duminică, 30 octombrie 2022

CINEMA ITALIAN / ANII 50

 

LE CINÉMA ITALIEN AU DÉBUT DES ANNÉES 1950

Au début des années 1950, le néoréalisme est en régression. Mais le cinéma italien découvre de nouvelles sources de fertilité, tandis que des cinéastes comme Freda ou Matarazzo illustrent la vitalité des genres populaires. 

Senso (Luchino Visconti, 1950)

Les années 1950 commencent bien pour le cinéma italien, tenant les promesses de la précédente décennie. La production est en augmentation passant de 104 films en 1950 à 204 en 1954. Les salles de projection voient leur nombre se multiplier : de moins de 5 000 à la fin de la guerre, elles sont 13 296 en 1953 et 16 207 en 1955. Quant aux recettes, elles sont caractérisées par une proportion croissante en faveur de la production nationale (24% en 1950, 36% en 1954), même si le cinéma américain demeure en tête. 

CINECITTÀ À L’HEURE INTERNATIONALE 

Les compagnies américaines trouvent de multiples avantages à venir tourner en Italie. La liste des « runaway productions » comprend notamment  Prince of foxes (Échec à Borgia, 1949), de Henry Black Magic king (Cagliostro, 1949), de Gregory Ratoff, Othello (1952), d’Orson Welles, Roman holiday (Vacances romaines, 1953), de William Wyler, Three coins in the fountain (La Fontaine des amours, 1954), de Jean Negulesco, Mambo (1954), de Robert Rossen, Beat the devil (Plus fort que le diable, 1953), de John Huston, The Barefoot Contessa (La Comtesse aux pieds nus, 1954), de Joseph L. MankiewiczHelen of Troy (Hélène de Troie, 1955), de Robert Wise, Summer madness (Vacances à Venise, 1955), de David Lean, War and peace (Guerre et paix, 1956), de King Vidor.

Chronique des pauvres amants (Carlo Lizzani, 1954)

Résolument ouverts à l’étranger, les studios italiens accueillent également Laurel et Hardy qui y tournent leur dernier film, Atoll K (1951), de Léo Joannon, tandis que Gloria Swanson fait une apparition remarquée dans O.K. Nerone (O.K. Néron, 1951), de Mario Soldati. Plusieurs actrices de nationalités diverses font ainsi leur entrée dans la cinématographie italienne, telles Martine Carol, May Britt, Martha Toren ou Tamara Lees. Par l’effet des accords de coproduction, de nombreux films réalisés par des cinéastes étrangers, français surtout, sont enfin considérés, du point de vue économique, comme des productions italiennes : c’est le cas de Fanfan la Tulipe (1951), de Christian-Jaque, Les Belles de nuit (1952), de René ClairLe Carrosse d’or (1952), de Jean RenoirTouchez pas au grisbi (1953), de Jacques BeckerLe Grand Jeu (1954), de Robert Siodmak, La Tour de Nesle (1954), d’Abel GanceMuerte de un ciclista (Mort d’un cycliste (1955), de Juan Antonio Bardem, Les Grandes manœuvres (1955), de René Clair

Chronique d’un amour (Michelangelo Antonioni, 1950)

Cependant, la production cinématographique italienne trahit quelques signes de fragilité : déséquilibre sensible entre les exportations et les importations, faiblesses de l’infrastructure industrielle, dangereuse concentration des circuits de distribution. En outre, la loi sur le cinéma promulguée en 1949 arrive à expiration en 1955, et rien n’a été prévu pour la remplacer. Quant aux cinéastes, Ils se plaignent d’une censure qui s’acharne sur des œuvres aussi peu subversives que Senso (1954) de Visconti, La Romana (La Belle Romaine, 1954) de Luigi Zampa, Giorni d’amore (Jours d’amour, 1954), de Giuseppe De Santis, Totò e Carolina (1955), de Mario Monicelli. En 1953, Guido Aristarco et Renzo Renzi, coupables d’avoir publié dans « Cinema Nuovo » le synopsis d’un film destiné à relater les piètres exploits des soldats italiens en Grèce, sont même traduits devant un tribunal militaire, condamnés et enfermés dans la forteresse de Peschiera ! 

Femmes entre elles (Michelangelo Antonioni, 1955)

En 1955, la crise est ouverte. La production nationale retombe au niveau de 1951. Au mois d’avril, des metteurs en scène et des scénaristes rédigent un manifeste d’une extrême virulence : « Nous accusons le gouvernement, par sa politique cinématographique, de vouloir liquider l’une des expressions les plus importantes de notre culture. » D’importantes mesures financières sont exigées, ainsi qu’une libéralisation de la censure. Sur le premier point, ils obtiendront satisfaction. 

AUTEURS ET PREMIERS FILMS 

Tous ces obstacles et ces difficultés matérielles n’entravent pas cependant l’imagination créatrice ni la ferveur des cinéastes de talent. Après avoir réalisé Francesco, giullare di Dio (Onze Fioretti de François d’Assise, 1950), Roberto Rossellini s’interroge sur les inquiétudes qui s’emparent d’une humanité malheureuse et déçue. Stromboli, terra di Dio (Stromboli, 1950), Europa 51(1951), Dov’è la libertà ? (Où est la liberté ?, 1953), Viaggio in Italia (Voyage en Italie, 1954) et La Paura (La Peur, 1954) annoncent les débats essentiels de la prochaine décennie. Mais Giovanna d’Arco al rogo (Jeanne au bûcher, 1954), adaptation de l’œuvre lyrique de Claudel et Honegger, témoigne du malaise d’un cinéaste auquel les producteurs ne font plus confiance après l’échec de sa série de films avec Ingrid Bergman. 

Courrier du coeur (Federico Fellini, 1952)

Avec Anna Magnani, Luchino Visconti tourne Bellissima (1951), magnifique portrait d’une femme du peuple qui reporte ses espoirs déçus sur sa fille. Trois ans plus tard c’est Senso (1954), chatoyante mais aussi cruelle radiographie d’une passion au temps du Risorgimento. Dans Miracolo a Milano (Miracle à Milan, 1951), Vittorio De Sica harmonise l’esthétique néoréaliste, l’esprit du conte de fées et l’humour surréaliste de Zavattini. Umberto D. (1951), qui lui fait suite, reste probablement le film le plus lucide et le plus dur jamais réalisé sur la solitude du troisième âge. Le succès commercial viendra, pour De Sica, avec Stazione termini (1953) et L’Oro di Napoli (L’Or de Naples, 1954), films malheureusement marqués par une sensible régression artistique. 

La Pensionnaire (Alberto Lattuada, 1954)

Au début des années 1950 commencent des carrières prometteuses comme celle, en particulier, de Michelangelo Antonioni. Avec Cronaca di un amore (Chronique d’un amour, 1950), I vinti (Les Vaincus, 1952), film longtemps interdit en France à cause de l’évocation d’un fait divers célèbre à l’époque, ou Le Amiche (Femmes entre elles, 1955), le cinéma italien se détache des classes les plus défavorisées. Observateur des mœurs bourgeoises, Antonioni traite avec un certain détachement de ces malaises auxquels Rossellini semble répondre en termes d’existentialisme chrétien. Ses films possèdent une rigueur formelle beaucoup plus appréciée dans les ciné-clubs que dans le grand public. 

Pain, amour et fantaisie (Luigi Comencini, 1953)

D’autres cinéastes, nombreux et d’importance très inégale, font alors leurs premiers pas : Carlo Lizzani avec Achtung banditi !(1951) et Cronache di poveri amanti (Chronique des pauvres amants, 1954) ; Glauco Pellegrini avec Sinfonia d’amore (Symphonie inachevée, 1955) ; Sergio Corbucci avec Salvate mia figlia (1951) ; Gianni Puccini avec Il capitano di Venezia (1952) ; Antonio Pietrangeli avec Il sole negli occhi (1953) ; Piero Nelli avec La Pattuglia sperduta (La Patrouille perdue, 1954) ; Francesco Maselli avec l’épisode Histoire de Catherine dans l’Amour à la ville (Amore in città, 1955) et Gli sbandati (1955) ; Luigi Malerba et Antonio Marchi avec Donne e soldati (1955) ; Valerio Zurlini avec Le Ragazze di San Frediano (1954) ; Franco Rossi avec I falsari (1952), Il seduttore (1954) et Amici per la pelle (Amis pour la vie, 1955) ; Dino Risi avec Vacanze col gangster (1952), l’épisode Paradis pour quatre heures, dans Amore in città et Il segno di Venere (Le Signe de Vénus, 1955), interprété par le couple à succès Vittorio De Sica – Sophia Loren. 

Bannie du foyer (Raffaello Matarazzo, 1950)

La plupart des cinéastes de cette génération sont issus du documentaire ou de la critique, à moins qu’ils n’aient été d’abord scénaristes, comme Federico Fellini qui, en 1950, signe Luci del varietà (Feux du music-hall) avec Alberto Lattuada avant de présenter Lo sceicco bianco (Courrier du cœur, 1952) à la Mostra de Venise. Accueilli fraîchement par la critique, en dépit de ses qualités évidentes, le film sera un fiasco commercial. Fellini, toutefois, ne tarde pas à s’imposer avec I vitelloni (Les Vitelloni, 1953) et l’épisode Agence matrimoniale dans Amore in città, mais surtout avec La Strada (1954) et Il Bidone (1955), films dans lesquels le cinéaste élargit son univers poétique, fondé sur les souvenirs de son enfance et sur la fascination du monde du spectacle et lui donne une dimension métaphysique. A cet égard, La Strada reste le film le plus significatif de cette période. 

Deux nuits avec Cléopâtre (Mario Mattoli, 1955)

Les cinéastes révélés quelques années auparavant ne ralentissent pas pour autant leur production. C’est de 1951 que date l’un des meilleurs films de Giuseppe De Santis, Roma ore 11 (Onze heures sonnaient), bientôt suivi de Un Marito per Anna Zaccheo(1953) et Giorni d’amore (Jours d’amour, 1954). Infatigablement, Alberto Lattuada tourne film sur film : Anna (1951), un mélo de luxe, Il cappotto (Le Manteau, 1952), tiré d’un récit de Gogol et adapté au milieu italien, La Lupa (La Louve, 1953), d’après une nouvelle de Verga, l’épisode Les Italiens se retournent dans Amore in città, et La spiaggia (La Pensionnaire, 1954), qui offre à Martine Carol un fort joli rôle. Pietro Germi, quant à lui, aborde des genres très différents. et de façon très inégale avec La Città si difende (Traqué dans la ville , 1951), La Presidentessa (Mademoiselle la présidente, 1952), Il brigante di Tacca del Lupo (La Tanière des brigands, 1952) et Gelosia (1953). Eduardo De Filippo signe Filumena Marturano (1951), Marito e moglie (1952), Ragazze da marito (1952), l’épisode Avarice et colère dans Sette peccati capitali (Les Sept péchés capitaux, 1952), Napoletani a Milano (1953) et Questi fantasmi (1954). La plupart de ces films demeurent inconnus en France, où, seul, Napoli milionaria (Naples millionnaire, 1950) obtint un certain succès. De son côté, enfin, Mario Camerini renonce à la veine intimiste, qui lui avait valu beaucoup d’estime, pour s’atteler à la réalisation d’un colossal et très hollywoodien Ulisse (Ulysse, 1954) et reprendre ensuite, dans La Bella mugnaia (1955), son vieux succès d’avant-guerre, Il cappello a tre punte (1934). 

LES COURANTS TRADITIONNELS 

Tous ces cinéastes, que l’on rattache plus ou moins au courant néoréaliste, sont cependant loin de tenir le haut du pavé. Des formes cinématographiques plus traditionnelles survivent en effet avec une belle fécondité. Les modes de jadis continuent de séduire le public avec des films comme Bellezze in bicicletta (1951), de Carlo Campogalliani. Mais le plus étonnant exemple de cette pérennité reste indéniablement celui de Raffaello Matarazzo, dont on ne peut toutefois oublier qu’avant la guerre, avec Treno popolare (1933), il avait été l’un des authentiques précurseurs du néoréalisme. Ses mélodrames des années 1950, réalisés avec une intelligence cinématographique admirable, bouleversent des millions de spectateurs italiens : Catene (Le Mensonge d’une mère, 1950), Paolo e Francesca (1950), Tormento (Bannie du foyer, 1951), I figli di nessuno (Le Fils de personne, 1951), Torna ! (Larmes d’amour, 1954), La Nave delle donne maledette (Le Navire des filles perdues, 1954), L’angelo bianco (1955). Avec beaucoup moins de talent et de rigueur, Mario Costa tire les larmes des spectateurs grâce à des œuvres comme Perdonami (Pardonne-moi, 1953), Ti ho sempre amato (Marquée par le destin, 1954), Pietà per chi cade (Pitié pour celle qui tombe, 1954) ou Gli amori di Manon Lescaut (Les Amours de Manon Lescaut, 1954), nouvelle version du roman de l’abbé Prévost avec Myriam Bru, Franco Interlenghi et Roger Pigaut. 

Dommage que tu sois une canaille (Alessandro Blasetti, 1954)

Le simple énoncé de quelques titres suffit à démontrer la permanence de l’inspiration traditionnelle : Anema e core (1951), de Mario Mattoli, Messalina (1951), de Carmine Gallone, La Pieca di Sorrento (La Prisonnière des ténèbres, 1952), de Giacomo Gentilomo, Frine, cortigiana d’Oriente (Phryné, courtisane d’Orient, 1953), de Mario Bonnard, Casta diva (A toi… Toujours, 1955), de Carmine Gallone, ou les inusables Le Due orfanelle (Deux Orphelines, 1955), de Gentilomo, sujet déjà réalisé par Capellani (1910), Griffith (1921), Tourneur (1932) et Gallone (1943) en attendant Freda (1965)… 

Le Ciel est rouge (Claudio Gora, 1950)

Riccardo Freda, avant de tourner ses Deux Orphelines, s’illustre dans un genre qui n’a rien perdu de sa vitalité : le cinéma d’aventures historiques et de cape et d’épée. C’est avec brio qu’il réalise notamment La Vendetta di Aquila Nera (La Vengeance de l’Aigle noir, 1952), Spartaco (1953), Teodora, l’imperatrice di Bisanzio (Théodora, impératrice de Byzance, 1953). Nettement inférieur à Freda, mais tout aussi fécond, Pietro Francisci signe de son côté Il leone di Amalfi (Le Prince pirate, 1951), Le Meravigliose aventure di Guerrin Meschino (Le Prince esclave, 1952), La Regina di Saba (La Reine de Saba, 1952) et Attila (1954). 

Quelques pas dans la vie (Alessandro Blasetti et Paul Paviot, 1954)

Il convient en revanche de porter une attention particulière aux films de Vittorio Cottafavi, cinéaste largement méconnu en France et en Italie même et dont Michel Mourlet a défini ainsi l’univers : « Un cinéma de passion, de tortures, de terreur et d’amour s’inventait devant nos yeux émerveillés, en gestes rares, en regards de pierre, de glace et de métal, en silences assourdissants. » Il y a en effet quelque chose de « racinien » dans les films de cape et d’épée de Vittorio Cottafavi dont la forme très élaborée ne laisse pas d’être surprenante : Il boia di Lilla (Milady et les mousquetaires, 1952), I piombi di Venezia (Le Bourreau de Venise, 1952) et Il cavaliere di Maison Rouge (Le Prince au masque rouge, 1953) en sont de remarquables exemples. 

Le Chevalier sans loi (Mario Soldati, 1952)

Enfin l’éclectique et spirituel Mario Soldati, qui porte à l’écran « La Provinciale » de Moravia – le film sera distribué en France sous le titre La provinciale (La Marchande d’amour, 1953) -, sacrifie à la tradition héroïque avec Donne e briganti (Fra Diavolo, 1951), Le Aventure di Mandrin (Le Chevalier sans loi, 1952) et deux films adaptés de Salgari, le célèbre romancier populaire italien du XIXe siècle, I tre corsari (Les Trois Corsaires, 1952) et Jolanda, la figlia deI Corsaro Nero (La Fille du corsaire noir, 1953). 

Il bidone (Federico Fellini, 1955)

Au cours de cette même période, les films de guerre retrouvent la faveur du public avec Carica eroica (1952) et Uomini ombra (1954), de Francesco De Robertis, I sette dell’Orsa Maggiore (Panique à Gibraltar, 1953) et Divisione Folgore (1954), de Duilio Coletti, Siluri umani (Torpilles humaines, 1954), d’Antonio Leonviola. Tout en soulignant l’inutilité de leur sacrifice, ces films exaltent sans réserve l’héroïsme des combattants italiens sur le front de l’Est ou en Lybie, ainsi que les exploits des célèbres hommes-grenouilles du prince « noir » Valerio Borghese. 

Théodora, impératrice de Byzance (Riccardo Freda, 1954)

S’il est une tradition bien enracinée dans le sol italien, c’est bien la tradition musicale, et le cinéma ne manque pas de lui rendre hommage flattant la fierté nationale du grand public. D’ambitieuses biographies cinématographiques voient ainsi le jour, comme le superbe Giuseppe Verdi (1953), de Raffaello Matarazzo, le Puccini (1953), de Carmine Gallone ou le Enrico Caruso (1951), de Giacomo Gentilomo, sans oublier un autre film de Gallone consacré au fameux éditeur musical Ricordi, Casa Ricordi (La Maison du souvenir, 1954). Et, tandis qu’une Aida (1953) avec Sophia Loren soulève des tempêtes d’applaudissements, Domenico Paolella offre au public populaire des comédies musicales remplies de mélodies propres à enchanter les oreilles du plus grand nombre : Canzoni di mezzo secolo (1952), Canzoni, canzoni, canzoni (1953) et Canzoni di tutta ltalia (1955). Mais une mention spéciale doit être faite au sujet d’un excellent film d’Ettore Giannini, Carosello napoletano (Le Carrousel fantastique, 1954). Alliant avec beaucoup de goût le chant, la chorégraphie et les intermèdes dialogués, ce film aux couleurs féeriques réussit à évoquer trois siècles de patrimoine musical parthénopéen, de 1600 à 1918. 

Le Carrousel fantastique (Ettore Giannini, 1954)

Signalons enfin la vogue que connaissent alors les documentaires exotiques, parmi lesquels certains trouvent également la notoriété au-delà des frontières italiennes : par exemple Magia verde (Magie verte, 1954), de Gian Gaspare Napolitano, Sesto continente (Sixième Continent, 1954), de Folco Quilici, Continente perduto (Continent perdu, 1955), de Bonzi, Craveri et Gras, ainsi que L’impero del sole (L’Empire du soleil, 1956), de Craveri et Gras. 

VEDETTES ET COMIQUES

C’est au début des années 1950 que de nouvelles vedettes font leur apparition ruinant le prestige des anciennes. Gina Lollobrigida fait ainsi de bien alléchantes démonstrations de charme dans Fanfan la Tulipe, dans la série des Pain, amour et… , dans La Donna più bella deI mondo (La Belle des Belles, 1955), de R.Z. Leonard , où elle incarne la célèbre chanteuse Lina Cavalieri. Plantureuse et pimpante femme du peuple dans L’Or de Naples, Sophia Loren impose rapidement sa généreuse plastique, et Mario Soldati l’invite à imiter la Silvana Mangano de Riso amaro (Riz amer, 1949) dans La Donna deI fiume (La Fille du fleuve, 1955). Anna Magnani ou Alida Valli doivent céder désormais la palme à ces robustes et toniques modèles de féminité que sont Gina Lollobrigida, Sophia Loren et Silvana Pampanini entourées de la maternelle Yvonne Sanson, compagne d’infortune d’Amedeo Nazzari dans les films de Matarazzo, de Gianna Maria Canale, l’interprète préférée de Riccardo Freda, ou de beautés plus délicates comme Lucia Bosé, Anna Maria Ferrero, Eleonora Rossi Drago ou Antonella Lualdi. 

La Belle des belles (Robert Z. Leonard, 1956)

C’est Totò qui détient alors le sceptre du comique, tandis que décroît la popularité de Macario, de Tino Scotti ou de Nino Taranto. En cinq ans, Totò ne tourne pas moins de vingt-trois films, parmi lesquels Guardie e ladri (Gendarmes et voleurs, 1951), Dov’è la libertà ? (Où est la liberté ?, 1952), L’Oro di Napoli (L’Or de Naples, 1954), Miseria e nobiltà (Totò, misère et noblesse, 1954) et Siamo uomini o caporali ? (1955) comptent parmi les plus réussis. 

Misère et noblesse (Mario Mattoli, 1954)

Si une indéniable expression comique habite Walter Chiari, c’est plutôt à Vittorio De Sica et Gino Cervi que va la faveur du public italien. Tandis que le premier, entre deux mises en scène, campe de pittoresques compositions, le second, tout en jovialité, se taille un mémorable succès dans le rôle de Peppone, l’ineffable maire communiste du Petit monde de Don Camillo (1952). Dans ce film réalisé par Julien Duvivier et inspiré des personnages de Giovanni Guareschi, polémiste aux opinions volontiers conservatrices, Gino Cervi forme avec Fernandel un duo savoureux. Les interminables et cocasses disputes du communiste et du curé se poursuivront dans Le Retour de Don Camillo (1953), de Duvivier également, La Grande Bagarre de Don Camillo (1955) et Don Camillo monseigneur (1961), de Carmine Gallone, et enfin Don Camillo en Russie (1965), de Luigi Comencini. 

On ne peut dire que Luigi Comencini, qui deviendra l’un des meilleurs cinéastes italiens des années 1960, fasse œuvre très personnelle en réalisant, en 1953, Pane, amore e fantasia (Pain, amour et fantaisie). Interprétée par Gina Lollobrigida et Vittorio De Sica, cette plaisante farce villageoise n’en est pas pour autant dénuée de charme. Elle sera d’ailleurs aussitôt suivie, toujours sous la direction de Comencini, de Pane, amore e gelosia (Pain, amour et jalousie, 1954), puis de Pane, amore e… (Pain, amour, ainsi soit-il, 1955), cette fois de Dino Risi. Cette série à succès, dont la forme demeure des plus conventionnelles, reprend avec bonheur certaines recettes du néoréalisme, suivant en cela l’exemple de Renato Castellani qui, dans Due soldi di speranza (Deux sous d’espoir, 1952), évoque le destin de deux amoureux pauvres d’argent, mais riches de vie et d’espérance… 

LA COMÉDIE À L’ITALIENNE 

La comédie « à l’italienne », qui connaîtra son âge d’or aux cours des années 1960 et 1970, trouve alors une illustration brillante avec le. films d’Alessandro Blasetti. Dans Altri tempi (Heureuse Epoque, 1952) et Tempi nostri (Quelques Pas dans la vie, 1954), les épisodes souriants alternent, comme dans un recueil de nouvelles, avec des moments dramatiques, tandis que Peccato che sia una canaglia (Dommage que tu sois une canaille, 1955) et La Fortuna di essere donna (La Chance d’être femme, 1955) peuvent rivaliser avec les meilleures comédies américaines.

Les Fiancés de Rome (Luciano Emmer, 1952

°Scénariste attaché à la naissance du néoréalisme, Sergio Amidei écrit, pour différents cinéastes, d’amusantes mosaïques de destinées individuelles croisées au hasard de la vie : Parigi è sempre Parigi (Paris est toujours Paris, 1951), Le Ragazze di piazza di Spagna (Les Fiancées de Rome, 1952) et Terza liceo (L’Amour au collège, 1953), de Luciano Emmer, Villa Borghese (Les Amants de la villa Borghese, 1953), Le Signorine dello 04 (1955) et Racconti romani (Cette folle jeunesse, 1955), de Gianni Franciolini. 

Les Vitelloni  (Federico Fellini, 1953)

Mais c’est véritablement Mario Monicelli qui ouvre la voie royale de la satire cinglante. Avec Steno il réalise Guardie e ladri (Gendarmes et voleurs, 1951) et Totò e i re di Roma (1955) puis seul, Totò e Carolina (1955). Quant a Luigi Zampa, après le succès des Processo alla città (Les Coupables, 1952), il se livre à d’amères chroniques des tares sociologiques italiennes, avec Anni facili (1953) et L’Arte di arrangiarsi (1954). C’est dans ce dernier film que s’impose Alberto Sordi, dont Fellini a révélé les dons mimétiques exceptionnels dans Courrier du cœur et Les Vitelloni, et dont la carrière féconde sera associée à toute l’histoire de la comédie « à l’italienne ». 


LE CINÉMA ITALIEN DANS LA TOURMENTE DE LA GUERRE
Quand l’Italie déclare la guerre à la France et à l’Angleterre, le 10 juin 1940, Cinecittà semble ne pas vouloir se rendre à l’évidence de la gravité de la situation. Sur le plan cinématographique, la bataille contre l’invasion américaine a été gagnée dès 1938. Grâce à la loi Alfieri (du 6 juin) et à la loi sur le monopole (du 20 septembre de la même année), la production étrangère a été bloquée et, sur le plan intérieur, on a vu se développer, par voie de conséquence, ce que certains ont appelé une « véritable orgie de production ».


PANE, AMORE E FANTASIA (Pain, Amour et Fantaisie) – Luigi Comencini (1953)
Lorenzo Codelli, publié dans la revue Positif en février 1974, il a déclaré : « Je voulais une comédie villageoise qui soit parfaite comme du Beaumarchais, une comédie « de caractères » assez élégante, et sans vulgarité, avec un fond social assez précis. Le maréchal des logis, qui est le personnage central, s’occupe de tout sauf des problèmes réels du village, il ne pense qu’à manger et à se trouver une femme. C’était à demi-sérieux, avec beaucoup de pointes comiques, mais avec un fond assez amer. »


luni, 24 octombrie 2022

LAURA – Otto Preminger (1944)

 


LE FILM ÉTRANGER

LAURA – Otto Preminger (1944)

On ne peut pas citer Laura sans rendre hommage à Gene Tierney, l’une des comédiennes les plus belles et les plus sensibles de l’histoire du cinéma. Il faut aussi souligner le talent de Preminger, qui a traité cette histoire d’amour « noire » d’une façon totalement originale. La première scène d’amour n’est-elle pas celle de l’interrogatoire de Laura ? Plus le passé de Laura se dévoile, plus les questions de l’inspecteur, dont on devine la jalousie, deviennent violentes et cruelles. Le visage de Laura reste émouvant sous la lumière du projecteur. L’inspecteur finit par détourner cette lumière violente de son visage. Premier geste d’amour… [Le film noir américain – François Guérif – Ed. Henri Veyrier – 1979]


Tout comme Casablanca, qui fut victime d’une multitude de déboires, Laura a subi une succession de vicissitudes avant d’apparaître comme le film « parfait » qu’il s’est révélé être. Intéressé par le roman de Vera Caspary, Otto Preminger, qui a été engagé à la 20th Century-Fox par Joseph Schenck mais dont les manières déplaisent à Darryl F. Zanuck, cherche à en produire et à en réaliser une adaptation cinématographique. Zanuck exige que, de toute manière, Preminger n’en soit que le producteur, et en tout cas pas le metteur en scène. Vera Caspary semble souhaiter que John Brahm réalise le film. Zanuck est favorable à Walter Lang, Preminger à Lewis Milestone. Ce sera finalement Rouben Mamoulian, dont Preminger dira à propos de son cachet de metteur en scène de soixante-dix mille dollars : « Il avait besoin d’argent.»

Le choix des acteurs est une nouvelle source de problèmes. Jennifer Jones et Hedy Lamarr sont pressenties successivement pour le rôle de Laura Hunt. Il semble que Preminger ait insisté pour qu’il soit finalement attribué à Gene Tierney. De même, Mark McPherson et Shelby Carpenter ne devaient pas être au départ interprétés par Dana Andrews et Vincent Price, mais par John Hodiak et Reginald Gardiner. Plus important encore va être le choix de celui qui jouera Waldo Lydecker, follement épris de Laura et prêt à tuer pour empêcher un mariage qu’il juge dégradant pour sa protégée. Zanuck et Mamoulian envisagent de confier le rôle à Laird Cregar. Mamoulian l’avait déjà dirigé à deux reprises, dans Blood and Sand (Arènes sanglantes) et dans Rings on her Fingers (Qui perd gagne) Gene Tierney étant aussi l’interprète de ce dernier film. Laird Cregar avait composé, dans I Wake Up Screaming (Qui a tué Vicky Lynn ?), en 1941, une superbe et inquiétante silhouette de policier aux pulsions criminelles évidentes. Preminger s’oppose dès le départ à cette idée, expliquant : « Moi qui avais travaillé très dur sur le scénario, je pensais que la seule possibilité de réussir était que les gens ne sachent pas dès le début que ce personnage amusant, civilisé était le vilain. » Dans l’esprit de Preminger, Laird Cregar est trop visiblement le meurtrier pour l’être sans nuire à l’ambiguïté de l’histoire. Il lui préfère Clifton Webb qui, à ce moment-là, joue Blithe Spirit de Noel Coward. Zanuck, défavorable à Clifton Webb, répond à Preminger qui lui en parle : « He flies » (c’est-à-dire, c’est un homosexuel). Mais Preminger parvient, une fois de plus, à imposer son choix, et Clifton Webb est engagé. 

Le scénario verra de son côté cinq auteurs y travailler : Jay DratIer, en premier, puis Ring Lardner Jr., Samuel Hoffenstein et Betty Reinhardt, et enfin Jerome Cady, qui œuvrera sur les retakes. Ring Lardner Jr. et Jerome Cady ne figureront pas au générique final. Le tournage commence le 24 avril 1944. Preminger continue à désapprouver le choix de Marnoulian, et les deux hommes s’affrontent à plusieurs reprises. Preminger reçoit l’ordre de laisser Mamoulian tranquille, mais Darryl F. Zanuck lui-même finit par comprendre que Mamoulian n’est pas l’homme de la situation. Au lieu de s’entêter, il décide alors de le remplacer, et choisit Preminger pour succéder à Mamoulian. Preminger remplace le chef opérateur Lucien Ballard par Joseph LaShelle, change les décors et les costumes, et fait retirer le portrait de Laura, peint par Azadia Newman, la femme de Mamoulian, pour le remplacer par une photographie de Gene Tierney par Frank Polony, peinte à la main. Cet admirable tableau, dont l’importance est capitale dans le film, sera d’ailleurs utilisé à d’autres reprises dans des productions de la 20th Century-Fox, notamment dans Woman’s World (Les Femmes mènent le monde, 1954) de Jean Negulesco et dans On the Riviera (Sur la Riviera, 1951) de Walter Lang. Curieusement, seul le dernier de ces deux films est interprété par Gene Tierney ! 

Le remplacement de Mamoulian par Preminger aura lieu le 15 mai 1944. Mamoulian aura assuré dix-huit jours de tournage. La question de savoir si une partie des plans tournés au cours de cette période demeure dans le film tel qu’il est aujourd’hui reste sans réponse. Pour Preminger, il n’y aurait plus aucun plan de Mamoulian. Pour d’autres, le début – notamment la rencontre entre McPherson et Waldo Lydecker dans son bain – serait de Rouben Mamoulian… 

La fin elle-même fut l’objet d’un nouvel affrontement entre Zanuck et Preminger. Zanuck exigea que Preminger la tourne d’une nouvelle manière, selon le point de vue de Laura. Après diverses projections, il se rangea finalement à l’avis de Preminger, dont la première fin fut adoptée. Vera Caspary, qui craignait que Laura ne soit qu’une production de série B de l’unité de Bryan Foy – ce que le film était en effet au départ, sa faible durée en témoigne – fut finalement rassurée. Laura sera nommé aux Oscars pour la mise en scène de Preminger et pour la meilleure interprétation de second plan (Clifton Webb), et Joseph LaShelle obtiendra l’Oscar de la meilleure photographie. Les jurés, aussi myopes que d’habitude, oublieront le film et Gene Tierney… [Le film noir – Patrick Brion – Editions de la La Martinière (2004)]



Toute cette agitation n’affectera nullement le film en lui-même, devenu un classique du film noir. Aujourd’hui encore, Laura fascine par son élégance et son extravagance qui ne s’exprime pas seulement à travers ses personnages bizarres, mais aussi sur le plan formel. La photographie subtile du chef opérateur Joseph LaShelle confère un charme onirique à l’histoire de cet amour de l’inspecteur envers une femme soi-disant assassinée, tout en maintenant une distance avec le héros. On a l’impression que la caméra suit l’aisance linguistique du narrateur. Car ce sont les paroles de Lydecker qui, en voix off, nous introduisent dans l’histoire, et c’est par ses descriptions élogieuses que McPherson va connaître Laura et tomber amoureux d’elle. Pourtant, plus le film suit McPherson dans ses investigations, plus Lydecker sombre dans l’oubli en tant que narrateur pour finalement disparaître de l’intrigue : démasqua comme étant le véritable meurtrier – aveuglé par la jalousie, il s’est trompé de victime -, il est abattu par la police dans la dernière scène. [Film Noir 100 All-Time Favorite – Paul Duncan, Jürgen Müller – Edition Taschen – (2013)]



« I shall never forget this week-end, the week-end Laura died. » C’est ainsi que commence le film et la voix off de Clifton Webb contribue à plonger le spectateur dans un univers de mystère, d’inquiétude et de passion. Le remplacement de Laird Cregar par Clifton Webb a permis à Samuel Hoffenstein de penser en écrivant le personnage de Waldo Lydecker à celui d’une de ses connaissances, Alexander Woolcott. Pygmalion, Waldo va créer Laura Hunt qui – comme il se plaît à le rappeler – lui doit beaucoup, faisant d’une petite dessinatrice une véritable femme du monde. Était-elle sa maîtresse ou, plus probablement, un objet façonné par lui et qu’il ne destinait qu’à lui, d’où sa haine tout à la fois pour Shelby Carpenter, un de ces play-boys qui hantent les réceptions mondaines, et pour Mark McPherson, jugé peut-être trop vulgaire. L’affectation de Lydecker, ses manières exagérément raffinées, et le jeu même de Clifton Webb, homosexuel notoire, permettent de penser que Laura était sans doute plus une passion mentale et intellectuelle que réellement physique pour Waldo, jaloux et obsessionnel. [Le film noir – Patrick Brion – Editions de la La Martinière (2004)]


Dans l’univers de Laura personne n’est innocent : chaque personnage a non seulement des mobiles mais la capacité de tuer, vision sombre que le happv end final – Laura et Mark prêts à commencer une nouvelle vie ensemble – ne réussit pas à éclaircir. L’ambiguïté fondamentale du film est renforcée par le couple étrange que forment Mark et Lydecker, complètement opposés dans leur tempérament et leur personnalité, mais pourtant subjugués par une femme qui révèle fort peu d’elle-même, que ce soit à l’un ou à l’autre. Mark est le héros, Lydecker, le « méchant » mais tous deux sont habités par la même obsession : une Laura que chacun d’eux forge à son gré.

La caméra glissante et insistante de Preminger s’attache à rendre les cheminements de cette idée fixe. Elle suit Mark chez Laura, fouillant dans ses placards, regardant ses objets, lisant ses lettres et son journal, et fait du public le témoin de son insatiable curiosité ; le jeu de Dana Andrews appuie également cet aspect du personnage avec une subtile intensité. Certes, la performance de Clifton Webb, dans le rôle de Lydecker, est remarquable mais Andrews, dans un registre moins voyant, avec son regard hanté, sa bouche sensuelle mais tendue, sa voix douce et persuasive, a, à l’écran, une présence très suggestive qui d’un seul regard en dit plus que bien des comédiens avec tout un soliloque. Quand Lydecker demande au policier pragmatique qu’on ne pourrait soupçonner de romantisme s’il a été déjà été amoureux, il répond : « Une poupée de Washington Heights a réussi une fois à tirer de moi un manteau en renard » ; mais ce même personnage est aussi capable de tomber éperdument amoureux d’un fantôme parfumé et d’un rêve exprimé dans une œuvre d’art. [Encyclopédie du film Noir – Alain Silver et Elizabeth Ward – Ed Rivages (1979)]


La mort du narrateur est illogique et pourtant cohérente. Car c’est d’abord uniquement dans les souvenirs de Lydecker que Laura, l’incarnation de la femme idéale depuis Pétrarque, s’éveille à la vie. Elle est sa création. À son retour, la « véritable » Laura entre en concurrence avec son idéal. Voyant qu’elle ne correspond pas à celui-ci et que la réalité risque de détruire son doux fantasme, Lydecker réagit avec une rage meurtrière. En se terminant par la mort de Lydecker, le film se présente clairement comme un commentaire critique de l’image de la femme dans le cinéma de l’époque : car le fait que la fiction s’arrête dès l’instant où Laura se libère de l’emprise de Lydecker, montre aussi que la subjectivité féminine n’a pas sa place dans le cinéma classique d’Hollywood.

Si le film de Preminger révèle toute la violence et le manque de réalisme sortis de l’Imagination de l’homme de lettres bouffi de snobisme, Il montre gaiement sa force d’attraction. McPherson n’est en effet pas le seul à succomber au charme idéal de Laura, merveilleusement Interprétée par Gene Tierney. Au réveil du policier, le spectateur éprouve lui aussi une désillusion. Mais celle-ci ne dure pas et Laura demeure une histoire romantique d’autant plus efficace qu’elle est accompagnée par la célèbre musique de David Raksin. On peut certes interpréter la miraculeuse résurrection de Laura comme une simple méprise de la part du meurtrier, mais c’est grâce à elle que l’amour finit par triompher de la mort. Même si cela ne reste qu’un rêve, car le film ne nous apprendra pas si McPherson s’est réellement réveillé. [Film Noir 100 All-Time Favorite – Paul Duncan, Jürgen Müller – Edition Taschen – (2013)]


Superbement construit, Laura figure aujourd’hui parmi les chefs-d’œuvre du film noir, une œuvre exceptionnelle à l’envoûtement de laquelle il est difficile d’échapper. Fasciné par le personnage de Laura, McPherson s’imprègne des lieux et des objets de la jeune femme, de plus en plus hanté par elle, et ce n’est pas un hasard si elle lui apparaît, telle une vision de rêve, alors qu’il est en train de dormir sous son portrait. C’est sous ce même portrait que Waldo mourra à la fin du film, assurant Laura de son amour. 

On sait que dans une des versions du scénario, Waldo Lydecker ne mourait pas mais était arrêté. En réalité, il est évident que, privé de celle qu’il aime, Waldo a tout perdu, la mort devenant dès lors l’aboutissement logique du drame. De même, l’arme du crime, qui se trouvait initialement cachée dans la canne de Waldo – un symbole sexuel évident – est finalement devenue le fusil dissimulé dans l’horloge. Parallèlement à la manière dont Joseph LaShelle utilise l’ombre et la lumière, jouant sur les raies ou la lumière crue du spot que Mark braque sur Laura au poste de police, Preminger oppose les différences de diction de ses acteurs, le ton viril et brutal de Dana Andrews, la voix doucereuse de Vincent Price et la diction suave et caustique de Clifton Webb créant un ensemble éblouissant. 

Gene Tierney et Dana Andrews se retrouveront six ans plus tard sous la direction d’Otto Preminger dans Where the Sidewalk Ends (Mark Dixon, détective) et John Brahm, qui avait été envisagé pour diriger le premier Laura, en fera un remake pour la télévision, une version relativement fidèle – même si le nom de Vera Caspary n’apparaît pas au générique – dans laquelle George Sanders succède à Clifton Webb. [Le film noir – Patrick Brion – Editions de la La Martinière (2004)]



Après Laura, Gene Tierney, au sommet de sa popularité, allait décrocher son plus grand triomphe critique en jouant la femme fatale la plus dérangée de l’histoire. Dans Leave her to Heaven (Péché portel), adapté d’un best-seller sirupeux de Ben Ames Williams, elle incarne Ellen Berent, une princesse en Technicolor dont les yeux verts radieux cachent une jalousie pathologique. Ellen est le joyau de son riche clan, mais ne s’est jamais vraiment remise de la mort de son père bien-aimé et sa famille, soucieuse de protéger sa beauté fragile, refuse de voir la profondeur des dégâts. « Ellen est tout ce qu’il y a de plus normale, dit sa mère. Elle aime un peu trop, c’est tout. » [Dark City, Le monde perdu du film noir – Eddie Muller – Rivages Ecrits / Noirs (2015)]



Comment un cycle de films américains est-il devenu l’un des mouvements les plus influents de l’histoire du cinéma ? Au cours de sa période classique, qui s’étend de 1941 à 1958, le genre était tourné en dérision par la critique. Lloyd Shearer, par exemple, dans un article pour le supplément dominical du New York Times (« C’est à croire que le Crime paie », du 5 août 1945) se moquait de la mode de films « de criminels », qu’il qualifiait de « meurtriers », « lubriques », remplis de « tripes et de sang »… Lire la suite


L’HISTOIRE

L’inspecteur Mark Mc Pherson (Dana Andrews) enquête sur la mort de Laura Hunt (Gene Tierney) et va interroger son protecteur, une personnalité de la radio, Waldo Lydecker (Clifton Webb). Le caustique Lydecker considérait Laura non seulement comme sa création mais comme sa propriété et se servait de son esprit acéré pour écarter d’elle tout prétendant. Laura s’est pourtant fiancée à Shelby Carpenter (Vincent Price) sur lequel Ann Treadwell (Judith Anderson) qui n’est plus dans la fleur de l’âge avait des vues. Au fur et à mesure que Mark poursuit ses investigations, la personnalité de Laura le fascine de plus en plus et, lorsqu’il va chez elle pour fouiller son appartement, il est envouté par son portrait. Soudain la porte s’ouvre et Laura apparaît. Elle était, dit-elle, à la campagne pour mettre de l’ordre dans ses idées et prendre une décision par rapport à Shelby. Le détective est informé que le corps défiguré que l’on a pris pour celui de Laura est en fait celui d’lm mannequin Diane Redfern. Mark a donc quatre suspects : le jaloux Lydecker et Ann Treadweil qui tous deux auraient pu tuer Diane en la prenant pour Laura ; Shelby, qui avoue avoir fait venir Diane chez Laura pour rompre avec elle ; Laura, enfin, qui aurait pu assassiner le mannequin par jalousie. C’est elle que Mark soupçonne d’abord, malgré son amour pour elle. Il finit par découvrir l’arme du crime dans une pendule offerte à Laura par Lydecker ; il va arrêter Lydecker, le coupable, et laisse Laura seule chez elle. Elle est en train d’écouter l’émission préenregistrée de Lydecker à la radio lorsque ce dernier surgit pour la tuer, puisqu’il a échoué dans sa première tentative. Mark survient juste à temps pour la sauver