LAURENCE OLIVIER
Considéré comme l’un des plus grands acteurs de théâtre de son temps, Laurence Olivier s’est aussi révélé comme l’un des meilleurs cinéastes britanniques en réalisant trois magistrales adaptations de Shakespeare à l’écran, qui sont devenues de véritables classiques.
Spencer Tracy a dit un jour de lui qu’il était « le plus grand de tous les acteurs de cinéma », compliment d’autant plus remarquable qu’il venait de l’un de ceux qui eussent légitimement pu prétendre à ce titre. Pourtant, parce que Laurence Olivier s’est toujours considéré avant tout comme un acteur de théâtre (sa carrière sur la scène lui valut d’ailleurs le premier titre de lord jamais conféré à un comédien), la plupart des critiques anglosaxons ont eu longtemps tendance à négliger ses rôles à l’écran. Laurence Olivier n’en a pas moins tourné un peu plus d’une soixantaine de films, au premier rang desquels figure sa fameuse trilogie shakespearienne composée de Henry V (1944), Hamlet (1948) et Richard III (1955). Les débuts de sa carrière cinématographique remontent à 1930, année pendant laquelle il apparaît au générique de deux films dans Too Many Crooks de George King et dans La Veuve temporaire (The Temporary Widow), comédie germano-britannique de Gustav Ucicky, qui ne devait du reste pas lui laisser un impérissable souvenir.
Consécration hollywoodienne
Pendant les années 1930, Laurence Olivier borne sa contribution au septième art à des rôles de jeunes premiers romantiques qui lui attirent les faveurs de Hollywood non sans quelques déboires d’ailleurs ; Greta Garbo le fera ignominieusement chasser du plateau de La Reine Christine (Queen Christina, 1933). Les films qu’il tourne alors en Angleterre ou aux Etats-Unis ne sont toutefois pour lui qu’un moyen commode de gagner de l’argent entre deux pièces de théâtre, et il faut bien dire que, malgré un premier rôle shakespearien (celui d’Orlando) dans Comme il vous plaira (As You Like It, 1936) de Paul Czinner, il a toute raison de penser qu’il n’est pas fait pour le cinéma. D’autant que son prestige ne cesse de croître au théâtre et que les producteurs ne lui proposent guère que des rôles refusés par Leslie Howard ou Ronald Colman. En outre son jeu demeure exclusivement théâtral, même dans une production à succès comme L’Invincible Armada (Fire Over England, 1937) de William K. Howard, le premier des trois films qu’il devait tourner avec Vivien Leigh, sa future seconde épouse.
C’est seulement sous la direction de William Wyler, qui lui confie le rôle de Heathcliff dans Les Hauts de Hurlevent (Wuthering Heights, 1939), que Laurence Olivier va prendre conscience de ses possibilités à l’écran et trouver une sorte de consécration internationale. Cette adaptation, au demeurant fort académique du roman d’Emily Brontë, lui vaut une nomination à l’Oscar d’interprétation - belle revanche pour l’acteur, qui s’était d’abord vu préférer Ronald Colman, qui n’était pas disponible, et Robert Newton, dont les essais avaient été catastrophiques. Plus tard, Laurence Olivier avouera avoir eu, jusqu’aux Hauts de Hurlevent, une attitude plutôt condescendante à l’égard du cinéma : « Mais, à partir de là, j’ai commencé à comprendre que le cinéma était un moyen d’expression original, et que si on le considérait comme tel que l’on s’efforçait de l’aborder avec humilité, il était possible d’arriver à quelque chose… » Il reconnaîtra que sans les conseils de William Wyler jamais il n’aurait eu l’idée de réaliser Henry V, cinq années plus tard.
En attendant, Laurence Olivier sera l’admirable partenaire de Joan Fontaine dans Rebecca (1940) d’Alfred Hitchcock et tournera Lady Hamilton (That Hamilton Woman !, 1941) sous la direction d’Alexander Korda. Si Laurence Olivier était resté à Hollywood, il ne fait aucun doute qu’il serait devenu l’un de ces acteurs romantiques très britanniques dont raffolaient les spectateurs américains. Mais comme il devait un jour le dire un peu durement : « Je n’ai aucune envie de devenir l’une de ces vedettes de cinéma du genre de ce cher Cary. » C’est que Laurence Olivier avait alors en tête des projets beaucoup plus personnels, liés à sa passion pour l’œuvre de Shakespeare.
Shakespeare à l’écran
Né le 22 mai 1907 à Dorking, dans le Surrey, Laurence Kerr Olivier était le fils d’un pasteur qui eût souhaité le voir suivre une vocation ecclésiastique. Mais le théâtre exerçait sur lui une telle fascination que, à l’âge de dix-sept ans, il abandonna ses études à l’université d’Oxford pour recevoir l’enseignement du célèbre comédien Fogerty. Engagé dans la troupe du Birmingham Repertory Theatre, il jouera de 1930 à 1938 à l’Old Vic, où il ne tardera guère à devenir le plus grand acteur shakespearien de sa génération. Et c’est avec le sentiment d’être personnellement investi d’une mission qu’il décidera de mettre les œuvres du dramaturge à la portée du grand public en assurant leur transposition à l’écran.
Laurence Olivier avait d’abord espéré que Vivien Leigh, qu’il avait épousée aux Etats-Unis après avoir divorcé de sa première femme, pourrait participer à ses projets : leur association avait fait d’eux l’un des couples d’acteurs les plus en vue de la profession, encore qu’à la scène, Vivien Leigh n’ait pas toujours fait le poids face à son talentueux partenaire. Malheureusement, à la suite du succès phénoménal d’Autant en emporte le vent (Gone With the Wind, 1939), celle qui avait incarné Scarlett O’Hara se vit interdire par David O. Selznick de se produire dans des rôles « insignifiants », fussent-ils sortis de l’imagination de Shakespeare… C’est la raison pour laquelle Laurence Olivier dut renoncer à donner à Vivien Leigh le rôle de la princesse Katherine dans Henry V, la première de ses trois adaptations shakespeariennes.
A l’origine, Laurence Olivier voulait confier la réalisation du film à William Wyler. La chose s’étant révélée impossible, il lui fallut se résoudre à se charger lui-même de la mise en scène, tout en jouant le rôle-titre. En fait, ainsi que l’historien britannique Roger Manvell devait le souligner, le projet n’aurait probablement jamais abouti sans l’intervention d’un excentrique avocat italien, Filippo Del Giudice, qui avait déjà convaincu Noel Coward de réaliser Ceux qui servent en mer (In Which We Serve, 1942), et qui était à la recherche d’un « classique » patriotique susceptible de coïncider avec le débarquement en Normandie…
Avec un budget de 300 000 livres (qui ne fut dépassé que d’un tiers), Laurence Olivier a procédé à un traitement audacieux du texte original, coupant un quart de la pièce et ajoutant la magnifique séquence de la bataille d’Azincourt (tournée en Irlande), ainsi que la scène de la mort de Falstaff, empruntée à « Henry IV ». Cette scène, introduite en manière de flash-back, avait pour but d’expliquer la disgrâce du vieil homme. La décision de commencer et de finir le film dans le cadre traditionnel du Shakespeare’s Globe Theatre et de faire jouer Falstaff par le célèbre comédien de music-hall George Robey témoignait d’un rare courage professionnel. Le film fut une réussite, Laurence Olivier ayant su donner une réelle dimension cinématographique à une mise en scène qui, fondée sur la convention élisabéthaine, s’élargit peu à peu pour aboutir au superbe spectacle de la bataille d’Azincourt, ainsi que le font observer Raymond Lefèvre et Roland Lacourbe dans « Trente Ans de cinéma britannique ».
Bien que le coût de Henry V n’ait été amorti qu’après plusieurs années d’exploitation, son succès auprès du public incita immédiatement Laurence Olivier à poursuivre son entreprise avec Hamlet. Il n’était pas bien certain d’être parfaitement désigné pour interpréter personnellement Hamlet. Il n’en fut pas moins remarquable. Quant à la mise en scène, très différente de celle de Henry V, elle se caractérise par un souci de réalisme décoratif et, surtout, par une virtuosité cinématographique qui ne laisse peut-être pas, parfois, d’être excessive : on dirait que la caméra, extrêmement mobile, s’introduit dans tous les recoins de l’œuvre, épousant le mouvement dramatique en de savantes arabesques – au détriment d’une certaine concentration. Ces réserves faites, et malgré les nombreuses coupes qui firent sursauter les puristes, le Hamlet de Laurence Olivier est impressionnant.
Les chevaux du roi Richard
Tournée en technicolor comme Henry V (alors que Hamlet était en noir et blanc), la troisième et dernière adaptation shakespearienne de Laurence Olivier est souvent considérée comme la plus forte et la plus aboutie cinématographiquement. Pourtant, l’acteur-réalisateur en avait proposé la réalisation à Carol Reed, souhaitant se consacrer entièrement à son interprétation. Le refus de Reed fut somme toute bénéfique. Raymond Lefèvre et Roland Lacourbe écrivent : « Dans Richard III, Laurence Olivier mise surtout sur l’interprétation du personnage central qu’il campe, sous un maquillage enlaidissant, d’une manière aussi personnelle qu’efficace. Ses apartés avec les spectateurs sont d’une audace surprenante et permettent d’approcher progressivement la psychologie de étrange et inquiétant tyran qui multiplie les crimes les plus odieux. (…) Le mélange des genres propres à Shakespeare trouve un équivalent visuel dans la manière d’alterner des langages cinématographiques apparemment opposés. La stylisation la plus poussée s’harmonise avec le réalisme cinématographique traditionnel, la nuance fugace avec le paroxysme. »
Aux Etats-Unis, à la suite d’un accord sans précédent avec la N.B.C., Richard III fut d’abord programmé à la télévision. La diffusion du film était interrompue à trois reprises par des flashes publicitaires de la General Motors, dont l’un vantait une batterie de voiture « plus puissante que tous les chevaux du roi Richard »…
Avec John Osborne
Les recettes enregistrées par Henry V, Hamlet et Richard III furent cependant insuffisantes pour décider un producteur à financer l’adaptation de « Macbeth », que Laurence Olivier avait ensuite envisagée. La suite de sa carrière cinématographique en sera profondément affectée. Si la réalisation du Prince et la danseuse (The Prince and the Showgirl, 1957), qu’il interprétait aux côtés de Marilyn Monroe, n’a rien ajouté à sa gloire, si son adaptation des « Trois Sœurs » de Tchekhov (Three Sisters, 1970) ne s’écarte guère du principe du théâtre filmé, Laurence Olivier devait toutefois, mais en tant qu’acteur seulement, retrouver l’occasion de marquer profondément le cinéma britannique : ce fut avec Le Cabotin (The Entertainer, 1960) de Tony Richardson. Tiré d’une pièce de John Osborne, que Laurence Olivier avait créée à la scène, ce film attestait la passion qui habitait le grand acteur shakespearien, capable de mettre en jeu son prestige pour apporter son soutien à l’œuvre de l’un de ces « jeunes gens en colère » qui suscitaient tant de controverses au sein du monde intellectuel londonien. Mais il avait compris que le rôle d’ Archie Rice était l’un des plus forts qu’il lui ait été donné de jouer.
Par la suite, Laurence Olivier fera de nombreuses apparitions à l’écran, souvent savoureuses comme dans Le Limier (Sleuth, 1972) de Joseph L. Mankiewicz. Mais ce sera essentiellement afin de résoudre ses problèmes financiers… Laurence Olivier meurt à son domicile d’Ashurst dans le West Sussex, d’une insuffisance rénale, le 11 juillet 1989. Il a été enterré à Steyning dans le West Sussex. Ses cendres reposent dans le Poets’ Corner de l’Abbaye de Westminster. En 2007, le centenaire de sa naissance, une statue d’Olivier jouant le rôle de Hamlet fut dévoilée hors le Royal National Theatre à Londres.