duminică, 12 ianuarie 2025

FRITZ LANG (n.1890, Viena - d.1976, Beverly Hills)

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Les Réalisateurs

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FRITZ LANG À HOLLYWOOD

Fritz Lang de studio en studio cherche ses nouveaux Mabuse dans la réalité sociale de l’Amérique. « A revoir l’œuvre de Lang, on est frappé par ce qu’il y a d’hollywoodien dans ses films allemands et d’expressionnisme dans ses films américains ». Si ce jugement critique de François Truffaut insiste à bon droit sur l’unité de l’œuvre de Lang, il convient de préciser les termes un peu vagues d’«hollywoodien» et d’«expressionnisme».

On assimile en effet l’efficacité du récit et le spectaculaire aux productions hollywoo­diennes tandis que l’appellation expressionniste recouvre un bric à brac bizarre et tour­menté, une prédilection du nocturne, des « ténèbres de l’inconscient », un emploi magistral des décors et des éclairages. Or sans contredire de telles défini­tions, il convient de situer ces esthétiques dans leur réalité historique : la fonction idéolo­gique d’intégration du cinéma américain (omniprésente de 1910 à 1960, même subtilement détournée par certains auteurs), et d’autre part le sen­timent de fatalité, d’impuis­sance coupable de l’homme face à l’Histoire, qui s’impose après la défaite allemande en 1918. L’œuvre de Fritz Lang concilie ces deux approches en une seule vision du monde : elle met en place toute la thématique du Destin, des forces supé­rieures et manipulatrices, et satisfait par là aux exigences spectaculaires hollywoodiennes en faisant de la mise en scène le sujet central de tous ses films.

En 1932, Fritz Lang fuit l’Allemagne nazie au cours d’un voyage mouvementé, et sans doute mythifié par le cinéaste. Apres un bref séjour en France où il réalise Liliom, il émigre aux États-Unis en 1934. Il y met deux ans à mettre sur pied son premier film américain, Fury. L’œuvre est saluée par un accueil critique enthousiaste. Par la suite, Lang connaîtra une carrière relative­ment régulière où tous les genres sont représentés : westerns, musical (si on peut nommer ainsi You and me), films de pro­pagande, mélodrames, films noirs et même un film à costumes. Sans jamais connaître de grande réussite commerciale, il tra­vaille successivement dans une dizaine de maisons de production différentes. Son initiative semble limitée au choix des sujets qu’on lui propose, bien qu’il accepte parfois de pures œuvres de commande. En cela, Lang vit, comme Mizoguchi, l’alliance la plus étonnante de compromission et d’intransi­geance. Prêt à tourner n’importe quoi ou presque, il plie pour­tant la machine hollywoodienne à ses exigences les plus dictato­riales.

Les nouveaux Mabuse

Fury donne le ton de la carrière américaine de Fritz Lang. C’est le récit du lynchage d’un innocent par une foule en délire. En 1936 où Lang tourne le film, il y avait en moyenne deux lynchages par semaine dans une ville aux Etats-Unis. Lang avait insisté pour que la victime du film fut un noir, mais la MGM, qui contestait déjà la choix du sujet, refusa de considé­rer la question. Cet exemple montre, sa volonté de rendre compte de la réalité sociale des U.S.A. comme il avait rendu compte de l’Allemagne des années vingt et trente avec les Mabuse, et M. le maudit. On oublie trop facilement l’intérêt de Lang pour les conflits sociaux et la réalité historique d’un pays. Rappelons que parmi les projets qu’il désirait adapter, se trouve America, une grande fresque qui devait décrire cent ans de l’histoire des USA en suivant un récit d’une mine per­due, un film sur les problèmes de l’irrigation entre la Californie et l’Arizona, un autre film sur les problèmes de la démobilisa­tion, etc.

C’est dans cette conscience sociale et le réalisme qu’il sup­pose qu’on peut lire l’intégration relative de Lang dans le cinéma américain. On ne saurait imaginer un Mabuse améri­cain, mais Lang va donner ce rôle au système social qui décide et manipule le destin des individus. Dans J’ai le droit de vivre (You Only Live Once), le Destin est avant tout le ramassis de braves gens qui conduisent le couple à une marginalité tragique, malgré leur volonté farouche de rester dans la légalité. Ce thème de la monstruosité de la collectivité sociale était déjà mis en évidence dans Fury, où les pères de famille incendiaient une prison et où les mamans hissaient leurs chérubins au-dessus des têtes pour qu’ils voient mieux le spectacle.

Le Mabuse allemand identifiait la conscience du Mal, son objectif avoué était de plonger le monde dans la terreur. Aux États-Unis, Lang cherche le Mabuse au fond de chacun, il interroge la volonté démoniaque dans la bonne conscience de l’homme de la rue. Dans Fury, le personnage de Spencer Tracy, – malgré son innocence originelle – devient une sorte de Mabuse en puissance, et les virtualités du Mal sont impi­toyablement mises à nu. Cette évolution n’est pas seulement thématique, elle est aussi historique. On a assez souligné à quel point l’ardent désir du chef exprimé dans Le Testament du Docteur Mabuse, avait été exaucé par l’arrivée d’Hitler au pouvoir. Désormais, c’est la structure sociale américaine qui va féconder l’imaginaire de Lang. Dans La Cinquième victime (While The City Sleeps) par exemple, c’est tout l’appareil des mass médias qui est perçu comme une machine criminelle très « mabusienne ».

La Parque

Lang parvient à rattacher sa thématique au climat moral et sociologique des Etats-Unis. La réalité américaine lui donne prise pour développer ses propres obsessions et mettre en place une vision du monde qui n’a rien de national – ou qui peut être perçue comme une violente remise en cause de l’american way of life. Ainsi, l’individualisme forcené de l’américain-type devient chez Lang une volonté d’exercer son pouvoir sur les choses (Chasse à l’homme, où le héros incarne l’Amérique bien pensante, parachuté à la fin du film tel l’Ange extermina­teur). Plus exactement l’individualisme est perverti par Lang comme la forme exacerbée d’un combat solitaire frisant la para­noïa : le héros langien est toujours seul, traqué ou traquant, et affronte la collectivité dans un combat sans merci : le fugitif de J’ai le droit de vivre, le vengeur de Règlements de comptes (The Big Heat). On retrouve ailleurs cette adaptation de la mentalité américaine. Dans La Femme au portrait (The Woman in the Window) et La Rue rouge (Scarlet Street), c’est le puritanisme anglo-saxon qui est stigmatisé et englobé dans la culpabilité langienne : il suffit d’une minute de plaisir (un verre d’alcool, dans Femme au portrait) pour que toute la vie soit marquée l’expiation de la Faute.

Chez le Lang expressionniste, le Destin est toujours symbolisé par une instance supérieure tandis que chez le Lang américain, la métaphore est abandonnée au profit d’une vision plus réaliste. Dans Les Trois lumières (Der Müde Tod) la Mort est incarnée par un personnage humain. Il ne s’agit pas là d’un symbole mais de l’humanisation logique du pouvoir. Dans Chasse à l’homme (Man Hunt), le héros cherche à avoir Hitler au bout de la lunette de son fusil, non pour le tuer mais pour exercer ce pouvoir démiurgique de la Parque. Les héros de Lang vivent souvent une crise l’orgueil, ils veulent s’identifier à Dieu. L’écrivain de House by the river, voit se réaliser la fiction écrite de son roman, et jouit de son pouvoir créateur sur les événements : de même le « testament » du Dr Mabuse se vérifiait dans la réalité (le vol de la bijouterie, « théorique », de Mabuse fait plus tard la une de tous les journaux). La figure du Mal s’est subtilement concen­trée dans le personnage conventionnel de l’écrivain raté.

Manipuler

L’Invraisemblable vérité (Beyond a Reasonable Doubt) propose le stade ultime de cette volonté forcenée de manipuler et de mettre en scène. Le per­sonnage de Dana Andrews qui se présente militant courageux contre la peine de mort, décide de provoquer une erreur judi­ciaire, de se faire condamner puis de tout révéler en montrant par là l’absurdité et le barbarie de la peine capitale. Nous apprenons à la fin du film qu’il est réellement coupable de meurtre et que sa manœuvre n’était qu’un stratagème destiné à l’innocenter. Le film constitue une expérience-limite dans l’œuvre de Lang et ponctue magistralement sa carrière holly­woodienne. Sous couvert d’une intrigue «américaine» (héros positif, démonstration noble et libérale en faveur de plus de justice) Lang met en place ses thèmes les plus personnels et détruit radicalement tous les fondements du cinéma hollywo­odien. Jamais le jeu de mystification du spectateur n’a été poussé aussi loin.

La représentation cinématographique devient en effet une constante dans l’œuvre américaine de Lang (dès la projection cinématographique de Fury). Dans le cinéma américain classi­que, le spectateur s’en remet de bonne grâce aux illusionnistes susceptibles de le charmer. Mais Lang ne charme pas, au contraire ; non content de lui tendre un insoutenable miroir moral, il manipule exagérément le spectateur. Le thème central de la mise en scène ne s’exerce pas seulement dans le sujet des films, il conditionne également un rapport spécifique au cinéma. [Cinématographe – L’Europe à Hollywood, l’âge d’or – Fritz lang, USA par Philippe Le Guay (février 1981)]


L’œuvre de Fritz Lang est celle d’un « moraliste hautain ». Univers très noir, hanté par la culpabilité, peuplé de héros solitaires qui se débattent dans un monde hostile ou indifférent, et dont une mise en scène totalement maîtrisée accentue encore le caractère étouffant.  


Le thème central de Woman in the Window est le doppelgânger avec sa problématique du double, du bien et du mal. Wanley est lui- même la clé de cet univers contradictoire ; d’une part, père de famille bourgeois, responsable, sobre, que parfois effleure l’ennui, d’autre part, aventurier impulsif qu’une liaison pourrait fort bien mener au meurtre ou au suicide…

Tout à fait dans la manière de Fritz LangScarlet Street est un film très sombre relatant l’histoire d’un homme ordinaire aux prises avec les forces du mal ; il succombe d’abord au vice, puis au crime. Kitty March et Johnny Prince comptent parmi les « méchants » les plus désinvoltes du film noir, amoraux jusqu’à en être troublants.

Clash by night est un film au scénario sans prétention, mais la banale histoire du triangle amoureux est rehaussée par l’étude subtilement graduée des personnages complexes qui ne sont jamais manichéens. Barbara Stanwyck, dans le rôle de Mae, campe une femme libre au passé douteux, trompant son mari, mais douée d’une grande liberté d’imagination et capable de reconnaître les failles de son propre système.

De tous les films de Fritz Lang, The Big Heat est sans doute celui dans lequel les hommes occupent les places prépondérantes, les femmes disparaissant les unes après les autres, brisées et assassinées. Lucy Chapman est torturée et abattue par le gang de Lagana. Katie Bannion meurt brûlée vive dans l’explosion de la voiture piégée. Bertha Duncan est ruée par Debby et cette dernière, dont le visage porte les marques du café brûlant que lui a jeté à la face Vince, est, elle aussi, abattue…

Fritz Lang retrouve le même producteur, Jerry Wald, qui avait aussi participé à Clash by Night (Le démon s’éveille la nuit), la même firme, Columbia, et le même comédien principal, Glenn Ford, pour Human Desire (Désirs humains), remake du film de Jean Renoir : La Bête humaine, adapté d’Émile Zola.