qui ouvrent le film. Dans un Broadway cartonné façon école maternelle, Vincente Minnelli commence par évoquer la pré-histoire de la comédie musicale, avec toute sa mièvrerie archaïque.

Le film noir a permis à de grands metteurs en scène comme Fritz LangNicholas RayOtto Preminger et Anthony Mann de créer leurs œuvres les plus imaginatives. Malheureusement, le seul film noir de Minnelli, manque parfois de puissance malgré certaines qualités, défaut regrettable car on y trouve pourtant le style du metteur en scène.


Minnelli a déclaré qu’il adoptait la même approche pour un drame que pour une comédie musicale. Ce parti pris permet de mieux comprendre l’ensemble de ses films comme une « peinture de la vie rêvée ». Ses héros transforment leur existence en rêve vécu (ainsi Madame Bovary) ou ils tentent de le faire, par l’art notamment (ainsi dans Lust for Life, qui retrace la vie de Van Gogh, de meilleure façon qu’on ne l’a dit) ; ou bien ils s’installent d’emblée dans l’art et nous y installent avec eux (voir l’ensemble des comédies musicales). Les deux limites de ce riche éventail de possibilités sont fournies par Brigadoon (un monde imaginaire peut être rejoint au cœur même de celui-ci) et par les films sur le cinéma (consacrés plus exactement à la vie des stars, qui mêle inextricablement réel et imaginaire). La conclusion de Brigadoon est d’un optimisme ludique, d’ailleurs émouvant, celle des films sur le cinéma est ambiguë, voire sombre.


Avant-garde ! A l’issue d’une projection de travail organisée le 29 août 1947 à la MGM, Cole Porter fait part de ses craintes au producteur Arthur Freed : selon lui, The Pirate risque fort de dérouter le public. Et de fait, malgré son affiche prestigieuse, la sortie de cette comédie musicale atypique va constituer un désastre financier, les recettes atteignant à peine la moitié du budget initial… D’où vient que ce film, aujourd’hui culte, n’a pas séduit en 1948 ?

Fasciné par Flaubert, Vincente Minnelli ne pouvait qu’être touché par Emma, personnage illogique et complexe, tiraillé entre un monde imaginaire et une réalité médiocre. Le film s’attache aux miroirs et à leurs reflets, qui témoignent de la lente dégradation du rêve : miroir terne dans une ferme, miroirs luxueux qui voient le triomphe d’Emma au bal (sur une valse de Miklós Rózsa). Et, à la fin, miroir brisé dans la chambre d’hôtel du médiocre adultère. Les mouvements d’appareil sophistiqués, dignes de Max Ophuls, accompagnent l’accession illusoire d’Emma à un autre monde.


Le style de l’esthète Minnelli est bien entendu d’apparence ornementale. Le choix de certains rideaux commande le succès d’une cure psychanalytique dans La Toile d’araignée (The Cobweb). Les chevaux de Marly, place de la Concorde, sont employés en rime visuelle de ceux de la vision de l’Apocalypse dans Les Quatre Cavaliers (et ceux-ci sont annoncés par les chevaux de bronze qui décorent discrètement un devant de cheminée dans la première séquence). On peut même soutenir que ce style est encore assez impersonnel dans ce somptueux gâteau d’anniversaire qu’est Ziegfeld Follies. Dans Un Américain à Paris même, l’imagination de Minnelli s’exprimerait surtout par le truchement des peintures célèbres qu’il utilise en toile de fond d’un ballet de vingt minutes (le plus long final tourné à cette date), n’était la chorégraphie plus intime du pas de deux au bord de la Seine, et surtout l’ambiance de mélancolie romantique qui baigne l’aventure de Gene Kelly.


Dès les premières images du film, on est un peu décontenancé, quelque chose de particulier empêche une adhésion totale. On réalise alors qu’il n’y a pas de musique d’accompagnement pendant la première moitié du film, fait plutôt rare dans les comédies. Elle ne fera une première apparition très discrète qu’au cours de la scène de la découverte des cadeaux de mariage. Vincente Minnelli, sans doute en raison de son expérience des comédies musicales, utilise toujours la musique d’accompagnement avec beaucoup de discernement.

Après le succès de Father of The Bride (Le Père de la mariée), la plupart des comédiens étant sous contrat, donc disponibles, le studio insiste auprès de Minnelli pour qu’il continue sur sa lancée. Ni lui ni Spencer Tracy ne sont enthousiastes. Pourtant, grâce à ce dernier, quelques scènes assez drôles sauvent Father’s Little Dividend 


Le style de Vincente Minnelli s’est donc déplacé sans problème, et avec un bonheur presque égal, de la comédie musicale à la comédie « mondaine » ou intimiste (ainsi le délicieux Il faut marier papa, où, d’ailleurs, le monde est vu à travers les yeux d’un enfant imaginatif). Il va même jusqu’au mélodrame et au drame mondain, pour s’accomplir, en fait, dans deux films tragiques qui abordent le problème, jusque-là éludé, de la responsabilité morale de l’artiste (Quinze Jours ailleurs) ou du dilettante (Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse). L’unité de l’inspiration n’est pas fonction des genres, et ce sont ses propres limites qui déterminent la part de réussite ou d’échec du cinéaste.


Paris d’opérette, chansons de Gershwin et danse sur les bords de Seine : Un Américain à Paris joue résolument la carte de la légèreté. C’est pourquoi la MGM en a confié la mise en scène à l’un des grands spécialistes de la comédie musicale, Vincente Minnelli. Épaulé par Gene Kelly, qui signe avec son brio habituel les chorégraphies du film, le cinéaste livre en 1951 une œuvre appelée à faire date. Certes, Minnelli dispose à la fois de moyens très confortables et de collaborateurs précieux.

Un producteur tyrannique vit pour ses films, au risque de détruire ses collaborateurs : une star, un réalisateur et un scénariste, assaillis par des souvenirs douloureux. Ce sont eux les ensorcelés, insectes effarés qui se brûlent à la flamme de Hollywood, que Minnelli contemple en entomologiste. Ce qu’il filme magnifiquement — il est un des cinéastes les plus personnels de l’époque —, c’est le rôle prépondérant joué par les producteurs dans le système hollywoodien. Le film devient alors un fascinant jeu de miroirs dans lequel les personnages semblent se répondre.


Tout n’est pas également heureux dans les premières incursions de Minnelli hors du film musical. Seule la verve de Spencer Tracy maintient au-dessus du médiocre Le Père de la mariée, et Comme un torrent pâtit des effets trop appuyés du drame final. En général, aux prises avec le réalisme provincial, ou même new-yorkais (Un Numéro du tonnerre, essai de film musical populiste, ne fait pas exception), Minnelli est assez peu à son aise. Il se heurte à certains problèmes de « jeu » et de liaison entre l’acteur et l’environnement. On peut noter à ce propos que si, pris globalement, Madame Bovary trahit l’esprit de Flaubert, l’actrice (Jennifer Jones) le retrouve. En outre, Minnelli s’est trouvé désemparé devant l’avènement du scope, dès qu’il s’agit de filmer un personnage isolé, dont l’inscription dans le décor n’est ni affirmée ni niée. Ce qui n’empêche ni Les Quatre Cavaliers… ni même Le Chevalier des sables, avec son prologue panthéiste, d’être de fort beaux films, qui ont bien résisté au piétinement de la critique. Feuilleton pseudo-freudien peu crédible sur le papier, La Toile d’araignée devient à l’écran, par un mélange impalpable de tact et de lucidité, l’un des films les plus fascinants de son auteur.


Produit en 1953 par la MGM, ce film légendaire réunit la fine fleur de la comédie musicale, plus précisément du backstage musical, « made in Hollywood » : Comden et Green au scénario, Minnelli à la réalisation et, devant la caméra, Fred Astaire et Cyd Charisse.

En 1954, Gene Kelly retrouve le réalisateur d’Un Américain à Paris pour une fable musicale pleine de bruyères et de cornemuses. On a parfois dit que Brigadoon était la plus européenne des comédies musicales américaines. Inspirée d’un conte allemand et transposée en Écosse, son intrigue joue sur la nostalgie de la Vieille Europe, cette terre qu’ont quittée tant d’immigrants devenus citoyens des États-Unis.


Dans une certaine mesure, les comédies musicales sont des films sur le cinéma, ou du moins sur la magie du spectacle, puisque monter une revue, par exemple, aboutit à présenter directement sur l’écran un pastiche des films noirs où danse et mélodrame se confondent (ainsi dans The Band Wagon). Mais Minnelli a affronté l’évocation pirandellienne des monstres sacrés de Hollywood directement dans Les Ensorcelés (The Bad and the Beautiful), triomphe du discours introverti dans l’éloge, d’ailleurs critique, de l’activité la plus extravertie.


Il est journaliste sportif, habite dans « une boîte à chaussures » désordonnée, aime le poker et les copains, se nourrit de sandwiches et de bière. Elle est modéliste, habite dans un appartement spacieux et moderne, fréquente le tout New York et ses amis sont raffinés. Voici une fois de plus deux mondes apparemment inconciliables face à face.  Et lorsqu’ils doivent cohabiter (partie de poker d’un côté, répétition du show musical de l’autre), l’harmonie n’est guère possible.

Réflexion sur l’inexorabilité du temps, le dérisoire des rêves et des passions, l’absurdité de la vie sociale, la fulgurance de l’instant et la tentation de la folie (jeu et alcool), Some came running (Comme un torrent) est le chef-d’œuvre de MinnelliFrank Sinatra, Dean Martin et surtout Shirley Mac Laine apportent à l’univers de l’auteur un sang nouveau et une authentique vigueur.


On n’a peut-être pas suffisamment considéré à quel point la folie glisse aisément derrière les films les plus réussis et les plus séduisants de Minnelli, depuis l’exercice d’hypnotisme qui résout l’imbroglio du Pirate jusqu’aux aveux de La Toile d’araignée et de Quinze Jours ailleurs. Déjà le fonctionnalisme de ses mises en scène de films musicaux se tempère moins d’une élégance fluide que de béances par où s’engouffre une certaine stridence. Cette démesure interne (dans Le Pirate) ou déployée (dans Un Américain à ParisKismet, voire Brigadoon puisque l’imaginaire y triomphe au-delà du vraisemblable) emporte Minnelli au bord du désespoir parfois, de la névrose toujours. Ainsi s’éclaire l’accumulation sincère des références culturelles (peinture anglaise et hollandaise dans Brigadoon , impressionnisme dans Un Américain à Paris) qui, au travail de la caméra, ajoutent un autre sens que celui d’une simple liaison entre les figures d’un ballet, ou que d’accompagner, voire de précéder un regard. Dans Quinze Jours ailleurs, un cinéaste génial en perdition se fait projeter un ancien film, Les Ensorcelés, où Kirk Douglas, producteur-réalisateur génial en difficulté, tenait un discours analogue à celui qu’il tient dans Quinze Jours ailleurs (où il est un acteur qui veut guérir d’une crise psychique, et qui « s’essaie » à la mise en scène). Il y a là l’indice d’une nostalgie et d’une blessure. L’artiste Minnelli, qu’on a très justement rapproché des peintres maniéristes italiens chez qui la virtuosité s’accompagne toujours d’inquiétude, ne montre que des personnages qui doutent de leur art. Même le spectacle triomphant de The Band Wagon est, dans l’intrigue, bien près d’échouer ; c’est d’ailleurs un spectacle de remplacement, fondé sur un transfert typiquement shakespearien. Ce qui donne à Minnelli la suprême occasion de citer son leitmotiv : The World is a stage, the stage is a world – of entertainment ! (« Le monde est une scène, la scène est un monde – un monde de divertissement ! »). Ce dernier mot, à qui songe aux drames par quoi s’est pratiquement close la carrière du cinéaste, laisse en suspens toute l’ambiguïté propre à Minnelli. [Gérard Legrand, « Minnelli Vincente (1903-1986) », Encyclopædia Universalis]


Adapté d’un roman de William Humphrey, auquel a été rajouté le personnage essentiel du fils illégitime, Home from the hill (Celui par qui le scandale arrive) fait penser au résumé que donnait  William Faulkner d’un de ses livres préférés, « Absalon, Absalon » : « C’est l’histoire d’un homme qui voulait des fils. Il en eut un de trop et il fut détruit. »  

Ce n’est pas sans nostalgie que l’on peut parler de Bells are ringing : ne s’agit-il pas de la dernière comédie musicale de Minnelli pour la Metro, de sa dernière collaboration avec Arthur Freed, du dernier « musical » produit par Freed, donc de la fin d’une époque ?

Two weeks in another town n’est pas la suite mais l’inverse de The Bad and the beautiful (Les Ensorcelés), tourné dix ans plus tôt. The Bad and the beautiful était le portrait incisif et fascinant d’un producteur hollywoodien despote et génial. Minnelli y faisait à travers lui l’apologie du système de production américain de l’époque et la fin en était moins ambiguë qu’il n’y paraissait. Une nouvelle fois, séduits par leur Pygmalion, Georgia, Fred et James Lee allaient participer ensemble à une nouvelle aventure cinématographique, à un nouveau chef-d’œuvre…


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